L'INTELLIGENCE DES ECRITURES
L'EVANGILE SELON SAINT JEAN 6 - LE VERITABLE TEMPLE (Jean 2, 13-23) Les fêtes juives.
Dans l'évangile de Jean, les fêtes religieuses juives tiennent une place importante. Et d'abord, on y trouve plusieurs allusions à la Pâque. Sans doute est-ce pour la Pentecôte que Jésus monte à Jérusalem (5, 1). Autre fête solennelle, qui attirait les foules de pèlerins à Jérusalem, c'est la fête des Tentes (ou des Tabernacles) (7. 37). Enfin, on retrouvera Jésus à Jérusalem pour la fête de la Dédicace (10. 22). Nous reparlerons de toutes ces fêtes auxquelles a participé Jésus et au cours desquelles il a développé un enseignement très important. Car toutes les fêtes signalées trouvent leur aboutissement dans le Christ.
La Pâque.
Première manifestation publique à Jérusalem : c'est à l'occasion de la fête de la Pâque. Et quelle manifestation ! Jésus chasse les vendeurs du Temple ! Geste dont nous aurons à rechercher la signification, par delà l'anecdote. Comme presque tous les gestes signalés par Jean, celui-ci est un signe que Jésus fait, pour ses interlocuteurs, et pour nous aujourd'hui.
Contrairement aux évangiles synoptiques, qui ne mentionnent qu'un seul pèlerinage de Jésus à Jérusalem pour la Pâque, Jean nous présente trois fêtes de la Pâque auxquelles Jésus a participé. C'est sur cette présentation qu'on s'est appuyé pour dire que le ministère public de Jésus a duré trois ans. Rappelez-vous : la Pâque, c'est la plus grande fête juive. Elle célèbre le mémorial de la libération d'Egypte. Deux faits sont remémorés : le passage de la Mer Rouge et, auparavant, l'agneau qui a été égorgé, dont le sang a servi à désigner les maisons des Hébreux lorsque l'ange du Seigneur " passait " en éliminant les enfants des Egyptiens ; l'agneau qui, une fois rôti à la broche, constitua le dernier repas en terre d'esclavage avant de prendre la route de la liberté.
Au Temple de Jérusalem
Pour cette fête, les gens achetaient un mouton ou un bœuf (" du petit et du gros bétail ", précise le Deutéronome 16.2), puis le faisaient égorger au Temple avant d'aller le manger en famille. Il y avait donc, dans les cours du Temple, tout un trafic. Normal : il fallait des changeurs car seule la monnaie frappée par les autorités religieuses de Jérusalem avait cours légal. Quant aux marchands, ils avaient leurs places, achetées et tenues à longueur d'année : un immense marché permanent, avec des périodes de pointe, notamment pour la Pâque. Donc rien que de très normal. Du moins en apparence. Il faut cependant faire remarquer que si le Temple était le coeur de la nation juive et le symbole de sa religion, il était aussi devenu l'endroit où la corruption et la soif du pouvoir s'étaient établis : le pouvoir de toute une caste sacerdotale. Le Temple était le lieu où affluaient les offrandes et les dons de la communauté et c'étaient les chefs des prêtres qui disposaient de ce trésor considérable. Sans compter les taxes importantes payées par les marchands. Donc, un lieu de trafic.
Un esclandre
Mais pourquoi le geste violent de Jésus ? Pour essayer de comprendre, il faut noter deux détails propre à l'évangile de Jean. D'abord, notre évangile situe cet épisode tout au début du ministère de Jésus, immédiatement après le signe de Cana. Comme pour accentuer encore la signification du bouleversement qu'il vient entreprendre. Par contre les synoptiques placent ce geste juste avant l'arrestation et le procès de Jésus. Ensuite, alors que Matthieu et Marc ne parlent que de marchands de colombes, Jean, par deux fois, tient à préciser que Jésus chasse les bœufs et les brebis. L'insistance de l'évangéliste veut souligner que les victimes destinées à la Pâque (petit et gros bétail) ont été chassées. Signe que virtuellement la Pâque juive est abolie. Cette économie du Temple est désormais périmée.
Un malentendu
Pour Jean en effet, la rupture avec les autorités du Temple a eu lieu dès le commencement de la vie publique de Jésus. Les évangiles signalent tous la violence du geste de Jésus, comme s'il voulait montrer combien la rupture est définitive : tout est bousculé, tout est chassé du lieu saint. Ce n'est que rétrospectivement que les disciples, d'abord surpris par cette violence, sauront l'interprêter en le reliant au verset du psaume 69, 10 : "Le zèle de ta maison me dévorera. Les insultes de ceux qui t'insultent tombent sur moi." C'est bien la haine des grands prêtres qui mènera Jésus à la mort. Sur le moment, les disciples ne pouvaient pas comprendre ces paroles. Pour eux, à ce moment-là, il n'y avait rien de plus sacré que le Temple. Plus tard ils sauront que la moindre parole de Jésus pèse autant que toute la Bible. Et l'Eglise primitive y verra une première annonce de la Passion. En effet, immédiatement les Juifs qui sont là demandent à Jésus "quel signe" il peut donner qui lui permette d'agir de la sorte. De quel droit fait-il cela ? A cette interrogation Jésus répond de façon énigmatique, parlant de "ce temple" qu'il peut relever en trois jours. Il oppose donc de façon symbolique le Temple de Jérusalem, cette construction qu'il avait fallu 46 ans pour bâtir, et un nouveau Temple de Dieu, son propre corps, sa propre personne. Il est donc normal que les interlocuteurs de Jésus n'aient pas compris la signification de son geste. Il opérait une véritable révolution. A la question : "Où est Dieu ?", question que les hommes se sont toujours posée, il répondait d'une manière entièrement nouvelle, propre à bouleverser toutes les conceptions antérieures. Matthieu cite à ce propos une autre parole de Jésus (12,6) : "Il y a ici plus grand que le Temple."
Maison de Dieu
Depuis toujours, les hommes ont eu besoin de considérer certains lieux comme sacrés, et de les marquer de certains signes. Pensez aux pierres levées, aux menhirs et aux dolmens, autels primitifs si nombreux dans toutes les régions habitées du globe. De même, Jacob, après avoir eu la vision d'une échelle qui relie la terre au ciel, s'écrie : " Dieu est en ce lieu et je ne le savais pas... Ce lieu est redoutable, c'est la maison de Dieu et la porte du ciel. " Il prend la pierre dont il avait fait son chevet, en fait une pierre levée et verse de l'huile sur elle.
Le thème de la " maison de Dieu " occupe une place considérable dans l'Ecriture. On trouve d'ailleurs cette manière de faire dans toutes les religions : on veut matérialiser ainsi, d'une manière quelconque, la présence divine, comme pour se l'attacher. Voir tous les temples égyptiens, grecs, romains de l'antiquité. On place dans ces temples la statue de la divinité à laquelle on rend un culte. Histoire de proximité et d'appartenance. " Dieu avec nous. " En Israël, il en va de même, avec une différence notoire : aucune image de Dieu dans le lieu de sa présence. L'arche d'Alliance, pendant la longue marche au désert, puis le Temple de Jérusalem bâti par Salomon sont signes matériels de la présence de Jahweh, mais ils ne renferment que des instruments : tables de la Loi et un peu de la manne du désert. Plus tard, d'ailleurs, après les invasions et les occupations successives, le nouveau Temple de Jérusalem était vide de tout objet matériel. Il était pourtant signe de la présence bienveillante de Dieu. Pour un bon Juif, c'était le centre du monde. On y venait du monde entier pour adorer Jahweh et lui offrir des sacrifices. De plus, avec Ezéchiel, on le voyait non seulement comme un lieu vers lequel on convergeait, mais comme une source dont les eaux vives divergent et vont au loin déployer leur fécondité. Au temps de Jésus, on y célébrait chaque année, en hiver, la fête de la Dédicace, souvenir du jour où ce Temple avait été purifié, en 164 avant notre ère, de tous les signes païens placés là par l'occupant. Retenons simplement de tout cela que le Temple, les temples sont toujours signes de la présence de Dieu sur cette terre.
Tout va changer
Avec Jésus, tout va changer. On va aller de malentendus en malentendus. Certes, Jésus, lorsqu'il chasse les vendeurs du Temple, parle de purifier " la maison de (son) Père ", mais à ses interlocuteurs qui lui demandent de quel droit il fait cela, il répond : " Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai ". Traduisons de façon plus précise cette expression : "Détruisez ce Sanctuaire et en trois jours je le relèverai." Le "Sanctuaire", c'était, dans l'antiquité, la partie la plus reculée de tout temple, le lieu même où habite la divinité. Naturellement, personne ne comprend. L'apôtre Jean nous dit qu'il a compris beaucoup plus tard, au moment de la mort et de la résurrection du Seigneur. Ensuite, les chrétiens développeront cette foi des premiers témoins en disant que Jésus est le vrai temple de Dieu, parce qu'en sa personne humaine, Dieu est présent sur cette terre. " Et le Verbe s'est fait chair, et il a planté sa tente parmi nous ", dit le Prologue de l'évangile de Jean. Et l'un des Sept, Etienne, sera lapidé par les autorités juives parce qu'il déclare que " le Dieu Très-Haut n'habite pas dans des maisons construites de mains d'hommes. "
La demeure de Dieu
Où est Dieu ? A cette question, Etienne répondait logiquement, selon l'enseignement du Christ : Dieu n'habite pas dans des maisons. L'apôtre Paul ira beaucoup plus loin. Le vrai Temple de Dieu, c'est l'Eglise. Ici, entendons-nous bien, car le mot est à double sens : avec un E majuscule, il s'agit de l'assemblée, alors qu'avec un é minuscule, il s'agit du bâtiment. Le mot grec " ekklesia ", au sens littéral, signifie toute assemblée. On l'a traduit en français par Eglise. Donc, l'apôtre Paul, s'adressant au collectif formé par les chrétiens, lui dit : " Vous êtes le Temple de Dieu ", et il va développer cette intuition en de multiples passages de ses lettres, notamment aux Corinthiens. Il ira même plus loin : c'est non seulement le " collectif " de tous les baptisés qui est Temple de Dieu, mais chacun de nous, personnellement : " Votre corps, écrit-il, est le temple du Saint Esprit. " Jésus, déjà, n'avait-il pas dit : " Si quelqu'un m'aime, mon Père l'aimera, nous viendrons en lui et nous ferons chez lui notre demeure. "
Jésus, Dieu fait homme, demeure de Dieu sur notre terre. Et chacun de nous, ses disciples, habitation de Dieu. Désormais, ce ne sont plus des édifices de pierre qui sont des lieux sacrés, mais des personnes vivantes : tout homme en qui le Père se complaît et en qui il veut faire sa demeure. (à suivre, le 4 janvier 2005)
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