L'INTELLIGENCE DES ECRITURES

 

 L'évangile selon saint Marc (5)

 
Le lion de saint Marc

 

5 - La première étape (1, 14 à 3, 12)

Nous allons maintenant reprendre en détail les différentes étapes que nous avons décrites il y a quinze jours (voir notre chapitre 4 aux archives). Etude d'un certain nombre de textes, questions que nous nous posons naturellement : pour cela, il est indispensable de travailler avec le texte de l'évangile sous les yeux. Bon courage.)

1 - L'appel. (1, 14-20)

D'abord, on a deux versets (14 et 15) qui sont comme un titre général résumant le ministère de Jésus en Galilée. On nous dit que Jésus proclamait l'évangile de Dieu en Galilée et invitait à se convertir et à croire à cette bonne nouvelle.

Puis, après ce titre général, vient l'appel des quatre premiers disciples. Récit extrêmement sec et surprenant. On connaît bien l'histoire : au bord du lac, quatre hommes en train de pêcher : Simon, André, Jacques et Jean. Jésus les appelle, "et ils le suivirent". Comment ces hommes connaissent-ils Jésus ? Un inconnu les rencontre et leur dit "suivez-moi" et ils le suivent ! C'est impensable psychologiquement et historiquement. Il n'est pas vraisemblable que le premier acte du ministère public de Jésus ait été d'appeler les quatre. Si cet épisode est ainsi en tête, il doit y avoir des raisons. Nous allons les découvrir peu à peu. Tout de suite après cette scène, vous remarquerez qu'ils pénètrent dans Capharnaüm (verset 21). Jésus est donc maintenant accompagné de ses disciples. C'est l'image de Jésus chez Marc : Il est toujours avec ses disciples, sauf une fois : quand il envoie les Douze en mission. Mais alors Marc n'a rien à raconter sur Jésus. Le récit s'arrête et Marc bouche le trou en nous rapportant l'opinion d'Hérode sur Jésus et le récit de l'assassinat de Jean-Baptiste. Et le récit reprend au retour des Douze. Finalement l'unique endroit où Jésus est laissé seul, c'est à Gethsémani. Pour sa Passion, Jésus est seul, les disciples se sont enfuis. Cette vision de Jésus seul alors est dramatique. Donc, dès le départ, Jésus est toujours avec ses disciples et Marc ne peut rien dire sur lui si les disciples ne sont pas là. C'est pourquoi le récit de l'appel des quatre est placé en tête de l'évangile : c'est un choix délibéré de Marc.

2 - La journée de Capharnaüm (1, 21-39)

On ne peut pas isoler ce récit de ce qui précède et des mots qui suivent. Il y a un "avant", la vocation des disciples, et un "après" ("allons ailleurs"). On a donc un schéma :

* il prêchait en Galilée (14)

* le bord de la mer (16-20)

* Ils entrent dans la ville (21)

* ils entrent dans la synagogue (21)

* puis en sortent (29)

* ils entrent dans la maison (29)

* on se rassemble à la porte de la ville (33)

* Il sort de la ville, vers le désert (35)

* Allons ailleurs (38)

* il s'en alla, prêchant par la Galilée (39)

La boucle est bouclée : ce qui se passe à Capharnaüm , au centre, et spécialement dans la synagogue, est un exemple de ce qui se passe dans un espace plus large : la Galilée tout entière. Comme à Capharnaüm, Jésus enseigne, expulse le démon. D'après Marc, on peut multiplier à l'infini ce qui se passe à Capharnaüm, centre de la mission.

Autre type de relations différenciées : la synagogue (lieu de la prière publique), la maison (lieu de la vie privée) et la porte de la ville (lieu de la vie publique). Ce qui est décrit pour Capharnaüm vaut pour tout le ministère de Jésus : il englobe tout l'espace imaginable, religieux et profane, privé et public. L'action de Jésus intéresse l'être humain tout entier, dans toutes ses dimensions.

Autre relation-opposition : la ville et le désert. La ville est le lieu de l'action, le désert, celui de la prière solitaire. Mais le désert fait le passage pour "aller ailleurs". Le désert relance la mission.

Donc, les notations de lieux ne sont pas "innocentes". Elles ont une signification. Remarquez comme c'est bien construit !

3 - L'Évangile.

Autre principe unificateur, (versets 14 et 39) : c'est la proclamation de l'Évangile. Au verset 14, Jésus "proclame l'Évangile". Au verset 39, simplement "il prêchait". Ce qu'on prêche, chez Marc, c'est toujours l'évangile, que le mot y soit explicitement ou implicitement.

Qu'est-ce que "prêcher l'Évangile " ? Deux choses:
* un enseignement.
* des actes de puissance : guérisons et expulsion des démons.

Lisez le verset 27 : les gens s'interrogent : "Qu'est-ce que cela ? Voilà un enseignement nouveau, plein d'autorité. Il commande même aux esprits impurs et ils lui obéissent." Idem au verset 39.
Proclamer l'Évangile, c'est montrer par sa parole que Dieu est à l'action dans les événements. Partout, à la synagogue, à la maison, à la porte de la ville, l'espace urbain est envahi. Que soit par une guérison ou par un exorcisme : à l'époque toute maladie est causée par un démon quelconque.
Résultat : la popularité de Jésus (versets 28, 32, 37). Mais en contrepoint, il y a la consigne du silence (verset 25). Jésus va au désert, pour prier, mais aussi pour fuir la foule. Et quand celle-ci le cherche, Jésus va ailleurs. Il y a chez Marc un contraste très étudié entre popularité et secret. A la question de la foule : "Qu'est-ce que cela ?", il n'y a pas encore de réponse. Il faut garder le secret.

4 - Lire le texte aujourd'hui.

Nous avons donc plusieurs thèmes : l'espace, l'annonce de l'Évangile, la publicité et le secret. Vous pouvez approfondir l'un ou l'autre de ces thèmes. Par exemple :

* L'espace. Ces notations ont une signification profonde. Jésus, s'il s'insère dans la vie religieuse de son temps (la synagogue), ne s'y enferme pas. Il va aussi chez les gens, il s'insère dans la vie profane. Marc ne montre Jésus que trois fois à la synagogue, et la troisième fois, à Nazareth, on lui ferme la porte (6, 2). A partir de ce moment-là, Marc ne nous montre plus jamais Jésus dans une synagogue. L'Évangile n'est pas enfermé dans le monde "religieux".
De même, si Jésus annonce que "le règne de Dieu est arrivé" (verset 14), cela se manifeste partout dans la parole et l'action de Jésus, en privé, en public, dans la vie religieuse, dans l'espace profane. Aujourd'hui, il en va de même, et nous devons en témoigner : ne pas confiner l'action du Christ dans le monde religieux. Annoncer l'Évangile, c'est montrer comment Dieu libère du mal les hommes d'aujourd'hui.

* L'annonce de l'Évangile. Marc insiste sur la puissance de la parole de Jésus. Enseignement nouveau, plein d'autorité. C'est l'inverse des "professionnels", les scribes. Jésus parle sans titre : son autorité lui vient d'en-haut. C'est une bonne question pour nous aujourd'hui. Il n'y a pas de monopole de l'annonce de l'Évangile. Et même pour ceux qui ont pour ministère d'annoncer la Parole, il doivent toujours s'effacer devant l'autorité souveraine du Christ.

5 - Une question difficile : la présence des démons.

Les démons, dans ce passage, ont une présence étonnante : ils savent qui est le Christ. Pour un peu, on envierait leur science : si seulement nous en savions autant qu'eux. Impression fausse : si le démon parle, c'est pour faire dérailler la machine. Il veut dévoiler l'identité de Jésus pour que sa mission échoue. C'est pourquoi Jésus le fait taire. La clé de ce secret messianique n'est pas encore donnée ici, mais nous l'aurons bientôt. En bref, avant la passion de Jésus, on risquait de se tromper en disant de Jésus qu'il est le Christ, ou le Fils de Dieu. De fait, à l'époque de Jésus, il y avait beaucoup de gens qui se présentaient comme "christ", il y avait bien des manières de comprendre le titre de "fils de Dieu". C'est pourquoi les démons parlent.

Les démons sont appelés "esprits impurs". Ne pas penser tout de suite impureté sexuelle. Il n'y a aucun rapport. Dans le langage biblique, impur veut dire "contraire du sacré". Tout ce qui est incompatible avec l'idée de "Dieu saint" est appelé impur. Les démons sont des forces d'opposition à la sainteté de Dieu. Par contre, les démon appelle Jésus "le Saint de Dieu" (1, 24) . C'est pourquoi la venue de Jésus, le saint de Dieu, déclenche la guerre. Jésus n'est pas seulement un médecin des âmes et des corps. Sa venue provoque un sursaut du mal, l'annonce de l'Évangile déclenche les persécutions. Il y a chez Marc une conception dramatique de l'Incarnation.

6 - L'appel de Lévi - L'équipe solidaire face aux adversaires. 2, 13 à 3, 6.

Jésus passe sur le littoral. Il s'arrête devant le percepteur Lévi, lui demande de le suivre. Lévi est le cinquième disciple appelé. La première discussion sérieuse vient d'avoir lieu : les adversaires attaquent Jésus personnellement parce qu'il pardonne les péchés de l'homme paralysé. Cette fois, ils attaquent de nouveau parce que Jésus mange avec publicains et pécheurs. Mais l'objection est faite aux disciples. C'est Jésus qui répond. Ensuite, ce sont les disciples qui sont attaqués, mais on s'adresse à Jésus "Pourquoi ne jeûnent-ils pas ?" Chaque fois, observez la solidarité qui existe entre Jésus et ses disciples, face aux adversaires.

Cette fois, les choses vont très vite. En 3, 6, les pharisiens se réunissent avec les hérodiens afin de faire périr Jésus.
La mise en place des personnages a été très rapide, et cela ne manque pas d'étonner. Il est impensable que les pharisiens, simplement après quelques controverses, veuillent tuer Jésus. C'est impensable historiquement. Si c'est anti-historique, c'est qu'il y a une autre raison, comme pour le récit de la vocation des premiers disciples.

7 - Progression. 3, 7 - 19.

Après cette mise en place du triangle des personnages : Jésus et disciples - la foule - les adversaires, on trouve un petit morceau charnière. Lisez-le. Nous y trouvons une vue panoramique sur :
* Jésus et la foule qui accourt de partout.
* Jésus fils de Dieu reconnu par les démons, mais il ne faut pas le dire.
* Jésus et ses disciples solidaires.

Mais l'auteur marque un contraste entre, d'un côté, Jésus et les disciples, de l'autre la foule. La scène avec la foule se passe au bord de la mer, et celle avec les Douze, sur la montagne. Avec cet épisode, nous entrons dans une seconde étape. Ce sera pour la prochaine fois. 

 (à suivre, le 4 février 2003)

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