THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2013 :
MARIE
7e séquence : Iconographie et paraliturgie
I - L'iconographie
* La légende de saint Luc l'iconographe.
Une légende qui date du début du VIe siècle. Alors que, cent ans plus tôt, saint Augustin écrit : "Nous ne connaissons pas le visage de la Vierge Marie", voilà qu'un certain Nicéphore Calliste écrit quelques décennies plus tard qu"Eudoxie a envoyé de Jérusalem à Pulchérie l'image de la Mère de Dieu que l'apôtre Luc avait peinte." Il s'agit de deux princesses : Eudoxie, l'épouse de l'empereur Théodose II, et Pulchérie, celle de l'empereur Marcien. Puis plus rien jusque vers 720, date où André de Crète affirme : " Tous ses contemporains ont affirmé que l'apôtre et évangéliste Luc l'a peint de ses propre mains, lui le Christ incarné et sa mère très pure, et que Rome glorifie comme il convient leurs images.". Puis silence jusqu'au début du IXe siècle où un diacre de Constantinople, Stéphane, évoque "pareillement l'icône de la toute pure Mère de Dieu adressée par Luc, de Jérusalem, à Théophile." A partir de cette date, la légende se répand rapidement et se développe, dans des textes de la liturgie byzantine, puis dans des icônes qui représentent saint Luc en train de peindre l'icône de la Vierge.
* Au Moyen Age , des images de Marie.
C'est au cours du second Moyen Age (du XIIIe au XVe siècle) qu'apparaissent en Occident de nouvelles images religieuses, peintes ou sculptées, mettant en scène Marie. Particulièrement dans trois représentations : la crèche, la Pietà et le couronnement de la Vierge. La crèche, c'est la piété franciscaine. Une invention de François d'Assise, avec l'approbation du pape. La crèche va rapidement se multiplier dans les églises, puis dans les maisons. Une représentation qui combine les récits de Matthieu et de Luc (les bergers ET les mages) et y ajoute l'âne et le bœuf, qui viennent de textes apocryphes.
La Pietà n'apparaît qu'à la fin du XIVe siècle, chez les peintres, puis chez les sculpteurs. L'origine, c'est la dévotion du Moyen Age à la Mater dolorosa : 4e station du chemin de croix (Jésus rencontre sa mère), Stabat Mater dolorosa, déposition de la croix, Vierge des sept douleurs. Elle montre Marie assise, le cadavre de son fils reposant sur ses genoux.
C'est vers 1250 qu'apparaissent des sculptures représentant Marie couronnée par Jésus. C'est Marie-Reine. On aura même des peintures représentant Marie couronnée par les trois personnes de la Trinité. Marie est ainsi introduite dans la sphère divine. On est alors bien loin de "l'humble servante du Seigneur".Vers la fin du XVe siècle commencent à apparaitre des images de Marie seule. A commencer par la Vierge de l'Immaculée Conception. Dès cette époque; et particulièrement dès le début du XIXe siècle, ces représentations de Marie sans le Christ deviennent envahissantes, notamment en raison du modèle fourni par les apparitions mariales (la Salette, la rue du Bac, Lourdes notamment). Certes, auparavant, on avait des images de la "Vierge orante". Mais précisément, il s'agit d'une Vierge orante, entièrement tournée vers Dieu. Ensuite, on représentera beaucoup plus souvent Marie les yeux tournés vers la terre : c'est elle qui reçoit la prière et distribue les grâces demandées. Enfin, on la représentera piétinant le serpent (allusion à Genèse 3, 15), comme si elle remplaçait son Fils !
II - Les attestations paraliturgiques
Voici maintenant plusieurs formes de dévotions qui ont pris une place considérable dans la pratique religieuse et dont les livres liturgiques "officiels" ne font jamais mention.
* Chapelet, rosaire et angélus
Ces trois dévotions, nées dans le second Moyen Age, ont pour base l'Ave Maria. Son texte actuel ne sera fixé définitivement qu'au XVIe siècle. Il comporte deux parties. Première partie : "Je vous salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni.". Il s'agit d'un collage entre deux textes de l'Evangile : Luc 1, 28 (la salutation de l'ange Gabriel) et Luc 1, 42 (La salutation d'Elisabeth ) On en trouve l'origine au IIe siècle dans le Protévangile de Jacques. Je vous cite ce passage : "Et elle prit sa cruche et sortit puiser de l'eau. Et voici qu'une voix lui dit : "Réjouis-toi, pleine de grâce ; le Seigneur est avec toi ; tu es bénie parmi les femmes." Et Marie regardait à droite et à gauche, pour voir d'où venait cette voix." Ce texte est repris dans diverses liturgies orientales dès le IVe siècle et dans les liturgies latines dès le VIe siècle. Mais il faut attendre le XIIIe siècle pour que cette prière devienne dans le monde latin une prière populaire. Quant à la seconde partie de cette prière : "Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs maintenant et à l'heure de notre mort. Amen"; c'est seulement trois siècles plus tard (XVIe siècle) qu'elle trouve sa forme définitive.
Mais sur ces entrefaites, la récitation du Je vous salue Marie avait pris une allure répétitive. On en était venus au chapelet et au rosaire. Les deux mots renvoient à une même coutume : celle de couronner d'un "chapeau de fleurs" (et notamment de roses) des statues de la Vierge. Egrener les prières revenait symboliquement à tresser une coiffure de ce genre. C'est dans l'office monastique que débute cette dévotion : tandis que les clercs (lettrés) chantaient les 150 psaumes, les illettrés récitaient des "pâtrenôtres" (le Pater noster) et un peu plus tard des Ave Maria. : le Rosaire (150 Ave) est alors appelé "le psautier du pauvre". Plus tard, au XVIe siècle, on divisa ces dizaines d'Ave en "mystères", joyeux, douloureux, glorieux. Et la victoire de la flotte chrétienne sur la flotte arabe à Lépante le 7 octobre 1571 donna naissance à la fête de Notre-Dame du Rosaire : c'est grâce à l'intervention de Marie qu'on avait battu les musulmans !
C'est également à cette époque qu'il faut situer la fixation de l'Angélus : trois versets avec leur répons, suivis chacun de trois Ave Maria et une oraison finale. Par la diffusion considérable de ces différentes prières, c'est à une véritable imprégnation de piété mariale qu'on assiste dans le monde catholique, notamment à la suite de la Réforme protestante.
* Les litanies de la Sainte Vierge.
Vers la fin du XIIIe siècle apparaît la légende de la Santa Casa de Lorette : des anges auraient transporté dans cette localité italienne proche d'Ancône, par la voie des airs, la maison de Marie à Nazareth. Dès lors, l'endroit devient un important lieu de pèlerinage. Mais déjà la forme litanique de la prière mariale avait fait son apparition : dès la fin du XIIe siècle on en recense des exemples, parfois très proches des Litanies de Lorette. Cependant ce n'est que vers 1550 que se fixe le texte désormais imprimé. Et pour célébrer encore la victoire de Lépante, le pape Sixte Quint conféra aux litanies un statut officiel dans la prière de l'Eglise catholique en septembre 1587. On trouve dans le texte actuel, après les invocations à la Trinité, douze formules invoquant la maternité de Marie, puis cinq pour sa virginité. Viennent ensuite treize titres évoquant des figures bibliques, quatre des "fonctions" de Marie et douze qui l'invoquent comme "reine". Pour terminer, trois invocations à l'Agneau de Dieu. Il faudrait examiner en détail la liste des treize figures bibliques. "Maison d'or" renvoie à 1 Rois 6, 22 (le Temple est décrit comme recouvert tout entier d'or). "Porte du ciel" renvoie à Genèse 28, 17 (le rêve de Jacob). Mais la "Tour de David " et la "Tour d'ivoire" sont plus difficiles à interpréter : elles renvoient sans doute au Cantique des Cantiques respectivement 4, 4 et 7, 5 où ces expression désignent le cou de la bien-aimée. Quoi qu'il en soit, cette prière destinée à la piété populaire implique de bonne connaissances théologiques.
* Le mois de Marie.
C'est une dévotion dont l'initiative revient aux jésuites du XVIIe siècle. Elle consiste à consacrer un mois de l'année, le mois de mai, à une prière mariale "renforcée". L'approbation officielle de Rome survient en 1821. Elle devient alors l'une des pratiques de dévotion mariale les plus habituelles du monde catholique. Après le mois de Marie, on verra arriver le "'mois de saint Joseph" (en mars), puis le "mois du Rosaire" (en octobre), et le "mois du Sacré Coeur" (en juin). Progressivement, c'est toute l'année chrétienne qui tend à se "mensualiser". Le Concile Vatican II a mus un coup d'arrêt sérieux à cette tendance, en rappelant le caractère prioritaire des modules hebdomadaires de la célébration chrétienne, ainsi que la juste mesure à garder dans la commémoration des fêtes des saints. Paul VI, en 1974, dans une exhortation apostolique sur le culte marial, recommande l'Angélus et le Rosaire, mais ne dit rien du "mois de Marie."
III - Les apparitions de Marie.
Il y a lieu de distinguer les apparitions officiellement "reconnues" et les apparitions "non reconnues" (de loin les plus nombreuses). Pour ces dernières, si certaines ont fait l'objet d'une décision négative, pour d'autres la décision reste en suspens.
C'est au XIXe et au XXe siècles qu'a lieu une véritable explosion statistique du nombre de ces apparitions. Elles semblent se cantonner dans le monde catholique. Elles concernent généralement des voyants peu instruits, le plus souvent de sexe féminin, et jeunes (enfants ou adolescents) Bien souvent on y retrouve l'opposition entre la petite fille non instruite et le clerc, mâle, adulte et instruit. Ce qui explique l'embarras de l'institution ecclésiastique quand il s'agit de reconnaître l'authenticité de ces phénomènes.
Dans la liste brève des apparitions reconnues par l'autorité ecclésiastique, deux principales : en 1830 à Catherine Labouré à la rue du Bac à Paris : c'est la médaille miraculeuse, avec cette inscription : "O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous." . Et en 1858, à Lourdes, l'apparition à Bernadette Soubirous, où Marie se présente comme "l'Immaculée Conception."
D'autres apparitions reconnues - La Salette, Pellevoisin Fatima, Banneux, etc - comportent également des messages mariaux : exhortations à la conversion et à la prière, promotion d'une dévotion particulière ; ou encore des messages apocalyptiques, menaces de cataclysme en cas d'endurcissement notamment. D'autres ne comportent aucun message.
Dans le cas des apparitions non reconnues, les messages sont encore plus maigres, ou même aberrants. Dans tous les cas une vigilance sans faille et un discernement exigeant s'imposent. De fait, les dérives illuministes ou sectaires se produisent régulièrement dans ce domaine.
(A suivre, début août)