THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

            

       Cette année 2013 : 
 

 MARIE

 

1ère séquence : Dans le Nouveau Testament

 

Une première constatation : Marie ne tient que peu de place dans le Nouveau Testament : on trouve son nom seulement dans sept des vingt-sept livres, soit 22,22% de ces livres. Plus précisément, on trouve mention de Marie seulement dans quatorze chapitres, sur deux cent soixante, soit 5,38%. Et si on compte les versets, pour avoir une statistique encore plus précise, sur les 7961 versets que comporte le  Nouveau Testament , seulement 116 parlent de Marie, ce qui représente 1,45% de l'ensemble. C'est d'abord à partir de ces textes que nous allons essayer d'élaborer une image de Marie.

I - DANS LES TEXTES

I - 1  Les évangiles de l'enfance.

On appelle ainsi les deux premiers chapitres de Matthieu et les deux premiers chapitres de Luc. Ils sont rédigés dans un style littéraire particulier, propre à la littérature juive de l'époque. C'est dans ces quatre chapitres qu'on trouve le plus grand nombre de mentions consacrées à Marie (particulièrement dans Luc) et c'est seulement là qu'il est fait mention de la conception virginale de Jésus.

Entre les chapitres de Matthieu et ceux de Luc, on remarque un certain nombre de convergences, mais beaucoup plus de divergences. Dans Matthieu, c'est Joseph qui tient la place centrale, alors que Marie est au centre du récit de Luc.

Matthieu 1-2

Dans l'évangile de Matthieu, Marie n'est que figurante, pas actrice. Joseph est le personnage principal. Marie ne prend jamais la parole, et elle n'est citée qu'en relation avec Jésus. Matthieu parle de "l'enfant et sa mère", de "l'enfant avec sa mère". Mais rien sur la façon dont elle vit les événements auxquels elle se trouve mêlée : sa grossesse, la réaction de Joseph, les mages, la fuite en Egypte. Tout est raconté du point de vue de Joseph.

Lisez Matthieu 1, 18-25, passage où est révélé à Joseph, dans un songe, ce qui arrive à Marie, sa fiancée : elle est enceinte, et "ce qui est engendré en elle  est de l'Esprit saint". Vous le savez sans doute : à l'époque, le mariage, chez les Juifs, comporte deux étapes : d'abord un engagement réciproque, équivalent à des fiançailles, mais engagement sur lequel on ne revient pas ; puis la cohabitation, un intervalle d'un an séparant les deux étapes. C'est dans cet intervalle qu'est révélé à Joseph l'origine de la grossesse de Marie, et cela avec une grands discrétion. Discrétion d'autant plus grande qu'il s'agit surtout d'affirmer que Jésus est un descendant de David. Joseph "fils de David" confère à cet enfant "fils de personne" la prestigieuse appellation messianique.

Luc 1-2

Le texte de Luc se place, lui, "du point de vue de Marie". Nous avons là un véritable portrait  de Marie. En volume, dans ces deux chapitres, nous avons 73 versets qui mettent en scène la mère de Jésus, sur un total de 116 dans l'ensemble du Nouveau Testament.

Le dialogue avec l'ange

Lisez d'abord Luc 1, 26-38 qui nous rapporte l'Annonciation. Texte ultra connu, qui raconte la visite de l'ange Gabriel à Marie, l'annonce qu'il lui fait, l'interrogation de Marie et son "Oui" après que Gabriel l'eût éclairée. Et enfin l'ange qui annonce à Marie que sa cousine Elisabeth est enceinte depuis six mois.

Quelques questions importantes se posent à la lecture de ce texte. Et d'abord sur la signification exacte du mot utilisé par l'ange lorsqu'il salue Marie : "Salut, 'pleine de grâce', le Seigneur est avec toi." C'est ce "pleine de grâce", en latin "gratia plena", en grec (le texte original du Nouveau Testament) "kecharitômenè" qui est important Ce mot est difficile à traduire. Littéralement, il faudrait traduire par "graciée". Reconnaissez qu'il y a de la distance entre l'expression "pleine de grâce" et le mot originel "graciée" On trouve en français diverses traductions. "Pleine de grâce", d'abord, qui, pour certains, signifie que dès ce moment là, l'ange Gabriel révèle l'Immaculée Conception de Marie. Seulement voilà, le mot "grâce", en grec Charis, n'a pas cette signification théologique, du moins dans le langage courant. Si bien que certains ont traduit par "gracieuse", (par exemple Jean Grosjean dans l'édition de La Pléiade.) Et pourquoi pas "ma toute belle" ? Segond, lui, traduit par "toi à qui une grâce a été faite" La Bible Osty : "comblée de grâce" et la Bible en français courant : "Réjouis-toi : le Seigneur t'a accordé une grâce particulière."

Ne croyez pas que je sois en train de couper les cheveux en quatre : simplement, il faut bien s'entendre sur le mot grâce, et ne pas lui donner un sens trop "lourd". Ne pas lui donner trop vite une signification théologique. L'ange Gabriel, à mon sens, veut simplement dire à Marie qu'elle est "toute aimée de Dieu" (comme vous et moi). Aimée, comme vous et moi, d'un amour gratuit, mot qu'en emploie en français quand on parle d'un recours gracieux, dont la caractéristique essentielle est d'être gratuit, ou d'un président qui accorde sa grâce à un condamné.

Autre question : comment Marie, "promise en mariage", peut-elle déclarer qu'elle ne connaît pas d'homme ? Faut-il comprendre qu'elle a prononcé un voeu de virginité ? Et si oui, comment situer une telle décision sur l'horizon du judaïsme de l'époque qui n'a jamais été favorable au célibat ? On reviendra sur la question lorsqu'on étudiera les opinions des Pères de l'Eglise.

Le chant de la Servante

Nous en arrivons au Magnificat (Luc 1, 46-90). Sur le plan de l'exégèse, il a suscité essentiellement deux questions. D'abord, celle de sa parenté avec les hymnes de Qumran, qui recomposent eux aussi un matériau tiré de l'Ancien Testament. Dans le cas du Magnificat, lisez donc, pour voir leur parenté, le cantique d'Anne, mère du prophète Samuel, au livre de Samuel 2, 1-10. Certains spécialistes vont plus loin : ils pensent que ce cantique de Marie n'est pas à sa place, qu'il a peut-être été chanté par Elisabeth (à cause de ces mots : "il a jeté les yeux sur moi pour enlever mon opprobre parmi les hommes", ce qui est relatif à Elisabeth si longtemps méprisée parce que stérile.) Luc n'aurait-il pas déplacé sur la Mère du Messie un cantique prononcé par Elisabeth ? Ce qui me paraît tout de même un peu tiré par les cheveux.

La naissance de l'enfant

Nous en arrivons au récit de la naissance de l'enfant (Luc 2, 1-20) Selon Luc, la naissance à Bethléem se rattache à l'origine davidique de Joseph, puisque c'est à l'occasion du "recensement" que s'opère le déplacement du couple, depuis Nazareth jusqu'à Bethléem. On peut également relever l'expression "fils premier-né", une expression qui jouera un rôle certain lorsqu'on en viendra à discuter sur la virginité de Marie : Marie est-elle encore vierge "post partum" (après cet enfantement) ?

Enfin, Luc fait, je crois, de l'anticipation, lorsqu'il fait annoncer par les anges aux bergers : "Aujourd'hui il vous est né un sauveur, qui est le Christ Seigneur." Ces titres - Sauveur, Christ, Seigneur - ne seront utilisés qu'après la résurrection de Jésus ; on les trouve dans la bouche des apôtres, notamment de Pierre au jour de la Pentecôte : "Dieu l'a fait Seigneur et Christ, celui que vous avez crucifié." (Actes 2, 36), et en Actes 5, 31 : "C'est lui que Dieu a exalté par sa droite, le faisant Christ et Sauveur."

La circoncision et la présentation au Temple

Nous en arrivons à la circoncision et à la présentation au Temple. C'est dans ces versets 21 à 40 que Luc insiste le plus fortement sur l'enracinement juif de la famille de Jésus. Quatre fois on y fait référence à la Loi de Moïse. En outre, l'auteur mentionne la circoncision de Jésus, rite typiquement juif et méprisé par les non-juifs. Le rite de la présentation au Temple n'est pas une prescription aussi importante que celui de la circoncision. Dans l'Ancien Testament, on prévoit une purification de la femme accouchée (Lévitique 12, 1-8), mais pas nécessairement en présence de l'enfant ; et une consécration du fils premier-né (Exode 13, 1-2), mais sans visite au Temple. Quoi qu'il en soit, la judéité de Marie se trouve ici fortement mise en relief. C'est un élément qu'il ne nous faut pas oublier, nous chrétiens. Et voici le vieillard Syméon qui, tout d'abord, rend grâce pour avoir vu le Messie qu'il attendait depuis si longtemps, puis adresse une prophétie à Marie : une épée transpercera son âme. L'enfant sera objet de chute et de relèvement de beaucoup en Israël. A commencer, peut-être, dans l'esprit de Syméon, chez Marie qui connaîtra l'incertitude, voire le doute, au sujet de son fils.

Jésus retrouvé au Temple

Et voici Jésus qui a douze ans. Il vient en pèlerinage à Jérusalem avec ses parents. Comparez donc le récit de Luc 2, 41-50 à celui de la présentation au Temple de l'enfant Samuel (1 Samuel 1, 24-28). Plus importante, l'allusion nette,directe et précise à l'incompréhension qui naît entre Jésus et ses parents. A Marie qui lui reproche : "ton père et moi noue te cherchions", Jésus répond avec une certaine brusquerie : "Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il me faut être aux affaires de mon Père ?" Et Luc ajoute : "Mais eux ne comprirent pas la parole qu'il leur avait dite." Etonnant, à la réflexion, après tout ce que nous venons de lire, depuis l'annonce faite à Marie par l'ange et le récit de sa conception miraculeuse.

Marie gardait tout cela

Deux versets importants terminent les récits de l'enfance selon Luc. Verset 51 : "Il descendit avec eux pour aller à Nazareth ; il leur était soumis ; et sa mère gardait tous ces événements dans son coeur." Verset 52 : "Jésus progressait en sagesse et en taille, et en faveur auprès de Dieu et auprès des hommes." Luc éprouve le besoin de reprendre presque mots pour mots ce qu'il venait de dire au verset 19 du même chapitre : "Marie gardait avec soin toutes ces paroles, les rassemblant dans son coeur." Certains commentateurs voient dans ces quelques mots la confirmation d'une hypothèse formulée depuis les temps les plus reculés, selon laquelle Luc aurait fréquenté Marie dans les dernières années de sa vie et aurait ainsi recueilli ses "souvenirs" pour rédiger les premières pages de son évangile. Ce qui reste à démontrer.

(A suivre, début février)

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