L'INTELLIGENCE DES ECRITURES

 

 L'évangile selon saint Marc (12)

 
Le lion de saint Marc

 

12 - Cinquième étape :
Jésus à Jérusalem
11, 1 à 13, 57

1 - L'affrontement de Jésus avec Jérusalem.

Les chapitres 11-13 présentent un drame prévisible depuis déjà longtemps. Déjà en 3, 6, Marc avait dévoilé le complot des pharisiens et des hérodiens en vue de perdre Jésus. En 3, 22, des scribes "descendus de Jérusalem", l'avaient accusé d'être possédé de Béelzéboul, et en 7, 1, ilm s'était opposé, pour des questions de règles de pureté, à "des pharisiens et à quelques scribes venus de Jérusalem". Jérusalem apparaît comme la citadelle de l'opposition. Jésus l'annoncera : "Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera livré..."

Le récit de cet affrontement est organisé par de nombreuses notations de temps et d'espace. Il est facile de distinguer trois journées qui comportent chacune une visite au Temple et un retour à Béthanie.

* 1ère journée : venant de Béthanie (11, 1), Jésus entre à Jérusalem et pénètre dans le Temple et, après l'avoir inspecté, il en sort aussitôt pour aller à Béthanie.

* 2e journée : "Le lendemain", il sort de Béthanie (11, 12). Ils arrivent à Jérusalem, dans le Temple. Le soir venu, il quitte la ville.

* 3e journée : "En passant le matin" (11, 20), ils reviennent à Jérusalem, dans le Temple. Là il y a de nombreuses controverses. Puis il sort du Temple et sur le Mont des Oliviers, annonce la ruine du Lieu Saint ; on le retrouve finalement à Béthanie (14, 3).

L'espace est ainsi organisé : d'un côté l'extérieur de la ville (Béthanie, le Mont des Oliviers), de l'autre la ville, essentiellement le Temple, lieu de l'affrontement. Les deux premières journées forment un tout à part. La troisième est celle des enseignements et de l'affrontement. Nous allons étudier plus spécialement les deux premières journées.

2 - L'entrée à Jérusalem (11, 1-11)

* Le récit traditionnel : le Messie entre dans sa ville.

Que signifie ce texte pour la communauté primitive ? Les allusions à l'Ancien Testament nous renseignent. Il y a d'abord la mention de l'ânon que personne n'a encore monté (un ânon tout neuf, pas d'occasion), qui rappelle Zacharie : "Exulte de toutes tes forces, fille de Sion. Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem. Voici que ton roi vient à toi. il est juste et victorieux, humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d'une ânesse" (Zacharie 9, 9). Marc ne cite pas directement Zacharie, mais le lecteur, informé par la tradition de l'Église, sait que le geste de Jésus accomplit cette prophétie : c'est Jésus qui prend l'initiative, il envoie chercher l'ânon. C'est donc qu'il veut entrer à Jérusalem avec un attirail symbolique qui se calque sur la prophétie. De plus, l'acclamation des gens est empruntée au "grand hallel", au psaume 118 : "Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient". Enfin, les vêtements étendus à terre sur le passage de Jésus rappellent l'intronisation royale de Jéhu (2 Rois 9, 13). Les communautés chrétiennes qui proclament après Pâques que Jésus est le Messie d'Israël comprennent ce récit comme un signe : Jésus a montré par cette manifestation qu'il venait apporter le salut et la paix messianique à Jérusalem. Le titre de Seigneur attribué à Jésus est révélateur du terroir de cette tradition. Marc ne désigne jamais Jésus par ce titre. Jésus ne le faisait pas lui-même (sauf une fois, de façon énigmatique (12, 37). Par contre les chrétiens le faisaient spontanément et Luc gardera cet usage. Donc, dans cette scène, la communauté chrétienne reconnaît son Seigneur qui, dans sa clairvoyance, a tout prévu et organisé dans le détail de son entrée à Jérusalem, comme son Roi humble et pacifique.

* Le point de vue de Marc.

Acclamer Jésus comme Seigneur, c'est contraire à tout l'évangile de Marc, qui insiste sans cesse, nous l'avons vu, sur le "secret messianique". Voilà donc que tout un groupe proclame son attachement, au cours d'une manifestation dont Jésus lui-même a l'initiative.

Pour comprendre, il faut lire la fin de l'épisode : "Il entra à Jérusalem dans le Temple. Après avoir tout regardé autour de lui, comme c'était déjà le soir, il sortit pour se rendre à Béthanie, avec les Douze". (verset 11) Donc, la manifestation messianique tourne court. C'est étrange. Mais avant de sortir Jésus porte un regard circulaire sur les lieux. Souvent Marc note les regards de Jésus. Ici ce n'est pas le regard du touriste qui visite pour la première fois le Temple. Il faut y voir le regard de celui qui prépare son coup du lendemain : l'expulsion des vendeurs. Chez Matthieu et Luc, cette expulsion suit immédiatement l'entrée triomphale. Marc la renvoie au lendemain et l'insère entre la malédiction du figuier stérile et la constatation de la réalité. Il y a là, nous le verrons, une dénonciation de l'ambiguïté du titre de Fils de David appliqué à Jésus. Pour Marc, le titre de Fils de David n'est pas à la mesure du mystère de Jésus. Il est trop ambigu. Tout cela se terminera par la dernière sortie de Jésus au Temple pour en annoncer la ruine. C'est l'échec de toute prétention à voir restauré le royaume de David. De même le procès de Jésus devant Pilate montrera l'insuffisance du titre de "Roi des Juifs" appliqué à Jésus.

* Le fait historique.

On ne sait pas grand chose. Un détail serait à élucider : y avait-il une foule immense ou simplement un petit groupe de pèlerins galiléens venus à Jérusalem avec Jésus ? Marc, seul, penche pour le petit groupe. Autre question : à quel moment, dans quelles circonstances cela a-t-il eu lieu ? Pour Marc et les Synoptiques, c'est au moment de la Pâque. Mais nous savons que cette présentation est conventionnelle. Jean nous dit au contraire que Jésus est venu plusieurs fois à Jérusalem. Pour certains critiques, certains indices sont en faveur de la fête de la Dédicace. Ce jour-là, on venait au Temple avec des palmes, et en montant on chantait le grand hallel.

3 - La purification du Temple (11, 15-19)

Cela se passe non pas dans le lieu saint où seuls les prêtres avaient accès, mais dans les cours ou parvis, plus exactement le parvis des Gentils, qui était séparé du parvis réservé aux Juifs par une barrière, surmontée d'une inscription (actuellement au musée d'Istanbul), qui menaçait de mort tout non-circoncis qui franchirait la limite (voir Actes 21, 28). Dans le parvis des Gentils, tout le monde pouvait entrer, changer de l'argent, acheter ce qui était utile à des pèlerins venus des quatre coins du monde.

* Fausse sécurité d'un culte mensonger (Jérémie)

Pourquoi Jésus ne veut-il pas de cela ? Il ne s'agit pas de condamner le commerce et les commerçants, mais d'autre chose. Pour comprendre, il faut relire Jérémie 7, 11 : le peuple se sécurise avec le Temple. Puisqu'on y offre des sacrifices, le peuple se dit : "le Seigneur est avec nous". Jérémie répond : Dieu est avec vous uniquement si vous respectez son alliance : "Ne vous fiez pas aux paroles mensongères : "c'est là le sanctuaire du Seigneur, le sanctuaire du Seigneur, le sanctuaire du Seigneur ! Mais si vous améliorez réellement vos voies et vos oeuvres, si vous avez vraiment souci du droit entre vous, alors je serai avec vous dans ce lieu."

Le culte du temple est mensonger, s'il sert à sécuriser des gens qui ne se convertissent pas. "Ce Temple qui m'est consacré, le prenez-vous pour une caverne de voleurs ?" Le texte de Jérémie dénonce le culte mensonger, qui donne une fausse sécurité.

* Ouverture aux païens.

La pointe du récit de Marc se trouve dans le texte d'Isaïe qui est cité : "ma maison sera appelée maison de prière pour toutes les nations". Jésus revendique un caractère sacré pour tout le Temple, même pour le parvis des Gentils. C'est pourquoi il ne permet pas qu'on y exerce des activités profanes. Jésus vient abattre toutes les frontières et ici, il se heurte aux barrières du judaïsme.

* Dans la tradition primitive.

L'interprétation de Marc est différente de celle de Matthieu et de Luc, qui omettent les derniers mots, "pour toutes les nations". Mais c'est l'interprétation personnelle de Marc. L'orientation primitive est à chercher dans d'autres textes qui annoncent la purification eschatologique du Temple lors de la venue de Dieu. Lire la prophétie de Malachie 3, 1-5 et celle de Zacharie 14, 21 : Jésus veut ramener le Temple à la pureté de sa destination sacrée en chassant les activités profanes du lieu saint, en attendant que la terre entière soit consacrée à Dieu comme son Temple. Quant à Marc, il accentue l'aspect universaliste du texte en jouant sur la finale du texte d'Isaïe 56, 7, que la tradition n'avait pas retenue. Jésus manifeste ainsi son autorité sur le Temple, il montre qui il est, en affirmant sa souveraineté sur la Maison de Dieu. La réaction des grands prêtres contraste avec celle du peuple qui "est frappé de son enseignement" tandis qu'eux cherchent comment le perdre.

4 - Le figuier desséché (11, 12-14 et 20-26).

* Une énigme. 

Le côté étrange du geste de Jésus n'a pas échappé à Marc. Jésus s'approche du figuier, ne trouve que des feuilles, car ce n'était pas le temps des figues. Ses disciples écoutent. Jésus maudit le figuier. Geste étrange. Au premier degré, acte dément. Ce n'est donc pas à ce niveau qu'il faut en chercher le sens. L'acte se veut étrange, énigmatique : "ses disciples écoutaient". La solution de l'énigme sera donnée plus tard. Pour Marc, l'acte a valeur de signe : son sens est ailleurs qu'en lui-même.

* La clé : dans le récit de la purification du Temple.

Ce n'est qu'après le récit de la purification du Temple que les disciples pourront comprendre. Ni Matthieu ni Luc n'ont retenu cet aspect énigmatique du geste de Jésus. Luc ne le raconte même pas. Marc, lui, raconte : le lendemain, on passe au même endroit, le figuier est desséché, Pierre le fait remarquer à Jésus qui répond : "Ayez foi en Dieu". Nous sommes déçus. Cette leçon n'explique pas le comportement bizarre de Jésus. Jésus dit : il n'y a là rien d'étonnant, puisque la foi est puissante, puisque la prière est un appel à Dieu. La leçon porte sur la puissance de Dieu en réponse à la foi et à la prière. Il semble que l'on ait complètement oublié le caractère étrange de l'acte accompli par Jésus quand il a maudit le figuier.

* Le Temple et le figuier.

Le symbolisme de base part du mot "fruit". L'arbre, qui se révèle impropre à porter du fruit, est le symbole du Temple, dans lequel Jésus est venu chercher les fruits qu'il n'y a pas trouvés. Plus loin, la parabole du fils qui vient chercher les fruits de la vigne confirmera ce symbolisme (12, 1-11). Le geste de Jésus, selon Marc, est prophétique : ce n'est pas le figuier qui est en jeu, mais le Temple. Parce qu'il ne répond pas à l'attente de Dieu, il sera définitivement incapable de porter les fruits que Dieu en escomptait.

* Fait historique ou parabole ?

 Au point de vue historique, des critiques se demandent si l'Église primitive n'a pas transposé en récit symbolique ce qui, au départ, était une parabole. Luc, en effet, qui ne rapporte pas la malédiction du figuier, connaît la parabole du figuier stérile (Luc 13, 6-9). Cette parabole optimiste serait devenue un récit sur Jésus, et pour comprendre son geste, on y aurait cherché un exemple à l'appui de l'enseignement de Jésus sur la puissance de la foi et de la prière, ou une énigme, un symbole du sort promis au Temple. Ce n'est là qu'une hypothèse. Probablement Jésus a posé des actes symboliques comme les prophètes. Celui-ci a certainement posé des problèmes à ceux qui le rapportaient.

5 - Controverse à Jérusalem 11, 27 à 12, 44

La troisième journée au Temple est occupée par des controverses avec l'intelligentsia de Jérusalem : grands prêtres, scribes, docteurs de la Loi, conseil des anciens, et également avec les Hérodiens et des Sadducéens. Puis, quand "nul n'osait plus l'interroger", viennent encore quelques enseignements à la foule et aux disciples. Certains sont assez clairs : la critique des gens qui aiment les salutations et les places d'honneur, ainsi que l'éloge de la pauvre veuve qui a donné au Temple tout ce qu'elle avait pour vivre. Il faut davantage souligner l'importance de la parabole des vignerons homicides dans laquelle, selon Marc, grands prêtres, scribes et anciens se sont reconnus. Pour Marc, la parabole est transparente. Elle est une allégorie dont tous les détails sont clairs. La vigne, c'est Israël, et les vignerons sont les responsables d'Israël. Les serviteurs sont les prophètes, certains ont déjà été mis à mort, préfigurant le sort qui sera réservé au fils bien-aimé, l'héritier qui, bien sûr, est Jésus. Dès lors, les responsables d'Israël peuvent lire leur avenir dans le châtiment des vignerons. La vigne sera confiée à d'autres vignerons. Mais Jésus ajoute, selon Marc, une citation du psaume 118, celui que l'on citait déjà lors de l'entrée messianique à Jérusalem. Il s'agit d'un autre passage du psaume : la pierre rejetée par les maçons qui devient pierre d'angle. Les chrétiens liront dans cette citation du psaume une image de la mort et de la résurrection de Jésus, oeuvre admirable du Seigneur. Ici le voile du secret sur l'identité de Jésus se soulève déjà. Tandis que l'espoir d'une restauration politique se révèle illusoire, Jésus lui-même laisse entendre qu'il est plus que le fils de David, qu'il est le Fils de Dieu.

6 - La ruine du Temple et l'avènement du Fils de l'homme. 13, 1-37

Voici un discours eschatologique qui est difficile. Nous n'en retiendrons que quelques aspects, particulièrement clairs, dans la version de Marc. D'abord, Jésus quitte définitivement le Temple et annonce sa ruine définitive. Selon Marc, il n'y a pas à attendre de restauration du royaume de David. D'autre part, "prenez garde qu'on ne vous abuse" (v. 5) s'adresse aux premiers disciples qui auront à transmettre une consigne insistante : "veillez donc...Et ce que je vous dis à vous, je le dis à tous : veillez !" Il s'agit de se méfier des faux messies prometteurs d'espérance. Au contraire, il faut savoir que la prédication de l'Évangile dans le monde entier s'accompagnera d'oppositions, de conflits, de persécutions. L'avènement du Fils de l'homme est aussi certain que l'été annoncé par les nouvelles pousses du figuier. mais le jour et l'heure sont un secret que seul le Père connaît. Tout le discours tend à la consigne finale : " Soyez sur vos gardes, veillez, car vous ne savez pas quand ce sera le moment". Ce discours doit être rapproché de la scène de Gethsémani où l'on verra Jésus demander à Pierre, Jacques et Jean de rester éveillés. Mais trois fois il les trouvera endormis, inconscients de la gravité de l'heure, celle de la tentation, celle du danger pour leur foi de sombrer à cause de la passion qui va commencer. Ici le risque pour les chrétiens est de se laisser égarer par de faux christs alors que le vrai les avertit clairement des conditions difficiles du combat de la foi : "celui qui aura tenu bon jusqu'au bout, celui-là sera sauvé" (v. 13)

La suite dans quinze jours, le 13 mai

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