L'INTELLIGENCE DES ECRITURES

 

 L'évangile selon saint Marc (13)

 
Le lion de saint Marc

 

13 - 6e étape :

La Passion et la Résurrection

14, 1 à 16, 8

Le sommet du livre.

Les chapitres 14 à 16 sont le sommet du livre.
1 - Du point de vue du
drame qui se joue, c'est ce que nous devions attendre, après avoir lu les chapitres précédents. Depuis 3, 6, et surtout dans toute une section(8, 27 à 10, 52), c'était annoncé et Marc a exhorté les disciples que nous sommes à suivre Jésus sur ce chemin. Maintenant le secret va être levé : Jésus est le Christ, le Fils de Dieu. Secret levé par Jésus lui-même devant le Sanhédrin, et par le centurion païen au pied de la croix.
2 - Du point de vue de
l'espace, le drame se joue à Jérusalem, mais c'est pour préparer un nouveau départ pour l'évangile, en Galilée. Départ annoncé par Jésus (14, 28), puis rappelé par les femmes venues au tombeau (16, 7). C'est à Jérusalem que Jésus est manifesté comme Christ, Fils de Dieu. Mais c'est de Galilée que doit partir la prédication de l'Évangile.
3 - Du point de vue des
personnages, nous allons assister à l'isolement complet de Jésus. Ses disciples l'abandonneront, sauf un jeune homme anonyme qui s'enfuit tout nu, et Pierre qui ira jusqu'à l'intérieur du palais du grand-prêtre, mais ce sera pour renier Jésus. Cette solitude va être rachetée par les femmes, des personnages nouveaux, dont il n'avait jamais été question jusque là et qui apparaissent après la mort de Jésus. Ce sont elles qui assurent le lien entre la mort de Jésus et l'affirmation de sa résurrection. Chez Marc, la continuité du drame est assurée par les personnes qui y assistent.

Caractères du récit.

1 - On est d'abord frappé par l'aspect dramatique, ramassé, du récit. C'est bref, objectif. Aucun pathos. Les sentiments de Jésus n'apparaissent que dans la scène de Gethsémani (14, 34) et dans le cri sur la croix. Les deux fois, il s'agit de citations des psaumes.
2 - L'abondance des
références à l'Ecriture est frappante. Particulièrement dans le chapitre 15. Ces citations remontent aux sources mêmes de Marc: dans la forme la plus ancienne, le récit de la Passion n'est pas destiné à nous émouvoir, mais à nous faire réfléchir, à nous permettre de trouver le sens de ce qui se passe. Pour les premiers lecteurs, il s'agissait essentiellement de comprendre comment le scandale d'un Messie crucifié pouvait entrer dans le dessein de Dieu. C'est pour cela qu'on cherche dans l'Ecriture. Ainsi, par exemple, du sort de Judas, qu'on ne peut comprendre que si en se rappelle que le dessein de Dieu, dans toute l'Ecriture, a toujours réussi à travers l'échec. Tous les textes cités font référence à des gens qui ont échoué. Ce sont les psaumes des justes persécutés, qui en appellent à la justice divine. C'est ainsi qu'est cité le psaume 41, 11. Jésus ne fait pas un geste pour désigner le traître, il s'adresse à tous les disciples. Dans la crucifixion, tout le récit fait allusion au psaume 22, et le vinaigre se réfère au psaume 69. S'il y a donc dans la Bible cette tradition que la réussite de Dieu passe à travers l'échec des hommes de Dieu, on peut comprendre que ce crucifié soit le Christ.
3 - Autre principe d'intelligence du drame :
Jésus domine l'événement. Il sait ce qu'il y a au bout. C'est surtout dans les passages ajoutés par Marc au récit primitif, disent les critiques, que cela apparaît : onction de Béthanie, préparatifs du repas pascal, la Cène et l'agonie de Gethsémani, que Jésus se manifeste comme le maître des événements.

Le récit de la passion et de la résurrection.

Lisons rapidement les épisodes essentiels du récit.

1 - Du complot à l'arrestation. Jésus devant sa mort. 14, 1-42

Le récit commence deux jours avant la Pâque juive. Pour Marc, cette Pâque est celle de la mort de Jésus, Messie crucifié. Deux petits récits nous montrent les adversaires préparant leur coup : les grands prêtres qui cherchent le moyen d'arrêter Jésus en douce, et la proposition de Judas qui arrive à point nommé. Ces deux récits en encadrent un troisième où Jésus apparaît au milieu de ses amis ( 14, 3-9)

* L'onction à Béthanie 14, 3-9

Jésus comprend le geste de la femme autrement que celle même qui l'accomplit. Il y a un conflit entre les trois interprétations du geste : celle de la femme, qui, par son geste reconnaît Jésus comme le Messie en lui versant sur la tête l'huile de l'onction royale ; Jésus qui propose une autre interprétation ("d'avance elle a parfumé mon corps pour l'ensevelissement") ; quant aux disciples, ils n'y comprennent rien, ils ne sont pas encore capables de saisir ce qu'est l'Évangile, l'annonce du Christ (roi) crucifié et ressuscité. La femme, sans le savoir, fait un geste qui le symbolise.

* Les préparatifs de la Cène 14, 12-31

Ici, l'initiative de Jésus est soulignée. Les disciples s'aperçoivent que Jésus a pris les devants, lorsqu'il annonce qu'ils rencontreront un homme portant une cruche d'eau. D'ordinaire, ce sont les femmes qui font ce travail. Alors, signe de reconnaissance, convenu d'avance ? Ils disent à cet homme : "Le Maître dit : où est ma salle ?" Ce ne sont pas les disciples, mais Jésus lui-même qui a préparé sa Pâque.
Jésus annonce la trahison par l'un des Douze. Il ne désigne pas le traître. Il cite le psaume
41, 10. Et il ajoute : "Le Fils de l'Homme s'en va selon ce qu'il est écrit de lui".
Après le repas, sur le chemin de Gethsémani, Jésus annoncera le reniement de Pierre et la dispersion des disciples. De nouveau, l'Ecriture est sa lumière. Il cite Zacharie
13, 7.

* La Cène 14, 22-25

Pendant le repas, Jésus accomplit les deux gestes rituels bien connus des Juifs lors des repas de fête : celui qui préside prend le pain, adresse à Dieu une prière de bénédiction et distribue une bouchée à chaque convive ; en la mangeant, tous y reconnaissent un don de Dieu. Il fait de même, à la fin du repas, avec la coupe de vin. Geste de reconnaissance que tout est don de Dieu.
Jésus accomplit ces deux gestes, mais il leur donne un sens nouveau en les rapportant à sa mort prochaine. Ainsi il révèle qu'il connaît le sens de sa mort et il en instruit ses disciples. En araméen, le mot "corps" est une manière d'exprimer la personne : "ceci, c'est moi". La mention du sang ajoute l'idée du sacrifice : "J'offre ma vie en sacrifice".

* L' "Heure" de Jésus. Gethsémani 14, 34-42

Quel contraste entre la tranquillité qui régnait jusque là, et maintenant la frayeur et l'angoisse. Ne pas confondre la frayeur et la peur. Marc emploie le mot "frayeur" dans des situations diverses, qui ont toutes en commun le même caractère : on est en face d'un événement sur lequel on n'a pas prise. On ne voit pas comment lui donner sens. L'homme ne peut pas l'intégrer dans son univers familier. Ici Jésus est pris au dépourvu par la mort qui arrive. Il parle de "cette heure", "cette coupe". C'est l'heure marquée par un dessein incompréhensible de Dieu, la coupe de souffrance que Dieu donne à boire, mais qu'il peut écarter. Il s'adresse alors à Dieu avec le mot araméen "abba", le mot que les enfants réservent à leur propre père.
En contrepoint, le sommeil des disciples oppose leur inconscience à la clairvoyance de Jésus. L'heure de Jésus est, pour les disciples, celle de l'épreuve décisive qu'ils ne peuvent affronter sans la force de Dieu. Mais pendant cette heure, ils dorment et Jésus reste seul dans sa prière.

2 - De l'arrestation à la mort de Jésus 14, 43 à 15, 41

* L'arrestation 14, 43-52

Le récit de Marc est sec, un simple compte-rendu. A partir de son arrestation, Jésus entre dans la solitude. Ses disciples l'abandonnent et se sauvent. Le jeune homme qui s'enfuit nu, est-ce Marc lui-même, qui aurait mis là un souvenir autobiographique ? Impossible de le savoir.

* Procès devant le Sanhédrin. Reniement de Pierre. 14, 53 à 15, 1

Le procès est déjà fait. Il n reste plus qu'à trouver un motif juridique. Les faux témoignages sont nuls. C'est Jésus qui va fournir le témoignage essentiel. Pour la première fois, chez Marc, Jésus déclare nettement qu'il est le Christ, le Fils de Dieu. Et il s'attribue les prérogatives du Fils de l'Homme telles qu'annoncées dans le livre de Daniel. D'où l'accusation de blasphème. Et pendant ce temps, Pierre renie son maître. Il est ici le disciples refusant de prendre sa croix et de risquer sa vie à la suite de son maître. C'est, dans la situation de persécution où Marc écrit, un rappel salutaire pour les chrétiens. La foi en Jésus ne peut se vivre sans l'épreuve.

* Le procès devant Pilate 15, 2-20

Devant les juifs, Jésus se présente comme Fils de Dieu. Devant Pilate, il se présente comme roi. Marc ne cherche pas à faire un compte-rendu détaillé. A la question de Pilate "Es-tu le roi des Juifs ?", Jésus répond de façon ambiguë : "Tu le dis".
Suit une scène d'outrages : Jésus n'a jamais été reconnu comme roi que par dérision. Et finalement on préfère à Jésus Barrabas, probablement un résistant, révolté contre Rome.

* La crucifixion 15, 21-41

Marc ne retient du chemin de croix que les éléments qui lui paraissent significatifs. La réquisition de Simon de Cyrène enracine le récit dans l'histoire : le Rufus mentionné est sans doute connu de Marc et de ses lecteurs (Romains 16, 13 mentionne un certain Rufus)
Le drame s'étale sur plusieurs heures : la troisième (v.25), la sixième (v.33) et le neuvième heure (v.34). Cette durée, marquée par les trois heures de la prière juive, puis chrétienne (tierce, sexte, none), représente autant celle des événements que celle de la méditation de la communauté où ces faits ont reçu leur forme primitive.
La troisième heure est celle du crucifiement. Jésus refuse le vin aromatisé, sorte de stupéfiant. Les railleries des passants, des grands prêtres et même des brigands expriment le scandale de la croix. Cette scène laisse le croyant sans autre recours que le mystérieux dessein de Dieu, qui apparaît, grâce aux allusions aux moqueries que subit, à cause de sa fidélité, le juste du psaume 22.
La sixième heure, celle de midi, est celle des ténèbres. Mais pour le croyant, cette ténèbre est lumière. Voir Amos 8, 9-10. Le drame de la croix s'éclaire.
La neuvième heure est celle du cri de Jésus : sa seule parole depuis sa réponse évasive à Pilate. Comment comprendre cet appel "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" C'est le début du psaume 22, et le lecteur sait que le psaume tout entier est la clé qui permet de comprendre le sens de la crucifixion. L'abandon est l'occasion d'un sursaut de la foi. Je n'ai aucun espoir, mon seul espoir, c'est Dieu et il m'abandonne, mais j'ai foi en lui, c'est en lui que, pourtant, je mets ma confiance.
Enfin, deux notations éclairent le sens de l'événement :
Le rideau du Temple se déchire. Anticipation de la ruine du Temple annoncée par Jésus.
Un païen ,
le centurion qui commande le détachement, déclare : "Vraiment cet homme était fils de Dieu". Il y a là une anticipation de la confession de foi chrétienne qui se diffusera parmi les païens.
C'est à ce point du récit qu'apparaissent des personnages nouveaux, des femmes, montées de Galilée à Jérusalem avec Jésus; à titre de témoins à distance de la mort de Jésus. Trois sont nommées, qui vont jouer un rôle dans les deux épisodes suivants.

3 - De la mort de Jésus au matin du dimanche. 15, 42 à 16, 8

* L'ensevelissement 15, 42-47

Deux de ces trois femmes, Marie de Magdala et Marie, mère de Joset, sont données comme témoins de l'endroit où le corps de Jésus a été déposé, grâce à Joseph d'Arimathie. Celui-ci est un membre distingué du Sanhédrin, un croyant qui attend le Royaume de Dieu. Il n'est pas dit qu'il soit un disciple. Sa position lui permet d'audace de demander à Pilate le corps de Jésus pour lui donner une sépulture convenable avant que commence, à la fin du jour, le Sabbat. Les disciples sont absents et les femmes qui connaissent Jésus n'ont aucune part active à l'ensevelissement : elles regardent.

* Les femmes au tombeau de Jésus 16, 1-8

Elles passent à l'action dès la fin du sabbat, le samedi soir, pour acheter des aromates en vue d'oindre le corps de Jésus. Et le dimanche, dès le lever du soleil elles se rendent au tombeau. Voilà le récit d'un projet humain qui avorte. Les femmes témoignent d'un profond attachement à Jésus. Elles ont bien préparé le projet, elles ont pensé à tout. Alors, pourquoi n'ont-elles pas pensé à l'essentiel : "Qui nous roulera la pierre hors de l'entrée du tombeau ? Le narrateur ne s'intéresse pas à ce projet humain. Il raconte immédiatement la surprise des femmes : la pierre est roulée. Or elle était très grande, il a fallu une force exceptionnelle pour la déplacer.
Elles vont alors de surprise en surprise : "Entrées, elles voient, assis à droite, un jeune homme vêtu d'une robe blanche, et elles furent saisies de frayeur". Nous avons déjà vu le sens de cette "frayeur" à Gethsémani : l'homme est dérouté devant la présence du surnaturel. "Mais il leur dit : ne vous effrayez pas. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié : il est ressuscité, il n'est plus ici".
Leur projet est dépassé par l'événement. Elles ont pensé à tout, sauf à ce qui est arrivé. L'action de Dieu déroute l'homme. Mais le message de l'ange les oriente ailleurs : si Jésus est ressuscité, ce n'est pas pour le plaisir d'étonner. Il y a quelque chose à faire, et cela se déroulera en Galilée. Elles croient que tout est fini, mais l'affaire Jésus continue. La fin du récit est surprenante : "elles sortirent et s'enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées, et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur." Le fil du récit paraît brisé : le message dont elles étaient chargées pour les disciples n'a pas été transmis. Cela se complique du fait que le texte de Marc s'arrête là. La suite (Versets 9 à 20) n'est pas de sa plume et manque dans plusieurs manuscrits. Elle remonte au deuxième siècle et a été ajouté pour corriger l'impression curieuse de récit inachevé laissée par le verset 8. Est-ce que Marc pensait qu'avec le récit du tombeau vide et le message de la résurrection, son livre était achevé ? Peut-être. La frayeur des femmes est bien compréhensible. Ce n'est pas signe de misogynie de la part de Marc. Bien au contraire. Son récit veut marquer simplement la transcendance de l'action de Dieu, aussi bien dans l'acte de la résurrection de Jésus que dans l'origine du message pascal. L'homme est dépassé par ce que Dieu fait et révèle à travers la vie, la mort et la résurrection de Jésus. C'est Dieu lui-même qui nous lance dans l'avenir.

* La finale actuelle du livre 16, 9-20

Elle se présente comme un résumé des apparitions de Jésus ressuscité. Elle recoupe des traditions que nous connaissons par ailleurs par les évangiles de Luc et de Jean. Il faut remarquer la dénonciation de l'incroyance rencontrée par les témoins successifs du Ressuscité (v. 11, 13, 14) Les Onze ont passé du doute à la foi sous la force de la manifestation de Jésus lui-même. D'autre part le texte insiste sur la mission de porter l'Évangile au monde entier. Enfin, l'efficacité de la parole et des signes est attribuée à l'action du Seigneur Jésus.

 (La fin, ce sera pour la prochaine fois, le 27 mai)

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