THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2013 :
MARIE
5e séquence : Sainte Marie, Mère de Dieu
Marie est la Mère de Dieu. On le répète sans cesse dans notre prière, sans se doutez que pendant longtemps, cette affirmation a été controversée par les plus hautes autorités de l'Eglise. On le comprend facilement : Dieu peut-il avoir été engendré ? A-t-il une mère ? N'est-il pas Dieu de toute éternité ?
Effectivement, le débat - un débat passionné - qui fut conclu par la définition officielle qui détermine que Marie est Mère de Dieu et qui condamne les tenants d'une autre manière de voir, fut l'objet de ce qu'on appelle le "Concile d'Ephèse" ( 428-433)
I - La Vierge "déipare". (en grec Théotokos).
Ce titre décerné à la Vierge Marie peut donner lieu à deux interprétations aberrantes : ou bien on va hisser une créature au rang de Dieu le Père, ou bien on va affirmer que Dieu le Verbe n'a commencé d'exister que dans le sein de Marie. Contre ces deux interprétations, il s'agira donc d'expliquer que Marie a mis au monde celui que les croyants confessent comme le Fils de Dieu consubstantiel au Père.
C'est dans la tradition d'Origène qu'il faut rechercher les premières attestations de ce titre litigieux. Le plus ancien document indubitable date de 320, à Alexandrie : il parle du Christ, "lui qui a porté, en vérité et non en apparence, un corps issu de Marie la Théotokos..." Bien d'autres Pères du IVe siècle reprennent cette formule.
Cependant, un texte est sans doute plus ancien. Nous le connaissons bien : c'est la prière du "Sub tuum praesidium", encore en usage de nos jours. Rappelez-vous : "Sum tuum praesidium confugimus, sancta Dei Genitrix (en grec, justement Theotokos, celle qui a engendré Dieu), etc. Cette prière date de la fin du IIIe siècle. On la trouve dans le papyrus 470 de la John Rylands Library à Manchester. C'est dire si le vocatif Mère de Dieu est ancien dans la tradition chrétienne.
II - Une querelle théologique
Il est communément affirmé que c'est le concile d'Ephèse qui, en 431, a défini dogmatiquement la Vierge Marie comme Théotokos, Mère de Dieu (plus précisément "celle qui a enfanté Dieu") . Mais historiquement, il faut réviser cette présentation de l'événement.
* Cyrille contre Nestorius.
Les deux patriarches - Cyrille d'Alexandrie et Nestorius à Constantinople - sont les deux personnalités qui s'affrontent et donc personnifient deux sensibilités théologiques opposées. Deux personnalités puissantes, mais manquant de souplesse, et cherchant avant tout à imposer leur point de vue. Mais aussi conflit entre deux patriarcats : la vieille métropole chrétienne d'Alexandrie en Egypte, et la jeune capitale impériale de Constantinople qui cherche depuis quelque temps à s'imposer, au titre de "nouvelle Rome".
* Deux manières de dire Jésus Homme-Dieu.
C'est sur cette différence que repose le conflit. Dans une perspective "unitaire" (celle de Cyrille d'Alexandrie) le Verbe de Dieu s'est revêtu de chair dans le sein de Marie ("Et le Verbe s'est fait chair" (Jean 1, 14)) Difficulté : comment expliquer les souffrances de la Passion et de la mort en croix. Au contraire, dans la perspective "dualiste" (celle de Nestorius à Constantinople) on distingue nettement ce qui relève de l'humanité et ce qui relève de la divinité en Jésus, au point que l'on en vient à dire que le Verbe de Dieu a "assumé" l'homme-Jésus. Dans cette perspective "dualiste", il est difficile d'affirmer que Marie a "enfanté Dieu." C'est l'homme-Jésus que Marie enfante, tandis qu'il revient à Dieu le Père d'engendrer le Dieu Verbe. On pourrait, selon Nestorius, dire de Dieu le Père qu'il est Theotokos, puisqu'il engendre le Fils ; quant à Marie, elle ne peut être que "Kristotokos" , celle qui a engendré le Christ. Ce que réfute violemment Cyrille, pour qui Marie est celle qui a enfanté le Verbe de Dieu.
Vous voyez l'enjeu du conflit. Nous allons maintenant vous en rapporter les événements successifs.
III - Le déroulement du conflit
* Echange de correspondance.
Nestorius est élu patriarche de Constantinople en avril 428. Aussitôt, il s'élève contre l'utilisation du mot litigieux Théotokos, mère de Dieu. Mais il ne s'adresse qu'à son clergé de Constantinople. Cyrille, en 430, lui écrit, contrairement à l'usage qui veut qu'on n'intervienne pas dans les affaires d'un autre patriarcat que le sien. Nestorius lui adresse une réponse brève et assez énigmatique ; aussi Cyrille revient à la charge : il veut des explications claires. Dialogue de sourds. D'autant plus que Nestorius utilise dans sa réponse une ironie cinglante, qui ne cherche pas la conciliation, et encore moins à s'incliner devant son collègue. D'où une troisième lettre de Cyrille à Nestorius, cette fois virulente et accusatrice ("Tu as scandalisé toute l'Eglise et semé le ferment d'une hérésie inouïe et étrange..".). Mais avant d'envoyer sa lettre, Cyrille a pris soin d'écrire à Célestin, l'évêque de Rome, qui est le traditionnel arbitre des conflits entre patriarches.
* Intervention du pape Célestin.
Le pape, qui ne connaît pas le grec, confie la lecture du dossier à l'un de ses diacres, Jean Cassien. Mais ce n'est pas une traduction que Jean Cassien remet à son commanditaire, mais un véritable traité, De l'incarnation du Christ, en sept livres. Cassien attaque violemment la pensée de Nestorius (en lui faisant dire ce qu'il n'a jamais dit). Si bien que lorsque le pape répond à Cyrille (été 430), il le félicite d'avoir dénoncé l'hérésie de Nestorius et il lui confie le soin de conduire à résipiscence le patriarche de Constantinople. Cyrille envoie alors sa troisième lettre à Nestorius, et il y joint les "Douze anathèmes" en exigeant de son correspondant qu'il y souscrive.
* La convocation du concile.
En même temps qu'il écrit à Nestorius, Cyrille s'adresse à l'empereur pour qu'il convoque le concile. Riposte de l'empereur : il convoque le concile, mais pour y examiner... la théologie de Cyrille. Dans sa réponse au patriarche d'Alexandrie, l'empereur Théodose II est sévère ; "Sache donc, lui écrit-il, que tu as tout perturbé comme tu n'aurais jamais dû le faire." Il convoque donc le concile pour la Pentecôte de l'an 431, dans la ville d'Ephèse.
* 22 juin 431.
Ce jour-là, une partie seulement des évêques convoqués se trouve au rendez-vous : Cyrille d'Alexandrie et les évêques d'Egypte, le patriarche de Jérusalem et Nestorius, accompagnés chacun de quelques collègues. Manquent les "Orientaux" (de la région d'Antioche, favorables à Nestorius) et les Romains. La Pentecôte passe et l'attente s'éternise. Vous pouvez imaginer l'ambiance. Enfin, le 21 juin, Jean d'Antioche annonce l'arrivée imminente des Orientaux. Cyrille brusque alors les choses et annonce l'ouverture du concile pour le lendemain, 22 juin. Une forte minorité des évêques proteste, mais la majorité (85 sur 153) passe outre. Par ruse, Cyrille obtient du représentant de l'empereur la lecture de la lettre officielle d'ouverture des travaux, et le concile démarre. Par trois fois, on convoque Nestorius, qui refuse de venir. On lit la 2e lettre de Cyrille à Nestorius. Est-elle conforme au Symbole de Nicée ? Oui. Et la réponse de Nestorius à Cyrille : est-elle conforme au même Symbole ? Non. Immédiatement Cyrille prononce la déposition de Nestorius. L'affaire est réglée.
* 26 juin 431
C'est quatre jours plus tard, le 26 juin, qu'arrivent Jean d'Antioche et une cinquantaine d'évêques qui l'accompagnent : les "Orientaux". Ils refusent d'entériner les actes votés quelques jours plus tard. Il se réunissent en une contre-assemblée qui prend pour décision de déposer Cyrille. Celui-ci riposte en faisant déposer Jean d'Antioche. Les deux partis demandent à l'empereur d'entériner leurs décisions respectives. Celui-ci réagit rapidement. Dès le 29 juin, une lettre part de Constantinople. L'empereur y dénonce cette division et l'attitude intempestive de Cyrille.
* L'arrivée des Romains
C'est alors qu'arrive, dans les premiers jours de juillet, la délégation romaine. Elle se conforme aux instruction du pape Célestin : les Romains entérinent les décisions du 22 juin et confirment la déposition de Nestorius. Confusion totale : la cour impériale accepte la déposition de Nestorius, mais confirme par ailleurs celle de Cyrille, et même le fait arrêter (il s'évadera dès le mois d'octobre) Les discussions entre partis rivaux s'enlisent. Lorsqu'en novembre 431 l'empereur annonce la dissolution du concile, les évêques ont depuis longtemps quitté les lieux.
* Apaisement.
C'est de Jean d'Antioche que viendra l'apaisement . En avril 433, il envoie à Cyrille une véritable synthèse des deux pensées christologiques divergentes; Après réflexion, Cyrille accepte de signer cette synthèse. Fin de la guerre.... ou tout au :moins armistice, moyennant une certaine confusion et de nombreuses imprécisions. C'est à peine si l'on peut déterminer en quoi a consisté exactement le concile. Ce qui est le plus clair : c'est que la pensée de Nestorius est rejetée et lui-même déposé. Cyrille triomphe.
CONCLUSION
Pour faire simple, allons à l'essentiel. Nous croyons que "dans la personne du Christ, il y a lieu tout à la fois de distinguer les deux natures, divine et humaine, et de considérer leur union sans confusion." Cette définition représente le dogme des Eglises chrétiennes dites non nestoriennes dont les principales Eglises font partie (Eglise catholique, Eglises orthodoxes et Eglises protestantes).
Des précisions ultérieures interviendront, dès le concile de Chalcédoine en 451. Toutes, faisant référence au concile d'Ephèse. Pour toutes, Marie est vraiment déclarée Mère de Dieu - Théotokos en grec, Dei genitrix en latin, et cela en référence à notre foi commune en Jésus Christ, "consubstantiel au Père dans la divinité et consubstantiel à nous dans son humanité."
(A suivre, en juin)