Évangile de Jésus Christ selon
saint Luc
En ces jours-là, parut un édit de
l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre
– ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur
de Syrie.
Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d’origine.
Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth,
vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem.
Il était en effet de la maison et de la lignée de David.
Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée
en mariage et qui était enceinte.
Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut
accompli.
Et elle mit au monde son fils premier-né ;
elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait
pas de place pour eux dans la salle commune.
Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et
passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux.
L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur
les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte.
Alors l’ange leur dit : « Ne craignez pas, car voici que je vous
annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le
peuple :
Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est
le Christ, le Seigneur.
Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né
emmailloté et couché dans une mangeoire. »
Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui
louait Dieu en disant :
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux
hommes, qu’Il aime. »
oOo
Une chanson
Me revenaient en mémoire, ces derniers jours, les paroles d'une chanson
de Goldmann. Cette chanson est intitulée : « Entre gris clair et
gris foncé ». La mélodie en est plaisante, mais j’ai été frappé par
l’atmosphère désabusée qui se dégage des paroles de cette chanson. Je
vous cite simplement les premiers vers :
« Décolorés les messages du ciel / Fané, le rouge sang des enfers /
Souillé, taché, le blanc des étendards / Brûlé le vert éclatant de
l’espoir / Délavées, nos sages années / Entre gris clair et gris
foncé. »
L’auteur dit, à travers cette chanson, des choses importantes. Souvent,
d’ailleurs, les artistes expriment, en quelques vers, ou sur la toile
d’une peinture, ou dans un quelconque spectacle, ce qui est un sentiment
général de notre humanité d’aujourd’hui : un monde « entre gris clair et
gris foncé », où il n’y a plus ni blanc ni noir, ni vérité ni mensonge,
un monde, d’ailleurs, plus « gris foncé » que « gris clair ». C’est
banal, aujourd’hui, de dénoncer la morosité. Tous les journaux, tous les
discours le font. Rassurez-vous : cette nuit, je ne voudrais absolument
pas céder à cette mode. Mais, si nous avons choisi d’axer toute notre
célébration de Noël sur ce thème de l’espérance, c’est parce qu’elle
est, je crois indispensable à notre santé personnelle comme à la santé de
notre monde. Je voudrais dire comment, dans cette nuit qui est la nôtre,
il y a Jésus-Lumière. Dans la nuit où tout est gris, une petite lumière,
qui s’appelle l’Espérance, peut nous empêcher de nous perdre.
Au solstice d'hier et à minuit
On ne sait ni
le jour ni l’heure où Jésus est né. Personne ne l’a noté. L’Eglise a
choisi arbitrairement un jour et une heure. Et elle a fixé la
célébration de la naissance de Jésus au solstice d’hiver, et à minuit.
C’est une image, une image qui dit très fortement comment, dans les
ténèbres de ce monde, une lumière peut éclairer nos pas. Cette petite
lumière peut nous guider. Elle a un nom : Jésus. Elle a un effet en
chacun de nous : l’espérance. Elle n’est pas une lumière brillante.
C’est comme une petite flamme, que nous avons à alimenter et à faire
grandir.
Elle a un nom,
je vous le disais : Jésus. Elle a un visage, celui d’un enfant. Un
enfant, ça dit un avenir. Chaque fois que je rencontre un jeune couple
qui vient d’avoir un enfant, ils me disent très fortement comment tout,
absolument tout, dans leur existence, a été bouleversé par cette
naissance. Récemment encore, un jeune papa et une jeune maman me
disaient : « Mais avant qu’il ne soit là, on se demande quel sens
pouvait avoir notre vie. Aujourd’hui, tout est changé. Tout a pris sens,
relief, importance ». L’enfant ouvre un avenir. J’ai aimé, en les
écoutant - mais tous les parents ont fait la même expérience, se sont
fait la même réflexion - qu’ils disent avec leurs mots ce qu’un
théologien anglais du siècle dernier, Newmann, exprimait ainsi, parlant
de l’espérance : « L’espérance nous invite à voir le soleil derrière
les nuages, nuages gris nimbés d’or ». La naissance d’un enfant, ça
ne veut pas dire que tous les problèmes seront résolus, bien au
contraire, mais en même temps, même les nuages de notre vie seront
« nimbés d’or » à cause de l’espérance qu’est votre enfant.
Espérance et nudité
C'était lors
d'une célébration de Noël avec les enfants. Ils avaient apporté,
d’abord, la crèche qu’ils avaient confectionnée, puis, à côté de la
crèche, une coupe. Et dans cette coupe, il y avait des grains de blé
qu’ils avaient fait germer et pousser durant le temps de l’Avent et qui
avaient donné une grosse touffe de tiges vertes, une touffe d’espérance.
Pas besoin de grandes phrases, mais un simple geste qui montrait comme
l’enfant est pour nous espérance.
L’Enfant est
plus qu’une espérance. Qui dit naissance dit nudité. Et dans la nudité,
il y a une souffrance. Ce cri que chaque enfant pousse à la naissance,
qui est comme mort à un monde précédent et peur d’un avenir, ce cri,
l’enfant Jésus lui-même l’a poussé. On dit de Noël que c’est « la fête
des enfants ». C’est vrai. Mais personnellement, je préfère dire :
« C’est la fête de l’enfant ». L’enfant, c’est sérieux. Il représente
toute l’intensité, toute la profondeur dramatique de l’existence. Voilà
donc Jésus qui pousse son premier cri, d’ouverture à la vie, certes,
mais un premier cri auquel va répondre un autre cri, celui du Golgotha :
« Il poussa un grand cri et expira ». Et entre ces deux cris, il y a
l’espérance, qui risque toujours de basculer dans le désespoir. Jésus
basculera du côté de l’espérance.
C’est Marie
Noël, une des grandes poétesses de notre temps qui a écrit la « Berceuse
de la Mère-Dieu », où elle fait dire à Marie, parlant à son fils : « Tes
mains...ta bouche...tes pieds, c’est moi qui te les ai donnés », puis
elle termine en disant :
« Ta mort d’homme, un soir, noire, abandonnée,
« Mon petit, c’est moi qui te l’ai donnée ».
Donner la vie,
donner la mort, à travers tout le tragique de l’existence, mais aussi à
travers cette espérance plus forte que tout, c’est à cela que nous
appelle Noël.
Réalisme
Non, nous ne
sommes pas des idéalistes. Nous ne sommes pas de ces gens qui disent et
pensent : « Tout finira par s’arranger ». Nous ne sommes pas non plus
des sceptiques pour qui « rien ne changera jamais, c’est comme çà,
qu’est-ce qu’on y peut ! » Nous ne sommes pas non plus de ces gens qui,
sollicités par toutes les pubs’, cherchent des recettes d’éternelle
jeunesse en se grimant. Ah ! Le mythe de l’éternelle jeunesse, ce qui
permet à l’homme et à la femme de rester jeunes, en pleine possession de
leurs moyens physiques, intellectuels, en pleine forme, en pleine
beauté. Ce sont des « trucs » qui nous empêchent d’être réalistes, qui
nous font nous évader. Mais l’espérance chrétienne, c’est tout autre
chose. C’est dans la réalité quotidienne, y compris à travers les
échecs, à travers les souffrances, les affronts, les ruptures, qu’elle
peut naître et sans cesse renaître. Parce qu’elle est créative. Un
peintre, un sculpteur, un artisan, un ouvrier, tous ceux qui
travaillent, de leurs mains ou avec leur esprit, savent bien que de
souffrances il faut pour accoucher de son œuvre. Mais par-delà la
souffrance, il y a l’espérance. Et si après une faillite
(professionnelle ou affective), on repart à zéro, c’est signe
d’espérance. Et ceux qui travaillent pour que les hommes vivent mieux,
pour plus de justice, plus de paix, de vérité, d’amitié, tous ceux qui
ont foi en l’homme sont signes d’espérance.
Le chrétien
est un sourcier. Il est celui qui, dans la nuit de ce monde, pousse un
cri d’espérance. Un cri peut-être timide. Bien sûr, tous les
bien-pensants, tous ceux qui croient tout savoir diront : « C’est plus
complexe que cela ». Mais, en réalité, nous manifesterons par notre vie
cet Evangile, cette Bonne Nouvelle qui, à toutes les pages, nous dit que
tout commence petit : un grain de sénevé, un bébé, un peu de pain, un
verre d’eau, Marie...Et ils diront tous : « Vous, les chrétiens, vous
êtes des naïfs ! Vous vivez dans l’utopie ! » Et c’est vrai. Dieu
lui-même est utopiste. Vous vous rendez compte : croire que c’est par un
bébé qui naît sur la terre battue, par un homme qui, à trente ans, meurt
sur une croix, que va se réaliser le salut, c’est-à-dire la réussite, de
l’humanité tout entière.
Frères, je
vous souhaite à tous d’être des hommes d’espérance, de vivre l’espérance
au quotidien, comme une petite lumière dans la grisaille de nos jours.
Alors, comme dit encore Goldmann, dans la même chanson, nous aurons
« La sérénité des gens qui croient
« Ce repos d’âme que donnait (que donne) la foi ».
Joyeux Noël à
chacune et à chacun d’entre vous.
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