Rembrandt : Jésus, l'homme-Dieu12 - Un catéchisme en images Avec cette douzième séquence, nous terminons la recherche que nous avons poursuivie tout au long de cette année 2003. J'avais l'impression, depuis quelques mois, de faire un travail trop intellectuel, qui risquait de ne pas atteindre son but de "théologie pour les nuls" (que nous sommes tous, n'est-ce pas ? ) ; qui risquait donc de ne servir à rien. J'ai alors pensé qu'on ne pourrait faire mieux, pour conclure, que de regarder des images. Un catéchisme en images, comme le premier catéchisme de mon enfance, celui qui m'a marqué jusqu'à ce jour. Je n'ai rien inventé : j'ai simplement repris une catéchèse que l'Église orthodoxe en France a publiée il y a quelques dizaines d'années. Nous allons donc regarder attentivement quelques images (la plupart, des icônes) : elles nous en diront beaucoup plus sur le mystère de l'Incarnation que bien des traités savants.
1 - L'échelle de Jacob.
Jacob s'est enfui après avoir trompé son frère Esaü et son père Isaac, avec la complicité de sa mère Rebecca. Fatigué, il s'arrête à Béthel et s'endort sur la terre. Il a un songe. "Voilà qu'une échelle était plantée en terre et que son sommet atteignait le ciel et des anges de Dieu y montaient et descendaient. " La terre, c'est nous, le ciel, c'est Dieu et les deux sont réunis. Lorsque Dieu s'incarne en Jésus, descendant de Jacob à qui Dieu avait dit "toutes les nations du monde seront bénies en toi et en ta descendance", c'est le ciel et la terre qui sont réunis. Car Jésus est vrai Dieu et en même temps vrai homme. Mais pour que cela puisse se réaliser, il faudra que l'homme accueille Dieu. Marie est cet accueil. C'est pourquoi Marie est appelée "Echelle de Jacob", car elle est le lien entre le ciel et la terre.
2 - La Vierge du signe.
C'est une icône de Marie enceinte, appelée "Vierge du Signe", car elle illustre la prophétie d'Isaïe :
"Ecoutez donc, Maison de David ! Le Seigneur lui-même vous donnera un signe. Voici que la Vierge est enceinte et va enfanter un fils, et elle l'appellera Emmanuel, Dieu avec nous." (Isaïe 7, 13-14).
Cette prophétie s'accomplit le jour de l'Annonciation. En effet la Vierge accueille l'annonce de l'ange par son accord, que l'on appelle le "Fiat de Marie". Fiat signifie en latin "Que cela advienne", c'est la réponse de Marie à l'ange, son "oui" pour devenir la Mère de Dieu. Sans cet accord libre, Dieu n'aurait pas pu devenir homme. Il n'aurait pas pu s'incarner, car Dieu ne force jamais aucune conscience et il attend toujours que l'homme réponde librement. La liberté de chacun de nous reste entière pour répondre à Dieu par notre adhésion dans l'amour. Chaque fois que nous récitons le Notre Père : "Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel", nous répondons à Dieu à la suite de Marie ; chaque fois que nous disons Amen dans nos prières, c'est notre "oui" à Dieu. Il le veut libre de toute contrainte et prononcé seulement par amour.
Maintenant l'annonce de l'ange coïncide avec la prophétie d'Isaïe. Cette prophétie se trouve précisée par la traduction des Septante qui, deux siècles avant Jésus Christ, traduisent le mot hébreu Alma (jeune femme) par le mot grec parthénos (jeune fille vierge). Cette icône de la Vierge enceinte illustre aussi l'accomplissement de la promesse faite aux ancêtres du Christ : "Le Seigneur l'a juré à David et il ne s'en repentira pas : c'est le fruit de tes entrailles que je mettrai sur ton trône" (Psaume 131).
Contemplons cette icône de Marie enceinte. Sur son vêtement trois étoiles, une sur le front, deux sur les épaules, symbolisent la virginité : Vierge avant, Vierge pendant, Vierge après l'enfantement. Nous voyons que Marie est elle-même en prière, les bras élevés : c'est le geste de l'orante. Il nous vient tout de suite à l'idée que la Mère de Dieu prononce le Magnificat : "Mon âme exalte le Seigneur..."
Dieu et homme à la fois, voilà tout le sens de l'Incarnation. La Vierge s'est unie à Dieu en devenant sa Mère. A l'image de Marie, nous accueillons nous aussi et nous recevons Dieu, car Dieu s'incarne en nous aussi par le Saint-Esprit. En effet, le but du chrétien, de sa lutte avec le péché pour obtenir le pardon de Dieu, est de laisser transparaître l'incarnation du Verbe dans sa vie, dans son corps même.
Le Christ, le Dieu vivant, vient nous chercher pour nous ramener à Dieu son Père et nous réconcilier avec Lui. Acceptons de redevenir des fils de lumière pour nous faire semblables à lui. "Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne dieu."
3 - Noël
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Avec l'icône précédente, nous avons médité sur le Verbe de Dieu devenu homme, mais de façon toute mystérieuse, et encore caché dans le sein de sa mère. Nous allons maintenant découvrir avec émerveillement la naissance de Jésus-Christ. Il s'agit d'abord de rejeter tout ce que la fête de Noël a de commercial, de clinquant, de païen. Certains, par réaction, essaient de donner un sens social à la fête de Noël : ils organisent le réveillon des pauvres, des vieillards, des personnes isolées, des orphelins, des malades, etc. C'est très bien. Ils apprendront ainsi à reconnaître le Christ, qui, seul, peut nous apprendre à aimer les pauvres. Il est le premier parmi les pauvres. Le Fils de Dieu s'est anéanti jusqu'à devenir cet enfant sans défense, couché sur la paille aux pieds des animaux. "Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave et devenant semblable aux hommes." (Philippiens 2, 6-7)
Le sens le plus extrême de Noël, c'est cela : Dieu s'est fait homme. Le mystère de l'Incarnation. C'est par l'icône ci-dessus que nous allons essayer de comprendre l'Incarnation. Regardons longuement cette icône : elle nous réconcilie d'emblée avec la fête de Noël en nous faisant oublier l'excitation qui l'accompagne. Ici, c'est l'harmonie et la paix. Les rochers s'ouvrent pour accueillir leur créateur, les animaux sont pacifiés, les bergers partagent leur joie avec les anges, les mages galopent joyeusement vers la découverte de la Vérité révélée par l'étoile. A part le bain de l'enfant, détail très humain sur l'accouchement, et l'affairement inévitable autour d'un nouveau-né, l'image est très fidèle à l'évangile. On y trouve le doute de Joseph sur la virginité de Marie et l'origine divine de Jésus : Joseph est assis accablé, la tête dans les mains. Il est tenté par le démon du doute. Regardez également les Mages, qui sont à la recherche du Roi des Juifs. Ils représentent les maîtres de la science antique : ils sont enseignés par les astres. Maintenant ils ont trouvé l'enfant et ils remplacent l'offrande par l'adoration. Ils ont trouvé la Vérité. Il aura fallu aux savants une longue recherche pour arriver jusqu'à Dieu. Les bergers, eux, ont reçu la Bonne Nouvelle directement d'un ange, sans transition ni préparation. L'évangile ne mentionne pas l'âne et le boeuf. C'est la logique qui supplée au récit, bien sûr. Mais l'image rappelle également la prophétie d'Isaïe : "Le boeuf reconnaîtra son bouvier et l'âne la crèche de son maître." (Isaïe 1, 3). Devant la grotte, Marie est allongée dans la position habituelle d'une accouchée. Sa silhouette est monumentale. Elle tient une grande place dans la composition de l'icône. Cela exprime l'importance de la Vierge dans le mystère de l'Incarnation. Marie, par la naissance de son Fils, devient Mère de Dieu, Théotokos, en grec. Elle tourne le dos à l'enfant, car elle regarde Joseph avec compassion. Il est dans le doute, et à travers lui l'humanité tout entière plongée dans les ténèbres de l'ignorance. Sa main semble désigner le nouveau-né et par ce geste, elle guide tout homme vers le Fils de Dieu. La main droite de Marie désigne l'enfant, mais sa main gauche est posée sur sa poitrine. L'icône, sans doute, fait allusion à la parole de l'évangile : "Quant à Marie, elle conservait avec soin tous ces souvenirs et les méditait dans son coeur." (Luc 2, 19). Toute la composition de l'icône est centrée sur la grotte, vers elle tout converge. C'est comme une spirale dont le point central serait ce trou sombre d'où luit la lumière. Jésus est issu de la grotte, comme s'il était issu de la terre elle-même. Cette image nous donne le vrai sens de l'Incarnation. Avec la fête de Noël, une grande joie nous envahit, comme les mages et les bergers, rien ne peut nous retirer cette joie, car "Dieu est avec nous", ce qui en hébreu se dit "Emmanuel !"
4 - Le Baptême de Jésus.
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Alors que seuls Matthieu et Luc nous racontent sa naissance, tous les évangélistes nous racontent le baptême de Jésus. C'est en effet à son baptême que Jésus de Nazareth a été manifesté au monde comme Christ et Fils de Dieu. Non point qu'il est devenu Messie ce jour-là, le Fils est Christ de toute éternité. Il ne le devient pas, car le Saint-Esprit repose sur lui de toute éternité. Et non seulement le baptême de Jésus le manifeste comme Christ, mais également comme Fils de Dieu. Il nous révèle le grand mystère de Dieu, la Trinité.
Regardons l'icône. Jésus est immergé dans l'eau, on dirait qu'il pénètre l'univers tout entier pour le changer par sa présence, pour l'éclairer de sa lumière, pour l'illuminer, pour le sanctifier. Tout en haut, Celui qui oint, Dieu le Père, dont la voix rend témoignage à Jésus en l'appelant Fils bien-aimé. La colombe représente l'Esprit Saint qui confirme la vérité du témoignage en se posant et en demeurant sur la tête de Jésus : c'est "l'onction". Enfin, le Fils, celui qui est oint, Jésus, est immergé.
Que dire de la Trinité ? Comment aborder ce mystère ? Aucun manuel, aucun livre, aucune leçon de catéchisme ne sauraient "expliquer" ce mystère de Dieu en trois personnes. Le risque est trop grand de déformer par des mots ce qui est inexprimable, d'amoindrir par des catégories humaines et limitée de la raison, le Dieu éternel. Seules, la prière et l'adoration peuvent nous faire entrevoir une parcelle de la Vérité sur le Dieu unique en trois personnes.
5 - L'icône de la Trinité.
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André Roublev, peintre d'icône, moine russe du XVe siècle, a représenté la Sainte Trinité. Il n'a pas inventé l'image de la Trinité, mais il a illustré le récit de la Genèse où les mystérieux trois anges rendent visite à Abraham. Cette apparition au chêne de Mambré est une image de la Trinité, une préfiguration du seul Dieu en trois personnes, qui ne se fera connaître ouvertement que dans le Jourdain. Souvenez-vous du dialogue avec Abraham : le patriarche s'adresse aux anges en utilisant tantôt le Tu, tantôt le Vous. Cette alternance dans le langage nous fait deviner déjà l'UN dans la Trinité, car il semble qu'Abraham s'adresse tantôt au Dieu unique, tantôt aux trois personnes divines.
Roublev a fait d'une icône classique un chef d'oeuvre sur le plan artistique en même temps qu'un témoignage de prière. Cette icône ne se trouve pas dans une église, mais dans un musée d'État, la Galerie Tretiakov à Moscou. Des milliers de visiteurs chaque jour, croyants ou athées : personne ne peut passer sans s'arrêter devant notre image de la Trinité. Le silence s'impose naturellement devant cette icône. Il faut l'aborder dans la prière, car pour André Roublev cette icône est une prière. Plaçons le texte du Credo à côté de cette icône : l'image est composée sur le même plan que la confession de foi : Je crois en un seul Dieu. Roublev exprime cette unité par la similitude des trois anges et par le cercle unique dans lequel s'inscrivent les trois personnes. Le Père (l'ange de gauche) : le Credo est très bref, car il est l'inconnaissable. Cet ange est de trois-quarts, la couleur de son vêtement est très pâle, indéfinissable, presque transparente. Le Credo parle plus longuement du Fils. L'ange qui nous fait face se manifeste plus pleinement à nous. Nous connaissons beaucoup de choses sur le Fils, car il s'est incarné. Son vêtement est de couleur nette et tranchée, bleu et brun. Cela exprime les deux natures du Christ, le bleu du ciel et le brun de la terre. Jésus est à la fois Dieu et homme. Derrière lui se dresse un arbre, ses racines sont plantées dans la terre et ses branches tendent vers le ciel. C'est le bois de la croix qui, par le Christ, devient l'arbre de vie du Paradis. Sur le Saint-Esprit, le Credo redevient bref car, de la troisième personne divine, qui nous fait vivre, peu de choses peuvent être dites. Le troisième ange, comme le premier, est de trois-quarts. La couleur de ses vêtements symbolise la force de vie. Le vert qui domine exprime la jeunesse, la sève de vie qui fait tout exister.
Délibérément, Roublev a fait disparaître Abraham et Sara, car il s'est probablement souvenu de la parole du Christ : "Avant qu'Abraham fût, Je suis." (Jean 8, 58). Ces paroles expriment l'éternité de Dieu.
6 - La Transfiguration.
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La Bible nous dit que "nul ne peut voir Dieu et vivre". C'est d'ailleurs avec une infinie délicatesse qu'il se manifeste à Moïse, puis à Elie. Dieu nous prépare à le rencontrer lorsque le Fils de Dieu s'est incarné, s'est fait Fils de l'homme. Il ne s'est pas montré dans sa gloire : les hommes n'auraient pu le supporter. Il s'est fait semblable à nous. Rien ne laissait paraître sa divinité. Il n'y a que deux moments dans sa vie où il s'est manifesté comme Dieu : à son baptême et lors de sa transfiguration.
A la Transfiguration, Pierre Jacques et Jean ont vu Jésus resplendir dans la gloire de Dieu, sur le Thabor, en présence des deux grands témoins : Moïse et Elie. Regardons l'icône, comme nous l'avons fait pour l'Annonciation, la Nativité, le Baptême. Nous voyons la montagne où les apôtres ont contemplé le Christ transfiguré. Cette montagne est le support, le fond de l'icône. Elle témoigne que l'événement s'est passé en un lieu déterminé, sur la terre, et non dans un au-delà d'extase. Le peintre a construit l'image selon un plan géométrique très rigoureux. Au centre, le Christ resplendissant de lumière. Les rayons partent du Christ et forment une étoile qui s'inscrit dans un cercle. Cette représentation symbolique de la lumière nous révèle qu'il s'agit d'une autre lumière, d'une autre nature que celle du soleil. Cette lumière, c'est la Gloire de Dieu. Saint Jean nous le dit : "Nous avons vu sa Gloire, Gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique." (Jean 1, 14).
Remarquez les deux plans : trois personnages en haut et trois en bas. Il y a une grande différence d'attitude entre les deux groupes. Moïse et Elie se tiennent debout auprès du Christ, ils sont entrés dans le cercle lumineux et participent à la Gloire de Dieu, en pleine harmonie avec lui. Tandis que les Apôtres , dans le bas de l'icône au pied du rocher, sont bouleversés et leur attitude exprime le désordre, le désarroi. Ce contraste nous rappelle que l'homme ne peut voir Dieu de ses yeux charnels. Moïse et Elie s'inclinent devant Jésus. Moïse personnifie la Loi, Elie vient au nom des prophètes. Par contre, les trois apôtres renversés à terre font partie de l'humanité vivante. Malgré leur bouleversement, ils sont remplis de joie et veulent retenir cet instant. Mais il est encore trop tôt. Il leur faudra passer avec le Christ par la mort pour le revoir en gloire après la résurrection.
Dans une lettre écrite aux disciples, saint Pierre se souvient du Christ transfiguré qu'il a vu de ses yeux sur le Thabor. L'apôtre prépare ses disciples et nous-mêmes à recevoir la Lumière du jour sans déclin : "Jusqu'à ce que le jour commence à poindre et que l'astre du matin se lève dans nos coeurs." (2 Pierre 1, 19)
Voilà ! Je crois qu'on ne peut pas aller plus loin dans notre recherche. De toutes façons, je n'avais pas la prétention de vous expliquer le mystère. J'ai simplement essayé de vous montrer comment les chrétiens, à commencer par les premiers témoins, ont tenu à dire que Dieu s'est fait homme. A nous maintenant de vivre de cette foi en manifestant toujours davantage, comme Dieu lui-même, notre respect et notre amour de l'Homme. L'homme c'est grand ! Car "si Dieu s'est fait homme, c'est pour que l'homme devienne dieu."
2 décembre 2003