THÉOLOGIE "POUR LES

 

 NULS"

 

            

       Cette année 2013 : 
 

 MARIE

 

9e séquence : L'Immaculée Conception (2)

( Septembre 2013 )

 

C'est le 8 décembre 1854 que le pape Pie IX promulgue le bulle Ineffabilis Deus par laquelle il définit le dogme de l'Immaculée Conception. Il vaut la peine d'examiner de près ce document.

(Vous trouverez le texte intégral de cette bulle en ouvrant, sur Google, une page intitulée La bulle Ineffabilis Deus)

 

Le plan

Contrairement au plan utilisé habituellement pour de tels documents, où l'on part de l'antiquité (les textes bibliques), pour remonter jusqu'à l'époque contemporaine, la bulle Ineffabilis Deus commence par évoquer l'époque récente (prises de positions pontificales, décisions liturgiques) pour remonter au Moyen Age, puis aux Pères de l'Église et enfin à la Bible. Ici, ce n'est pas l'Écriture qui "commande" le développement , mais bien le consensus récent, attesté notamment par la position du Magistère. Voilà une manière de faire totalement nouvelle dans la tradition de l'Église !

Commentaire détaillé.

* Dès le préambule se font jour deux thèmes bibliques : celui de la faute d'Adam rachetée par le nouvel Adam (ce que suggère l'image de Marie nouvelle Ève), et celui de la Sagesse divine, que le texte approprie au Christ en y englobant en quelque sorte sa mère. Puis on annonce le plan du document , mais "à l'envers", en affirmant que le privilège de Marie figure dans "le dépôt de la céleste révélation" (l'Écriture), que la croyance en a été "admise dès les temps les plus anciens" (la tradition), "profondément imprimée dans l'âme des fidèles" (le consensus ecclésial), "admirable propagée par les soins et le zèle des sacrés Pontifes" (les papes) et proposée "au culte et à la vénération des fidèles (la liturgie).

* Le rôle des papes et de la liturgie.
Cette section affirme que "nos Prédécesseurs" ont tout ensemble institué la célébration liturgique de l'Immaculée Conception, et appuyé la théologie correspondante. Ce qui semble un peu rapide : le lecteur du texte peut avoir l'impression que tous les prédécesseurs de Pie IX ont partagé les mêmes convictions sur ce point. En réalité, on ne mentionne que quelques papes qui effectivement ont promu la fête liturgique de l'Immaculée Conception, sans donner de développement théologique justifiant cette définition et sa pratique liturgique. Historiquement parlant, il semble bien que c'est durant leur séjour en Avignon que les pontifes romains ont adopté la célébration de l'Immaculée Conception de Marie. Mais auparavant, il y avait eu déjà d'autres initiatives liturgiques, comme celle des chanoines de Lyon au XIIe siècle. Par conséquent, il ne faudrait pas croire que les papes ont été - comme le suggère le texte de la bulle - les seuls artisans de la liturgie de cette fête.

* L'aspect dogmatique.
On en vient à l'aspect dogmatique. Mention est faite des ordres religieux et des évêques qui ont commencé le travail dogmatique, puis on souligne la position du Concile de Trente. Celui-ci, nous l'avons vu, n'a pas voulu se prononcer de manière officielle ; la bulle, elle, interprète cette restriction comme si c'était une affirmation de la foi en la conception immaculée de Marie. Par contre, il n'est pas fait mention de la déclaration du concile de Bâle en faveur de l'Immaculée Conception de Marie, sans doute parce que ce concile était réputé schismatique.  Enfin, on peut noter une certaine contradiction entre l'affirmation  maintes fois répétée  d'un consensus à peu près total , depuis les origines de l'Église, au sujet de l'Immaculée Conception  et l'idée qui intervient dans ce texte d'un développement, d'une croissance d'éléments doctrinaux qui n'étaient auparavant qu' "à l'état de semence"

* Le consensus des Père au sujet de l'Écriture.
C'est à travers l'interprétation des "Pères" et des "Docteurs" qu'apparaissent les arguments scripturaires. Sans citer de noms et sans préciser quelles références, on déclare qu'unanimement les Pères (et les Docteurs) ont compris les versets de l'Écriture dans un sens favorable à l'Immaculée Conception de Marie. Ce qui est assez étonnant quand on examine de près les textes cités :

° Genèse 3.15
Première preuve  avancée : dans le récit de la faute originelle, Dieu dit au serpent : "Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ton lignage et son lignage : elle te brisera la tête mais toi tu lui briseras le talon." Le sens du mot hébreu traduit par briser est incertain : certains traduisent par guetter, d'autres par meurtrir. La Vulgate a traduit une fois par broyer et une autre fois par épier, ce qui estompe la menace du serpent sur le talon du "lignage". Dans la bulle, il est dit que "les Pères et les Docteurs ont enseigné que  non seulement ce verset annonce Jésus Christ, mais que sa bienheureuse Mère la Vierge Marie s'y trouve également désignée." Or on a beau chercher, on ne trouve aucun texte patristique qui opère une lecture "mariale" de ce verset. Les Pères grecs, suivant en cela saint Irénée, ont vu en ces mots la prédiction de la victoire du Christ sur les forces du mal : Jésus est "le descendant" de la femme dont il est ici question. Ce n'est qu'au IXe siècle qu'on verra apparaître une lecture "mariale" de ce verset. Et c'est surtout avec saint Bernard, au XIIe siècle, qu'on verra Marie comme "la femme" dont parle le verset de la Genèse. N'oublions pas cependant que saint Bernard est opposé à la croyance en l'Immaculée Conception.

° Exemples bibliques.
Il s'agit des "figures" bibliques que des auteurs - surtout à partir du Xe siècle - vont appliquer à Marie. Elle est, écriront-ils, le buisson ardent, l'échelle de Jacob, le Saint des saints, l'arche de Noé, le jardin fermé,  la maison de Dieu, la colombe, et tant d'autres versets du Cantique des cantiques qui seront appliquée à la Vierge.

° Luc 1.28
C'est avec Origène que s'éveille chez les lecteurs chrétiens un intérêt particulier pour le mot employé par l'ange dans sa salutation à Marie, au jour  de l'Annonciation : le mot grec kekaritômenè (pleine de grâce). Origène commente : "Où aurais-je pu lire cela ailleurs dans l'Écriture ? Je ne m'en souviens pas. Jamais cette formule ne fut adressée à un homme. A Marie seule cette salutation était réservée."
Le texte de la bulle semble vouloir faire écho à ce passage d'Origène, mais elle en dit beaucoup plus : "la mère de Dieu a été ornée de tous les dons du divin Esprit." On fait dire au texte original beaucoup plus qu'il n'en veut dire.

° Deuxième série d'exemple bibliques.
Ici on privilégie les thèmes de la pureté, de l'innocence, de la sainteté de Marie. Essentiellement chez saint Augustin qui n'a jamais tenu pour sa part une position "immaculiste". Il en est de même des auteurs du haut Moyen Age ainsi que du pseudo-Ildefonse de Tolède.

° La sainteté suréminente de Marie.
Une première allusion  vient d'un passage de l'Homélie sur la Nativité de Marie de Jean Damascène. Mais si cet auteur y évoque l'aspect miraculeux de la conception de la Mère de Dieu, il s'agit de la guérison miraculeuse de la stérilité d'Anne, et en aucune façon de l'Immaculée Conception. On a, dans ce passage de la Bulle papale, des hyperboles assez bizarres. Que peut-on vouloir dire en déclarant Marie "plus sainte que la sainteté" ?

° Le "consensus Ecclesiae"
On pense à l'adage de Vincent de Lérins : il ne faut reconnaître, comme appartenant à la doctrine chrétienne que ce qui a été cru "toujours, partout et par tous."
Au moment où le dogme de l'Immaculée Conception a été proclamé, au milieu du XIXe siècle, un tel consensus ne fait aucun doute. Seuls quelques rares évêques consultés ont émis des réserves. L'immense majorité du monde catholique croit à l'Immaculée Conception de Marie.  Mais on ne peut pas dire que cette foi a toujours été celle de toute l'Église au cours des âges. On l'a vu dans nos séquences précédentes : le consensus des  Pères de l'Église n'a jamais existé.

La définition elle-même, qui précise que "Marie a été, dans le premier instant de sa Conception par une grâce singulière de Dieu et par privilège, en vue des mérites de Jésus-Christ sauveur du genre humain, préservée de toute souillure du péché originel " s'accompagne non seulement d'actions de grâce et de prières diverses, mais aussi de la mention des châtiments encourus par d'éventuels contestataires.

Note - Le lien entre l'Immaculée Conception et l'infaillibilité pontificale.

Au terme d'une longue évolution, le pape, va définir en 1870 le dogme de l'infaillibilité pontificale. C'est la conclusion d'une montée en puissance progressive du siège de Rome depuis le Ve siècle et surtout depuis Grégoire VII au XIe siècle. Tout est basé sur les "versets pétriniens" des Évangiles qui mettent Pierre en avant au sein du collège des Apôtres, notamment Luc 22.31, Jean 20. 22-23 et surtout Matthieu 16.18. Dès le haut Moyen Age, on pense qu'ils s'appliquent au pape de Rome, "successeur de Pierre".

Le Concile de Vatican I va définir ce dogme selon lequel "le pontife romain, quand il parle ex cathedra, c'est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en fonction de sa suprême autorité apostolique, qu'une doctrine en matière de foi ou de morale doit être tenue par toute l'Église, jouit en vertu de l'assistance divine qui lui a été promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que soit pourvue son Église lorsqu'elle définit la doctrine de la foi ou de la morale ; par conséquent ces définitions du pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l'Église."

Or, lorsque seize ans plus tôt, le pape définit le dogme de l'Immaculée Conception, il se réfère à l'Infaillibilité pontificale qui ne sera promulguée qu'en 1870. Il y aurait donc comme un caractère rétroactif  du dogme de 1870. On peut donc s'interroger sur la question de l'autorité susceptible de procéder à un développement du dogme. S'il s'agit, quand on parle de développement, d'une croissance, cela suppose que le dogme était "en germe" dans l'Écriture et la tradition. C'est Henri Newman,  un anglican converti au catholicisme et  devenu cardinal, qui a dès 1845 le plus explicité la question. Il cite un certain nombre de développements dogmatiques au cours de l'histoire : le canon des livres du Nouveau Testament, le péché originel, le baptême des enfants, la communion sous une seule espèce. Mais, ajoute-t-il, peut-on imaginer d'autres développements ? Oui, déclare-t-il, mais ce sera l'oeuvre d'une autorité infaillible. Le futur cardinal avait donc fait le lien entre les deux définitionnels qui allaient suivre dans les décennies suivantes : Immaculée Conception en 1854 et Infaillibilité Pontificale en 1870.

(A suivre début octobre)

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