THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

            

       Cette année 2013 : 
 

 MARIE

 

6e séquence : Des attestations liturgiques

 

Nous allons parcourir maintenant les 14 siècles de l'histoire de l'Eglise (du Concile de Nicée - en 428 - à la définition de l'Immaculée Conception, en 1854) où la doctrine de l'Eglise en ce qui concerne la personne de Marie n'a jamais été l'objet de définitions officielles de la part des autorités (papes ou conciles), mais au cours desquels le développement de cette pensée s'est fait essentiellement par des attestations liturgiques.  C'est ce que nous allons voir ce mois-ci.

I - LES FETES MARIALES FIXEES AU PREMIER MILLENAIRE.

Au cours de ce premier millénaire, l'année liturgique chrétienne s'enrichir d'un certain nombre de fêtes mariales. A vrai dire, les trois premières parmi ces fêtes (Noël, la Présentation de Jésus au Temple et l'Annonciation) sont plus des fêtes du Christ que des fêtes de Marie. Mais les cinq  fêtes suivantes (la Mémoire de Marie, la Nativité de Marie, la Dormition de Marie, la Présentation de Marie au Temple et la Conception de Marie) sont typiquement des fêtes mariales.

* Noël.

C'est seulement au IVe siècle qu'apparaît la fête de la Nativité du Christ. Mais depuis longtemps déjà on discutait de la date de cette naissance : pour certains gnostiques, c'était le 20 mai, pour d'autres, le 28 mars, jour anniversaire de la création du soleil. Mais de tels calculs n'avaient pas débouché sur la fixation d'une fête liturgique.. C'est à Rome, en 336, qu'on décida pour la première fois de fixer cette date au 25 décembre, date qui correspondait à la fête mithriaque du sol invictus (le soleil invaincu), fête instaurée en 274 par l'empereur Aurélien, fête païenne qu'il s'agissait de supplanter. Tout au long du IVe siècle, cette fête de Noël fixée au 25 décembre se répand dans tout l'Occident, puis en Orient. Mais en Orient, cette date entra en concurrence avec une date préalable, le 6 février, où l'on célébrait déjà la Théophanie ou le Baptême du Christ. Ce qui donnera lieu à diverses combinaisons liturgiques.

* L'Hypapante, ou Présentation de Jésus au Temple.

Le plus ancien témoignage liturgique que nous ayons à ce sujet, c'est le "Récit du voyage" d'Ethérie, qui séjourna à Jérusalem de Pâques 381 à Pâques 384. Elle nous rapporte que "Le quarantième jour après l'Epiphanie se célèbre vraiment ici avec une grande solennité." Et elle raconte qu'a lieu une procession, "à grande pompe, comme à Pâques. Il y a aussi des prédications commentant toujours le passage de l'évangile où il est dit que le quarantième jour, Joseph et Marie portèrent le Seigneur au Temple et que Siméon et la prophétesse Anne, fille de Phanuel, le virent, et les paroles qu'ils dirent en voyant le Seigneur, et l'offrande que firent les parents."

* L'Annonciation

C'est entre 530 et 553 qu'il convient de situer la fixation de la fête de l'Annonciation au 25 mars, soir neuf mois exactement neuf mois avant Noël. De cette date on possède en effet un poème liturgique de Romanos le Mélode qui amplifie le dialogue entre l'ange et Marie. , avant d'en imaginer un  entre Marie et Joseph

* La Mémoire de Marie.

Et voici la plus ancienne des fêtes strictement mariales. La "Mémoire de Marie" est apparue aux alentours du concile d'Ephèse en 431. Elle célèbre Marie sous le nom de Théotokos, la Mère de Dieu. Cetet fête était célébrée le lendemain ne Noël à Constantinople, mais le 15 août en Palestine. On n'a gardé de cette fête que quelques fragments liturgiques. D'une certaine manière, la toute récente réincription , dans le calendrier romain, de la fête de "Marie Mère de Dieu"  au 1er janvier renoue d'une certaine manière avec cette ancienne tradition.

* La Nativité de Marie.

C'est encore Romanos le Mélède qui nous offre la plus ancienne attestation - vers le milieu du VIe siècle - d'une fête de la Nativité de Marie. Il y consacre un grand poème liturgique. Fixée au 8 septembre en Orient, elle est bien vite adoptée en Occident. Mais de quoi s'agit-il ? Aucun texte canonique n'évoque cet pisode de la naissance de Marie. C'est dans le Protévangile de Jacques, un apocryphe chrétien, que l'on puise les données nécessaires, en particulier le nom des parents de Marie, Joachim et Anne, ainsi que les péripéties de la guérison de la stérilité d'Anne.

* La Dormition de Marie.

C'est vers 450 qu'apparaissent de nouveaux récits apocryphes ayant pour but d'évoquer les derniers instants de l'existence terres de Marie, dont le Nouveau Testament ne dit rien. Du milieu du Ve siècle au VIIIe siècle, on recense 62 textes conservés en huit langues anciennes  qui nous rapportent ces récits. Les plus anciens ne parlent que le de dormition (la mort) de Marie ; d'autres parlent d'assomption sans résurrection (passage direct  de Marie au ciel, corps et âme) ; d'autres enfin d'assomption avec résurrection (le corps et l'âme se réunissent quelque temps aparès le décès et, ainsi ressuscitée, Marie monte au ciel). On trouve des éléments communs dans ces trois séries différentes de récits, en particulier la réunion miraculeuse des Apôtres autour de la Mère du Sauveur.

La célébration de cet épisode débute à la fin du Ve siècle. Dès le début, elle est fixée au 15 août. Très populaire dès ses débuts, elle se répand rapidement de l'Orient à l'Occident.

* La Présentation de Marie au Temple.

Ici encore, c'est dans le légendaire chrétien que l'on a glané les matériaux de cette célébration liturgique. On trouve dans le Protévangile de Jacques cette histoire : Marie aurait été mise en pension  dans le Temple de Jérusalem à partir de l'âge de trois ans. C'est au VIIIe siècle que l'on trouve mention d'une fête liturgique qui rapporte ce fait légendaire. A Constantinople d'abord, et beaucoup plus tard (en 1370) en Occident, avant d'être supprimée par saint Pie V pendant quelques années, puis restaurée vers 1590. Elle est toujours fixée au 21 novembre.

* La Conception de Marie.

Au début du VIIIe siècle apparait la fête de la Conception de Marie. C'est encore dans le Priotévangile de Jacques que l'on puise les données utiles : on se moque de la stérilité d'Anne lorsqu'elle et son mari sont avertis par un ange : Anne va concevoir dans sa vieillesse. On ne parle pas encore d'immaculée conception - cela viendra beaucoup plus tard - mais d'une conception miraculeuse. Cette Conception est fêtée le 8 décembre, neuf mois avant la fête de la Nativité de Marie.

* La Visitation.

Cette fête mariale n'est célébrée qu'à partir du XIIIe siècle, chez les franciscains, bien qu'elle ait une indiscutable base évangélique (Luc 1, 39-55) ET ce n'est qu'en 1475 qu'elle est inscrite dans le calendrier liturgo=ique. Au début, elle est célébrée le 2 juillet. Ce n'est qu'après le Concile Vatican II qu'elle est fêtée le 31 mai.

On a donc une abondance de fêtes mariales, presque une par mois. Saint Pierre Damien, au Xe siècle, souhaitait qu'on célèbre Marie tous les samedis. Et de fait dans la liturgie latine d'aujourd'hui, tout samedi "vacant" peut être occupé par la mémoire liturgique de la Vierge Marie.

II - L'IMAGE LITURGIQUE DE MARIE.

* Les hymnes.

On en compte des milliers, dans toutes les languers liturgiques connues. Je n'en citerai que deux spécimens particulièrement représentatifs.

°Le Sub tuum praesidium, dont on a un texte  qui remonte au IVe siècle, peut-être même à la fin du IIIe. C'est la plus ancienne prière mariale connue. Je vous en donne la traduction : "Sous ta protection nous nous réfugions, sainte Mère de Dieu ; ne méprise pas nos supplications quand nous sommes dans le besoin, mais de tous les dangers délivre-nous toujours, Vierge glorieuse et bénie." Cette prière s'adresse directement à Marie, dont on  demande l'intercession. On la croit en effet susceptible de protéger et de délivrer des dangers les fidèles, prérogatives qui n'appartiennent qu'au Christ !

° Le Salve Regina est sans doute l'œuvre d'Aymar, évêque du Puy (1079-1098). Au XIIe siècle, saint Bernard  de Clairvaux en étendit l'usage à l'ordre cistercien. En voici la traduction : "Salut, Reine, Mère de miséricorde, notre vie, notre espérance et notre douceur, salut ! Vesrs toi nous crions, fils d'Eve exilés, vers toi nous soupirons, gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes. Or donc, notre avocate, tourne vers nous tes yeux miséricordieux, et Jésus, le fruit béni de ton ventre, après cet exil, montre-le nous ! Ô clémente, ô pieuse, ô douce Vierge Marie." Ce texte reprend le parallèle classique entre Eve et Marie, qui remonte au IIe siècle. Mais d'autre éléments paraissent plus originaux. Notre monde est appelé "vallée de larmes" comme au psaume 83.7. Nous y sommes exilés jusqu'à ce que Marie, la nouvelle Eve, exhibe  dans le monde à venir le fruit de son ventre. Le titre de Reine commence à être donné à Marie au Moyen Age. Marie est dite d'un titre jusque là réservé à Dieu : elle est nommée mère de miséricorde. Enfin, elle est "avocate", terme jusque là réservé à saint Esprit.

* Les homélies.

Pour se limiter, nous ne garderons que trois thèmes repris dans de nombreuses homélies.

° L'apparition du Ressuscité à sa Mère. La mention d'une apparition de Jésus ressuscité à sa mère apparaît bien tardivement, vers 880, dans une homélie de Georges de Nicomédie qui fait dire à Marie : "Comme la mère a reçu en premier l'annonce de sa venue, que lui soit manifestée aussi la joie du relèvement."  On peut se demander d'où vient cette tradition. On en trouve quelques traces, quelques allusions, par exemple chez saint Jean Chrysostome, puis en 515 chez Sévère d'Antioche. Ce dernier, parlant de Marie, écrit : "Elle n'est pas restée éloignée de la passion, elle se tenait près de la croix ; c'est à elle qu'il seyait aussi d'annoncer la joyeuse nouvelle, puisqu'elle était la cause de la joie." A la source de l'apparition du Ressuscité à samère, on peut également mentionner une autre possibilité, qui implique une confusion entre Marie, mère de Jésus et Marie de Magdala. Dans l'évangile de Jean, il est question, tantôt de Marie de Magdala et tantôt de Marie ; d'où la possibilité de penser qu'il s'agit toujours de la même personne, Marie, mère de Jésus. Ce qui n'est qu'une hypothèse.

° La toute-sainteté de Marie.

Le mot grec, qu'on trouve dans la littérature monastique à partir du VIe siècle (panagios - au féminin panagia) a été jusque-là réservé à Dieu : il est le "Tout-Saint", panagios. Or voilà qu'on parle de Marie comme la "Toute-Sainte" - panagia. Souvent les prédicateurs byzantins vont se plaire à déployer dans toute son envergure le thème de la sainteté de Marie. Citons saint Jean Damascène : "Heureuses lombes de Joachim, d'où sortit un germe tout immaculé ; admirable sein d'Anne, grâce auquel se développa lentement , où se forma et d'où naquit une enfant toute sainte (panagia) ! Entrailles qui avez porté un ciel vivant, plus vaste que l'immensité des cieux."

° Une lecture mariale du Cantique des cantiques.

Chez les Pères de l'Eglise, on trouve quelques passages où l'auteur applique à Marie un verset du Cantique des cantiques. Mais aucun commentaire suivi du texte avant le XIIe siècle, et en Occident seulement. Le premier, c'est Rupert de Deuz (1075-1129), qui déchiffre systématiquement, dans la figure féminine qui apparait d'un bout à l'autre du Cantique, l'image de Marie. De même dans ses Homélies mariales, Amédée de Lausanne vers 1140 utilise abondamment le Cantique des cantiques. Et combien d'autres...

(A suivre, début juillet)

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