L'INTELLIGENCE DES ECRITURES

 

 L'évangile selon saint Marc (14)

 
Le lion de saint Marc

 

14 - Marc, un évangile original.

En conclusion de notre étude,
commencée il y a plus de six mois,
voici, résumée,
l'analyse que fait un professeur d'exégèse,
Pierre Gibert.

Défauts ou qualités ?

Curieusement, cet évangile a souvent été considéré comme sans qualité littéraire, et son auteur sans talent au vu de sa pauvreté de vocabulaire. Ainsi nous pouvons constater une composition "en succession de fragments". Mais la brièveté de cet évangile ne serait-elle que médiocrité ?

Il y a pourtant une force propre à Marc qui transforme ses défauts et limites en véritables qualités : la concision du propos, une sorte de halètement du récit qui dit une double urgence, celle qu'éprouve le Christ de transmettre son message avant la Passion, et que redouble l'évangéliste face à son lecteur, ce lecteur (vous et moi) appelé à la conversion et de ce fait à saisir l'unité particulière de cet évangile.

Pas bavard, Marc !

Marc n'est pas bavard. Il ne parle ni de la naissance ni de l'enfance de Jésus ; il évoque très rapidement Jean-Baptiste, le baptême de Jésus et la tentation, pour en arriver à l'essentiel. Marc va jouer de sa concision pour frapper en quelque sorte le lecteur d'enseignements fondamentaux. Il nous présente Jésus non comme un prédicateur ou un faiseur de miracles ordinaire, mais comme celui qui doit être justement reconnu grâce à l'autorité qu'il manifeste. Les réactions positives ou négatives à l'enseignement et aux actes de Jésus décrivent un clivage, un jugement souvent très tranché, très dur, dont la famille même de Jésus fera les frais.

De même, les récits de la Passion, de la mort et de la résurrection de Jésus tranchent par leur sobriété. Marc s'en tient au strict minimum, contrairement aux trois autres évangélistes. Et que dire de la fin de cet évangile : les femmes arrivent au tombeau, et elles manifestent particulièrement leur peur. Point final. Il faudra qu'un auteur anonyme ajoute, beaucoup plus tard, une conclusion (16, 9-20) Mais tel qu'il est dans sa forme primitive, trois données confirment l'originalité de la démarche de Marc l'évangélistes. On va donc y regarder de plus près.

Trois données.

1 - Marc 14, 43-52 nous rapporte qu'au moment de l'arrestation de Jésus, un jeune homme, vêtu seulement d'un drap, a failli être arrêté, mais que rejetant le drap dont il était couvert, il s'est enfui, nu. Seul Marc rapporte ce détail. C'est pourquoi beaucoup ont pensé qu'il s'agissait d'un trait autobiographique, et que Marc rapportait un souvenir de sa propre jeunesse. En réalité, ce jeune homme reparaît, et précisément au moment où les femmes arrivent au tombeau où elles le voient "vêtu d'une robe blanche" (Marc 16, 5) Et si nous cherchions à comprendre le symbolisme de cette double figure déterminée par la nudité et le vêtement blanc ?

Nous avons donc le cadre d'une longue séquence qui fait passer Jésus de l'état de prisonnier voué à la souffrance et à la mort à celui de "ressuscité", de libéré. Lors de l'arrestation, le jeune homme a une réaction de peur, tandis qu'au tombeau, il dit aux femmes : "Ne vous effrayez pas". Nous avons donc une double symbolique, celle de l'abandon et de la mort par la nudité, et celle de la vie et donc de la résurrection par le vêtement blanc. Cette symbolique, lutte des forces du mal et de la mort contre les forces du bien et de la vie, permet à Marc d'expliciter son récit de la passion-résurrection et de guider son lecteur vers une juste interprétation. Car c'est avant tout de cela qu'il s'agit : ne pas s'égarer dans le seul récit anecdotique, mais comprendre les enjeux de ce qui se passe. Nous ne sommes pas un simple lecteur, nous sommes les témoins de ces faits. Un guide d'abord mystérieux et énigmatique nous est fourni, qui nous conduira à l'ultime vérité de la conclusion : "C'est Jésus le Nazaréen que vous cherchez, le Crucifié : il est ressuscité" (Marc 16, 6)

2 - Le fait de la résurrection de Jésus, annoncée par le jeune homme à la dernière ligne du livre, est, en réalité, la clé de tout le récit, depuis les premières lignes. Relisons les récits de guérisons : le vocabulaire utilise les termes de "faire se lever" (la belle-mère de Pierre), "Lève-toi", et "il se leva" (le paralysé), "se levant (Lévi). A un lecteur grec du temps de Marc, habitué aux formules utilisées pour dire la résurrection de Jésus, il était relativement facile d'entendre dès ce début du récit l'évocation de cette résurrection. Ainsi Marc fait-il résonner son évangile, rédigé naturellement après l'événement, de la vérité fondamentale et originelle de la Résurrection.

3 - Enfin, le titre même de l'ouvrage doit en quelque sorte élargir l'intelligence en invitant à dépasser dès le départ le simple souci historique et anecdotique pour faire entrer dans la dynamique d'une connaissance et d'une expérience.

Dès le début du récit, Jésus se met en place de juge. C'est pour cela qu'il commence par interdire ax démons ou esprits impurs de le nommer. Qui est Jésus ? Lorsque Pierre lui répond : "Tu es le Christ", Jésus demande également à ses disciples de ne pas en parler. C'est pourquoi beaucoup de commentateurs parle d'un "secret messianique" caractéristique de l'évangile de Marc. Mais si l'on reprend les premiers mots de cet ouvrage : "Commencement de l'évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu", on voit que justement les titres définitifs de Jésus sont donnés d'entrée. Par un souci de pédagogie, Jésus interdit qu'on les proclame trop tôt. Ce n'est que progressivement, en effet, grâce à son enseignement, ses faits et gestes, et surtout sa passion et sa résurrection, que Jésus se révèle en plénitude. D'abord Jésus de Nazareth, "le charpentier, fils de Marie" (6, 3), puis le "Fils bien-aimé" (au baptême et à la transfiguration), puis le Christ (dans la bouche de Pierre), enfin, le "Fils de Dieu" reconnu comme tel par le centurion au moment de sa mort (15, 39).

Tout sera dit alors de Jésus, du programme annoncé dans le titre. L'évangile pourra se terminer sur la peur des femmes avant qu'une seconde conclusion ne rassure les incertains. Mais tout avait été révélé dès le début comme au long du texte même, du baptême par Jean à la reconnaissance du centurion, c'est-à-dire dès le "Commencement de la Bonne Nouvelle".

 FIN

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