L'INTELLIGENCE DES ECRITURES

 

L'EVANGILE SELON SAINT LUC (7)

( 2 mars 2004 )

La prière de Jésus

La prière tient une très grande place dans la Bible. Particulièrement dans le Nouveau Testament. Dans son évangile, Luc insiste particulièrement sur la prière. La prière de Jésus d'abord, mais également celle des disciples. Nous allons regarder cela d'un peu plus près. Cela peut nous être utile, en ce début de Carême : nous pourrons peut-être nous "couler" davantage dans la prière de Jésus.

C'est délicat d'en parler. La prière de quelqu'un est secrète, mystérieuse. A plus forte raison celle de Jésus qui se situe devant Dieu dans une intimité inouïe. Le simple mot "abba", qu'il prononce à Gethsémani, nous révèle la profondeur de sa relation à Dieu. "Abba", c'est "papa", le mot de tout petit enfant. Les Juifs disaient de Dieu qu'il était leur Père (ce ne sont pas les chrétiens qui ont inventé cela), mais jamais ils n'auraient osé s'adresser à Dieu en lui disant "papa". Et nous ? Alors comment oser parler de la prière de Jésus ?

Simplement parce que les évangiles l'ont fait. Ils nous disent, non seulement ce que Jésus leur a enseigné à ce sujet, mais aussi comment Jésus priait. Ils l'ont entendu prier. Rappelez-vous qu'au temps de Jésus, on ne prie jamais à voix basse Les textes rabbiniques de l'époque rapportent qu'il fallait parfois dire aux gens, dans le Temple : "Ne priez pas trop fort." D'ailleurs, le mot "prier", en hébreu, se dit "crier". Donc, on sait ce que Jésus disait dans sa prière. Intéressant, n'est-ce pas !

1 - Regardons Jésus prier.

Et pour cela, on va distinguer les prières qu'il disait en commun avec tout un peuple et ses prières personnelles.

A - La prière d'un peuple.

Jésus est un bon juif. Il pratique sa religion, le sabbat à la synagogue, et pour les grandes fêtes, il monte au Temple, à Jérusalem. Le Temple, pour lui, c'est "la maison de prière" par excellence, d'où il chassera les marchands. Luc est le seul à nous rapporter l'épisode de Jésus perdu et retrouvé trois jours plus tard dans le Temple. Il dit alors à ses parents qu'il s'occupe des affaires de son Père.

A la synagogue, on le voir faire des lectures, prêcher, faire des guérisons ; on ne le voit pas prier. Simplement parce que sa prière était celle de toute l'assemblée, notamment grâce au chant des psaumes.

On trouve également dans les évangiles des mentions de ses actions de grâces, que tout le monde faisait, par exemple avant les repas : "Béni sois-tu, Seigneur, toi qui nous donnes ce pain..." On le voit prononcer ces prières de bénédiction à la multiplication des pains, à la Cène, à Emmaüs. Et quand on lui demande quel est le plus grand commandement, il récite le "Shema Israël" qui est, encore aujourd'hui, la prière du matin de tout bon Juif : "Ecoute, Israël, le Seigneur Dieu est l'unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces..." On peut donc dire que Jésus reprend toutes les formes de la prière classique d'un bon juif de son époque. Mais les évangiles nous parlent aussi de la prière personnelle de Jésus.

B - La prière personnelle de Jésus.

Marc nous en parle à deux reprises. D'abord, le soir de la journée de Capharnaüm : Jésus a fait des miracles, on va se coucher, tout joyeux. Mais Jésus se lève et sort. Ses disciples le retrouveront dans un endroit désert, en prière. De même, après la multiplication des pains, quand la foule enthousiaste veut "se le garder", il renvoie la foule, renvoie les disciples et monte seul, sur la montagne, pour prier. Rien n'est dit du contenu de sa prière. On peut cependant imaginer quel besoin d'intimité avec son Père le pousse, pour bien recadrer le sens de sa mission terrestre.

Luc donne beaucoup plus de place à la prière de Jésus. Il reprend les deux épisodes de Marc, mais ajoute quatre autres prières de Jésus :

* Au baptême (Luc 3, 21)

Les quatre évangiles le relatent. Mais Luc, lui, apporte des précisions : "Comme tout le peuple était baptisé, Jésus, baptisé lui aussi, priait. Alors le ciel s'ouvrit, l'Esprit Saint descendit sur Jésus sous une apparence corporelle, comme une colombe, et une voix vint du ciel : Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré." Luc est seul à parler de la prière du Jésus à son baptême. C'est dans le cadre de cette prière qu'il reçoit l'Esprit et que le Père lui parle. La prière est le lieu de la rencontre.

* Prière dans la prédication (5, 16)

Lisons ce texte de Luc : "La renommée de Jésus se répandait partout ; les foules nombreuses se rassemblaient pour l'écouter, pour être guéri de leurs maladies ; lui il séjournait dans le désert et il était dans la prière (littéralement "il était priant", pour indiquer une idée de permanence)". Sa mission, sa prédication sont sans cesse nourries par sa prière : elles se déroulent dans un climat de prière.

* Prière dans le choix des apôtres (6, 12)

"Il arriva ces jours-là que Jésus partit vers la montagne pour prier et il passait toute la nuit dans la prière de Dieu. Et quand le jour fut venu, il appela les disciples et il en choisit parmi eux douze qu'il appela les apôtres..." Ainsi chez Luc cet appel des apôtres sort d'une prière de Jésus.

* A Césarée de Philippe. (9, 18)

"Comme il était en prière à l'écart, les disciples étaient avec lui et il les interrogea : qui suis-je au dire des foules ?... Et vous qui dites-vous que je suis ?" C'est au sortir de sa prière que Jésus va mettre ses disciples devant le choix : ou le quitter, ou le suivre, avec tous les risques que cela comporte. La prière de Jésus commande toute son action.

* A la Transfiguration (9, 28-29)

Jésus ne monte pas sur la montagne pour y être transfiguré, comme le disent Matthieu et Marc. Luc précise qu'il monte sur la montagne pour prier. Et c'est pendant qu'il est en prière qu'il est transfiguré. J'ai souvent imaginé cette conversation de Jésus avec son Père : il lui dit "papa" et son Père va lui dire "mon enfant". Jésus est transfiguré comme un petit enfant à qui ses parents disent des petits mots d'amour : son visage d'un seul coup, rayonne d'un amour qui transfigure.

* Le Notre Père (11, 1)

Là encore, Luc est seul à signaler que c'est lorsque Jésus est en prière que ses disciples viennent lui demander de leur apprendre à prier. C'est parce qu'ils sont impressionnés par cette relation qu'ils pressentent entre Jésus et Dieu qu'ils désirent eux aussi entrer dans une telle relation. Ils sont si impressionnés que c'est seulement "quand il eut fini" qu'ils lui demandent de leur donner une prière, comme Jean l'avait fait pour ses propre disciples. Je crois que c'était courant : les maîtres donnaient ainsi à leurs disciples des prières. Ici, Luc veut nous faire comprendre que la prière de Jésus est le fondement, la racine de la nôtre.

C - Les prières de Jésus.

* Une prière de louange - Luc 10, 21

"Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché cela aux sages et aux intelligents et que tu l'as révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel est ton bon plaisir." Luc situe cette louange lorsque les 72 disciples reviennent de mission, tout joyeux. Jésus leur recommande de se réjouir, non de leurs propres mérites, mais de ce que "vos noms sont inscrits dans les cieux". Suit la prière de louange ci-dessus. Dieu est loué pour avoir révélé cela aux petits, même si les sages ne veulent pas croire. Cette prière est comme une réflexion de Jésus sur son propre ministère : il constate que les petits viennent et il attribue cela au Père.

* Une prière pour Pierre (22, 31-32)

"Simon, Simon, voici que le Satan a demandé de vous secouer comme le grain,mais moi j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas. Et toi, quand tu seras revenu, confirme tes frères." Cette prière pour Simon-Pierre se situe dans le cadre d'une attaque de Satan, d'une tentation qu'est la Passion. Et Jésus est sûr d'être exaucé : plus tard, Simon, "revenu", sera la pierre sur laquelle Jésus bâtira son Eglise.

* Au mont des Oliviers (22, 39-46)

A la Cène, Jésus a parlé de "la coupe de mon sang, le sang de la nouvelle alliance." Au mont des Oliviers, il semble tout remettre en question : "Père, si c'est possible, que cette coupe s'éloigne de moi." Il se demande s'il va accepter ou refuser et finalement il accepte : "Pas ce que je veux, mais ce que tu veux." Ces deux phrases résument un débat intérieur qui a duré deux ou trois heures. Prière difficile : il faut crier dans la nuit, il faut insister,il faut du courage. La prière, c'est l'acte du courage spirituel.

* Sur la croix.

Alors que Matthieu et Marc mettent sur les lèvres de Jésus le début du psaume "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné", Chez Luc, Jésus dit "Entre tes mains je remets mon esprit" qui est aussi un passage d'un psaume. C'est la prière du soir que tout bon juif disait, que Jésus a apprise dès sa petite enfance. Il ajoute simplement le mot "Père". C'est le mot de la confiance la plus absolue. En outre, Luc est le seul à nous montrer Jésus priant pour ses bourreaux : "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font." Prière de pardon, qui correspond à tout l'enseignement de Jésus sur le pardon des ennemis.

Au travers de ces cinq prières, nous découvrons les caractéristiques de la prière de Jésus :
*C'est une prière filiale : toutes commencent par "Père".
* C'est une prière en référence à la mission.
* C'est une prière de soumission douloureuse et d'abandon total.

Ces textes sont peu nombreux, mais les spécialistes pensent qu'ils ont toutes les chances de remonter à Jésus lui-même. Encore une fois, Jésus priait à haute voix, et ces paroles correspondent bien à tout ce que Jésus a dit de son Père et de lui-même.

(à suivre, le 16 mars)

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