THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

            

       Cette année 2013 : 
 

 MARIE

 

8e séquence : L'Immaculée Conception (1)
 

(Août 2013)

 

C'est en 1854 que le pape Pie IX a défini solennellement le dogme de l'Immaculée Conception. Selon ce dogme, Marie a été préservée de toute trace du péché originel dès l'instant de sa conception. Cette définition est, à bien des égards, une innovation. Le pape, indépendamment de toute assemblée conciliaire, promeut une définition dogmatique. Pendant plus de quinze siècles, les théologiens avaient émis des opinions contradictoires sur la question : il n'y a aucune trace dans la Bible, qui puisse fonder une telle proposition. Dans une première partie, nous allons donc relater les opinions opposées des théologiens. Ensuite seulement, je vous présenterai en détail la bulle qui définit ce dogme comme étant "de foi universelle".
 

I - UNE PRÉHISTOIRE TOURMENTEE

1 - Des doutes et de l'incrédulité.

C'est presque unanimement que les auteurs chrétiens du IIe au Ve siècle soulignent des moments de doute et d'incrédulité dans la vie de Marie. Certains même vont jusqu'à l'accuser d'orgueil.  Voici quelques citations.

Saint Ephrem : aux noces de Cana, l'empressement de Marie a été excessif ; c'est pourquoi Jésus lui fit la leçon. Marie avait pensé qu'un miracle de son Fils lui vaudrait gloire et honneur auprès des foules. C'est pourquoi il dit : "Mon temps n'est pas survenu." Jésus n'a pas agi pour les raisons que Marie avait imaginées ; il a plutôt voulu contrarier ses pensées... Aussi, après la résurrection l'empêcha-t-il de s'approcher à nouveau de lui parce que, dit-il depuis lors Jean est ton fils." (voilà une confusion d'Ephrem entre Marie de Magdala et Marie mère de Jésus)

Tertullien (à propos de la prédication interrompue) : "Les frères du Seigneur n'avaient pas cru en lui. Cela figure dans l'évangile. Pareillement, on n'y voit point que sa mère se soit jointe à lui, alors que Marthe et d'autres femmes du nom de Marie le fréquentaient assidûment. Dans ce passage, le manque de foi de sa famille est manifeste... Mais autre chose encore : il y a dans sa mère qui se tient à l'écart d'image de la Synagogue, dans ses frères incrédules, une image des juifs. En leur personne, c'est Israël que se tenait aux portes.

Saint Hilaire de Poitiers fait la même remarque, qu'il appuie avec l'extrait du prologue de l'évangile de saint Jean : "Il est venu chez les siens et les siens ne l'ont pas reconnu."

Saint Jean Chrysostome  : "Ce que Marie entreprenait là (en restant à la porte) était d'une ambition démesurée. Elle voulait en effet montrer au peuple qu'elle avait pouvoir et autorité sur son enfant, n'imaginant encore rien de grand à son sujet. C'est pourquoi elle est intervenue à contretemps."

Saint Basile : appartenant à l'humanité, Marie avait elle aussi besoin d'être sauvée par le Christ . Elle est née elle aussi dans le péché, "Jésus a été conçu par la Vierge qui a été préalablement purifiée par l'Esprit dans son âme et dans sa chair."

2 - Marie toute-sainte

Dans le monde grec apparaît une tout autre problématique. Dans les années 634-638, Sophrone de Jérusalem appelle Marie "la vierge toute pure et toute immaculée, élevée au-dessus des anges, supérieure à la création .  Plus tard , la dévotion mariale  explose dans le monde occidental, particulièrement au XIIe siècle. Marie est alors, comme en Orient, la toute-sainte. Mais cette réévaluation de la figure mariale va susciter une question inédite, du fait de l'expansion de la doctrine de saint Augustin du péché originel: si Marie est "toute sainte", qu'en est-il de sa participation à cette dette commune de l'humanité après le péché d'Adam ?

* C'est saint Augustin (354-430) qui est le créateur de la doctrine du péché originel. C'est d'ailleurs lui qui forge l'expression peccatum originale, qui n'a rien de biblique. Dans cette perspective, tout être humain vient au monde avec l'héritage du péché d'Adam, qui représente non seulement un péché personnel, mais la contamination de toute la nature humaine. D'où notre question : sur l'horizon d'une humanité radicalement infectée par ce péché d'Adam, comment Augustin considère-t-il le cas particulier de la Vierge Marie ? Sur ce point, Augustin est loin d'être clair ! Il semble bien qu'il ne veuille pas soustraire Marie à la condition commune de tous les mortels.

* La grande majorité de théologiens latins du Moyen Age, parlant de l'éminente sainteté de Marie, ne vont pas jusqu'à déclarer que Marie a été préservé du péché originel dès le moment de sa conception. Citons-en quelques-uns, parmi les plus illustres.
- Saint Anselme de Cantorbéry : c'est par sa mort sur la croix que Jésus a sauvé le monde. Mais ce salut est rétroactif. Marie en a donc bénéficié elle aussi. Mais à quel moment ? "Avant la naissance de Jésus ; c'est quand Marie fut pure elle-même qu'il a été conçu." (Anselme n'envisage pas cette purification de Marie dès le moment de sa propre conception.)
- Saint Bernard de Clairvaux. Vers 1140, il écrit aux chanoines de Lyon qui viennent de lancer une fête nouvelle : la fête de la Conception de Marie. Avec cette précision : la fête de la Conception immaculée. Pour saint Bernard, cette innovation est une erreur. Il écrit : "Même si à quelques uns des enfants des hommes (bien peu en fait) la sainteté a été accordée dès la naissance, ce n'est pas cependant lors de la conception. Ce privilège d'une conception sainte était réservé à celui-là seul qui devait sanctifier tous les autres, au seul qui, venant sans péché, allait opérer la purification des péchés. Aisi le Seigneur Jésus seul a été conçu du Saint Esprit, car seul il est saint dès avant sa conception. "

- Saint Bonaventure, répondant à la question : "Si l'âme de la bienheureuse Vierge a été sanctifiée avant d'avoir contracté le péché originel ?", écrit : "Que la sanctification de la bienheureuse Vierge se soit produite après qu'elle a contracté le péché originel, cela convient davantage à la piété fidèle, et l'autorité des saints s'y accorde mieux."

- Saint Thomas d'Aquin développe son argumentation sur ce sujet: "Ce qui n'est pas ne peut pas être sanctifié. Avant d'etre conçue dans le sein de sa mère, la bienheureuse Vierge Marie n'était pas. Donc elle n'a pas pu être sanctifiée avant sa conception. Mais - car il faut bien distinguer, à la question de savoir si Marie a été sanctifiée avant sa naissance du sein, saint Thomas répond : "l'Eglise solennise la naissance de la bienheureuse Vierge. C'est qu la Vierge était sainte à la naissance. C'est donc qu'elle a été sanctifiée avant de sortir du sein." Et il précise un peu plus loin : Cette sanctification consiste bien, dans le cas de Marie, en une purification totale du péché originel.

* Deux positions nettement pour l'Immaculée Conception.

- Endmer, le propre secrétaire de saint Anselme, prend nettement position lorsqu'il écrit : "On prétend que la Mère de Dieu  a été soumise au péché originel jusqu'au moment de l'Annonciation et qu'elle a été purifiée ensuite par sa foi en la parole de l'ange, selon le texte de l'Écriture : "la foi purifie les coeurs." Si la doctrine catholique l'enseigne, je 'y soumets ; mais des raisons supérieures me détournent de cette opinion. Car je l'ai déjà dit et je l'affirme de nouveau, la Mère du Seigneur est au-dessus de tous les êtres, à l'exception de Dieu ; elle est environnée d'une grâce  divine supérieure à celle des apôtres et de tout ce qui existe en dehors du Fils divin enfanté par elle."

- Duns Scot lu aussi s'est posé la question. IL se fait résolument le défenseur du "privilège". Il écrit : "Il apparaît tout d'abord que si la faute a été en Marie, elle a pu ne s'y trouver que pour un instant seulement.... jusqu'à un moment ultérieur comme il en va chez les petits enfants que l'on baptise. Il apparait troisièmement que la faute a pu ne jamais se trouver en elle..."

3 - Un revirement en faveur de l'Immaculée Conception

* Revirement des théologiens.

- Jean Gerson (1363-1429), chancelier de l'Université de Paris, dans un long sermon en la fête de l'Immaculée Conception, nous fait assister au conseil divin, dans lequel toutes les vertus décident de coopérer à la création de Marie : '"Et à bref dire tant ouvra Dieu et Nature avec les Vertus que cette Dame fut conçue et vivifiée tant au corps comme à l'âme sans que ce péché quelconque y ôsat approcher."

- On lit dans Clément Marot un rondeau De la Conception Nostre-Dame avec ce couplet :

"Nature, trop de fol désir outrée
Est en péché originel entrée
Et sans baptême nul homme n'en partit
Même jamais la Vierge n'en sortit,
Aussi jamais elle n'y fit entrée
Comme Nature."

- Erasme, dans l'Éloge de la folie, ironise sur les théologiens  qui philosophent à perte de vue sur la question : "N'en doutons pas, les réponses des Apôtres eussent été beaucoup moins subtiles que leurs dissertations et définitions. Ils connaissent la Mère de Jésus, mais qui d'entre eux a démontré son exemption de la souillure d'Adam  aussi philosophiquement que l'ont fait nos théologiens ?"

* Décisions conciliaires

- Le concile de Bâle. Plus exactement les conciles successifs de Constance, Bâle et Ferrare, de 1414 à 1443. Le concile est marqué, particulièrement à Bâle, par une forte hostilité entre les père conciliaires et le pape Eugène IV : pour les pères, le concile est supérieur au pape. D'où conflit. Si bien que le pape  fait transférer le concile à Ferrare, puis à Florence, ce qui aura pour effet d'invalider les décisions prises ultérieurement à Bâle, une bonne partie des Pères conciliaires ayant refusé le transfert. Or c'est précisément à Bâle, en septembre 1439, que le concile promulgue une définition solennelle... de l'Immaculée Conception.

- Le concile de Trente, quand à lui, est amené à traiter de la question du péché originel. En finale du décret sur la question, il précise : " Il n'est pas dans notre intention de comprendre dans ce  décret, où il est traité du péché originel, la bienheureuse et immaculée Vierge Marie, Mère de Dieu, mais que l'on doit observer les constitutions du pape Sixte IV, d'heureuse mémoire."  Que sont donc ces constitutions ? La première, d'ordre liturgique, encourage l'adoption de l'office pour la fête du 8 décembre? La seconde condamne l'option selon laquelle la position en faveur de la conception immaculée de Marie serait "hérétique", tout en précisant que, le problème n'étant pas  tranché, la position inverse (contre la conception immaculée) ne l'est pas davantage. Il semble qu'à l'époque, le ton des discussions ait frisé celui de la rixe ou du pugilat.

Le mois prochain : la définition de 1854

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