THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

 

            

       Cette année 2013 : 
 

 MARIE

 

12e séquence :  Marie dans le dialogue œcuménique

   (DECEMBRE 2013)

 

Jusqu'au milieu du XXe siècle, la mariologie catholique s'est développée de manière autonome, sans tenir compte de la pensée des autres confessions chrétiennes. Il n'en est plus de même aujourd'hui . Dieu merci, le dialogue entre les diverses Eglises s'est développé, d'où une profonde réévaluation en ce domaine. Commençons par examiner la mariologie des confessions non catholiques.

 

I - MARIE DANS LA TRADITION ORTHODOXE

A - La plus mariale de toutes les liturgies.

C'est ce qu'affirme un théologien orthodoxe contemporain : "La liturgie byzantine est la plus mariale de toutes les liturgies." Il souligne l'omniprésence de la figure mariale dans toute la liturgie.

* Les fêtes mariales. Nous avions des fêtes communes entre Eglise d'Occident et Eglise d'Orient jusqu'au schisme de 1054. Depuis cette date, si la plupart de ces fêtes  sont demeurées célébrées dans les deux Eglises, des fêtes liturgiques d'importance secondaire ont été instaurées dans l'une ou l'autre des Eglises. Par exemple, l'Orient a valorisé la célébration de la "Protection" ou de "l'Intercession" de la Mère de Dieu. D'autres fêtes ont vu le jour autour de la vénération d'une icône, ou d'un événement intéressant une Eglise locale.

* L'hymnographie. Dans la liturgie byzantine, on remarque une très large prédominance des hymnes, alors qu'en Occident, on donne plus de place à la lecture de textes scripturaires. C'est sans doute parce que les offices monastiques y sont beaucoup plus longs. Et même les textes bibliques utilisés sont remodelés sous forme d'odes ou de tropaires allégoriques. De plus, on n'a pas hésité à puiser dans les textes apocryphes, pour donner de Marie un "portrait" extrêmement développé et circonstancié.

* L'iconographie. C'est à la fin du VIe siècle qu'on trouve la plus ancienne attestation d'une icone de Notre Dame la Sainte Mère de Dieu, Marie, portant Notre Seigneur Jésus Christ. D'ailleurs, la tradition byzantine s'interdit de représenter Marie sans le Christ. Survint alors la crise iconoclaste (726-843) Pour des raisons politiques aussi bien que religieuses, les empereurs de Constantinople, mais aussi bien des évêques, en vinrent à interdire toute image, toute statue, toute représentation du Christ, de sa mère ou des saints. Ce n'est qu'au bout d'un siècle, alors qu'un patrimoine de grande valeur avait disparu, qu'on put recommencer à peindre des icones. Loin de les considérer comme de simples image, on leur accorde un statut  quasi-sacramentel : l'icône rend visible le monde céleste, elle le "représente", au sens fort du terme : elle le rend présent. Dès lors, son usage liturgique comporte des gestes de vénération : prosternations, baisers, encensements...On trouve une icône spécifique pour chaque fête faisant intervenir Marie. Et le peintre ne se gêne pas pour faire intervenir - comme pour les hymnes - des textes apocryphes.

* Une "mariologie haute". Ce n'est pas  un portrait humain de Marie que dessinent  les divers éléments de la liturgie, mais un "portrait théologique". La toute-sainte, toujours-vierge Mère-de-Dieu, a suivi le Christ dans sa montée vers la sphère céleste. A un tel point qu'on en vient à s'adresser à ma Vierge en lui disant : "Très sainte Mère de Dieu, sauve-nous." N'est-ce qu'une outrance verbale ?

La résistance à la dogmatisation

* L'insistance sur le "dogme d'Ephèse".  L'orthodoxie, c'est "l'Eglise des sept Conciles". Aussi les auteurs orthodoxes ont tendance à valoriser l'aspect dogmatique de ces assemblées du premier millénaire. C'est ainsi qu'on rappelle que le concile d'Ephèse a non seulement condamné Nestorius, mais encore "défini le dogme de la Théotokos" (Marie mère de Dieu.)

* Des réactions unanimes, au contraire, se font jour dans l'orthodoxie contre la définition de l'Immaculée Conception par le pape Pie IX en 1854, et ce, d'une façon parfois virulente. C'est qu'il y a là tout d'abord un problème de fond, en raison de la divergence entre Latin et Orientaux sur le péché originel. Pour ces derniers, la sainteté de Marie ne saurait être considérée  comme une exemption du péché originel, mais comme une perfection de sainteté personnelle, rendant inopérante chez elle les défectuosités de la nature humaine. En outre, les orthodoxes n'ont jamais admis que le pape seul, en dehors de tout concile œcuménique, proclame "de foi" une définition dogmatique. Pour eux, le pape à lui seul n'est pas infaillible. . Enfin, comme le pensaient déjà les Pères des sept premiers conciles, on ne voit pas la nécessité de définir un dogme quand aucune urgence - des hérétiques par exemple - ne se fait sentir. L'affirmation qu'on trouve dans la liturgie remplace et dépasse même largement les énoncés dogmatiques, selon le vieil adage Lex orandi, lex credendi.

* Les réactions orthodoxes à la définition de 1950. Mêmes réactions en 1950 qu'en 1854. Mais cette fois il ne s'agit pas du fond de la question, mais sur sa forme.

II - LES AUTRES EGLISES ORIENTALES

Il s'agit d'Eglises séparées de l'Eglise "officielle" depuis les conciles d'Ephèse (431) et de Chalcédoine (451). D'une part l'Eglise "nestorienne" (notamment dans l'Est de la Syrie et en Inde) et des Eglise "monophysites" (coptes d'Egypte et d'Ethiopie, Eglise arménienne, Eglise syrienne occidentale ou "jacobite")

L'Eglise "nestorienne" n'a pas intégré dans son calendrier liturgique  les fêtes mariales de la "grande Eglise". Elle célèbre, le 26 décembre, la fête de la "congratulation de la Vierge", une fête de la Vierge Marie le deuxième vendredi après Noël et une fête de "notre Dame protectrice des semences le 15 mai. Pour cette Eglise, existe une certaine réticence envers une "mariologie haute" : le terme de "Mère de Dieu" n'existe pas dans sa liturgie. Par contre elle a signé une "Déclaration christologique commune" avec l'Eglise atholique le 11 novembre 1994.

Les Eglises "monophysites", séparées de la grande Eglise depuis le VIe siècle, ont cependant accueilli des fêtes mariales d'origine byzantine. Les coptes d'Egypte célèbrent deux fois par an  (9 mai et 21 septembre) la Nativité de la Vierge, ainsi que sa Présentation au temple, le 12 décembre, sa Dormition  le 26 janvier, et l'assomption de son corps le 22 août. Les Syriens "jacobites" n'évoquent la figure mariale qu'avec sobriété, mais les Syriens "catholiques" (unis à Rome) ont intégré des fêtes proprement catholiques comme;l'Immaculée Conception. L'Eglise arménienne célèbre la Nativité de Marie et sa Dormition, ainsi que sa Conception, considérée comme une fête secondaire. Restent les coptes d'Ethiopie qui sont les plus portés en ce qui concerne la dévotion à Marie. Surabondance de fêtes mariales et hymnographie pléthorique. Pour toutes Eglises dites monophysites, on constate une place suréminente de Marie dans l'assemblée des saints, à qui on confère des titres prestigieux.

III - MARIE DANS LES EGLISES DE LA REFORME

Critique des traditions.

* Une base exclusivement biblique. Sola scriptura : c'est la conviction des réformateurs. C'est uniquement dans l'Ecriture que l'on trouve la base de toute la pensée théologique. Mais ce n'est que progressivement que la Réforme fera disparaître des pratiques et des croyances non directement fondées sur la Bible. D'abord, bien sûr des éléments provenant d'écrits apocryphes, puis tout ce qui est lecture allégorique au détriment du sens littéral. C'est le souci fréquent chez Luther. Enfin, il s'agit de dépasser les traductions qui ne tiennent pas assez compte du texte original hébreu. Ainsi de la salutation de l'ange à Marie, traduite du texte grec (kékaritôménè) en latin "gratia plena" (pleine de grâce en français. Luther a recours à des passages  en hébreu du livre de Daniel et il propose de traduire par "Chère Marie, ou gracieuse Marie; gentille Marie, douce femme".

* La question du culte des saints. Pour la Réforme, le culte des saints - et en premier lieu de la Vierge Marie - est dangereux, parce qu'il menace l'unique médiation, celle de Jésus Christ. Il peut donc mener à une forme d'idolâtrie pure et simple. C'est Luther qui parle de "la prédication véritable, consolante, du bienheureux Evangile, que le funeste, l'infâme siège de Rome, depuis bel et bien quelques centaines d'années, a foulé aux pieds et, à sa place, a institué un culte et autres abominations... a fait tant et si bien que la chrétienté a perdu lamentablement cette source et cette fontaine véritable qu'elle a invoqué, à la place du Christ, sa mère Marie, qu'elle a recherché la grâce auprès d'elle, de telle sorte que seules sont restées en usage ces paroles : "Je te salue Marie pleine de grâce" et qu'on a oublié complètement ce texte, car il y est dit : "Tous, nous avons reçu de sa plénitude grâce sur grâce" (Jean 1. 16). Bien plus on n'en est pas resté là. Chacun s'est choisi un saint particulier, quelqu'un qui l'aiderait à sortir de sa détresse, celui-ci saint Georges, celui-là saint Christophe, le troisième saint François... alors que pourtant l'Ecriture dit clairement qu'il n'y a qu' "un seul Dieu et qu'un seul médiateur" entre Dieu et l'homme, à savoir cet "homme Jésus-Christ".

* Jésus-Christ unique médiateur. C'est l'essentiel de la foi des Réformés. Or, le titre de "Marie Médiatrice" était apparu très tôt dans el monde latin. Calvin pense que c'est sans doute parce que les chrétiens ont imaginé un Christ "trop rigoureux". En cela, ajoute-t-il, "ils font grand déshonneur à Christ et le dépouillent du titre de seul Médiateur." Il faut reconnaître qu'à cette époque-là, dans l'Eglise, au Christ revient l'attribut de justice et à sa mère, celui de miséricorde.

Une "mariologie basse".

* la Mère de Jésus. Pour la Réforme, Marie est tout entière "ordonnée" à son fils. C'est ce qui explique leur insistance sur son titre de Mère. Primauté de la fonction sur la personne. C'est que Luther souligne fortement. De même Calvin, qui insiste sur la divino-humanité du fils de Marie, n'accepte pas pour Marie le titre de "mère de Dieu"

* Marie la croyante. C'est essentiellement dans son commentaire du Magnificat que Luther développe ses considérations sur Marie. Et, outre le titre de Mère, il lui décerne encore celui cde croyante, faisant celle, en quelque sorte, la béatitude proférée par Elisabeth : "Bienheureuse celle qui a cru que s'accomplirait ce qui lui a été dit de la part du Seigneur." On reconnait là, bien sûr, son insistance sur la foi au détriment des œuvres. Tout au long de son traité retentit cette affirmation fondamentale : la seule grandeur de Marie lui vient de la grâce divine à laquelle adhère avec une foi entière. Par contraste cette foi de Marie révèle la pauvreté de la nôtre.

Cette insistance sur la foi de Marie demeure l'un des axes du discours protestant d'aujourd'hui à son sujet.

FIN

    Retour au sommaire