L'INTELLIGENCE DES ECRITURES
Nouvelle série : Saint Paul en son temps (6)
Qui était saint Paul ? Que lui apporta sa formation juive et grecque ? Comment écrivait-on à l'époque ? Qui vivait alors à Corinthe, Antioche, Ephèse ? Et comment y vivait-on ? Comment circulait-on ? Quelles étaient les grandes philosophies ? Quelle était la condition de la femme ? Autant de questions qui vont nous permettre, en 6 séquences (chaque quinzaine) de situer Paul en son temps.
(Vous trouverez aux archives les séquences précédentes.)
1 - Le dernier voyage à Jérusalem.
Notre source principale reste le livre des Actes des Apôtres. Luc, resté à Philippes, se joint à la bande (20, 4). Paul, averti d'un complot, n'a pas pris le bateau à Corinthe : il traverse toute la Grèce, repasse à Philippe, Troas, Milet. On est au printemps 58. On célébrera la Pâque à Philippe. On sera à Jérusalem (où Paul sera arrêté) pour Pentecôte. Le chapitre 20 des Actes est intéressant à de nombreux points de vue :
* Ouvrez un atlas et suivez le trajet parcouru par Paul et ses compagnons. C'est toute une leçon de géographie : de Philippes à Jérusalem, le long de la côte : Troas, Assos, Mitylène, etc...
* Nous découvrons également une considérable multiplication des communautés chrétiennes, sur tout le littoral. La propagation du christianisme en quelques années est impressionnante.
* Informations d'ordre liturgique également : Luc raconte la veillée de Troas et le rite de la fraction du pain. Lisez également le discours de Paul aux anciens d'Ephèse.
* Enfin, sur un plan symbolique, Luc décrit la montée de Paul à Jérusalem comme une copie de la montée de Jésus à cette Jérusalem "qui tue les prophètes et lapide ceux qui lui sont envoyés." Jésus prédisait sa passion. Paul est averti, de ville en ville, de ce qui l'attend. Notamment par Agabus (21, 11)
Paul, pressé d'arriver à Jérusalem, ne fait pas escale à Ephèse, mais à Milet, où il convoque les "Anciens" (amorce d'une hiérarchie ?). Luc, qui nous a donné plusieurs types de prédication de Paul - à Antioche de Pisidie (13, 16), à Athènes (17, 22) - nous donne ici le "Testament de Paul", ses dernières recommandations. On y voit ses préoccupations (on les retrouve dans Tite, 1 et 2 Timothée) : devant les hérésies menaçantes, il faut tenir bon la tradition apostolique.
2 - Paul à Jérusalem.
Paul trouve la Palestine en pleine ébullition. L'administration du gouverneur Félix est de plus en plus mal supportée. Elle est la cible de la propagande zélote. Les historiens ne sont pas tendres pour ce Félix, frère d'un Pellas, affranchi et favori de l'empereur Claude. Arriviste, il fait du pouvoir une source de revenus. Il est cruel et rapace. "Il exerça les pouvoirs d'un roi avec l'âme d'un esclave", écrit Tacite. A l'égard des zélotes, Félix usa tantôt de répression, tantôt d'accommodements. Ainsi, pour se débarrasser du grand-prêtre Jonathan qui lui reprochait ses injustices, Félix paya des "sicaires" pour le poignarder.
Atmosphère nationaliste survoltée : un Egyptien qui se disait prophète rassembla plusieurs milliers de partisans dans le désert. Il marcha sur le Mont des Oliviers. Là, Félix l'attaqua avec l'infanterie romaine. L'Égyptien réussit à se sauver, mais ses partisans furent tués ou faits prisonniers. C'est l'historien Josèphe qui raconte cela. On trouve une allusion en Actes 21, 38.
La situation de la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem était délicate : comment se situer entre les extrémistes des deux bords. D'où accueil mitigé de Paul par Jacques et les Anciens : on sait qu'il prêche la non-observance de la Loi. Jacques lui conseille la prudence et lui rappelle les règles pour la cohabitation entre judéo-chrétiens et pagano-chrétiens (21, 25).
A l'invitation de Jacques, Paul accepte de participer à une cérémonie de purification au Temple (21, 26). Non, il ne joue pas double-jeu ; il est réaliste, pas idéologue. L'essentiel est que l'intégrité de la foi soit sauve. Il ne veut ni choquer ni provoquer. Il l'a écrit tant de fois (1 Corinthiens 9, 20 - Romains 14 - 15)
Au Temple, surveillé par la forteresse Antonia, le premier parvis (la première cour) est accessible à tous, même aux païens. Mais à l'entrée de la deuxième cour, des inscriptions avertissent l'étranger : "Défense à tout étranger de franchir la barrière et de pénétrer dans l'enceinte du sanctuaire. Quiconque aura été pris sera lui-même responsable de la mort qui s'ensuivra." Ces inscriptions ont été retrouvées. L'une est au Louvre. Paul est accusé d'avoir introduit un Grec d'Asie Mineure. Il va être lynché quand la patrouille romaine intervient.
3 - De Jérusalem à Césarée.
Il nous faut nous intéresser davantage, parmi les épisodes hauts en couleur, à un certain nombre de faits :
* Le plaidoyer de Paul devant les Juifs (22, 1-21) où Paul met en valeur son attachement à la religion des pères.
* Paul échappe à la flagellation parce que citoyen romain (22, 22-29)
* Paul devant le sanhédrin (22, 30 - 23, 10) : Paul se présente comme pharisien et proclame sa foi en la résurrection. Habilement il suscite un conflit entre pharisiens et sadducéens.
* Le complot des Juifs contre Paul (23, 11-22) - Le transfert de Paul à Césarée (23, 23-35)
* Le réquisitoire des Juifs contre Paul : il a troublé l'ordre public et a profané le Temple.
* Plaidoirie de Paul : c'est tout faux. Il insiste sur sa foi en la résurrection (24, 10-21)
4 - L'internement qui s'éternise (24, 22-27)
Césarée est une ville qui a été créée par Hérode le Grand. Il voulait en faire la rivale d'Antioche, d'Alexandrie, etc. Le roi y déploie ses talents de bâtisseur ; surtout il fait tout pour plaire aux Romains, nommant cette ville Césarée, faisant construire un temple à Rome et à Auguste. La population est à moitié syrienne et à moitié juive, d'où de fréquentes bagarres. C'est là que le centurion Corneille se convertit : c'est le début de l'Église. Philippe, l'un des Sept, y habite avec ses quatre filles vierges qui prophétisent (21, 8-9). Paul prisonnier est assez libre : il peut recevoir ses amis. Félix le libérerait bien, si Paul payait un bakchich d'importance.
5 - L'appel au tribunal de César.
A ce moment ont lieu des heurts sanglants entre Juifs et Grecs à Césarée. Félix envoie à Rome des notables des deux partis, pour que Néron tranche. Néron remplace Félix par Festus, dans un souci d'apaisement. Pour se mettre bien avec le Sanhédrin, Festus reprend l'instruction du procès de Paul et lui propose de comparaître devant un tribunal juif. Paul réplique : "Je suis devant le tribunal de l'empereur, c'est donc là que je dois être jugé." Festus ne peut se dérober. Mais avant de l'envoyer à Rome, il doit réunir un dossier sur l'affaire. Comme Agrippa II et Bérénice sont en visite, il demande à Paul de s'expliquer (25, 13-27). Paul le fait dans une apologie prononcée avec solennité. Une nouvelle fois il raconte sa vie, sa conversion, l'appel de Jésus (26, 18). Paul est reconnu innocent, mais il en a appelé à César, il ira à Rome. Son voyage sera particulièrement tourmenté. Lisez le récit de ce voyage en Actes 27. C'est suffisamment détaillé pour que je ne fasse pas de commentaires. Le texte se suffit à lui-même.
6 - L'arrivée à Rome.
De Malte à Rome, bonnes conditions de voyage. Des frères accueillent Paul à Pouzzoles. Une fois de plus on constate la rapide diffusion de la foi, sans connaître les noms des missionnaires. Des chrétiens de Rome viennent attendre Paul au Forum d'Appius, à 65 kilomètres de la ville, d'autres aux Trois Tavernes (49 km), gîtes d'étapes sur la Via Appia.
Rome compte alors une communauté juive importante, depuis un siècle. Communauté renforcée par les esclaves vendus par Pompée en 61 avant Jésus-Christ à la suite de la conquête de la Palestine. Cette communauté fait bloc. Cicéron s'en plaint dans son plaidoyer pour Flaccus, un magistrat qui avait confisqué le montant de la collecte pour le Temple de Jérusalem. C'est César qui a reconnu officiellement la religion juive, et les Juifs lui en seront reconnaissants. Après son assassinat, ils mènent le deuil plusieurs nuits de suite autour de son tombeau (Suétone) On connaît onze synagogues, chacune avec son conseil d'anciens. C'est à des responsables de ce type que Paul s'adresse (28, 17). On parle le grec et on lit la Bible à la synagogue dans la version de la Septante.
En 49, il semble qu'il y avait déjà des chrétiens à Rome. Rappelez-vous l'expulsion par l'empereur Claude des Juifs qui se bagarrent "sous l'impulsion d'un certain Chrestos". Quand Paul a écrit aux Romains, les chrétiens sont déjà nombreux. Au début ils sont tous d'origine juive, mais très rapidement ceux-ci sont minoritaires, d'où tension entre les deux communautés, les "forts" et les "faibles (Romains 14-15, 13).
Le procès devant César. Paul en a appelé à César, mais ce n'est pas l'empereur en personne qui juge. Il délègue le préfet de la ville. Paul, grâce au rapport favorable de Festus, bénéficie du régime de la "custodia militaris" : au lieu d'être incarcéré dans la prison commune, il peut louer un appartement où il reste sous la surveillance de soldats. Surveillance stricte : normalement une chaîne relie le poignet droit du prisonnier au poignet gauche du soldat. Des adoucissements peuvent être accordés, par exemple promenade sans chaîne, dans un endroit clos. Paul a dû s'installer près du camp prétorien, dans le quartier Nord-Est de la ville. Il y restera deux ans.
Luc ne s'intéresse pas au procès devant l'empereur. Il ne parle que de la prédication de Paul. La communauté juive lui envoie une délégation : résultat négatif, comme ailleurs. Paul déclare que c'est l'heure de l'évangélisation des nations et de l'endurcissement d'Israël. Les Actes se terminent sur une perspective optimiste : Paul prêche avec une entière assurance et sans entraves. On devine que l'élargissement du prisonnier est imminent. Comment cela s'est-il passé ? Il ne semble pas que les Juifs aient poursuivi Paul devant le tribunal (28, 21). Peut-être, au bout de deux ans, y avait-il forclusion (certains papyri fragmentaires y font allusion). Peut-être simplement jugement de non-lieu, en l'absence d'une des parties. Le contexte sera différent après l'incendie de Rome en juillet 64.
7 - Paul et les communautés d'Asie Mineure.
Paul porte les préoccupations de toutes les Eglises. (2 Corinthiens 11, 28)
* Il reçoit la visite d'Epaphras, originaire de Colosses, qu'il a converti à Ephèse. Une fois converti, il est retourné à Colosses, puis Laodicée et Hiérapolis (Colossiens 4, 13) où il a créé des communautés chrétiennes. C'est la vallée du Lycus, affluent du Méandre : on y trouve une communauté juive importante, renommée pour sa production d'une laine noire lustrée. Colosses et sa région disparaissent lors d'un tremblement de terre vers 60/61. Seule Laodicée se relèvera de ses ruines et redeviendra riche (Apocalypse 3, 17). Epaphras semble avoir été débordé par des prédicateurs qui prônaient la circoncision (2, 11-13), des observances alimentaires (2, 16-21) et un calendrier où le culte de la terre s'harmonise avec le culte des anges (2, 16-18). C'est la même chose qu'avec les Galates, mais en plus ces faux docteurs se réclament de visions (2, 18), développent d'étranges théories sur les hiérarchies célestes (Puissances, trônes, dominations). Il y a là une certaine analogie avec la théologie de Qumran.
Epaphras fait donc son rapport, ce qui provoque, de la part de Paul, une profonde méditation sur la primauté du Christ en tous ordres. Le Christ est non seulement sauveur, mais créateur. Il est la sagesse divine, image de Dieu invisible, premier-né de toute créature, en qui tout a été créé. Il a détruit le pouvoir de toutes les puissances. Par le baptême, nous avons revêtu l'homme nouveau. (3, 10)
* Sur ces entrefaites, Paul convertit et baptise Onésime, esclave de Colosses, enfui à Rome. Paul l'a baptisé dans sa prison. Va-t-il le garder, car il lui est bien utile ? Il éprouve pour lui une grande tendresse. Pourtant, il le renvoie à son maître Philémon, un riche chrétien de Colosses, qui reçoit la communauté chrétienne dans sa maison. Paul confie à Tychique deux messages : aux Colossiens et à Philémon. Tychique est accompagné d'Onésime (Colossiens 4, 7). Paul demande à Philémon de ne pas punir l'esclave évadé, mais de le gracier et même de l'affranchir. Et Paul annonce son espoir d'une prochaine libération et d'un voyage à Colosses (Philémon 22)
* Ces deux lettres (Colossiens et Philémon) sont riches de nouvelles personnelles. On y trouve mentionnée toute l'équipe des collaborateurs de Paul : Marc (ils se sont donc réconciliés), Aristarque de Thessalonique (Actes 20, 4) qui avait accompagné Paul à Jérusalem pour porter la collecte, Démas, également de Thessalonique, qui l'abandonnera "car il aime trop le monde présent" (2 Timothée 4, 10), Luc, "le fidèle médecin", Epaphras qui partage la captivité de Paul (Philémon 23).
8 - Au sortir de prison.
* On ne sait pratiquement rien des dernières années de la vie de Paul. On sait qu'il est mort martyr à Rome. Mais quand ? Sans doute la 14e année du règne de Néron, c'est-à-dire entre juillet 67 et juin 68. Or il a quitté sa prison sans doute en 63. Qu'a-t-il fait pendant ces quatre-cinq ans ? De nombreux déplacements, si on lit les épîtres pastorales (1 et 2 Timothée, Tite). Eusèbe, l'historien de l'antiquité chrétienne, dit : "Il repartit de nouveau pour le ministère de la prédication, puis il vint pour la seconde fois dans la ville où il mourut martyr. C'est alors qu'étant emprisonné, il composa la 2e lettre à Timothée." Mais Eusèbe, prudent, emploie plusieurs fois les mots "dit-on". C'est pourtant la meilleure hypothèse.
* Paul est-il allé en Espagne comme il en avait l'intention (Romains 15, 28) ? Clément de Rome semble l'affirmer. Mais rien n'est sûr.
* Par contre, on a de nombreuses données sur des voyages en Orient :
- à Ephèse, Paul laisse à Timothée le soin de veiller sur la bonne marche de la communauté.
- En Crète, Tite est chargé d'organiser l'Eglise, et en particulier de nommer des presbytres (Tite 1, 5)
- De passage à Troas, Paul y laisse son manteau d'hiver et des parchemins (2 Timothée 4, 13).
- C'est à Nicopolis (en Dalmatie) que Paul passe un hiver. Le lieu est bien choisi: c'est un lieu de transit entre la Grèce et l'Italie méridionale.* Les événements vont vite. En 62, le grand-prêtre Anne, profitant de la vacance du pouvoir entre Festus et Albinus, fait lapider Jacques "frère de Jésus" et certains autres, les accusant d'avoir transgressé la Loi (Josèphe). Des pharisiens, indignés, demanderont à Albinus de révoquer Anne.
En juillet 64, incendie de Rome par Néron (Tacite). Persécution des chrétiens, transformés en torches vivantes dans les jardins du Vatican. Pierre est crucifié et inhumé sous de pauvres tuiles, non loin du cirque de Néron. A cette époque, les chrétiens, jusque-là tolérés comme une secte juive, sont interdits. Pourquoi cette différenciation ? Sans doute dénonciation des Sadducéens, transmise à Rome par l'intermédiaire de Poppée, épouse de l'empereur et prosélyte. Mais il n'y aura pas de persécution généralisée avant le IIIe siècle.9 - Le martyre à Rome.
Paul, sans cesse sur le qui-vive (relire les épitres pastorales) donne l'impression d'un être inquiet. Un jour il sera dénoncé par Alexandre le fondeur (2 Timothée 4, 14). Il est arrêté, transféré à Rome, dans la prison Mamertine. Onésiphore le rejoint (2 Timothée 1, 16-18). Luc, de même (2 Timothée 4, 11). Au procès, Paul se retrouve seul (2 Timothée) alors que d'habitude les parents et les amis entourent l'accusé. Il est invité à présenter sa défense. Quelques semaines plus tard, il est décapité, sur la voie d'Ostie.
Comme on ne sait rien d'autre, historiquement, sur Paul, je m'arrête là. Ce travail, destiné à situer Paul en son époque, est un travail de vulgarisation, à partir d'un certain nombre de livres et de brochures parus ces dernières années. Ce n'est donc pas du roman. Il n'a pour but que de vous inciter à faire vous-même votre recherche, à commencer par les Actes des Apôtres et les Lettres de saint Paul lui-même (même si, parfois, c'est difficile à comprendre : ce n'est pas moi qui le dis, c'est saint Pierre lui-même, en 2 Pierre 3, 15-16, ce qui n'est pas très fraternel de sa part.)
FIN Retour au sommaire