L'INTELLIGENCE DES ECRITURES

 

L'EVANGILE SELON SAINT JEAN

13 - Le dernier repas (Jean 13-14)

Nous en arrivons au coeur de l'évangile de Jean : les chapitres 13 à 17. On appelle cet ensemble le Testament de Jésus. Trois parties :

* 13-14 : La Cène et le premier discours de Jésus.
* 15-16 : Deuxième discours.
* 17 : La prière sacerdotale.

Ces trois discours ont des thèmes communs. Ils ont dû être composés pour des circonstances identiques, dans des veillées où l'on rappelait les dernières volontés du Christ. C'est dans ces adieux que l'évangéliste expliquait le rôle de l'Esprit dans l'interprétation des paroles de Jésus (16, 12-13). Ce que les disciples n'avaient pu comprendre pendant la vie de Jésus s'exprimait maintenant par ses interprètes inspirés. C'était par eux que l'Esprit de Jésus parlait et les faisait se ressouvenir de tout ce qu'il avait dit. Ce souvenir les faisait reconnaître la Parole de Dieu comme vivante, présente, efficace. Ces discours sont donc l'expression de l'action directe de Jésus au coeur de ses interprètes.
Aujourd'hui, nous lisons les chapitres 13-14.

 1 - Le lavement des pieds (13, 1-20)

v. 1 - Il s'agit sans doute du dernier repas. Mais Jean ne parle pas de repas pascal ni de l'institution de l'eucharistie. Pourquoi ? On ne sait pas. Généralement Jean porte peu d'intérêt aux institutions de l'ancien Israël. Ce qui l'a peut-être détourné de montrer l'enracinement de l'Eucharistie dans la liturgie juive de la Pâque.

v. 1 - Jésus est pleinement conscient de le venue de son "heure". cette "heure" dont il parlait déjà à Cana.

v. 1 - C'est l'heure de passer de ce monde à son Père = la vraie Pâque, passage, à travers la mort, de la condition présente au partage de la gloire du Père (pour Jésus et pour les siens). Vraie Pâque, opposée à la Pâque des Juifs.

v. 1 - "Les aima jusqu'au bout". C'est l'amour qui donne tout son sens à l'oeuvre de Jésus et particulièrement à sa Passion.

v. 2 - "Le diable" : à l'arrière-plan de l'histoire, il y a une présence diabolique. cf. 12, 31, et 13, 27

v. 5 - Le fait de laver les pieds de quelqu'un était considéré comme une action humiliante. On ne pouvait même pas l'imposer à un esclave juif. Cette action pouvait devenir l'expression de la piété la plus éminente vis à vis de son propre père.

v. 6 - Pierre juge selon les normes humaines. Ce geste du Christ va à l'encontre de l'image qu'il se fait du Messie.

v. 8 - Si Pierre n'accepte pas dès maintenant le geste d'humilité de Jésus, qui se met à son service, il ne pourra jamais comprendre et partager la condition du Maître et passer avec lui de la souffrance à la gloire.

v. 10 - Pierre risque de réduire l'acte de Jésus à sa dimension matérielle. Mais le geste de Jésus n'a pas d'abord un but de purification. L'important, c'est de recevoir dans la foi ce qui s'exprime à travers le geste. Peut-être avons-nous ici une allusion au baptême. "Vous êtes purs, mais non pas tous" : la purification apportée par Jésus n'a rien d'automatique. Et Judas a pu être lavé sans être purifié. En grec, c'est le même mot : propre et pur.

v. 15 - "Faites-le vous aussi" : le lavement de pieds exprime symboliquement ce que fut l'essentiel de la vie et de la passion de Jésus : l'amour qui assume le service le plus humble pour sauver les hommes.

v. 16 - La condition du disciple doit nécessairement ressembler à celle de Jésus et l'amener au don de sa vie au service de ses frères.

v. 17 - Il ne suffit pas de le savoir. Il faut le faire.

v. 18 - Jésus connait les coeurs de ceux qu'il a choisis et il sait ce qui se prépare. "Celui qui mange mon pain (psaume 41, 10), c'est celui que j'ai accueilli, moi Jésus, et qui vit de moi. Lever le talon, c'est prendre une attitude hostile et chercher à détruire.

v. 19 - La trahison d'un apôtre a de quoi nous déconcerter, mais le fait que Jésus l'annonce doit réconforter les autres disciples : il manifeste la connaissance que Jésus a de toute chose. "Je suis" = plusieurs fois en Jean.

v. 20 - La mission des apôtres coïncide étroitement à celle de Jésus.

2 - La trahison de Judas ( 13, 21-30)

v. 21 - Jésus est troublé intérieurement, comme en 11, 33 et 12, 27

v. 23 - "Le disciple que Jésus aimait". Il n'est jamais nommé. Il semble être l'objet d'un amour de prédilection. Il pénètre dès lors davantage les intentions de Jésus (19, 26-27 ; 20, 2-10 ; 21, 7-20). Toute la tradition pense à Jean, ce qui est vraisemblable, vu que, dans les synoptiques et dans les Actes, il tient une place importante au sein du groupe des apôtres. Son nom n'est jamais cité dans Jean. "Il était couché dans le sein de Jésus" : c'est la traduction littérale. Selon la mode gréco-romaine, les convives mangent allongés sur des lits, s'appuient sur le bras gauche. Le disciple situé à la droite de Jésus est donc tout près de sa poitrine lorsqu'il s'incline vers lui. L'expression signifiait aussi la simplicité et la franchise des relations amicales. Rappelez vous 1, 18 : "Le fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a dévoilé."

v. 25 - La bouchée : un morceau de nourriture. Pas nécessairement du pain. Mais certains pensent qu'il s'agirait de l'eucharistie. Le mot grec "psôrion", en Orient, désigne le pain consacré.

v. 30 - Il faisait nuit : cette notation a une portée symbolique. C'est "l'heure de la puissance des ténèbres."

3 - Début de l'entretien suprême ( 13, 31-38)

On commence ici, avec la sortie de Judas, un long discours qui sera ponctué par quatre interrogations de la part des disciples : Pierre, Thomas, Philippe, Jude. Quatre interrogations, non plus sur ce qui s'était passé lors de la Pâque primitive, comme on le faisait lors du repas pascal dans la tradition juive, mais sur l'avenir : le départ et le retour du Seigneur. Jésus va expliquer le sens de son départ et aussi le mode de son retour et de sa présence. Il s'agit donc d'un enseignement sur l'Ascension (la glorification) de Jésus, et sur la Pentecôte (l'envoi de l'Esprit), sur lequel Jean ne reviendra que très brièvement à la fin de son évangile, et selon une chronologie différente de celle de Luc. Ici, on embrasse d'un seul regard le départ nécessaire de Jésus "dans la chair" et son retour par l'Esprit dans la communion avec le Père où il introduit les disciples. Il ne s'agit donc pas, comme dans les synoptiques, de son retour à la fin des temps, mais de sa présence actuelle dans l'aujourd'hui de la communauté. A la prière du Fils, le Père donnera un autre "Paraclet" (consolateur - défenseur). Lisons le texte plus en détail :

V. 31 - Il s'agit d'un échange. Jésus a glorifié le Père par son obéissance, jusqu'à la mort. Le Père répond en l'associant à lui-même, c'est-à-dire en lui faisant partager sa gloire.

v. 33 - La glorification de Jésus présuppose son départ, c'est-à-dire sa mort. Donc, séparation d'avec les disciples. Il faut saisir l'importance de cette absence.

v. 36 - Un commandement nouveau : le monde païen, comme le monde juif, prône l'amitié et le service mutuel. Le commandement de Jésus est nouveau, d'abord parce qu'il nécessite l'entrée dans la communauté des frères, et ensuite parce qu'il exige une humilité et une volonté de service qui mènent à prendre la dernière place et à mourir pour les autres. "Comme..." On y reviendra en détail. Simplement, Jésus, non seulement est le modèle à imiter, mais c'est lui qui par sa vie, sa mort, fonde la possibilité de vivre pleinement l'amour fraternel. "Les uns les autres..." : l'amour atteint son plein épanouissement dans une communauté où il y a échange, don et accueil.

v. 35 - L'amour fraternel est le signe par excellence de la présence de l'amour de Dieu dans la vie des hommes.

v. 36 - Pierre l'interrompt. Il semble ne pas avoir entendu ce qui précède. Ce qui l'intéresse, c'est "Où vas-tu ?" Jésus annonce à Pierre qu'il participera un jour à sa mort (Tu me suivras plus tard), mais cela ne sera possible qu'en vertu d'une grâce qui découlera de la mort de Jésus.

v. 38 - Jean rejoint les synoptiques. Jésus annonce à Pierre sa faiblesse : il le reniera trois fois avant le petit jour.

4 - Le chapitre 14

C'est la suite de l'entretien suprême, avec la triple intervention de Thomas, Philippe et Jude, pour faire rebondit le débat.

v. 1 - "Ne se trouble pas" Il y a pourtant de quoi. Ils ont être mis en face d'un événement déroutant : l'arrestation, le procès, la mort. Jésus va leur expliquer que grâce à son départ, qui en apparence va les laisser seuls, ils vont être en communion plus intense avec lui, avec le Père, et que l'Esprit assurera leur protection. "Croyez aussi en moi" = désormais la foi, c'est non seulement la confiance en Dieu, mais d'abord la foi en Jésus Sauveur.

v. 2 - "la maison de Dieu", c'est d'abord le Temple. Puis l'image sera utilisée pour dire Dieu au-dessus de tout. Cela veut dire : "en Dieu il y a de la place." "Le lieu où vous serez" = Jésus va assurer, par son propre passage à Dieu, la possibilité de vivre pour toujours dans la communion du Père. Pas de différences entre les "demeures"

v. 3 - "Je reviendrai" ; le texte envisage la fin des temps, mais en même temps notre temps actuel, personnel, d'où le jeu étonnant des présents et des futurs.

v. 6 - "le chemin" : d'abord le chemin long et difficile qu'Israël doit parcourir, en s'appuyant sur la foi en Dieu libérateur, pour arriver à la terre promise. Cette symbolique de l'Exode est ensuite appliquée à la Loi qui révèle les orientations que Dieu demande à son peuple de prendre pour arriver aux récompenses éternelles. Dans le Nouveau Testament, Jésus inaugure une nouvelle manière de marcher selon Dieu et à la rencontre de Dieu, si bien que le christianisme naissant est appelé "la voie". Ici, c'est Jésus qui est le chemin. Pas seulement à cause de son enseignement, mais parce qu'il est lui-même la vérité et la vie. Il est la Vérité, expression parfaite du Père pour les hommes. Il est la Vie, car il introduit les croyants dans la vie du Père, la communion au Père.

v. 7 - "Vous l'avez vu" : les disciples ont rencontré Jésus ressuscité et, en lui, ils ont vu Dieu.

v. 8 - "Montre-nous le Père" = le désir de Philippe, c'est le désir de tout homme : voir Dieu.

v. 9 - Toute la vie de Jésus, sa parole et son action, sont le lieu de la manifestation parfaite du Père parce qu'il est uni à lui par une parfaite communion.

v. 10 - "Ses propres oeuvres" : il s'agit de l'ensemble de l'oeuvre de salut dont les signes qu'a fait Jésus sont la manifestation visible.

v. 12 - "Il en fera même de plus grandes". Pas nécessairement des prodiges stupéfiants, mais le témoignage d'une communauté fidèle, rassemblée dans l'amour fraternel, et envoyée dans le monde au nom de Jésus.

v. 13 - "En mon nom" : le nom désigne ici la personne du Christ glorifié. C'est dans la mesure où nous nous fonderons sur lui que nous serons efficaces. Ainsi l'action du Christ, répondant à la prière des fidèles, manifeste la gloire du Père et du Fils.

v. 16 - Paraclet : terme du langage juridique. C'est l'avocat, le défenseur. D'où extension du terme : consolateur ou intercesseur. Dans Jean, le mot désigne l'Esprit qui va aider les disciples dans le vaste procès que le monde poursuit contre eux. "Il restera avec vous pour toujours" : avec nous aujourd'hui.

V. 17 - L'esprit de vérité, opposé à l'esprit du mensonge qui domine le monde.

v. 19 - Le monde est incapable de percevoir Jésus par-delà sa mort. Mais les disciples (nous) expérimentent la présence du Christ ressuscité et partagent sa vie nouvelle, dès maintenant.

v. 20 - "En ces jours-là" : les derniers temps commencent avec la Résurrection. C'est commencé, mais la perspective d'un achèvement reste ouverte. "Je suis dans le Père" : c'est dans la mesure où nous sommes unis à Jésus que nous pouvons entrer dans l'intimité de sa relation au Père.

v. 21 - C'est une relation d'amour. Celui qui aime observe les commandements.

v. 22 - Intervention de Jude. En grec, son nom est identique à celui de Judas. C'est pour cela qu'on transcrit habituellement par Jude. "Manifester... pas au monde" : bonne question. Avant Pâques, il ne peut pas imaginer qu'il y ait un autre mode d'existence, donc un autre mode de connaissance.

v. 23 - Jésus répond indirectement à la question : c'est une question d'amour. Lui et son Père fixeront définitivement leur demeure auprès de ceux qui exprimeront leur amour par leur obéissance.

v. 26 - "Vous fera ressouvenir" : les disciples gardent le souvenir. Mais ils vont, grâce à l'Esprit, approfondir le sens, la signification de ce que Jésus a fait et dit durant sa vie terrestre.

v. 27 - "Paix" : dans la Bible, c'est la plénitude de vie. Chez Jean, la paix est toujours liée à la personne du Christ et à sa présence.

v. 28 - "Plus grand que moi" : le Christ humilié, mais bientôt glorifié. Il pourra dire "nous sommes un". Donc ne pas couper la phrase de tout le contexte de l'évangile de Jean.

v. 29 - Je vous ai prévenus, je vous ai expliqué pour que vous ne soyez pas désarçonnés, mais au contraire pour que votre foi soit renforcée.

v. 30 - "Le prince de ce monde" : plusieurs fois cette appellation apparaît dans Jean. "Sur moi il n'a aucune prise" puisqu'il est sans péché. La Passion est donc le fait de la pure liberté de Jésus.

v. 31 - "Levez-vous, partons d'ici" : on dirait que c'est fini; qu'on sort de table. Or, tout va continuer. Nous avons déjà fait remarquer que les chapitres 15-17 sont "rapportés" : ils sont le fruit des "veillées" des premières communautés chrétiennes.

(à suivre, le 12 avril)

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