THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

            

       Cette année 2013 : 
 

 MARIE

 

2e séquence : Dans le Nouveau Testament (suite)

 

1  - LES SYNOPTIQUES

 

* La prédication interrompue (Matthieu 12, 46-50 - Marc 3, 31-35 - Luc 8, 19-21)

 

Cet épisode commun aux trois évangiles synoptiques se retrouve également dans l'évangile apocryphe de Thomas. Marc, seul, fait précéder ce récit d'une remarque signalant que "les siens" se mettent à la recherche de Jésus, convaincus qu'il est "hors de sens. L'expression se trouve précisée par les mots "sa mère et ses frères", ce qui revient à dire que, selon cette version, Marie partageait la conviction familiale que Jésus avait perdu la raison.

Dans les trois synoptiques, on interrompt Jésus, en train d'enseigner da=ns une maison, pour lui faire savoir que sa famille se tient dehors et veut le rencontrer. Jésus déclare alors que ses vrais parents, ce sont ses disciples, "quiconque fait la volonté de mon Père".

Voilà une manière de valoriser le groupe des disciples au détriment du groupe familial, par une véritable rupture symbolique des liens de parenté. On peut songer à Jésus qui, retrouvé au temple par ses parents, oppose à son "père" (celui dont parle Marie) à son Père du ciel. L'Evangile tient à marquer la priorité de la communauté ecclésiale sur toute forme de lien biologique.

 

* La visite à Nazareth  (Matthieu 13, 53-58 - Marc 6, 1-6)

 

Ici, la mère de Jésus n'est évoquée que par allusions.  Notez cependant la diversité des désignations des parents de Jésus. Matthieu : "Celui-là n'est-il pas le fils du charpentier ? Sa mère ne s'appelle-t-elle pas Marie ?" - Marc : "Celui-là n'est-il pas le charpentier, le fils de Marie ?" - Luc 4, 22 : "N'est-il pas le fils de Joseph, celui-là ?" - Jean 6, 42 : "Celui-là n'est-il pas le fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ?"

La question apparait sous quatre formes différentes : ils nous rapportent les interrogations des habitants de Nazareth, et non la croyance des évangélistes.

 

* Le corps maternel (Luc 11, 27-28)

 

C'est seulement dans Luc ( et aussi dans l'évangile de Thomas) qu'on trouve cette curieuse parole de Jésus concernant le corps maternel. Rappelez-vous : "Et il arriva pendant qu'il disait cela qu'une femme éleva la voix hors de la foule et dit : Heureux le ventre qui t'a porté et les seins que tu as sucés ! Mais il dit : Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu et qui la gardent !" Ici encore, une parole de Jésus vise à dévaloriser  les liens familiaux 'ici le corps de Marie) au profit des liens spirituels qu'engendre la foi. Ces deux passages insistent donc sur la préférence accordée aux disciples sur la famille biologique.

 

2 - L'EVANGILE DE JEAN

 

Totalement à part, l'évangile de Jean évoque seulement deux fois, au début et à la fin, la "mère de Jésus", que d'ailleurs il ne nomme pas. Première mention : les noces de Cana. Deuxième mention : au pied de la croix. Deux épisodes dont il n'est pas fait mention dans les autres évangiles.

 

* Les noces de Cana (Jean 2, 1-12)

 

Ce récit comporte un certain nombre d'obscurités. La mère de Jésus est mentionnée en premier, comme si, par ordre de préséances, elle venait en premier. C'est elle qui signale le problème d'intendance ; c'est encore elle qui s'adresse avec autorité aux serviteurs, déléguant à Jésus cette autorité. S'agit-il d'un mariage dans sa propre famille ? On ignore jusqu'au bout l'identité des deux conjoints.

Mais c'est surtout le dialogue entre la mère et le fils qui retiendra notre attention, et notamment les trois éléments de la réponse de Jésus :
1 - "Qu'y a-t-il entre moi et toi ?" N'est-ce pas annuler tout lien entre eux ? Ou alors, faut-il traduire en langage vulgaire : "fiche-moi la paix" ?

     On trouve l'expression en  de nombreux passages de la Bible. Et même dans la bouche des démons (Marc 1, 24) comme chez des écrivains grecs comme Epictète.  La formule, très brutale, tend donc à contester le lien entre Jésus et sa mère.

2 - L'appellation de "femme" a elle aussi quelque chose de surprenant. Jésus utilise plusieurs fois cette appellation dans l'évangile de Jean (à la Samaritaine, à la femme adultère, à Marie de Magdala), il reste très étrange qu'il appelle ainsi sa propre mère : on ne connait aucun exemple équivalent dans la littérature biblique ou profane.

3 - "Mon heure n'est pas encore venue". Parole difficile à interpréter. Certains proposent d'y voir une interrogation : "Est-ce que mon heure n'est pas déjà  venue ?" Dans ce cas, Jésus éconduirait la demande de sa mère, sachant bien lui-même ce qu'il a à faire. Personnellement, je crois que Jésus, ici, fait référence à l'heure de son arrestation et de sa mort-résurrection, ce qui va être explicité dans le deuxième et dernier passage de l'évangile de Jean où il est question de "sa mère"

 

* Au pied de la croix (Jean 19, 25-27)

 

L'heure est arrivée. Jésus est en croix. Il va mourir. Seul l'évangile de Jean mentionne un certain nombre de personnes qui sont au pied de la croix : "Près de la croix de Jésus se tenaient debout sa mère, la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas et Marie de Magdala. Voyant ainsi sa mère et près d'elle le disciple qu'il aimait, Jésus dit à sa mère : "Femme, voici ton fils." Il dit ensuite au disciple : "Voici ta mère." Et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui."

Donc, une nouvelle fois, Jésus s'adresse à sa mère en lui disant "femme", ce qui rapproche ce passage du premier, aux noces de Cana. Mais ici, en s'effaçant, Jésus oblige sa mère à "adopter" le disciple comme son fils, et ce dernier à la prendre poir mère. C'est comme s'il y avait une disparition des liens familiaux au profit d'une "famille élargie". Voila qui rappelle les textes que nous avons trouvés dans les synoptiques ("qui est ma mère ? Qui sont mes frères ?" etc.

Question annexe : dans ce texte il est mentionné "la soeur de la mère" ( de Jésus), autrement dit sa tante. Or, à ma connaissance, ce personnage n'a jamais suscité la moindre curiosité ni le moindre intérêt dans la tradition chrétienne. Bien au contraire, on a toujours présenté Marie comme une enfant unique sans frère ni sœur. Cette tradition n'a aucun fondement dans les textes canoniques ; par contre cette tradition provient d'un texte apocryphe, le Protévangile de Jacques, qui seul nomme les parents de Marie, Anne et Joachim, eux-mêmes longtemps stériles et âgés

Peu importe ! L'important dans l'évangile de Jean, c'est le lien entre les deux textes qui nous parlent de la "mère" de Jésus. Deux textes qui, encadrant tout le récit, ont une signification parlante, puisque tous deux sont reliés par l'idée de "l'heure" de Jésus. Il s'agit bien évidemment de l'heure de sa Passion-Résurrection. De manière très significative, l'auteur tient à lier la mère de Jésus au don d'amour que son fils fait sur la croix : le don de sa vie. Un don qui change tout.

 

3 - DANS LES ACTES DES APOTRES

 

Après avoir mentionné les noms des onze apôtres (Judas ayant fait défection), le livre des Actes continue (1, 14) : "Tous, ils persévéraient d'un même coeur dans la prière, avec des femmes, et Marie la Mère de Jésus, et ses frères."

Nous sommes ici entre l'Ascension et la Pentecôte, et c'est la dernière fois que Luc mentionne Marie. Il est intéressant de faire le rapprochement entre les 2ctes et le texte de l'évangile de Jean : il y a comme une harmonisation entre le groupe des disciples et le groupe familial, tout comme si le premier avait "pris chez lui" le second. Il y a d'ailleurs un certain nombre d'accords entre Luc et Jean au sujet de la Mère de Jésus.

 

Mentionnons, pour terminer ce parcours à travers le Nouveau Testament, deux textes :


* Galates 4, 4 : "Quand est venue la plénitude des temps, Dieu a envoyé son fils, né d'une femme, né sous la Loi" Et Paul ajoute : "C'était pour racheter ceux qui sont sous la Loi, pour que nous recevions le statut de fils." A mes yeux, Paul veut souligner l'origine juive de Jésus, tout simplement.

 

* Apocalypse 12 où il est question d'une femme combattue par le dragon et mettant au monde un enfant mâle. Il ne s'agit pas, sans doute, de Marie, mais plutôt de la communauté d'Israël  persécutée par le pouvoir païen et mettant au monde le Messie. Ou encore, dans l'interprétation chrétienne, il s'agit de l'Eglise.

 

4 - COMMENT INTERPRETER LA RELATION ENTRE JESUS ET SA MERE.

 

Vous l'avez certainement remarqué - et c'est assez surprenant : on ne peut trouver dans les évangiles aucun propos "positif" de Jésus sur sa mère, que ce soit directement ou indirectement, soit qu'il lui parle à elle, soit qu'il parle d'elle. Toujours il la rabroue et la dévalorise, généralement au profit d'autres "relations", spirituelles celles-là, avec son Père céleste ou avec ses disciples. Il nous faut donc nous interroger.

 

° L'interprétation traditionnelle. En fait, la figure de Marie a crû en importance et en prestige au fil des âges, sur la base des évangiles de l'enfance, en particulier de celui de Luc (1-2) Marie nous apparait comme un personnage hors du commun : l'ange Gabriel lui apparaît ; il l'appelle "graciée", gracieuse, pleine de grâce ; il lui annonce qu'elle va enfanter le Messie, fils de David ; cette naissance elle-même aura un caractère miraculeux, la venue de l'Esprit Saint sur elle laissant intacte sa virginité : autant de privilèges qui élèvent Marie au-dessus du destin humain ordinaire.

Donc nous voici en présence d'une extraordinaire discordance entre ces récits de l'enfance et le reste des évangiles. D'où la nécessité de recourir à une lecture plus approfondie des textes. Par exemple lorsqu'une femme s'écrie : "Heureux le ventre qui t'a porté et les seins que tu as sucés", Jésus réplique : "Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu et qui la gardent !" Pour lui, ce qui fait la grandeur de sa mère c'est justement cela : écouter la Parole et la garder. Elisabeth déjà avait dit à Marie : "Bienheureuse celle qui a cru que s'accomplirait ce qui lui a été dit de la part du Seigneur."

 

° Une hypothèse exégétique.

Des exégètes contemporains partent d'un fait historique : la tension, dans l'Eglise primitive, entre chrétiens d'origine juive et chrétiens venant du paganisme. Un certain nombre de textes du Nouveau Testament en font mention. Cette tension se révéla en premier lieu à propos de pratiques obligatoires chez les Juifs, notamment en matière alimentaire, pratique dont furent bientôt dispensés le chrétiens d'origine païenne. L'une de ces tensions concernait la célébration de l'Eucharistie.

Dans cette perspective, on peut se demander, disent ces exégètes, si le groupe familial de Jésus ne représente pas l'élément judéo-chrétien, alors que le groupe de ceux qui sont désignés sous le nom de "disciples" constitue la racine de l'élément pagano-chrétien. Notons en effet que la mère de Jésus apparaît souvent parmi ses "frères". (On reparlera une autre fois de cette appellation "les frères de Jésus") Ne sommes-nous pas en présence du groupe des "judaïsants" ? Ceux dont l'évangile de Jean (7.5) dit : "En effet, ses frères eux-mêmes ne croyaient pas en lui." D'où l'hypothèse de certains exégètes selon laquelle on est là en présence d'une "Eglise" qui résiste à la théologie des pagano-chrétiens pour qui Jésus est "Christ, Fils de Dieu". On serait donc passé d'un conflit portant sur des pratiques à un conflit beaucoup important, qui s'est déplacé au plan de la doctrine.

Ce ne sont que des hypothèses, mais... un commentateur juif contemporain écrit : "Tout d'abord il n'y a pas encore eu de dialogue entre les frères de Jésus et ses disciples. Au moment du schisme primitif, quand l'Eglise des païens se sépara de l'Eglise-mère juive, les deux camps s'entre-injurièrent avec toute la véhémence caractéristique d'une véritable dispute entre frères. Plus tard on se renia mutuellement...Et le manque de foi fit que l'on déclara "incroyant" celui qui avait une autre foi."
 La "mère" de ces frères-là pourrait donc représenter la tradition juive. Donc les textes évangéliques pourraient avoir deux fonctions :
- Laisser entendre que Jésus "n'appartient" pas seulement à la tradition juive, mais que les païens ont libre accès à son enseignement.
- Réduire les prétentions des judéo-chrétiens dans les communautés du Ier siècle, notamment en matière de discipline ou de gouvernement.


A suivre : début mars

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