THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

 

            

       Cette année 2013 : 
 

 MARIE

 

11e séquence :  Maximalisme ou minimalisme

   (NOVEMBRE 2013)

 

1950 : est-ce une apogée de la dévotion mariale. Assiste-t-on depuis à un développement maximaliste de la piété et de la doctrine ? Ou au contraire, peut-on considérer que le concile Vatican II  a eu pour effet de favoriser un certain minimalisme dans ce domaine ? Voici quelques éléments de réponse.

 

I - LES TENDANCES MAXIMALISTES.

A - Divinisation de Marie ?

Elles ne sont pas d'aujourd'hui. Elle datent particulièrement du début des temps modernes. Il faut lire, par exemple, saint Grignion de Montfort. Bien que déclarant que "Dieu n'a pas eu ni n'a pas encore absolument besoin de la Très sainte Vierge pour l'accomplissement de ses volontés et pour la manifestation de sa gloire", il s'empresse de reprendre l'adage de saint Bernard : "De Maria nunquam satis" (sur Marie on n'en dira jamais assez) Ainsi, il désigne Marie comme "Médiatrice auprès du Christ Médiateur.". En outre il suggère un lien étroit entre Marie et l'Esprit Saint : "Dieu le Saint Esprit étant stérile en Dieu, c'est-à-dire ne produisant pas d'autre personne divine, est devenu fécond par Marie qu'il a épousée. C'est avec elle et en elle et d'elle qu'il a produit son chef-d'œuvre, qui est un Dieu fait homme."  Déduction logique de l'expression théologique : le Père et le Fils font "procéder" l'Esprit (ex Patre Filioque procedit), mais l'Esprit, lui, n'a aucune fécondité qu sein de la divinité. Par compensation, on met en lumière son rôle dans la conception de Jésus.

Saint Alphonse de Liguori précise que "toutes les grâces nous viennent par les mains de Marie." C'est lui également qui médite sur les "sept douleurs" et qui pense qu'il tient pour certain le fait que Marie n'a pas contracté le péché originel.

Maximilien Kolbe  est connu pour sa mort héroïque dans le camp d'Auschwitz. Il faut savoir qu'auparavant, il est considéré comme l'un des principaux chantres de la Vierge Marie au XXe siècle : diffusion  massive d'une revue intitulée "Le chevalier de l'Immaculée", installation de "cités mariales" en Pologne et ailleurs dans le monde. Mais s'il a beaucoup parlé, il a fort peu écrit. Ce ne sont donc que par des commentateurs que l'on peut se faire une idée de la doctrine mariale de l'auteur. Il médite la déclaration de la vierge de Lourdes : "Je suis l'Immaculée Conception" en ces termes : "Qui est l'Esprit ? Il est le fruit de l'amour du Père et du Fils. Il est donc la Conception incréée, éternelle, le prototype de toute vie... L'Esprit est donc cette Conception très sainte, infiniment sainte, Immaculée." Dès lors, c'est un lien très intime qui nous est présenté entre ces deux figures: "La créature la plus totalement remplie de la divinité, c'est l'Immaculée, sans aucune tache de péché... De façon inexprimable, unie au Saint Esprit comme son épouse, mais dans un sens infiniment plus parfait que ce mot ne peut l'exprimer dans la création... On peut affirmer que l'Immaculée est, en un certain sens, l'incarnation de l'Esprit Saint." Il n'est donc pas loin d'identifier Marie et l'Esprit. "Le Saint Esprit est dans l'Immaculée à la manière, pourrait-on dire, dont la deuxième personne de la Sainte Trinité, le Verbe, est en son humanité."

Leonardo Boff (né en 1938) est l'un des principaux théologiens de la libération en Amérique latine. Dans un livre (non traduit en français) intitulé "Le visage maternel de Dieu", il explique "Nous soutenons l'hypothèse selon laquelle la Vierge Marie, Mère de Dieu et des hommes, réalise le féminin de façon absolue et eschatologique, parce que l'Esprit Saint fait d'elle son temple, son sanctuaire et son tabernacle d'une manière si réelle et si véritable qu'elle doit être considérée comme unie hypostatiquement à la troisième Personne de la sainte Trinité." En somme, de même que le Verbe, uni hypostatiquement à l'homme Jésus, divinise en lui le masculin, de même l'Esprit Saint divinise le féminin en Marie.

Dans une telle perspective, on aboutit à une véritable divinisation de Marie, comprise comme "incarnation du Saint Titre au même titre que le Christ est l'incarnation du Verbe !

B - Appel à une nouvelle définition dogmatique.

On l'a remarqué depuis quelques années dans certains milieux catholiques. IL s'agirait de proclamer Marie "avocate", "médiatrice de toute grâce" et "corédemptrice". Il s'agirait de faire de Marie, comme du Christ, l'avocat des homme auprès de Dieu, et, comme du Christ, une médiatrice entre Dieu et les hommes. Plus fort encore, Marie serait comme le Christ "rédemptrice", participant personnellement à la rédemption des hommes.

Reprenant la réflexion d'un auteur du VIIIe siècle, Maximilien Kolbe écrit : "Jésus Christ est l'unique Médiateur entre Dieu et l'humanité ; l'Immaculée est l'unique Médiatrice entre Jésus et l'humanité."

Pie XI, en 1922, créa trois commissions chargées d'examiner  la possibilité d'une définition dogmatique en ce qui concerne la "médiation" de Marie. Pie XII envisagea un nouveau concile qui en discuterait. Mais il jugea prématurée une décision sur cette question, jugeant plus sage de s'en tenir à la définition dogmatique de l'Assomption. Lorsque commença la préparation du Concile Vatican II, une pétition signée par près de 400 évêques demanda que l'on étudie la possibilité de définir dogmatiquement la "médiation universelle" de Marie. Une autre pétition, qui ne recueillit que 50 suffrages, plaidait pour une définition de la corédemption. Mais le concile n'a pas encouragé ces mouvements, bien au contraire. Ils semblaient donc destinés à s'éteindre. Mais tout devait ressurgir, dans le contexte de la préparation du "Grand Jubilé" de l'an 2000. Une nouvelle pétition finit par prendre consistance, le Saint Siège demandant officiellement au XIIe Congrès Mariologique de Czestochowa en 1995 de se prononcer à ce sujet. Une commission théologique fut désignée par le congrès pour examiner cette question. Sa réponse fut nettement négative. L'Académie pontificale mariale, commentant cette note, en proposa un avis tout aussi négatif. Les théologiens catholiques spécialistes des question mariales partagent le même sentiment : il serait inopportun, pour ne pas dire catastrophique à certains égards, de procéder à une nouvelle définition dogmatique.

II - UNE REGULATION AVEC VATICAN II

Le concile Vatican II (1962-1965) a marqué un sérieux coup d'arrêt au développement maximaliste de la mariologie C'est peut-être provisoire, mais un certain nombre de rééquilibrages ont été alors impulsés. Nous allons les évoquer.

A - L'absence de texte spécifique sur Marie

La bataille fut rude, mais à la fin, on décida de ne pas rédiger de texte spécifique sur Marie. Simplement, on en intégra un dans le document sur l'Eglise. Cette décision fut votée par une très faible majorité de 1 114 voix contre 1 074. L'enjeu d'un tel débat était considérable : consacrer à Marie un document propre, c'était confirmer la tendance maximaliste et refuser de faire de la mariologie un domaine autonome, sans relations avec les autres secteurs du dogme. Au contraire, insérer ce développement dans le document  concernant l'Eglise, c'était resituer  la Mère de Jésus au sein du peuple des croyants. Cette décision peut donc être considérée comme une victoire du courant minimaliste.

B - La théologie de "Lumen Gentium"

C'est le chapitre 8 de la décision conciliaire Lumen Gentium qui présente de façon systématique l'enseignement du Concile à ce sujet. Le texte insère Marie dans le peuple des croyants. Et dans le même temps, il la rattache avec la même insistance au Christ.

S'appuyant sur saint Ambroise, le document conciliaire va assez loin dans le rapprochement entre Marie et l'Eglise. Comme Marie, "l'Eglise devient mère en recevant dans la foi la parole de Dieu ; comme elle, elle engendre par le baptême à une vie nouvelle et immortelle des fils conçus du Saint Esprit ; et elle aussi est vierge , car elle garde dans son intégrité et sa pureté la foi qu'elle a donnée à son Epoux : elle conserve virginalement dans la puissance de l'Esprit Saint une foi entière, une espérance ferme, une charité sincère."

Le texte va jusqu'à évoquer la coopération de Marie au salut, mais "de façon à ne rien  enlever, rien ajouter  à la dignité et à l'efficacité du Christ, unique médiateur." Marie est saluée comme un membre suréminent et absolument unique de l'Eglise.

C - Le titre de Marie "Mère de l'Eglise"

C'est de son propre chef que le pape Paul VI, lors de son discours de clôture de la 3e session du concile (21 novembre 1964) a conféré à Marie le titre de Mère de l'Eglise. Il déclare : "Nous avons cru opportun de consacrer dans cette séance publique un titre en l'honneur de la Vierge, titre qui nous est particulièrement cher  parce qu'il synthétise la place privilégiée reconnue par ce Concile à la Vierge Marie. C'est donc pour sa gloire et pour notre réconfort que nous proclamons la Très sainte Vierge Marie Mère de l'Eglise , c'est à dire de tout le peuple de Dieu, aussi bien des fidèles que de ses pasteurs, et que nous l'appelons Mère très aimante..." Ce titre est sans doute du à une prédilection particulière du pape, ce qui ne plaisait pas à tout le monde.

III - NOUVELLES ORIENTATIONS

Le concile Vatican II n'a pas pour autant tari la production théologie dans ce domaine. Au contraire ; des voies nouvelles se sont ouvertes. En voici deux exemples : la théologie de la libération et la théologie féministe.

A - La théologie de la libération.

Ce courant, né en 1960 et qui a connu son apogée vers 1980, se caractérise par une option résolue en faveur des pauvres et des opprimés, ainsi que par une dénonciation virulente des structures d'oppression, qu'elles soient politiques, économiques ou ecclésiales. Elle trouve ses modèles de référence dans la libération des Israélites esclaves en Egypte, sous la conduite de Moïse ainsi que dans la prédication du Royaume de Dieu par Jésus. D'où une attention privilégiée pour Marie, femme du peuple, proche des pauvres et des exclus. Ainsi le Magnificat est présenté comme l'un des textes du Nouveau Testament dont le contenu  politique et libérateur est le plus intense : "Il renverse les puissants de leur trône", chante Marie. Elle est la porte-parole des contestataires de l'ordre établi.

B - La théologie féministe.

C'est en Amérique du Nord, et particulièrement aux USA, que se trouve le foyer le la théologie dite "féministe", qui s'efforce de lutter contre toute forme de discrimination entre hommes et femmes dans la société et dans l'Eglise , en réhabilitant l'image de la femme.

C'et donc cette fois comme femme que Marie est ici approchée, solidaire de toutes les femmes de l'humanité. Et si l'on respecte cette solidarité, la valorisation de cette figure ne peut que rejaillir positivement sur l'image sociale et ecclésiale de la femme. Mais théologie ambivalente, le théologien masculin ecclésiastique risquant de prolonger la dévalorisation de la femme, alors qu'une théologienne nous présentera Marie comme la femme maîtresse de son corps et de sa fécondité. Cette relecture féministe rejoint d'ailleurs la théologie de la libération, dès lors que l'on reconnaît l'oppression des femmes et la nécessité de leur réhabilitation. Dans cette perspective, certains auteurs appellent de leurs vœux une "mariologie de la libération".

(A suivre, début décembre)

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