L'INTELLIGENCE DES ECRITURES
L'évangile selon saint Marc (11)
Le lion de saint Marc11 - Quatrième étape (suite).
La deuxième annonce de la Passion
et la vie chrétienne. (9, 30 à 10, 31)1 - Annonce de la passion et instruction aux disciples (9, 30-50)
Au verset 31, il s'agit des disciples. Au verset 35, il s'agit des "Douze". Pourquoi ? on va le voir. Point de départ : une discussion entre les disciples : qui est le plus grand (v. 33-34), alors que Jésus vient d'annoncer sa passion et sa résurrection (v. 30-31). "Mais ils ne comprenaient pas cette parole et craignaient de l'interroger" (v.32) Les paroles de Jésus qui suivent paraissent décousues : aucun lien logique. C'est un procédé mnémotechnique courant : les mots-crochets. Jésus parle d'accueil d'un enfant à cause de son nom (v. 37), d'où ensuite expulsion des démons en son nom, puis (dans le texte grec) "pour ce nom que vous êtes au Christ (v. 41). Ensuite, au verset 42 le mot petit est mis en opposition avec le mot grand (v. 34). Puis c'est le mot scandale qui fait le lien entre les versets 42 et 43, ensuite le mot feu aux versets 48-49, enfin le mot sel, aux versets 49-50. Donc, pas d'enchaînement logique. Et pourtant une certaine unité.
* Le plus grand et l'enfant. (9, 33-37)
Ne pas tomber dans le piège en pensant que la réponse à la question "qui est le plus grand ?" est "faites-vous petit comme un enfant". C'est l'interprétation de Matthieu (18, 24), pas celle de Marc. Chez lui, la réponse est donnée au verset 35 : "Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et le serviteur de tous." . Puis, en entourant d'affection un enfant, Jésus montre aux disciples comment il faut l'accueillir, simplement. Mais en même temps il affirme que l'enfant le représente, lui, Jésus, et qu'en accueillant l'enfant, on l'accueille lui-même, et, avec lui, Celui qui l'a envoyé. Le rapport est donc assez complexe. Jésus est d'abord celui qui accueille, puis celui qui est accueilli en la personne de l'enfant. Il montre la grandeur éminente du plus petit : celui que j'accueille, accueillez-le en mon nom ; en l'accueillant, vous m'accueillez.
On ne voit pas très bien ce que signifie concrètement "accueillir un enfant". Certains ont pensé à des enfants abandonnés ! En tout cas, on voit que facilement dans la tradition évangélique, on passe de l'enfant au disciple et réciproquement : il y a une grande parenté entre eux. Le lien entre les versets 35 et 36-37 est donc dans le renversement des valeurs. Le premier, c'est le dernier et le serviteur de tous. D'autre part, l'enfant est grand aux yeux de Dieu. Il faut l'accueillir au nom de Jésus et cel vaut la peine de s'en faire le serviteur. La leçon n'est donc pas moralisante, c'est une révélation de l'éminente dignité du plus petit et de la grandeur du serviteur.
* L'accueil au nom du Christ. 9, 41
Que ce soit le disciple qui accueille (v. 37) ou qu'il soit accueilli (V. 41), dans les deux cas, c'est le Christ qu'on accueille. Jésus souligne donc maintenant l'éminente dignité du disciple, qui représente le Christ, parce qu'il porte son nom. Matthieu amplifiera le thème, notamment dans la parabole du jugement (Matthieu 25, 31-46) : le plus petit disciple représente le Christ. Thème essentiel, trop oublié de nos jours : le chrétien est un signe de la présence du Christ, le Christ s'identifie au moindre des chrétiens. On retrouve là le contexte des premières persécutions.
* Le scandale des petits. 9, 42-50
Aux versets 41 et 42, il s'agit des disciples, en non pas d'enfants : "ces petits qui croient". Parmi les croyants, il y en a dont on ne tient guère compte. Scandaliser l'un d'entre eux, c'est tellement grave aux yeux du Père que cet acte est beaucoup plus nuisible à celui qui le commet que si on le jetait à la mer avec au cou une meule de pressoir. On les appelle des petits, en ce sens qu'ils sont souvent négligés, ou peut-être qu'ils sont fragiles. A nous de faire l'application, actuellement, avec discrétion et discernement. Qui sont ces petits ?
* L'action au nom de Jésus. 9, 38-40
Passage très actuel : l'action du Christ en-dehors des frontières visibles de l'Église. Quelqu'un qui n'est pas disciple agit pourtant au nom de Jésus. Ne pas restreindre au cas d'un type qui chasse les démons (voir Actes des Apôtres 19, 13). Elargir : que faire si quelqu'un, sans être disciple, agit au nom de Jésus ? Jésus répond : ne l'empêchez pas d'agir !" Personne ne peut agir avec la puissance du Christ et aussitôt après mal parler de lui. Remarquez le lien entre action et parole. Conclusion résolument optimiste : "celui qui n'est pas contre nous est pour nous." Matthieu 12, 30 donne une signification différente : "qui n'est pas avec moi est contre moi" : il faut choisir, on ne peut pas rester neutre.
Cet épisode s'éclaire si on le rapproche du verset 35. Jésus demande aux Douze d'être serviteurs. La réaction de Jean et des autres est au contraire une réaction de dominateurs. Ils veulent accaparer la puissance du Christ, en garder le monopole. Les chrétiens ont toujours, comme groupe, la tentation de dominer, alors que la loi que le Christ donne à l'existence de leur groupe est de servir. C'est aux Douze que Jésus donne cette loi.
* Les Douze chez Marc.
Pour les premiers lecteurs de Marc, les Douze n'existaient plus : plusieurs étaient morts. Ils existaient dans la mémoire chrétienne : ils avaient été choisis spécialement par Jésus pour vivre avec lui et collaborer à son oeuvre. Marc les met en scène essentiellement parce que ce sont eux, les plus grands, les premiers choisis, à qui Jésus annonce un total renversement des valeurs, l'ordre véritable des grandeurs aux yeux de Dieu. C'est ici d'abord que Marc les nomme les Douze, alors qu'ailleurs, il parle des disciples.
* La vie fraternelle.
Le discours commençait à cause d'une dispute sur la préséance ; il se termine par une invitation : "Soyez en paix les uns avec les autres". Entre ces deux sentences se trouve empaquetée une invitation au service et à la paix fraternelle. Il s'agit donc d'une instruction sur la vie fraternelle dans les communautés, et aussi à l'égard de ceux du dehors. C'est cela qui fait l'unité. Ainsi, pour Marc, le sel doit être interprété comme le symbole de toutes ces dispositions qui favorisent la paix en communauté : l'esprit de service, d'attention aux autres, d'estime des autres, de renoncement à soi, à la volonté de grandeur et de puissance. Et tout cela vient après la deuxième annonce de la passion et de la résurrection. Il y a une grande cohérence entre ce que Jésus révèle de sa mission et ce qu'il demande aux Douze de faire. La morale chrétienne ne doit jamais être enseignée pour elle-même, mais comme une participation à la manière d'être de Jésus.
2 - Problèmes de vie chrétienne. 10, 1-31
Toujours à la lumière du cheminement de Jésus vers sa passion et sa résurrection, une série d'enseignements, localisés en Judée, sur la route de Jérusalem. Plusieurs problèmes importants pour la vie des chrétiens y sont abordés.
* La loi fondamentale du mariage 10, 2-12
C'est pour tendre un piège à Jésus que les pharisiens l'interrogent : "Est-il permis à un homme de répudier sa femme ?" Jésus leur demande s'il y a une loi de Moïse et ils répondent qu'il a donné une permission (pas un ordre). En Matthieu 19, 7-9, par contre, ils parlent d'un commandement de Moïse et Jésus leur répond qu'il ne s'agit que d'une permission provisoire. La dispense n'abolit pas la loi fondamentale : "les deux ne feront qu'une seule chair". Au contraire, maintenant cette volonté divine fondamentale exclut la dispense. Ceci est précisé nettement aux disciples, "à la maison", pour le cas de l'homme comme pour celui de la femme (dans le droit romain, en effet, la femme aussi avait le droit de divorcer, ce qui n'était pas le cas chez les Juifs).
* Se mettre à l'école des enfants. 10, 13-16
Jésus se fâche lorsqu'il voit les disciples chasser des enfants. Alors il donne un enseignement sur l'attitude à prendre à l'égard des enfants, ou plutôt sur ce que les disciples ont à apprendre d'eux. L'enseignement de Marc diffère de celui de Matthieu, pour qui il s'agit de se faire petit comme un enfant pour entrer dans le Royaume. C'est une leçon d'humilité. Pour Marc, il s'agit d'accueillir le Royaume comme un petit enfant sait accueillir, parce que le Royaume est un don, qu'il faut savoir accueillir comme un cadeau de Dieu. L'enfant n'a aucun droit : il se sait dépendant, et ce n'est pas par nos propres forces que nous pouvons conquérir le Royaume. Dès le début de la prédication, cela a été précisé : il s'agit d'accueillir le Règne de Dieu, présent dès aujourd'hui.
* Les riches et le Royaume de Dieu 10, 17-31
Troisième problème abordé : celui de la richesse. Un riche accourt, Jésus dialogue avec lui, le regarde, se prend à l'aimer. La preuve de cet amour, une exigence : "va, vends ce que tu as, donne-le aux pauvres, puis viens, suis-moi." C'est dans les mêmes termes que Jésus a appelé ses premiers disciples. Les premiers chrétiens, racontant cette histoire, reconnaissent avoir reçu le même appel à suivre Jésus. La condition de disciple suppose qu'on n'est pas guidé uniquement par la Loi. La Loi, l'homme riche l'accomplit, mais il lui manque de suivre Jésus. Jésus l'aime et l'appelle, mais il pose une condition préalable : il faut renoncer à soi-même. Règle générale, pour tous ; pratiquement, pour le riche, renoncer à ce qu'il possède : ce sont eux qui l'empêchent de suivre Jésus. Voilà donc l'histoire d'une vocation manquée. Alors Jésus s'adresse aux disciples, et non aux Douze, et l'exemple concret devient l'occasion d'une instruction en deux parties.
°Jésus commence par insister sur la difficulté d'entrer dans le Royaume pour ceux qui ont des richesses, et pour tous en général. Jésus emploie une comparaison nettement exagérée : celle du chameau qui veut passer par le trou d'une aiguille. Voilà un trait de l'humour de Jésus : son enseignement n'est jamais ennuyeux, toujours imagé. Les disciples sont décontenancés : "Qui peut être sauvé ?" Jésus élève le niveau du débat : "Aux hommes, c'est impossible, mais non à Dieu, car à Dieu tout est possible". On a l'impression que Jésus n'a pas répondu à la question : nous ne savons toujours pas ce qu'il faudrait faire pour être sauvé. Mais il n'y a rien à faire. Même en faisant des choses extraordinaires nous sommes incapables d'entrer dans le Royaume de Dieu. Seul Dieu peut nous y faire entrer. Là encore, il s'agit d'accueillir le Royaume comme un enfant. Le détachement des richesses n'est qu'une condition préalable, pour recevoir le salut qui ne vient que de Dieu.
° Pierre est alors tout heureux de dire : "Nous, nous avons tout quitté". Pour nous le problème est résolu. Jésus approuve...au centuple. Avec, en prime, des persécutions. Perspective joyeuse quand même : malgré les persécutions, vous avez des maisons qui vous sont ouvertes, des frères et des soeurs, des liens d'affection... Il n'y a pas moyen de se sauver, mais il y a tous les moyens d'être sauvé.
* Le véritable ordre des valeurs 10, 31
Bien lire le verset qui conclut : "Beaucoup de premiers seront derniers, et les derniers seront premiers". Ce système de répartition entre premiers et derniers fait allusion à ce qui précède : on vous prend pour des derniers, mais vous serez premiers dans la vie éternelle, tandis que bien des premiers seront derniers. Il y a une manière d'être premier qui est une assurance de devenir dernier, mais il n'est pas dit que tous les premiers seront derniers. Marc est plus nuancé que Matthieu. La perspective est celle d'un renversement de valeurs.
Ce chapitre 10 a donc son unité, sous la lumière de la passion et de la résurrection, vers lesquels Jésus entraîne ses disciples. Même la règle de l'indissolubilité du mariage, qui paraît dure, sans appel, doit être comprise dans la condition nouvelle de disciple. Le disciple peut comprendre, parce qu'il marche à la suite de Jésus, sur le chemin de la passion, avec la joie qui va suivre.
(la suite, le 29 avril)
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