L'INTELLIGENCE DES ECRITURES

 

L'EVANGILE SELON SAINT LUC (2)

( 23 décembre 2003 )

Tout évangile a pour but de nous révéler qui est ce Dieu qui s'est fait homme en la personne de Jésus. Luc, quant à lui, a voulu décrire cette révélation "en ordre" (1, 3). En fait, il la présente de façons diverses dans les diverses parties de son évangile. Aujourd'hui, nous allons commencer à lire la première partie, qui est une introduction (1, 5 à 4, 13). Le mystère de Jésus nous y est présenté en pleine clarté dans une série de paroles divines.

 

2 - L'INTRODUCTION - Luc 1, 5 à 4, 13.

Cette introduction comprend deux parties :
* Les récits de l'enfance (
1, 5 à 2, 52)
* Le prélude de la mission (
3, 1 à 4, 13)

Aujourd'hui, nous lisons les récits de l'enfance.

2 - 1 - Les récits de l'enfance.

Seuls, Luc et Matthieu, vous le savez, nous ont parlé de la naissance et de l'enfance de Jésus. Ils le font tous deux d'une manière très différente. Luc, quant à lui, dans une belle construction littéraire, offre un parallèle entre Jean-Baptiste et Jésus. Les épisodes se répondent deux à deux, sauf pour la scène de leur rencontre et pour celle de Jésus à 12 ans au Temple, qui nous présente la première parole du Fils chez son Père. Ce parallèle manifeste l'unité de l'action de Dieu en Jean-Baptiste et en Jésus. Et en même temps, il nous fait ressortir l'originalité et la nouveauté absolue de Jésus. Prenez votre évangile et lisez :

Les deux enfances

Jean-Baptiste

1, 5-25 : Annonciation à Zacharie

1, 57-58 : Naissance de Jean-Baptiste et visite des voisins

1, 59-79 : Circoncision - Prophétie de Zacharie - Benedictus

1, 80 : Vie cachée de Jean-Baptiste

 

Jésus

1, 26-38 : Annonciation à Marie

2, 1-20 : Naissance de Jésus et visite des bergers

2, 21-28 : Circoncision - présentation - Nunc Dimittis

2, 39-52 : Vie cachée de Jésus - pèlerinage à Jérusalem

 

Cette section s'inspire de l'Ancien Testament dans sa langue, ses thèmes, ses oracles, dans sa construction elle-même. Le plus significatif se trouve dans les deux chants de louange : le Benedictus et le Magnificat, dont une grande partie consiste en des citations presque littérales de cantiques de l'Ancien Testament.

Mais il faut dépasser les procédés littéraires. Luc veut essentiellement nous présenter le mystère de Jésus et, accessoirement la mission de Jean-Baptiste, grâce à des messages formulés soit par des anges ou par des personnages inspirés (Zacharie, Syméon) et finalement Jésus lui-même (2, 49). Ce ne sont pas des paroles humaines qui nous sont transmises. Le mystère de Jésus, Fils de Dieu est ici présenté dans toute sa clarté et dans toute sa profondeur. Comme Jean dans le prologue de son Evangile, voici, chez Luc, l'annonce fondamentale. Cette annonce, la suite du récit en montrera sa lente approche dans l'esprit de ceux qui rencontreront Jésus pendant sa vie terrestre. Nous allons développer simplement aujourd'hui trois extraits de ces deux premiers chapitres : l'annonce de Jésus, sa naissance et la présentation au Temple.

2 - 1 - 1 - L'Annonciation (Luc 1, 26-38)

 Ce récit rapporte une révélation où l'ange transmet à Marie une parole de Dieu. Le message concerne avant tout le mystère de Jésus, et accessoirement la vocation de Marie au service de ce mystère.

Le texte est bâti sur le modèle de diverses scènes de l'Ancien Testament. Il en reprend la structure, les thèmes, les formules. On trouve des apparitions d'anges dans Juges 13 et Daniel 10. Des annonces d'enfants providentiels dans Genèse 16, 17, 18, dans Juges 13, dans Isaïe 7, 14. Des récits de vocations dans Exode 3, 12 - Josué 1, 5 - Juges 6, 12 - Jérémie 1, 8. Des oracles messianiques dans Isaïe 7, 14 et 9, 5.

L'annonce faite à Marie est mise en parallèle avec l'annonce à Zacharie, mais pour souligner le rôle unique de Jésus, comme la foi de Marie, si différente de celle de Zacharie. C'est par étapes que le messager divin va découvrir à Marie le mystère de Jésus :

* Dans la salutation (v. 28) c'est Gabriel, l'ange de l'annonce messianique (Daniel 9, 21-27), qui invite Marie à se réjouir (voir Sophonie 3, 14-17). C'est déjà une révélation implicite de l'ouverture des temps messianiques.

* La première partie du message (v. 30-33) décrit Jésus comme le Messie de l'attente juive. Luc utilise la formule usuelle des annonces de naissance (comparez avec Isaïe 7, 14) : l'ange promet à 'enfant le trône de David son père. Le règne à jamais évoque l'oracle d'Isaïe 9, 6). Dans ce contexte, le titre de "Fils du Très-Haut" rappelle l'oracle de Nathan (2 Samuel 7, 14).

* La question de Marie (v. 34), que le verset 45 interprétera comme une foi qui cherche à s'éclairer (par opposition à 1, 18 et 20), est une ouverture à une révélation plus profonde. Jésus sera "Fils de Dieu" parce qu'il va naître d'une intervention divine singulière : l'Esprit Saint, source de vie, va venir sur Marie ; la puissance du Très-Haut va la couvrir de son ombre. C'est pourquoi l'enfant sera "saint", c'est-à-dire tout à Dieu. La conception virginale est tout autre chose qu'un prodige merveilleux. Seule Marie pourra savoir que cela signifie essentiellement quel lien inouï unit Jésus à Dieu son Père.

* Ainsi, dès cette annonce initiale, le mystère de Jésus est révélé avec une plénitude qu'on ne trouvera jamais dans la bouche d'un homme, au long de l'évangile de Luc. Il faudra attendre Pâques et la prédication de Paul pour qu'un homme confesse Jésus "Fils de Dieu"

2 - 1 - 2 - La naissance de Jésus (Luc 2, 1-21)

Si nous comparons les deux récits de la naissance de Jean Baptiste et de Jésus, nous remarquerons que, pour Jean-Baptiste, l'accent est mis sur la circoncision : c'est là que se manifeste l'intervention de Dieu, dans l'accord inattendu d'Elisabeth et de Zacharie sur le nom de Jean. Pour Jésus au contraire tout l'intérêt se porte sur la naissance commentée par le message des anges.

* Jean-Baptiste vient au monde dans le confort de la maison du vieux Zacharie. Les voisins et les parents sont nombreux pour l'accueillir. On parle dans toute la montagne de Judée du signe accompli au jour de sa circoncision. Jésus, au contraire, naît au hasard d'un voyage imposé par le décret du César païen. Sa mère n'a personne pour l'assister. C'est elle qui doit le langer. Elle n'a qu'une mangeoire de bestiaux à lui donner pour berceau. Et seuls quelques bergers, des marginaux, viennent pour voir l'enfant.

* Cette misère offre un contraste saisissant avec le chant triomphal des anges. Ils chantent la gloire de Dieu et la paix offerte à tous les hommes, l'une et l'autre révélées dans l'enfant misérable, dont la pauvreté est un signe.

* Sa venue est la bonne nouvelle de la joie messianique pour tout le peuple. Il est désigné par deux titres divins : il est le Sauveur, nom que la Bible grecque donne 35 fois à Dieu, jamais au Messie (par contre les Grecs attribuaient fréquemment ce titre aux dieux sauveurs et aux César divinisés). Deuxième titre : Seigneur. Le mot est utilisé dans la traduction grecque des Septante pour dire Yahweh. Matthieu et Marc n'utilisent ce titre qu'une fois pour l'appliquer à Jésus. Luc, lui, l'emploie 19 fois dans son évangile et plus de 40 fois dans les Actes.

* Ici encore, c'est un ange qui proclame qui est Jésus : "Aujourd'hui,il vous est né, dans la cité de David, un Sauveur". Il précise bien que c'est "dans la cité de David, en référence à la prophétie de Michée ( 5, 1 ). L'ange prépare ainsi tous les récits de l'évangile où Jésus apparaîtra comme le Sauveur des hommes et leur Seigneur.

2 - 1 - 3 - La présentation de Jésus au Temple (Luc 2, 22-39)

Dans les deux récits précédents, la révélation du mystère de Jésus était exprimée par des anges. Par contre, dans le récit de la présentation, ce sont des prophètes inspirés (et non des prêtres) qui la font . On peut comparer le cantique de Zacharie (1, 69-79) et le cantique de Syméon. Zacharie, comme Syméon, annonce la mission de l'enfant. Les deux histoires, par contre présentent une antithèse frappante : Jean-Baptiste a été annoncé au temple, au milieu d'une liturgie, et il ne revient plus jamais dans ce Temple ; Jésus a été annoncé à Marie dans l'obscure Nazareth, et il apparaît ici au Temple où des prophètes (Syméon et Anne) l'accueillent, et où il reviendra.

Ici encore le récit montre l'enfant désarmé, inconscient, tout abandonné à la conduite de ses parents qui l'apportent, le présentent à son Père, le soumettent à la Loi, et reçoivent pour lui les oracles qui le concernent.

C'est pourtant ce bébé que Syméon reconnaît comme "le Christ du Seigneur" et qu'il célèbre dans les termes d'Isaïe comme "le salut de Dieu", "la lumière pour la révélation aux nations", "la gloire d'Israël". C'est la première annonce de l'universalisme de la mission de Jésus.

A Marie qui seule assistera à l'accomplissement de sa prophétie, Syméon réserve l'annonce de la vision d'Israël devant Jésus (v. 34). Celui-ci sera un signe contesté. C'est dire que, si Jésus est sauveur pour tous, ce salut doit être accueilli librement et peut être refusé. Il n'apporte pas un salut tout fait, il appelle à un salut par la foi.

La prophétie parallèle de la prophétesse Anne lie l'enfant au rachat de Jérusalem. C'est là un des termes bibliques pour désigner le salut. Il convient bien à cette scène où les parents de Jésus ont obéi pour lui à la Loi du "rachat" des premiers-nés. Luc ne fait pas le lien explicitement, puisqu'il ne parle pas de "rachat" dans les versets 22-24. Les oracles de cet épisode apportent des traits nouveaux à la figure de Jésus. Ils disent son rôle vis-à-vis d'Israël et des païens. Ils insistent sur la division du peuple de Dieu devant lui. Ils laissent entrevoir qu'on peut le refuser : sa mission peut rencontrer l'échec.

(à suivre, le 6 janvier 2004)

 

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