L'INTELLIGENCE DES ECRITURES

 

L'EVANGILE SELON SAINT JEAN

15 - PASSION - RESURRECTION (18-21)

1 - Les récits de la Passion (chapitres 18-19)

Très tôt, la liturgie a célébré les anniversaires de la Passion et de la Résurrection. Bien avant que ne soient rédigés les Evangiles. Donc Jean est étroitement lié, ici , par la tradition chrétienne exprimée dans la liturgie. Nous trouvons donc ici le même schéma que dans les synoptiques, mais :

*des traditions particulières viennent s'y ajouter

*les épisodes de la passion sont revécus avec la profondeur qui caractérise le regard de Jean. Ces récits sont porteurs de doctrine.

Nous ferons donc attention à certaines touches de l'auteur. Elles révèlent des intention cachées.

A - L'arrestation ( 18, 1-12)

Jean ne décrit pas l'agonie. Il en a simplement fait mention en 12, 27. Il débute simplement avec Judas "le donneur" (v. 2). Judas s'était enfoncé dans la nuit (13, 30), symbole des ténèbres qui collaient à lui, l'instrument de Satan (13, 27). C'est sous la figure de Judas que s'avance maintenant vers Jésus le Prince de ce monde (14, 30). C'est "avec des torches des lampes et des armes" qu'ils viennent arrêter dans la nuit celui qui est la lumière du monde, contre lequel les forces du mal ne peuvent rien ( 12, 31 et 14, 30). Jean va montrer que Jésus est toujours le maître (18, 4). C'est volontairement qu'il se laissera arrêter. Lisez les versets 4-6 et notez l'expression " Je suis" = en grec ego eimi. Allusion à la grande révélation de Dieu à Moïse au buisson ardent = Jahweh.

Notez également la symbolique. Judas est à la tête de la troupe. Jésus s'avance vers les forces des ténèbres, il les affronte et à la proclamation du nom divin, tous tombent à terre. L'approche de Jésus devient redoutable pour ceux qui incarnent la puissance diabolique. Rappelez-vous la révélation du Sinaï et le respect apporté à l'arche d'alliance. La sainteté, le sacré excluent ce qui est profane, impur. Ces versets sont propres à l'évangile de Jean.

Autres particularités : la mention de Pierre qui coupe l'oreille de Malchus, et surtout la mention de "la coupe" qui rappelle la coupe de l'agonie dans les synoptiques.

Alors ils lièrent Jésus, le libérateur qui avait délié Lazare. Et Jean insiste encore au verset 24 : Jésus, toujours lié, est renvoyé d'Anne à Caïphe.

B - La comparution devant Anne (18, 12-24)

Les critiques discutent sur l'historicité de comparution de nuit devant le sanhédrin (71 membres, qu'il était difficile de convoquer de nuit - et d'ailleurs ce n'était pas légal). Par contre tous les critiques jugent historique la comparution devant Anne. Donc il y aurait eu comparution devant Anne, interrogatoire rapide puis, au petit matin, comparution devant Caïphe (v. 24), avant la comparution devant Pilate.

v. 13 - Anne, appartenant à une famille sadducéenne, fut grand-prêtre de 6 à 15. Déposé par les autorités romaines, il gardait une grande influence sur les affaires et la plupart des grands-prêtres qui lui succédèrent étaient de sa famille. Caïphe est son gendre.

v. 15 - L'autre disciple, connu du grand- prêtre : ? Il fait entrer Simon Pierre.

v. 19 - En Jean on interroge Jésus sur son enseignement. Dans les synoptiques, on l'interroge sur le fait qu'il se soit fait Messie, fils de Dieu : blasphème.

v. 21 - Jésus suggère qu'on lui fasse un procès public. Il souligne surtout que la décision de le mettre à mort est prise et qu'on se borne à une parodie de jugement. Peut-être même Jean veut-il nous indiquer notre propre responsabilité, dans ce "procès à Jésus" qui dure toute l'histoire.

v. 23 - Une gifle : le moyens de la violence n'ont rien à voir avec la reconnaissance de la vérité.

c - La comparution devant Pilate (18, 28 à 19, 16)

 v. 28 - Le prétoire. S'agit-il de la forteresse Antonia, à l'angle du Temple, ou du palais d'Hérode ? On se le demande. En tout cas, c'était la Pâque. Les lieux d'habitation des païens étaient considérés comme impurs.

v. 29 - Pilate : procurateur de Judée de 26 à 36. On sait que ce haut fonctionnaire était mal disposé à l'égard du peuple juif.

v. 31 - Mettre à mort ? Peut-être les juifs avaient-ils le droit de lapider. Mais la crucifixion était réservée aux magistrats romains.

v. 32 - Il devait mourir? Voir 12, 32-33 : "Lorsque j'aurai été élevé de terre..."

v. 33 - Roi des Juifs. Jésus n'a pas utilisé le titre jusqu'ici. On le lui a appliqué. cf. Nathanaël (1, 49) et aussi en 6, 15 : "Jésus, sachant qu'on allait l'enlever pour le faire roi..." C'est donc l'appellation des Juifs. Pilate l'interprète au sens politique : Jésus est un agitateur révolutionnaire.

v. 34 - Jésus met Pilate en porte-à-faux : "Tu écoutes les ragots", un point c'est tout.

v. 35 - La royauté de Jésus : c'est le Royaume dont parlent les synoptiques. Il le tient de Dieu. Il ne s'agit pas d'une action politique.

v. 37 - Pas question de violence. il s'agit seulement de l'accueil de la vérité de Dieu qui se manifeste en Jésus, le Verbe incarné.

v. 38 - "Qu'est-ce que la vérité ?" C'est le scepticisme professionnel du fonctionnaire romain. Notez l'incapacité du pouvoir politique de se placer au point de vue de Jésus. Pilate reconnaît l'innocence de Jésus, comme en Luc. Il le répétera trois fois . Cf 19, 4 et 19, 6.

v. 40 - Barrabas, un brigand. C'est le mot employé pour désigner les Zélotes qui pratiquaient l'action politique et religieuse violente.

19, 5 - "Voici l'homme". Chez Matthieu et Marc, la flagellation suit la condamnation. Chez Luc, Pilate, avant de condamner, propose de corriger Jésus. Chez Jean, Pilate essaie, par la flagellation, un moyen de diversion. Le spectacle de l'homme lamentable et ridicule devrait suffire à démontrer que ses prétentions à la royauté étaient vaines. Mais Jean suggère autre chose encore : que l'on voie en Jésus l'homme véritable qui, au sein de l'humiliation, inaugure la royauté messianique.

v. 7 - "Fils de Dieu" : l'accusation se déplace du politique au religieux et porte maintenant sur l'essentiel : Jésus a blasphémé en se présentant comme fils de Dieu. Il doit mourir.

v. 8 - Pilate a peur. Il se trouve en face d'un ordre de choses suprahumain, donc menaçant et dangereux.

v. 9 - D'où es-tu ? Il veut connaître la véritable origine, la véritable nature de Jésus. Silence de Jésus : pour le connaître, il faudrait une démarche de foi.

v. 11 - Un plus grand péché : Judas et peut-être les dirigeants juifs avaient plus de possibilités de reconnaître la réalité de Jésus.

v. 12 - L'ami de César : titre officiel que Pilate, l'ami de Séjan, avait peut-être. On redéplace le problème sur le champ politique. Gros chantage. Bien que par trois fois Pilate ait reconnu l'innocence de Jésus, il va céder.

v. 14 - Midi. Le vendredi, c'était l'heure où l'on commençait à immoler les agneaux pour le repas pascal. Jean va lier les deux événements : Jésus est le véritable agneau pascal (19, 36)

La scène du Calvaire (19, 16 - 42)

 v. 17 - "Portant lui-même sa croix". Pas de Simon de Cyrène, comme les synoptiques. Peut-être réaction contre une interprétation selon laquelle Simon de Cyrène aurait été crucifié à la place de Jésus. En tout cas la législation romaine prévoyait que le condamné devait porter sa croix.
Golgotha : mot hébreu qui signifie le crâne, en latin calvarius, d'où vient calvitie (chauve), Calvaire en fonçais.

v. 18 - Les synoptiques parlent de brigands. Jean ne précise pas. Il s'agit pour lui d'hommes misérables dont Jésus partage le sort.

v. 19 - Nazoréen. Seul Jean introduit cette précision. Il ne s'agit pas de Nazaréen, citoyen de Nazareth, ni des nazoréniens, une secte de l'époque. Alors ? Certains pensent quand même Nazaréen, celui de Nazareth. Pour d'autres, Naziréen, c'est-à-dire le Saint de Dieu par excellence.

v. 22 - "Ce que j'ai écrit". L'inscription indique le motif de la condamnation. Jean insiste pour souligner le caractère symbolique de l'inscription : c'est par la croix que Jésus devient le roi messianique. Et cet événement doit être annoncé dans toutes les langues du monde.

v. 23 - partage des vêtements : c'était la loi romaine. La tunique du dessous est d'une seule pièce, sans couture, donc pièce rare, c'est pourquoi on la tire au sort.

v. 25 - Les synoptiques disent simplement les femmes au Calvaire. Jean précise, trois ou quatre. A partir de ce verset, Jean parle de la mère, et non de sa mère, comme pour suggérer que Marie n'est plus exclusivement la mère de Jésus.

v. 27 - Marie devient ainsi la mère de tous les croyants.

v. 30 - "Inclinant la tête" : forme active du verbe, pour signifier que jusqu'au bout Jésus est maître dans l'accomplissement de sa mission. Il rendit l'Esprit: signifie peut être que, par sa mort Jésus transmet l'Esprit au monde.

v. 31 - Le soldat brise les jambes pour accélérer la mort. En 1968, on a retrouvé dans un ossuaire de Jérusalem les ossements d'un crucifié (il y en a eu des milliers en Palestine) L'intérêt de la trouvaille c'est que les jambes du crucifié ont été brisées : c'est le coup de grâce.

v. 34 - Eau et sang. Phénomène qui peut s'expliquer naturellement, l'eau étant un épanchement pleural. Seulement voilà, il y a aussi une tradition rabbinique qui dit que l'homme est composé d'eau et de sang. Cela voudrait dire alors la réalité de la mort. Jean considère le fait comme un signe du don de l'Esprit.

v. 35 - "Celui qui a vu" = le disciple bien-aimé. Non seulement il a vu, mais il dégage la signification profonde de l'événement. "Celui-là sait " : conformément à la coutume juive, il faut un deuxième témoin qui reconnaît et confirme la véracité du premier. Ici sans doute, le Christ glorieux, ou pour certains, le Père lui-même.

v. 39 - La myrrhe : une gomme résine aromatique qui sert à embaumer les corps. L'aloès : c'est un parfum, un bois de senteur (unique mention dans le Nouveau Testament) Le mélange : 32 kg 700

2 - Les récits de la Résurrection (chapitre 20)

Quelques aspects sont propres à l'évangile de Jean, qui a fait un choix orienté à l'intérieur des multiples traditions sur la résurrection de Jésus. Orientation qui a un but d'enseignement. Tout évangile est une catéchèse.

A - Marie de Magdala.

Jean a noté sa présence au Calvaire avec d'autres femmes. Chez Marc et Matthieu elle est au premier rang des femmes qui viennent au tombeau au matin de Pâques. Or Jean ne parle que d'elle. Pourquoi ?

Dans Luc 8, 2, on a la liste des femmes qui accompagnaient Jésus. Marie de Magdala est nommée en premier. Luc (souvent très proche de Jean) note que Jésus avait chassé d'elle sept démons (sept est le chiffre de la totalité). Marc 16, 9 note également que "Jésus apparut d'abord à Marie de Magdala dont il avait chassé sept démons." Plus que tout autre, elle avait été libérée par Jésus. Elle recherche celui qui l'a délivrée. Mais sa foi devra franchir une autre étape.

Marie vient au tombeau, voit la pierre enlevée, court avertir Pierre et Jean et revient ensuite pleurer. "Ils ont enlevé le Seigneur et nous ne savons où ils l'ont mis." (v. 2) Cri de détresse qu'elle renouvelle aux anges qui l'interrogent : "Femme, pourquoi pleures-tu ?" (v. 13) Même désarroi ensuite, dans sa réponse à celui qu'elle prend pour le jardinier (v. 15) Elle est comme l'épouse du Cantique des Cantiques qui cherche son bien-aimé (Cantique 3, 2). Mais que cherche-t-elle ? Un mort, un cadavre, des restes palpables. Dans Luc, les anges disent aux femmes : "Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ?" Marc et Matthieu également les éloignent de la tombe : "Il est ressuscité, il n'est pas ici." On a donc là un enseignement commun à tous les évangélistes. C'était peut-être celui qu'on donnait aux premiers pèlerins qui venaient à la tombe de Jésus. Il ne devait pas y avoir de pleureuses. Jésus vit.

A celle qui le cherche éperdument, Jésus va se manifester. "Jésus lui dit : 'Marie'. Elle se retourna et lui dit en hébreu "Rabbouni', ce qui signifie maître." Comment s'est faite la reconnaissance ? Par l'appel de son nom. "Les brebis écoutent la voix du pasteur qui les appelle chacune par son nom" (Jean 10).

Marie de Magdala veut retenir Jésus (v. 17 a) Or précisément Jésus ne peut être retenu sous forme palpable. Il monte vers son Père et communiquera son Esprit aux disciples, au soir du même jour (v. 19 et suivants)

D'où question : pour Jean, la venue de l'Esprit c'est le soir de Pâques, alors que pour Luc il y a l'Ascension, puis la Pentecôte. De plus, chez Luc, la dernière apparition de Jésus c'est à l'Ascension, alors que chez Jean c'est bien avant. Comme, par ailleurs Luc 24, 50-51 paraît contredire le début des Actes (récit de l'Ascension) en situant l'Ascension de Jésus après l'unique apparition aux Onze (or Actes et l'évangile sont du même auteur) il faut bien constater une certaine indifférence des auteurs au schéma chronologique en ce qui concerne les apparitions.

Dans Jean, mort et glorification sont liés et déjà l'Esprit est donné sur la croix avec l'eau et le sang. La scène de Marie de Magdala qui apparaît comme le type de ceux qui cherchent Jésus, manifeste l'impossibilité de le retrouver sous sa forme antérieure. C'est sous un régime nouveau que vit désormais la communauté des disciples. Jésus "monte vers son Père et notre Père" et il charge Marie de Magdala d'en avertir les disciples (v. 17 b). Le mode de présence de Jésus sera maintenant différent.

B - Les apparitions.

Comparons Jean 20, 19-23 : Apparition aux disciples le soir de Pâques - et Luc 24, 36-49 (même événement). Pour les spécialistes, Jean apparaît plus proche du schéma primitif. Notez le thème de la paix et celui de la joie. Jésus souffle sur ses disciples, comme Dieu avait soufflé sur Adam pour lui communiquer une âme vivante, mais désormais le souffle est celui de l'Esprit-Saint (déjà annoncé à Nicodème (3, 5)

Propre à l'évangile de Jean, l'épisode de Thomas (v. 24-29). Jean en fait le type des disciples qui ont douté. Jésus reprend le défi de Thomas ("Mets tes doigts, etc."). Thomas devient croyant. Croire sans avoir vu. Croire pour vivre : c'est le dernier mot de l'Évangile.

Le chapitre 21 est un appendice. Les versets précédents (20, 30-31) sont la véritable conclusion de l'évangile. La reprise qui suit (apparition au bord du lac, confirmation de Pierre, le disciple bien-aimé) a été rajoutée, on ne sait par qui. Peut-être des disciples de Jean. Le dernier verset (v. 25), ne fait que reprendre, presque dans les mêmes termes, 20, 30.

FIN

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