DIMANCHE
DE LA PENTECOTE
Évangile de Jésus
Christ selon saint Jean (Jn
14, 15-16.23b-26)
En ce temps-là, Jésus
disait à ses disciples :
Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre
Défenseur
qui sera pour toujours avec vous.
Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ;
mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui
et, chez lui, nous nous ferons une demeure.
Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles.
Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi :
elle est du Père, qui m’a envoyé.
Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ;
mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en
mon nom,
lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de
tout ce que je vous ai dit. »
oOo
Universel et méconnu
Pentecôte, fête de l'Esprit ! Il n'y a rien de plus
universel, et en même temps de plus méconnu que l'Esprit de
Dieu, dont nous fêtons aujourd'hui la venue sur la jeune Eglise,
au jour de la Pentecôte.
Rien de plus universel : c'est l'Esprit qui nous
fait vivre. Le mot hébreu signifie «respiration», «souffle», et
vous vous rappelez certainement le chapitre 2 de la Genèse, où
il est raconté que Dieu, après avoir façonné un homme avec de la
glaise, a soufflé dans ses narines un souffle de vie. Dieu à
l'origine de toute vie : c'est ce qu'exprimait le psaume que
nous chantions il y a un instant : «Tu retires ton souffle, ils
expirent, ils retournent à la poussière ; tu donnes ton souffle,
ils sont vivants.» Dans toute la pensée biblique, nous sommes
vivants grâce à cet Esprit, au souffle de Dieu : il nous donne
sa vie. Il y a plus que cela. Rappelez-vous maintenant le
premier chapitre de la Genèse, où l'on nous dit qu'au
commencement, la terre était informe et vide (le mot hébreu,
c'est «tohu-bohu»), et l'Esprit de Dieu planait sur les eaux.
Comme pour bien mettre en l'Esprit de Dieu l'origine de tout :
non seulement des êtres vivants, mais de tout le cosmos, de
toute la matière, de l'univers. Ce que saint Paul exprime dans
cette phrase : «En lui, nous avons la vie, la croissance et
l'être.»
Et pourtant, l'Esprit reste pour beaucoup le grand
inconnu, ou plus exactement «inutilisé». Il faut reconnaître
qu'"il souffle où il veut", et que bien que nous soyons «nés de
l'eau et de l'Esprit», baptisés (c'est-à-dire plongés) dans
l'eau et dans l'Esprit, on ne peut pas dire que nous en vivions
d'une manière consciente. Aussi, ce matin, je voudrais
simplement faire quelques remarques pour vous parler de cet
Esprit qui est facteur d'unité et d'ouverture.
Facteur d'unité
Facteur d'unité. A condition de ne pas confondre
unité et uniformité. Toute l'humanité a toujours cherché à faire
son unité. On sait bien que ce n'est pas dans les divisions, les
guerres, les querelles, que pourra se faire la réussite de notre
monde. En chaque homme, il y a ce désir de paix dans l'unité.
Mais il y a plusieurs manières de faire l'unité. La plus courte
consiste à éliminer ceux qui ne pensent pas comme nous, à
supprimer toute contradiction. Voir ce qui se passe dans toutes
les guerres. Il y a une autre manière de chercher l'unité :
c'est d'obliger les hommes à penser tous de la même manière que
le chef. Voir tous les régimes totalitaires. Tout le monde doit
tenir le même langage, penser de façon identique. Les nazis
avaient érigé cela en slogan : «Ein Volk, ein Reich, ein Führer»
Un seul peuple, un seul empire, un seul guide. Et celui qui ne
marche pas, on l'élimine, dans un camp de concentration ou un
asile psychiatrique. Nous avons connu cela, tout au long du
siècle dernier.
Cela me rappelle l'histoire de la tour de Babel.
C'est l'anti-Pentecôte. Vous vous souvenez sans doute de ce
vieux mythe, qui se trouve dans les premiers chapitres de la
Genèse. Que raconte cette histoire ? Elle raconte que les
hommes, commençant à devenir nombreux sur la terre et ayant peur
de se disperser, ont décidé de bâtir une tour, une citadelle
«qui atteindrait le ciel». Et la Bible raconte que Dieu, ayant
regardé ce qu'ils étaient en train de faire, a dit : «Mon projet
est différent.» Et il a détruit la tour de Babel, pour que les
homme se dispersent à la surface de la terre. Ils avaient le
même langage, les mêmes paroles, ils avaient peur de la
différence, ils pratiquaient (déjà) la langue de bois. Alors,
Dieu les a dispersés. Leur mission était ailleurs : remplissez
la terre. C'est cela, le mythe de la tour de Babel : il illustre
tout ce qu'a connu notre époque dans sa recherche
d'unité-uniformité, d'unité-contre les autres qu'il faut
éliminer.
Esprit d'ouverture
Au contraire l'Esprit «qui souffle où il veut» est
Esprit d'ouverture. Il n'acceptera jamais d'être enfermé dans
l'enceinte d'un groupe humain, fût-ce dans l'enceinte vénérable
des Eglises. il souffle où il veut. On ne sait ni d'où il vient
ni où il va. En cela, il est terriblement imprévisible. Il est
comme le vent. Regardez Jésus, «conçu de l'Esprit Saint». Ses
contemporains se sont toujours posé la question. D'où vient-il ?
Pour certains, «de Nazareth», «de Joseph», «de Dieu», «du
diable». De même, quand il dit, le soir de son arrestation,
«Vous savez où je vais et vous savez le chemin», c'est Thomas
qui lui répond : «Nous ne savons pas où tu vas, comment
saurions-nous le chemin ?» Jésus poussé par l'Esprit déconcerte
les gens. Et de même, beaucoup de gens, qui ont toujours un
désir d'unité-cocon, d'unité-ghetto, risquent d'être déconcertés
par l'action de l'Esprit aujourd'hui. Même au sein de l'Eglise :
c'est difficile d'accepter l'autre comme différent, comme celui
qui ne pense pas comme nous.
Relire sans cesse le texte des Actes, le récit de la
première Pentecôte chrétienne. Que s'est-il passé ? Ils étaient
là enfermés dans l'enceinte du Cénacle. Le mot «enceinte» a deux
significations : il désigne la femme qui attend un enfant, et
aussi les murailles d'une ville, et d'une manière plus générale,
tout ce qui enferme. L'Esprit de Dieu refuse toutes les
enceintes. Comme il a provoqué violemment l'accouchement d'une
humanité plurielle en détruisant la tour de Babel, de même, à la
Pentecôte, on a l'impression que tous les murs disparaissent
d'un seul coup pour permettre l'accouchement d'une humanité
nouvelle (l'Eglise) où tous pourront s'entendre, malgré les
différences de races, de langues, da nationalités, d'ethnies.
Les Apôtres étaient enfermés dans leurs peurs, ils réalisent
tout à-coup, sous l'action de l'Esprit, que leur mission est
pour le monde «sur toute la surface de la terre». Et dès ce
matin-là, ils vont communiquer. Le contact est facile, total. Il
n'y aura pas qu'une seule langue : chacun garde ses
particularismes, mais tout le monde entend la Bonne Nouvelle.
Avec les murs qui s'écroulent, disparaît dans l'Eglise la
barrière des langues. Il n'y a plus d'enceinte. Voici enfin
l'ouverture nécessaire à l'unité-universalité.
Des courants d'air
Ce qui veut dire pour chacun de nous, baptisés dans
l'Esprit, qu'il faut toujours faire attention, personnellement,
à ne pas avoir des œillères dans notre manière de regarder
l'autre. Ce qui veut dire aussi qu'il faut que nous ayons une
grande bienveillance envers tous ceux que la Providence met sur
notre route, dans notre quartier, notre école, notre milieu de
travail. Nous avons reçu l'Esprit d'amour. Si nous le laissons
travailler en nous, nous serons une Eglise ouverte,
bienveillante, accueillante, où l'on ne parlera plus la «langue
de bois», où l'on vivra la diversité. Et, les murs étant tombés,
il y aura beaucoup de gens qui désireront vivre de l'Esprit
d'amour.
Au
début du siècle dernier, le poète Paul Claudel, se moquant de
tout ce qui empêchait l’Eglise de s’ouvrir au monde, écrivait,
parlant du Saint Esprit : « La nuit, le grand vent primitif
qui souffle sur les eaux, quelqu’un qu’on ne voit pas, mais qui
ne nous permettrait plus d’être confortablement chez nous.
Esprit de Dieu, n’entrez pas, je crains les courants d’air. »
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