L'INTELLIGENCE DES ECRITURES
L'évangile selon saint Marc (2)
Le lion de saint Marc2 - A QUI S'ADRESSE MARC ? Marc, comme Matthieu et Luc, s'adresse à des communautés chrétiennes précises. Et naturellement, cela oriente ses propos. Sans aucun doute, Marc écrit son Evangile pour les chrétiens de Rome, aux alentours des années 70.
Pourquoi disons-nous cela ? D'abord parce que Marc, nous l'avons vu, n'est pas resté sur son échec de la première campagne missionnaire. Il a été compagnon de Paul, puis "secrétaire" de Pierre à Rome. C'est un missionnaire qui écrit. Ensuite, les plus anciens témoignages nous disent que Marc a repris fidèlement ce qu'il a entendu de la catéchèse de Pierre. Pierre qui, d'après toute la tradition, a terminé sa vie à Rome, en 64, au moment de la persécution de Néron.
Rome, à cette époque, est une ville d'un million d'habitants. Population mêlée, venant de tous les coins de l'Empire. Importante proportion d'esclaves. La communauté chrétienne de cette ville est très ancienne. Elle existe avant l'arrivée de Paul, avant même l'arrivée de Pierre. Dès les années 50. Ses membres sont différents par leur pays d'origine et leur milieu social. Il y a des juifs et des païens. Au début, ce sont des disciples d'origine juive qui ont annoncé Jésus. Ils sont vite entrés en conflit avec les milieux juifs conservateurs de Rome. Ils ont été exclus par leurs frères de race qui auraient voulu enfermer la jeune Eglise dans un cadre étroit, en faire une petite secte juive. Les chrétien d'origine juive sont tout de suite passés aux païens, ont fraternisé avec eux.
Cette première communauté chrétienne vit dans une période troublée. En 64 a eu lieu l'incendie de Rome, cause de la première persécution importante contre les chrétiens. Pierre a été crucifié. Les chrétiens, refusant la religion officielle de l'Empire, sont mis au ban de la société civile. Néron se suicide en 68. La fin de son règne a été mouvementée : difficultés économiques, climat de terreur, intrigues et complots, révoltes dans certaines provinces, manque de ravitaillement conduisant à la guerre civile qui éclate en 68. C'est aussi le début de la grande guerre juive qui s'achèvera en 70 par la chute de Jérusalem et la destruction du Temple. Les chrétiens de Rome assistent au "triomphe" de Titus et en sont très impressionnés. Ils comprennent parfaitement que, pour vivre en chrétiens, des choix sont inéluctables : accepter de perdre sa vie en période de persécution ; refuser la course aux richesses en période stable.
C'est dans ce contexte que Marc écrit son Evangile. A des anciens païens, il est obligé d'expliquer certaines coutumes juives : il en sourit comme de bonnes vieilles coutumes d'avant l'ère des lumières, dans un pays barbare (7, 3-4) On comprend aussi pourquoi il donne une telle importance à l'évangélisation des païens. On est frappé par la place qu'occupe l'annonce des persécutions. La foi que Marc propose n'est pas une foi tranquille : elle force à prendre des risques. Marc montre un Jésus rejeté parce que témoin d'un Dieu qui ne supporte pas l'injustice, un Jésus venu servir et donner sa vie.
A travers les événements, les croyants ont vécu les deux étapes de la démarche de foi que Marc indiquait dans le plan de son évangile :
1 - Jésus, un type formidable, un Dieu qui répond à l'attente des hommes.
2 - Ensuite, on découvre en Jésus un Dieu déroutant, qui répond autrement qu'on ne l'avait imaginé. C'est l'étape où il faut tenir, aller jusqu'à donner sa vie, aller jusqu'à découvrir un Dieu d'amour qui donne vie au-delà des échecs et de la mort.Un autre plan possible Je viens d'indiquer un plan de l'Évangile de Marc. Il y en a de nombreux possibles. Aujourd'hui, je voudrais vous en indiquer un autre, ou plus exactement vous donner une autre clé de lecture de cet évangile, à partir de la "géographie" de Marc. C'est le plan qu'adopte la Bible de Jérusalem. Un plan en 5 parties :
1 - Préparation du ministère de Jésus.
2 - Ministère de Jésus en Galilée.
3 - Voyages de Jésus hors de Galilée.
4 - Ministère de Jésus à Jérusalem.
5 - Passion et Résurrection à Jérusalem.Ce plan est assez artificiel. Il ne correspond pas aux données géographiques et historiques certaines. Par exemple (Jean l'affirme) Jésus est allé plusieurs fois à Jérusalem, alors que Marc n'indique qu'un seul voyage de Jésus à Jérusalem. Il s'agit donc, non pas de pure géographie, mais, si l'on peut dire, de "géographie théologique". L'espace de Marc est organisé. Les lieux sont vus dans un certain rapport les uns avec les autres. On va donc trouver une double opposition :
1 - Opposition entre Galilée et Jérusalem. Dans Marc, la première partie se passe en Galilée, et la deuxième partie en Judée, particulièrement à Jérusalem.
La Galilée, c'est une région, au Nord de la Palestine. A l'époque, on parlait de la "Galilée des païens" en termes péjoratifs. C'était une terre de passage, qui avait connu de grands brassages de populations, et où la foi n'était pas pure, comme à Jérusalem. Mais il y avait la prophétie d'Isaïe qui annonçait que ce serait là qu'à la fin des temps, Dieu se manifesterait aux païens. Donc à la fois région méprisée et terre d'espoir. C'est en Galilée que Jésus commence sa prédication, et la foule accueille avec ferveur son message. Mais viennent des gens de Jérusalem et, chaque fois, c'est avec des remarques, des attitudes hostiles à Jésus.Effectivement, Jérusalem, c'est la citadelle de l'opposition à Jésus, la ville d'où viennent les attaques les plus virulentes contre lui ; la ville où les responsables de la nation le condamneront à mort et le livreront aux païens. Jérusalem est présentée comme le ghetto des bien-pensants tellement sûrs de leur foi qu'ils n'acceptent pas de se remettre en question : symbole de tout groupe humain ou religieux qui s'enferme dans ses idées.
Par contre, à la fin de la deuxième partie, il est mentionné deux fois que Jésus, "après sa résurrection, précédera ses disciples en Galilée". C'est de Galilée que doit repartir l'Évangile. Nous sommes ainsi mis en marche, comme tout disciple, vers cette "Galilée des païens" qui n'est autre que le monde entier jusqu'à la fin de l'histoire. Ce n'est qu'au terme de cette annonce de la Bonne Nouvelle à tous les peuples que nous "verrons le Ressuscité".
2 - Opposition entre "Pays des Juifs" et "Pays des païens".
Cette opposition apparaît surtout dans la première partie. Elle se manifeste de deux façons :
* L'opposition entre les deux rives du lac de Tibériade (chapitres 4 à 9). Du côté juif, Jésus rencontre opposition, contradictions, menaces, discussions. Alors, il passe sur la rive opposée.
* L'opposition entre pays juifs et territoires païens. Marc donne de nombreuses indications géographiques : Jésus va à Tyr, à Sidon, à Gérasa, dans les villes de la Décapole, à Césarée de Philippe (toutes ces villes sont hors du territoire juif). Et chaque fois qu'il revient en Israël, il rencontre les oppositions et les refus. Il est obligé de briser net et de repartir sur "l'autre rive".EN CONCLUSION. La Galilée de Marc, c'est un pays sans frontières. Deux espaces s'y opposent : celui des scribes et des pharisiens fermés sur eux-mêmes, et celui que Jésus ouvre en passant chez les païens. Marc insiste là-dessus. C'est l'inauguration de son futur travail missionnaire et de celui de toute l'Église.
Cette géographie-là a donc un sens : Jésus inaugure le mouvement qui empêche à jamais l'Évangile de se laisser enfermer dans quelque Jérusalem que ce soit.A suivre, le 24 décembre 2002
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