L'INTELLIGENCE DES ECRITURES
L'EVANGILE SELON SAINT JEAN 14 - Discours et prière sacerdotale (Jean 15-17) Nous sommes au coeur de l'évangile de Jean : les chapitres 13 à 17. On appelle cet ensemble le Testament de Jésus. Trois parties :
* 13-14 : La Cène et le premier discours de Jésus.
* 15-16 : Deuxième discours.
* 17 : La prière sacerdotale.Ces trois discours ont des thèmes communs. Ils ont dû être composés pour des circonstances identiques, dans des veillées où l'on rappelait les dernières volontés du Christ. C'est dans ces adieux que l'évangéliste expliquait le rôle de l'Esprit dans l'interprétation des paroles de Jésus (16, 12-13). Ce que les disciples n'avaient pu comprendre pendant la vie de Jésus s'exprimait maintenant par ses interprètes inspirés. C'était par eux que l'Esprit de Jésus parlait et les faisait se ressouvenir de tout ce qu'il avait dit. Ce souvenir les faisait reconnaître la Parole de Dieu comme vivante, présente, efficace. Ces discours sont donc l'expression de l'action directe de Jésus au coeur de ses interprètes.
Aujourd'hui, nous lisons les chapitres 15-171 - Le deuxième discours (chapitres 15 et 16)
A - La vraie vigne (versets 1-17)
En grec, il y a deux mots pour désigner soit le vignoble soit un pied de vigne. Ici, c'est bien précisé : ampelos, c'est un pied de vigne unique. Dans l'Orient méditerranéen, certains pieds de vigne peuvent être gros comme des arbres. D'autres deviennent des plantes grimpantes. On peut "se reposer sous sa vigne". Donc, ici, l'image est différente de l'image biblique où souvent la vigne, c'est le vignoble entier, comme symbole d'Israël. Voir Ezéchiel 15, où la "vigne du Seigneur" est châtiée et brûlée. Voir également le psaume 80. Dans le judaïsme contemporain de Jésus, c'est une comparaison banale : la vigne, c'est le peuple. Mais on assiste à une extension de l'image : la vigne s'étend "depuis l'abîme jusqu'aux cieux ; depuis la mer jusqu'à l'Euphrate ; depuis Abraham jusqu'à nos jours."
Toutes ces images mettent en relief l'unité de la sève qui circule dans le cep et les sarments. C'est dans un tel contexte qu'il faut comprendre l'image de la vigne dans Jean 15.
v. 1 - "Je suis la vigne, la véritable". Le mot a un sens grec : "véritable", c'est "vrai" ; Il a aussi un sens sémitique : il signifie alors fidèle, solide, stable. En hébreu Emet, proche de notre Amen. Si bien que l'Apocalypse parle du "témoin fidèle et véridique". Jésus est la vigne qui ne trompe pas : il ne peut plus tromper son Père, à la différence d'Israël. Lui est d'une fidélité parfaite envers son Père. Le Père est le vigneron d'une vigne qui ne peut plus le décevoir. En Jésus, Messie, Vigne, est fondé le peuple de la Nouvelle Alliance.
v. 2 - La vigne-Jésus est parfaite en sa source, mais tout sarment infidèle peur être retranché de cet arbre où circule désormais la seule sève qui donne la vie. Le sarment qui donne du fruit est émondé - ou purifié (le verbe grec kathairô a ce double sens)
v. 3 - La purification s'opère par la foi en la Parole de Jésus (cf. Hébreux 4, 12), cette Parole, plus tranchante qu'une épée à double tranchant, pénètre l'homme, le sanctifie, au sens fort du terme.
v. 4 - "Demeurer". Ce verbe va être répété quatre fois dans le même verset, puis ensuite aux versets 7, 9, 10. C'est un mot-clé dans le vocabulaire de saint Jean : il exprime les relations du Père et du Fils, comme du Fils et des hommes. Le peuple de la nouvelle Alliance doit demeurer en Jésus dont la sève le nourrit, le fait vivre. Aucun sarment ne survit séparé de la sève. Dans l'Ancien Testament, le feu dévorait la vigne infidèle. Avec Jésus il ne peut dévorer que des sarments, ceux qui ne portent pas de fruit.
v. 5 - "Du fruit en abondance". Quel fruit ? D'après le récit de la Samaritaine (4, 36), le fruit est celui que les moissonneurs engrangent pour la vie éternelle : le fruit de la mission. La mission est alors inaugurée avec les Samaritains qui s'approchent de Jésus et le confessent comme le Sauveur du monde. Mais en 12, 24, le fruit abondant est celui du grain qui accepte de mourir : encore ici, il produit beaucoup de fruit : c'est la conversion des païens. On a là une idée de mission.
v. 8 - Porter du fruit en abondance équivaut à être disciple. Glorifier le Père, c'est garder le commandement de l'amour.
Les versets 7-17 sont un ensemble : au centre se correspondent joie de Jésus et joie des disciples (verset 11). Aux versets 9-10 correspondent 12-13 : sur le commandement de l'amour jusqu'à donner sa vie. Il y a d'autres correspondances. Regardez le couple envoyer-demeurer. En langage moderne, on traduirait par mission-vie spirituelle, ou par action-contemplation.
B - La haine du monde (versets 18-27)
v. 18 - L'antagonisme du monde et de Dieu constitue un aspect essentiel de l'histoire du salut. Nul n'y échappe.
v. 20 - "Ils vous persécuteront vous aussi". Le fait de la persécution devient le signe de leur véritable appartenance au Christ dont ils partagent le destin. Loin de les décourager, il doit les affermir.
v. 21 - "Ils vous le feront à cause de moi" : c'est le Christ qu'on cherche à atteindre en le persécutant.
v. 23 - Le péché par excellence consiste à refuser Dieu qui se manifeste en Jésus. L'incroyance s'exprime dans la haine.
C - Le chapitre 16 - Suite du deuxième discours.
v. 1 - "Scandalisés" : Le mot grec skandalôn signifie un piège, et plus largement tout ce qui fait tomber. Dans le langage biblique, tout ce qui met la foi à l'épreuve.
v. 2 - Les Zélotes disaient : "Celui qui verse le sang d'un impie est semblable à celui qui offre un sacrifice". Effectivement, les persécutions prendront souvent une allure religieuse.
v. 4 - Leur heure : le temps où ils utiliseront à l'aise leurs moyens de violence et d'oppression.
v. 6 - Tristesse bien naturelle. Ils la surmonteront quand ils pourront comprendre le sens, la signification de ce départ : un passage dans la gloire et l'origine du don de l'Esprit.
v. 8 - Ils le jugent, sûrs de leur bon droit, à cause de son péché (à ce qu'ils croient). Mais l'intervention de l'Esprit va renverser complètement la situation. D'où un nouveau jugement : on jugera le monde, en démontrant la justice de la cause de Jésus et donc le péché du monde qui a refusé de croire et la condamnation de celui qui tire les ficelles.
v. 9 - Le péché : c'est essentiellement le refus de croire en Jésus, le refus de la lumière.
v. 10 - La justice : s'il passe par la croix, c'est pour aller au Père ; preuve de l'innocence et du bon droit de Jésus, et donc de la vérité de son enseignement.
v. 11 - Le prince de ce monde est condamné.
v. 12 - "les supporter" : pas tellement de les comprendre intellectuellement, mais de les accepter, d'encaisser l'idée de la mort-glorification de Jésus
v. 13 - Seul l'Esprit peut nous faire encaisser la réalité de la trajectoire, du destin du Fils pendant sa vie terrestre et jusqu'à son Retour.
v. 20 - "Votre affliction tournera en joie" : c'est de ces événements même, si douloureux, que naîtra la situation nouvelle de Jésus et des siens, qui seront, dès lors, comblés de joie.
v. 21 - Il s'agit bien d'une naissance, la naissance de l'homme nouveau.
v. 22 - Joie. C'est la conséquence de la connaissance qu'auront les disciples du Christ ressuscité. Et cette joie sera d'autant plus pure que le caractère définitif de la victoire en écarte plus que jamais toute menace véritable.
v. 24 - "En mon nom". C'est seulement à partir de son passage dans la gloire que Jésus assume pleinement son pouvoir de médiation.
v. 25 - Chez les synoptiques, Jésus parle "en paraboles". Ici, c'est tout l'enseignement de Jésus au cours de son ministère qui est considéré comme inaccessible jusqu'au moment où la lumière pascale et le don de l'Esprit permettront de le pénétrer vraiment.
v. 27 - Le Christ est plus qu'un simple intermédiaire. Il y a intimité réelle. Les disciples sont introduits dans l'intimité du Père et du Fils.
v. 32 - Les disciples pensent qu'ils ont une foi parfaite. Jésus les détrompe. Ils ne sont pas encore capables de résister à l'épreuve de la Passion. Les puissances du mal vont les disperser. Dans Jean, Jésus dit : "Le Père est avec moi". Marc citera Jésus sur la croix : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?"
v. 33 - "J'ai vaincu le monde". Dans sa première lettre, Jean (2, 13-14) écrit aux chrétiens : "Vous êtes vainqueurs du Mauvais", et en 5, 4-5, il dit : "Tout ce qui est né de Dieu est vainqueur du monde. Qui est vainqueur du Monde ? Celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu."
2 - La Prière Sacerdotale (Chapitre 17)
v. 1 - "L'heure est venue" Toute l'espérance des Juifs était tournée vers l'heure de l'intervention divine, à la fin des temps. Cette heure, fixée par Dieu, est constamment à l'horizon de l'activité de Jésus, qui la reconnaît et l'accueille délibérément. C'est le moment de la glorification du Fils de l'homme. Mais cette glorification s'accomplit à travers l'obéissance parfaite, par amour, au sein de l'abaissement de la croix. C'est ainsi que le Christ glorifie le Père.
v. 2 - Le résultat de cette glorification du Père par le Fils, et réciproquement, c'est que tous les hommes vont pouvoir être associés à la condition nouvelle de Jésus : avoir la vie éternelle.
v. 3 - Vie éternelle : connaissance (d'amour) du Christ, manifestation suprême du Dieu unique.
v. 5 - Ce verset renvoie à Jean 1, 1 : la gloire que le Fils possédait dans son existence primordiale auprès du Père. Cette gloire, manifestée au long de sa vie terrestre, doit éclater dans toute sa splendeur à partir de la Résurrection.
v. 6 - "Ton nom" : Jésus, à travers ce qu'il dit, ce qu'il fait, ce qu'il est, nous montre qui est Dieu.
v. 9 - "Le monde" : ici, l'ensemble des hommes qui refusent Dieu. La prière de Jésus ne peut concerner que ceux qui, pris dans le monde, constituent la communauté des disciples de Jésus.
v. 10 - La gloire véritable est la manifestation, non de la puissance, mais de la communauté d'amour du Père et du Fils, à laquelle les disciples ont part.
v. 11 - Père Saint : la sainteté du Père fonde la sainteté de Jésus et des disciples, dont il sera question aux versets 17-19. Cette invocation a été utilisée très tôt dans la liturgie. "Qu'ils soient un " : unité dans l'amour mutuel fondée sur l'unité Père-Fils
v. 12 - "Je les ai protégés" : d'abord lors de la Passion. L'Ecriture : voir le psaume 41, 10.
v. 13 - "Ma joie" : elle naît de l'écoute de la parole de Jésus.
v. 15 - "Oter du monde" : l'évangéliste réagit contre l'attente passive de la Parousie. La tâche de la communauté des croyants est d'être, au milieu du monde, la manifestation du monde nouveau. "Garder du Mauvais", et non "du mal". En Jean, le principe du mal est un principe personnel.
v. 17 - "Consacre-les par la vérité". Consacrer, ou sanctifier un être, c'est le séparer du domaine profane, pour l'introduire intégralement dans la sphère de Dieu. L'instrument de la sanctification, c'est la vérité de Dieu, manifestée en Jésus, verbe incarné, auquel on adhère par la foi.
v. 18 - "Je les envoie dans le monde". Les disciples ont été consacrés, sanctifiés, et désormais ils sont capables de la mission, parce qu'elle met à part, sans les isoler, au sein du monde, ceux qui sont envoyés pour porter la parole.
v. 19 - "Pour eux je me consacre" : cette consécration, pour Jésus, va jusqu'à l'offrande de sa vie. "Pour eux", pour les disciples, pour leur consécration.
v. 20 - Jésus ne prie pas seulement pour ceux qui sont rassemblés ce soir-là autour de lui, mais pour tous les disciples de tous les temps et de tous les pays. pour nous aujourd'hui.
v. 21 - L'objet de sa prière : notre unité. Entre les personnes, entre les communautés, entre tous ceux qui se réclament de son nom. Sans cette unité, le monde ne peut pas croire.
v. 22 - La gloire dont Jésus est glorifié, c'est la manifestation aux hommes de cette indicible communion Père-Fils. Et les croyants qui la perçoivent y sont eux-mêmes associés et deviennent à leur tour manifestation de la gloire du Christ.
v. 24 - Les disciples partagent la condition du Seigneur, son abaissement dans l'obéissance et son exaltation dans la gloire.
v. 25 - "Juste" : le mot a plusieurs sens. ici, il souligne sa fidélité et sa miséricorde.
(à suivre, le 26 avril)
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