L'INTELLIGENCE DES ECRITURES

 

 L'évangile selon saint Marc (10)

 
Le lion de saint Marc

 

10 - Quatrième étape.
Le chemin du Fils de l'homme.
8, 27 à 9, 29

Avec la profession de foi de Pierre et l'annonce, par Jésus, de sa passion (8, 27-33), nous arrivons à une nouvelle section du livre. Les enseignements de Jésus y seront particulièrement abondants. La foule n'y jouera qu'un rôle très restreint. L'annonce de la passion et de la résurrection, trois fois, ponctue cet ensemble et permet de la diviser en trois parties. Chaque fois, cette annonce de la passion et de la résurrection introduit une catéchèse adressée aux disciples.

1 - Qui suis-je ? (8, 27-33)

C'est la première fois que Jésus provoque ses disciples à s'exprimer clairement. Pierre le fait au nom de tous.

* Profession de foi de Pierre (8, 27-30).

Ici, Pierre donne à Jésus le premier des deux titres qui se trouvent au début du livre : "Evangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu". C'est donc une étape importante, dans ce débat sur la personne et la mission du Christ. Les opinions de la foule ne sont pas négligeables. Elles classent Jésus parmi les plus grands : Jean-Baptiste, Elie, les prophètes. C'est dire qu'il a une mission divine. Voir en lui Elie, c'est faire de lui le plus grand des prophètes, le prophète de la fin des temps. Mais la confession de Pierre va beaucoup plus loin : "Tu es le Christ". C'est celui par qui on arrive à l'achèvement de l'histoire. Jésus "leur commande sévèrement" de ne pas le dire : ce titre ne révélera sa vérité que par la passion et la résurrection.

* Un Messie qui doit mourir. (8, 31-33)

Jésus commence alors à enseigner aux disciples ce qui concerne sa passion et sa résurrection. Mais cet enseignement n'est pas reçu. Et pas seulement par Pierre, qui est le porte-parole des disciples. Lorsque Jésus réprimande Pierre, il se tourne vers les disciples. En la personne de Pierre, il les rappelle à leur condition de disciples : "Passe derrière". Au lieu de dresser un obstacle sur la route, d'être satan, ils doivent suivre Jésus sur le chemin que Dieu lui trace. Leurs vues sont des vues d'hommes, ils ne se placent pas dans la perspective de la volonté de Dieu pour définir l'oeuvre du Messie. Le Messie qu'ils attendent est un Messie humain, vu avec des yeux d'hommes. Ainsi commence le débat central du livre. L'enjeu n'est rien moins que la correcte interprétation de la mission de Jésus selon les vues de Dieu.

* Fils de l'homme.

Le titre de Fils de l'homme est ici substitué à celui de Messie. Pourquoi ? Parce que dans l'esprit de Jésus, il est trop tôt pour parler de lui comme le Messie. Fils de l'homme : si Marc l'emploie, c'est parce qu'il ne signifie pas grand chose dans l'esprit de ses lecteurs, un titre un peu vieillot. Seuls peuvent le comprendre les chrétiens d'origine juive. Ils ont d'ailleurs utilisé ce titre dès le début du christianisme, parce qu'ils se souvenaient du Fils de l'Homme du livre de Daniel (7, 13-14). On reconnaissait ainsi dans le crucifié celui par qui le jugement des hommes allait s'accomplir. Cela allait très loin. On trouve encore des traces de cette appellation primitive dans les Actes (3, 20-21 et 7, 55-56). Mais ensuite, pour les communautés hellénistiques, ce titre a perdu de son intérêt. Il a été supplanté par celui de Fils de Dieu. Paul a été pour beaucoup dans cette évolution. Plus tard encore, les Pères de l'Église n'y comprendront plus rien. Sans faire référence au livre de Daniel, ils diront que le mot "Fils de l'homme" signifie simplement l'Homme véritable, le représentant de l'humanité. Mais pour les premiers chrétiens de culture juive, ce qui comptait, c'était l'origine céleste du Fils de l'homme et l'oeuvre divine qu'il devait accomplir.

*Annonces de la Passion. 

 Ce passage 8, 27-33 expose le point central du débat qui va être mené jusqu'à l'entrée de Jésus à Jérusalem. Trois annonces de la passion et de la résurrection (8, 30-33 - 9, 30-32 - 10, 32-34), la dernière comportant beaucoup plus de détails. Le fait que le même enseignement soit répété trois fois montre qu'il donne le ton à toute la section. Les termes de ces annonces sont très proches des premières professions de foi chrétiennes, de ce qu'on appelle le kérygme primitif, c'est-à-dire le résumé de ce que les chrétiens disaient quand ils annonçaient publiquement Jésus : "Il est mort et ressuscité". A chaque fois la résurrection est mentionnée après la passion. Le titre de Christ exprime la gloire de Jésus. A chaque fois ces annonces sont suivies d'un enseignement concernant les disciples, intimement lié à celui qui a trait à Jésus. Ces enseignements s'adressent à tous ceux qui suivent Jésus, ou qui voudraient le suivre. Sur le chemin qui passe par la passion pour le conduire à la résurrection, Jésus n'est pas seul. Et il n'y a pas d'autre chemin que celui-là. Marc note ici les exigences existentielles que comporte la foi en Jésus crucifié et ressuscité.

2 - Première instruction de Jésus 8, 34 à 9, 1

* Le paradoxe de l'Évangile.

Marc commence par une phrase percutante : "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive". Il s'agit de montrer qu'on est capable de suivre, en renonçant à soi-même et en prenant sa croix : face intérieure et face extérieure de la même décision. La foule est appelée à prendre la même décision que les disciples. Tous les candidats à la "suivance" doivent faire les mêmes choix. La suite du discours explique en quoi cela consiste. Renoncer à soi, c'est renoncer à vouloir sauver sa peau à tout prix. Prendre sa croix, c'est accepter de perdre la vie à cause de Jésus et de l'évangile. On voit quelle situation concrète est visée : celle des persécutions, qui peuvent amener les disciples à perdre leur vie par fidélité à Jésus et à l'évangile. Il y a donc un danger. Mais une idée nouvelle introduit un renversement des valeurs : "qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie la sauvera". Si Jésus demande de sacrifier sa vie, c'est qu'il a pouvoir de la sauver. La perspective n'est donc pas seulement celle de la passion, c'est celle de la résurrection, pour les disciples comme pour Jésus. Cela implique évidemment une question essentielle : qui donc est Jésus, pour pouvoir parler ainsi ? On retombe alors à un niveau de raisonnement plus humain, un raisonnement de bon sens : "quel avantage l'homme a-t-il de gagner le monde entier, s'il le paie de sa vie ?" La vie c'est ce qu'on a de plus précieux. Alors, ne la perdez pas, s'il vous plaît. Jésus donne un moyen de la sauver, c'est de la perdre à cause de l'Évangile. Tel est le paradoxe de l'Évangile. On passe à un autre niveau. On était dans un raisonnement très humain, et brusquement Jésus nous dit : "pour sauver sa vie, le seul moyen est de mourir martyr".

* Jésus, le Juge de la fin des temps.

Qui est Jésus, pour avoir une telle exigence ? On le sait au verset 38. C'est le Fils de l'homme eschatologique, celui à qui est remis le jugement de tout homme. C'est la foi la plus ancienne de la communauté primitive, pensée en fonction du livre de Daniel. Jésus s'attribue un pouvoir extraordinaire. Il faut le croire sur parole. Et ce pouvoir que Jésus s'attribue, il lui vient de son Père. C'est à cause de ce pouvoir que les chrétiens pourront le dire Fils de Dieu.

* La fin des temps est toute proche.

Verset 9, 1 : "Parmi ceux qui sont ici, certains ne mourront pas avant de voir le Règne de Dieu venu avec puissance". Parole étrange pour nous. Remise dans son contexte, il s'agit de la proximité de la parousie. Pas étonnant que la première communauté chrétienne ait pris au sérieux cette parole. De même Paul, dans ses premiers écrits. Après, il a changé d'avis.

* Jésus n'a pas fait semblant d'être homme.

Nous avons perdu le sens de la dimension "temps", nous sommes devenus irréalistes. Scandalisés de voir que tout n'a pas été dit dès le début. Pourtant, c'est normal. Jésus devait s'adresser aux hommes de son temps, en fonction de leur attente. D'ailleurs,Jésus lui-même dira qu'il est impossible de fixer une date précise pour la venue du Fils de l'homme (Marc 13, 32). En tout cas, cela montre que Jésus n'a pas fait semblant d'être homme.

3 - La transfiguration 9, 2-13

On retrouve dans les récits de la transfiguration les trois témoins de la résurrection de la fille de Jaïre : Pierre, Jacques et Jean. On les retrouvera encore à Gethsémani. Il y a une parenté entre les trois tableaux. Le premier manifeste le pouvoir de Jésus sur la mort ; la transfiguration est une anticipation de la gloire de la résurrection ; l'agonie, en contraste total, montre de quelle manière Jésus marche vers sa gloire : en acceptant pleinement d'entrer dans les vues de Dieu.

* Une manifestation fugitive.

Dans le récit de Marc, la voix du ciel ne s'adresse plus à Jésus seul, mais aux trois qui sont là : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé". De plus, cette révélation est complétée par "Ecoutez-le". La parole du Père vient ainsi appuyer l'enseignement de Jésus sur la passion et la résurrection du Fils de l'homme. La transfiguration apparaît comme une manifestation anticipée de la gloire du Fils de l'homme. Mais cette manifestation n'est - et ne peut être - que fugitive : la passion n'est pas encore réalisée. Pierre veut faire durer cette manifestation. Il croit que c'est arrivé. Mais au contraire, la nuée n'est que provisoire : il faut revenir à la condition terrestre, celle de combat. Il faut faire son chemin dans la nuit, en suivant Jésus.

* Un secret : l'inintelligence des disciples.

"Ils se demandaient entre eux ce que voulait dire ressusciter d'entre les morts". C'est étonnant : les disciples ne sont pas des sadducéens qui nient la résurrection. Ils partagent l'espérance juive de la résurrection des morts. Ce qu'ils ne comprennent pas, c'est ce que cela peut signifier pour le Messie. Ils n'envisagent pas qu'il puisse connaître la mort. C'est la raison de leur étonnement et de leur inintelligence.

* Comme Elie - Jean Baptiste, il faut passer par la mort.

Les disciples demandent "pourquoi les scribes disent qu'Elie doit venir d'abord ?" Jésus répond : certes, Elie vient d'abord", mais il ajoute une objection : "Comment est-il écrit que le Fils de l'homme doit souffrir beaucoup et être méprisé ?" Réponse : Elie de retour, c'est Jean Baptiste (Marc vient de raconter son meurtre) A y regarder de près, il y a ici une remise en cause de l'enseignement juif traditionnel. On attendait un Elie victorieux, et Jésus parle de Jean Baptiste, mis à mort par Hérode. Jésus veut par là montrer qu'il en sera de même pour l'avènement du Royaume de Dieu. Il ne faut pas l'attendre dans le triomphe, mais au-delà de la croix.

* Une vision des disciples.

Il ne faut pas croire que la transfiguration, c'est le moment où Jésus laisse fugitivement éclater sa divinité, qui normalement est cachée. Ce n'est pas cela que disent les textes. D'après eux, il s'agit d'une vision des disciples. C'est devant eux que Jésus est transfiguré. C'est de leur point de vue qu'il y a un changement, une métamorphose, dit le texte grec. De même, Elie et Moïse leur apparaissent. Le texte est écrit de leur point de vue de voyants, ce qui n'empêche pas que ce soit une vision objective. On souligne d'ailleurs que Pierre était dans une sorte d'extase. Les vêtements blancs sont signe de la gloire céleste, dans la symbolique juive. Marc est d'ailleurs très discret : il ne parle que des vêtements, pas du visage (comme Matthieu et Luc)

4 - La Guérison d'un possédé 9, 14-29

Ce récit de la guérison d'un enfant possédé oppose la puissance de Jésus et l'impuissance des disciples, qui n'arrivent pas à guérir l'enfant de son esprit muet. Quand Jésus parle d'une "génération incrédule" il semble qu'il fasse allusion aussi bien à la foule qu'aux disciples. D'ailleurs, c'est au père de l'enfant, et non aux disciples, qu'il va demander une confession publique de sa foi en lui disant : "tout est possible pour celui qui croit". Autrement dit : tout est possible à Dieu en faveur de celui qui croit. La puissance de Dieu répond toujours quand la foi est présente. Nous avons ensuite un dialogue entre Jésus et ses disciples, "quand il fut rentré à la maison". Il affirme que la puissance d'opérer des miracles leur est donnée. Ils doivent savoir que leur prière est plus puissante qu'ils ne croient. Cet enseignement sur la puissance de la prière sera repris au chapitre 11. Il pouvait être déjà présent dans le récit de la tempête apaisée, quand Jésus reprochait aux disciples de n'avoir pas la foi, c'est-à-dire de n'avoir pas calmé eux-mêmes la tempête, ainsi que lors de la multiplication des pains, quand il disait à ses disciples : "Donnez-leur vous-mêmes à manger".

(à suivre, le 15 avril)

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