L'INTELLIGENCE DES ECRITURES
L'EVANGILE SELON SAINT JEAN 12 -Vers la mort et la glorification (11, 1 - 12, 50) 1 - La résurrection de Lazare ( 11, 1-57)
Dans l'évangile de Jean, c'est un des motifs de la mise à mort de Jésus. Aussitôt après, les autorités juives sont alertées. Elle se réunissent en conseil et décident de faire périr Jésus. Cette résolution n'est pas nouvelle, mais cette fois la coupe déborde. La décision est prise officiellement.
Ce que craignaient les autorités se produit effectivement : c'est l'effervescence autour de Jésus et de Lazare. Les grands-prêtres décident de faire mourir aussi Lazare (12, 9-10). Les gens, au chapitre 12, courent après Jésus parce qu'il a ressuscité Lazare : ils veulent voir. (12, 17-19)
Donc, regardons la résurrection de Lazare. On trouve quelques résurrections dans les évangiles (Matthieu 11, 5 - Luc 7, 22, et aussi la fille de Jaïre et le fils de la veuve de Naïm. Mais dans Jean, pour les besoins de sa catéchèse, il va y avoir toute une mise en scène, une dramatisation au service d'un enseignement. Donc il nous faut rechercher le sens que voulait donner l'évangéliste à la résurrection de Lazare, la lecture qu'a faite la communauté johannique de l'événement.
a - Place et portée de l'événement.
Il s'agit du septième et dernier miracle de Jésus. Cette septième place n'est peut-être pas indifférente. L'épisode précède la dernière semaine de la vie de Jésus. Il amorce donc et signifie la semaine de la Passion et de la Résurrection. En effet, en ressuscitant Lazare, Jésus signait son arrêt de mort. Pour que Lazare ait la vie, Jésus est monté résolument, en toute connaissance de cause, vers sa passion (11, 8-16). Mais en même temps, en se montrant vainqueur de la mort, Jésus donnait l'espérance à tous ses disciples.
Il faut nous rappeler les questions qu'avait posé la mort des chrétiens aux premières communautés chrétiennes< (1 Thessaloniciens 4, 13-14). Sans doute également, dans la communauté johannique affrontée à la gnose, circulaient des courants d'idées qui, méprisant le corps et tout ce qui est matériel, niaient la résurrection des morts, comme à Corinthe ( 1 Corinthiens 15, 12). Face à la détresse des familles en deuil, le récit évangélique va montrer deux soeurs qui perdent leur frère (et leur appui). Les premiers chrétiens (et nous) pouvaient bien se retrouver dans l'interpellation "Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort." Mais dans la foi des deux soeurs les chrétiens trouvaient un modèle : eux aussi confessaient que Jésus est la résurrection.
b - Le texte.
* v. 1. Lazare, de Béthanie. L'identification est faite pour distinguer ce Lazare d'autres personnes. Le village de Marie et de sa soeur Marthe : elles sont supposées être connues. On en parle dans Luc 10, 38-42 : les traditions de Jean et de Luc sont assez proches. Ainsi on voit dans notre récit, au v. 20, Marie assise dans la maison ; au v. 32, Marie tombe aux pieds de Jésus. Mêmes mots que dans Luc.
* v. 2. C'est cette Marie qui oint le Seigneur avec de la myrrhe. Curieusement, le récit de l'onction n'est rapporté dans Jean que plus loin (12, 3). L'évangéliste fait donc allusion à une tradition déjà connue dans le milieu évangélique. Certains critiques pensent que le récit de Lazare a circulé indépendamment, avant d'avoir sa place actuelle dans l'évangile.
* v. 3. "Celui que tu aimes est malade". Pour certains, Lazare est "le disciple que Jésus aimait" : ils font le rapprochement avec Jean 21, 23 : "le disciple qui ne mourrait pas." Mais en 11, 5, on nous dit que Jésus aimait Marthe et Marie et Lazare. Marthe est au premier rang. Sans doute, dans l'esprit des rédacteurs, Lazare est le type même de ceux que Jésus aime et pour qui il donne sa vie.
* v. 4. "Cette maladie... est pour la gloire de Dieu." La gloire de Dieu, c'est que les disciples croient (11, 15), et même toute la foule (11, 42). Ainsi, dès le début, Jésus donne le sens de l'épisode et l'oriente vers le Signe qui sera posé.
* v. 8-10. Au verset 9, Jésus dit "n'y a-t-il pas douze heures dans le jour ?" Rappel de cet autre verset (9, 4) : "Tant qu'il fait jour, il nous faut travailler aux oeuvres de Celui qui m'a envoyé." Tant qu'il fait jour ? c'est le temps qui lui est laissé pour vivre. Ici, en plus, on trouve l'idée de risque : Jésus travaille au risque de sa vie. Le verset 10 : "parce que la lumière n'est pas en lui", est un verset difficile. Ce que Jésus vient de dire du risque qu'il prend, il l'applique à tous les disciples. Ils ne trébucheront pas si le Christ (lumière) est en eux.
v. 11-16. On retrouve ici l'habituel malentendu des dialogues dans l'évangile de Jean : le sommeil dont parle Jésus, c'est la mort.
c - Le dialogue avec Marthe (v. 17-27)
v. 17. Lazare est dans la tombe depuis quatre jours. Quatre jours, c'est important. A cette époque-là on croyait qu'à la mort, l'âme (le principe de vie qui anime le corps) tournait trois jours autour du cadavre. Mais lorsque le visage commence à se décomposer, elle ne peut plus le reconnaître, alors elle quitte pour toujours les alentours de la tombe. Au verset 39, elle précise : "Il sent déjà, c'est le quatrième jour'" Lazare aura connu comme tous les morts la pourriture de la tombe. C'est essentiel pour signifier la puissance de résurrection du Christ.
v. 23. "Ton frère ressuscitera". Littéralement "se relèvera". Jésus répond à la confiance manifestée par Marthe au verset 22. Il veut provoquer Marthe à une foi plus profonde en sa personne. Il ne s'agit pas seulement de croire, comme beaucoup de Juifs à l'époque, à la résurrection des justes au dernier jour. C'est Jésus qui est dès maintenant la résurrection et la vie. La question posée à Marthe l'est aussi à tous les chrétiens : croient-ils que dès maintenant ils ont la vie en adhérant à Jésus ? Par la bouche de Marthe, la communauté confesse sa foi : "Je crois que tu es le Christ..." Et à cet acte de foi Jésus répond par un signe, un signe visible qu'il est la résurrection et la vie : ni la mort ni la corruption du tombeau ne peuvent entamer cette certitude. Dans le Christ, le mort est un vivant. Rappelez-vous : sur la croix, au bon larron, Jésus dit "Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis" ; et également Abraham, Isaac et Jacob sont aujourd'hui vivants.
d - Jésus frémit.
v. 28-32. Marie, à son tour, rejoint Jésus en dehors du village.
v. 33. Jésus les voit en train de pleurer. "il frémit dans son esprit et se troubla." Le verbe "frémir" exprime une grande indignation, une irritation contre quelqu'un ou quelque chose. Marc 1, 43 : "Jésus menace sévèrement" - Marc 14, 5 : les disciples s'indignent pour la quantité de parfum employé. Ici, le verbe est employé deux fois (v.33 et v. 38). La seconde fois, sans doute de colère contre ceux qui disent "lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, ne pouvait-il pas... " Donc, double indignation : 1-contre la condition humaine soumise à Satan et à la mort. 2-contre l'incrédulité de ceux qui se lamentent, désespèrent et doutent. Toujours au v. 33, le verbe "tarattein" qui signifie être ému, troublé. On retrouve ce verbe deux autres fois : en 12, 27, où Jésus se trouble à la pensée de sa mort, et en 13, 21, où Jésus est troublé à la pensée de celui qui va le trahir.
v. 35. Jésus se met à pleurer. La mort de Lazare exprime pour lui toute la détresse humaine. Mais Jésus se rend au tombeau pour affronter et vaincre la mort.
e - Jésus délivre Lazare.
Rappelez-vous les paroles de Jésus (5, 25 et 28) : "L'heure vient, et elle est là, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu et ceux qui l'auront entendue vivront....". En criant d'une voix forte "Lazare, viens dehors", Jésus préfigure la résurrection des derniers jours. Mais il donne le signe que, en lui, cette résurrection est déjà là. Lazare sort ligoté. Ses liens figurent les liens de la mort dont parle toujours la Bible. Jésus a brisé les entraves de la mort.
f - L'échange.
Les épisodes qui suivent montrent le processus qui s'est enclenché : Jésus doit mourir. Il a échangé sa vie contre celle de Lazare. Caïphe dira : "Il vaut mieux qu'un homme meure pour tout le peuple."
2 - Le repas et l'onction de Béthanie 12, 1-11.
Marthe, de nouveau, est celle qui sert (comme en Luc 10, 40). Marie verse le parfum. Une livre de parfum, c'est 300 grammes. Très cher. L'odeur du parfum remplace l'odeur du cadavre. Judas proteste, alors que Jésus voit dans ce geste d'amour et de foi le prélude à son propre ensevelissement. Lazare est vivant. Jésus va mourir, mais la mention de Lazare ressuscité oriente vers la résurrection de Jésus. Lazare portait avec lui dans sa tombe l'odeur de la mort qui avait triomphé de lui. Lorsque le parfum qui sert à l'ensevelissement touche le corps de Jésus, il remplit au contraire la maison d'une merveilleuse odeur. Le corps de Jésus échappera à la corruption du tombeau.
Lazare avait été ligoté par la mort. Jésus se laissera ligoter par les hommes, mais il se libérera lui-même des liens de la mort. Les bandes et le suaire du visage ont été calmement rangés dans sa tombe vide. Lazare est une figure. La réalité sera donnée en Jésus qui pour toujours a vaincu la mort, lui qui, à la différence de Lazare, ne reviendra pas à une vie mortelle, mais sera glorifié.
3 - Si le grain ne meurt. Jean 12, 12-50.
* L'entrée de Jésus à Jérusalem : comme pour l'onction à Béthanie, Jean rejoint les synoptiques, mais il y introduit Lazare, en lui donnant une valeur-type (v. 17-19)
* La scène des Grecs qui viennent trouver Jésus est particulière à Jean. Elle a une portée prophétique et amorce la Passion-Glorification. Ces Grecs sont des "craignant-Dieu". On n'en parle plus dans la suite du récit.
* "Si le grain ne meurt". L'image est connue en histoire des religions. Cette loi de la nature, on la retrouve dans les quatre évangiles. C'est la loi de l'être en genèse de la création inachevée. Voir Jean 4, 36 et 15, 1-17.
* v. 27. Jean ne racontera pas l'agonie de Jésus au jardin des Oliviers. Cette scène en présente, en quelque sorte, l'équivalent en dépeignant le bouleversement de Jésus à l'approche de sa mort et sa supplication au Père. "Père, sauve-moi de cette heure." On trouve la même chose en Hébreux 5, 7.
* v. 28. "Père, glorifie ton nom". Le nom, pour les sémites, n'est pas un terme conventionnel pour désigner la personne. Il exprime quelque chose de l'essence d'un être. Pour Dieu, glorifier son nom, c'est se glorifier soi-même. Mais précisément, Dieu a communiqué son Nom à Jésus (17, 11-12). C'est tout un pour le Père de se glorifier lui-même et de glorifier son Fils. Mais le Fils donne cette gloire en partage à ses disciples. (17, 23) Comment le Père a-t-il glorifié son Fils ? Par les oeuvres qu'il lui a donné de faire. Et bientôt par la croix où il sera élevé pour attirer à lui tous les hommes (v. 31-32). La glorification du Père et du Fils passe donc par le salut des hommes.
* v. 28. La voix venant du ciel. C'est une image connue des rabbins pour exprimer une intervention divine. Cette scène est un tableau composé d'éléments divers : la voix (que Jean n'a pas mentionné au baptême), allusion à la scène de la Transfiguration (que Jean n'a pas racontée). Le Père a répondu à la prière de son Fils et ne l'a pas laissé seul (8, 29). L'agonie est transfigurée. Le témoignage du Père est étendu à la foule entière qui, comme souvent chez Jean, se divise devant le message (cf. 7, 12 - 7, 43 - 9, 16)
* v. 31 "Maintenant" : télescopage du temps. La victoire est virtuellement contenue dans l'acceptation que le Fils fait de sa Passion et la réponse du Père. Mais cette victoire n'apparaît pas encore.
* v. 32-50 : Exhortation à suivre la lumière. Puis Jésus se retire. Les versets 37-43 sont une réflexion attristée de l'évangéliste sur le refus de croire des Juifs. Puis aux versets 44-50, Jésus revient sur la scène, attestant dans un dernier appel qu'il est l'envoyé du Père.
Ainsi se termine le ministère public de Jésus.
(à suivre le 29 mars)
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