THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2013 :
MARIE
4e séquence : La Vierge Marie
La seule affirmation doctrinale concernant Marie dans le Nouveau Testament est qu'elle était vierge lorsqu'elle a conçu son fils Jésus. Les théologiens parlent de "virginité ante partum " (littéralement "avant l'accouchement"). Ensuite, du IIe au Ve siècle, les Pères de l'Eglise vont développer ce noyau doctrinal. Ils parleront alors, d'abord de virginité post partum (Marie est restée vierge après l'accouchement, et donc elle est restée vierge toute sa vie). Et enfin, ils expliqueront qu'elle est restée vierge in partu (pendant l'accouchement) : il s'agit ici du miracle de la préservation des signes physiques de la virginité. Et donc, on parlera de la "triple virginité" de la Mère de Jésus.
I - LA VIRGINITE "ANTE PARTUM"
Réfléchissant sur l'annonce qu'en font les évangélistes Matthieu et Luc, les Pères de l'Eglise, dès le IIe siècle, vont expliquer pourquoi cette virginité de Marie était nécessaire, dans le plan de Dieu.
Ignace d'Antioche déclare qu'il convenait que le diable, le prince de ce monde, ignore la virginité de Marie et son enfantement "qui furent accomplis dans le silence de Dieu." Ce qui signifie que Satan a cru avoir affaire, en Jésus, à un mortel ordinaire, Marie étant fiancée, puis mariée à Joseph.
Origène, relisant le texte d'Ignace d'Alexandrie, fait remarquer que si "Ignace, second évêque d'Antioche après Pierre, qui à Rome fut livré aux bêtes pendant la persécution, a écrit que "la virginité de Marie fut cachée au Prince de ce siècle", c'est qu'elle fut cachée grâce à Joseph, elle fut cachée grâce aux noces, elle fut cachée parce qu'on pensait qu'elle était mariée." Dès lors, cette explication devient classique. On la retrouve, par exemple, chez Ambroise de Milan et chez bien d'autres.
Quant à Justin, il commente l'affirmation de saint Luc en écrivant : "Il est déjà acquis que cet homme-là est le Christ de Dieu, même si je ne pouvais pas démontrer que, fils du Dieu créateur de toutes choses, il a préexisté et est né homme par la vierge."
Descendante de David ?
Un problème, pour les Pères du IIe siècle : les deux généalogies de Jésus, selon Matthieu et Luc, désignent Joseph comme descendant de David. Et Jésus, lui-même, est nommé ainsi dans une vingtaine de passages des Evangiles, à commencer par Matthieu 1, 1. Or Jésus ne descend pas de Joseph. Comment comprendre cette anomalie ? Certains auteurs, dont Ignace d'Antioche, vont expliquer que Marie elle-même est descendante de David., ce qui n'est jamais précisé dans les Ecritures. A la suite d'Ignace, on retrouve cette affirmation chez Justin, comme dans le Protévangile de Jacques, et jusque chez saint Irénée. Pourquoi cette affirmation, alors que, pour tous les auteurs modernes, Jésus est fils de David, non selon la chair, mais grâce à Joseph qui lui a donné son nom, par une filiation juridique bien réelle ?
Marie nouvelle Eve
Et voilà Justin qui nomme Marie la "nouvelle Eve". "Eve était vierge, sans corruption, écrit-il ; en concevant la parole du serpent, elle enfanta désobéissance et mort. Or la Vierge Marie conçut foi et joie lorsque l'ange Gabriel lui annonça la bonne nouvelle que l'Esprit du Seigneur viendrait sur elle, et qu'à cause de cela l'Etre saint qui devait naître d'elle serait Fils de Dieu, et elle répondit : "Qu'il m'arrive selon sa parole." Saint Irénée reprend ce parallèle entre Eve et Marie, celle qui a désobéi et celle qui a obéi : la première est cause de mort, la seconde cause de salut.
Voilà une manière de féminiser le parallèle de saint Paul entre Adam et Jésus Christ. Pour en rester aux Pères du IIe siècle, notons que le fait d'opposer Eve et Marie présente nettement la Vierge-Mère de Jésus comme le "nouveau commencement" de l'histoire sainte, ce qui confère à sa virginité une forte valeur symbolique;
II - LA VIRGINITE "POST PARTUM" - LA QUESTION DES FRERES ET SŒURS DE JESUS.
Dans les deux évangiles de l'enfance, Jésus apparait comme le premier enfant de sa mère Marie. Matthieu indique que Joseph "ne la connut pas jusqu'au jour où elle enfanta un fils, et il l'appela du nom de Jésus." Quant à Luc, il précise qu'"elle enfanta son fils premier-né". Ces deux formulations laissent ouvertes la possibilité d'autres naissances ultérieures.
Or à plusieurs reprises le Nouveau Testament évoque des "frères" et des "sœurs" de Jésus. Notamment dans le récit de la visite de Jésus à Nazareth (Matthieu 13, 53-58) où sont nommés quatre frères de Jésus : Jacques, Joseph, Simon et Jude. En 27.56, Matthieu parle de "Marie la mère de Jacques et de Joseph". S'agit-il de la mère de Jésus ? Et voilà l'auteur de l'épitre de Jude qui se présente comme "serviteur de Jésus-Christ, frère de Jacques." Dans l'évangile de Jean, il est fait deux fois mention des frères de Jésus (2.12 et 7, 2-10). Paul, de son côté, parle des "frères du Seigneur" et de "Jacques, frère du Seigneur."
Il y a même Flavius Josèphe, l'auteur juif, qui mentionne "Jacques, le frère de Jésus appelé le Christ".
D'où la question : s'agit-il de frères et sœurs de Jésus au sens courant et habituel du terme, c'est-à-dire d'enfants issus de Joseph et de Marie. Cette question s'est posée dès le IIe siècle chez divers auteurs chrétiens.
Hégésippe (seconde moitié du IIe siècle) transmis par Eusèbe de Césarée, parle de Jacques et Jude en les désignant comme "frères du Seigneur" et, pour Jude, comme "frère selon la chair." Donc, des frères biologiques. Quelques décennies plus tard, Tertullien reconnait sans hésitation dans les "frères de Jésus", des enfants de Marie et de Joseph nés après Jésus.
Mais Origène ne l'entend pas de cette oreille. Il écrit : "Au fait, je ne sais pas qui a pu se laisser aller à une telle folie pour affirmer que Marie avait été reniée par le Sauveur, parce qu'après la Nativité elle se serait unie à Joseph. Voilà ce que quelqu'un a dit et puisse-t-il être capable de répondre de ses paroles et de ses intentions.... Quand à ceux qui affirment qu'elle a contracté mariage après son enfantement virginal, ils n'ont pas de quoi le prouver, car les fils attribués à Joseph ne sont pas nés de Marie ; et aucun texte de l'Ecriture ne mentionne ce fait."
C'est vers la fin du IVe siècle qu'auront lieu les plus forts débats entre les deux thèses ( pour ou contre la "virginité post partum")
Epiphane de Salamine est le premier à condamner "l'hérésie" selon laquelle Joseph et Marie, après la naissance de Jésus, auraient eu d'autres enfants. Pour lui, "Joseph avait eu une première femme, qui lui avait donné des enfants, au nombre de six, quatre garçons et deux filles, comme l'attestent l'évangile de Marc et celui de Jean." Epiphane n'invente rien. Il a simplement lu des apocryphes de la seconde moitié du IIe siècle qui rapportent le veuvage de Joseph. Le Protévangile de Jacques nous montre Joseph s'écriant, au moment où le prêtre le désigne comme époux de Marie : "J'ai des fils et je suis un vieillard, tandis qu'elle est une jeune fille. Je serai sans doute la risée des fils d'Israël." Donc, Joseph épouse Marie, mais "en tout bien tout honneur", car "comment aurait-il osé insulter et outrager ce corps saint, dans lequel Dieu avait résidé ? "
En 393, saint Jérôme écrit une réfutation de l'opinion d'un nommé Helvidius qui, s'en tenant aux textes de l'Ecriture, affirmait que Marie avait eu plusieurs enfants de Joseph après la naissance de Jésus. Non sans quelque hardiesse, Jérôme, dans sa réfutation, va jusqu'à affirmer la virginité de... Joseph ! Donc, pour Jérôme, les "frères de Jésus" ne sont même pas des demi-frères, mais des cousins.
Quelque temps plus tard survient une controverse identique qui met cette fois en scène un évêque, Bonose, de Sardique, dont on ne connaît les propos que pas ses contradicteurs, peut-être saint Ambroise lui-même. Pour lui, il est impensable que le sein de Marie ait pu abriter un autre enfant, elle qui avait été justement gardée vierge pour concevoir le fils de Dieu. "Est-ce que vraiment le Seigneur Jésus - écrit-il - aurait pu choisir pour sa mère celle qui aurait pu souiller par la semence virile cette demeure céleste, comme s'il lui était impossible d'assurer la protection de sa pudeur virginale."
III - LA VIRGINITE "IN PARTU"
Le troisième aspect de la virginité de Marie concerne l'enfantement lui-même, dont on finira par déclarer qu'il n'a pas altéré l'intégrité du corps maternel. Aucun texte du Nouveau Testament n'apporte une quelconque donnée à ce sujet. Et même un verset de Luc (2.23) pourrait constituer un argument en sens contraire : parlant de la Présentation de Jésus au Temple, Luc cite le livre de l'Exode (13, 2) : "tout mâle premier-né (en latin "adaperiens vulvam" = (littéralement ) ouvrant la vulve, la matrice)
Ce sont des textes d'ouvrages apocryphes qui relatent, à travers les récits légendaires, le caractère miraculeux de la naissance de Jésus. Le plus connu est celui de la sage-femme Salomé, incrédule, qui tient à mettre son doigt pour une sorte d'examen gynécologique, avant de proclamer sa foi en la virginité "in partu", après l'avoir personnellement constatée.
Réaction d'opposition des Pères. Le premier, Tertullien. "Oui, elle est vierge aux yeux de son mari ; non, elle n'est pas vierge, pour ce qui est de l'enfantement." Saint Irénée pense de même. Origène également. Saint Ambroise, qui, lui aussi, croit en la virginité "port partum", refuse cette idée d'une virginité de Marie "in partu."
Mais voilà que saint Ambroise fait volte-face (en 392). Il écrit : "Le Christ est entré dans ce monde où il s'est répandu à la suite d'un enfantement virginal, sans affecter les organes clos de la virginité. Le sceau de la pudeur est resté intact, et à jamais indemnes les marques de l'intégrité, quand il est sorti de la vierge, celui dont le monde ne peut supporter la grandeur." Et un certain Nil d'Ancyre, vers l'an 400, précise : " Notre maître le Christ, qui a ouvert par l'enfantement la matrice immaculée, a lui-même, après l'enfantement, par sa propre sagesse et par sa puissance, et miraculeusement, scellé la matrice, ne descellant en aucune façon les cachets de la virginité. C'est là une œuvre divine, tout être sensé en conviendra."
Saint Augustin reprendra la pensée de saint Ambroise : pour lui, l'accouchement n'a nullement lésé l'intégrité virginale de sa mère.
Perplexité
Il faut le reconnaître, c'est bien particulièrement ce "moment" central (la virginité in partu) qui soulève depuis bien longtemps les plus graves difficultés. Bien des théologiens actuels débattent en tous les sens sur la question. On comprend pourquoi.
(La prochaine séquence : courant mai 2013)