"Tous furent remplis d'Esprit Saint"
DIMANCHE DE LA PENTECOTE (B)
Evangile de Jésus Christ selon saint Jean 15, 26 – 16, 15
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur. Et vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous êtes avec moi depuis le commencement.
J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître.
Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître.
oOo
Une belle légende ?
Le récit de la venue de l'Esprit Saint sur les apôtres, tel qu'il est rapporté par Luc au début du livre des Actes, peut nous paraître, à nous, hommes de ce siècle, une belle légende, un conte de fées. On se dit : ce n'est pas possible, toute cette histoire d'un vent violent qui souffle sur une maison, un beau matin d'été, de langues de feu qui viennent se poser sur la tête des apôtres, et tous ces gens qui entendent dans leur propre langue et qui comprennent le discours que leur tiennent Pierre et ses camarades. Que s'est-il passé ? Et avec notre mentalité positiviste, nous nous demandons ce qu'il peut y avoir d'historique là-dedans.
J'ai envie de poser la question autrement et de me demander : «Mais qu'est-ce que Luc a voulu nous dire, en nous racontant ainsi la venue de l'Esprit Saint ?»
La fête des moissons
Le mot Pentecôte signifie, vous le savez, le cinquantième jour après la Pâque : sept semaines, plus un jour. C'est une fête très ancienne : c'est la fête des moissons. On vient offrir à Dieu la première gerbe. Et en même temps qu'on dit merci à Dieu pour cette belle récolte, on le remercie pour cette terre qu'il a donnée à son peuple, pour cette terre d'Israël, si fertile. Et merci à Dieu pour cette alliance qu'il a conclue avec le peuple. On se souvient, en effet, qu'au Sinaï, lorsque Dieu fait alliance avec son peuple, il lui promet une terre «où coulent le lait et le miel», à condition que le peuple soit fidèle à l'alliance. Et donc, au jour de la Pentecôte, on se souvient de tout cela en venant dire merci à Dieu pour tous ses bienfaits. En même temps, on se rappelle qu'au Sinaï, lorsque Dieu s'est présenté à Moïse, il l'a fait dans le feu et l'ouragan. Le récit de cette manifestation dans la Bible est terrifiant. Mais c'est là que se constitue le peuple que Dieu s'est choisi.
Un nouveau peuple de Dieu
Dans le récit des Actes, que veut dire cette histoire de vent et de feu ? D'abord cela : un nouveau peuple de Dieu est constitué, au matin de Pentecôte. Mais pourquoi un nouveau peuple ?
Quand on survole l'histoire des relations de Dieu avec l'humanité, telle qu'elle est écrite dans la Bible, on s'aperçoit que Dieu veut être de plus en plus proche des hommes. Dans l'alliance du Sinaï avec le peuple juif, donc dans tout l'Ancien Testament, il y a une certaine relation entre Dieu et son peuple. Mais en même temps, il y a une certaine distance. On garde bien ses distances. Certes, Dieu, qui habite au ciel, a sa «résidence secondaire» à Jérusalem, au cœur du Temple. Mais, le cœur du Temple, c'est le «saint des saints», où personne n'a le droit d'entrer, sauf le grand-prêtre, une fois par an. Il y a une distance entre Dieu et les hommes.
Or, voilà que la distance se raccourcit avec la venue de Jésus. Il est «l'Emmanuel», Dieu-avec-nous. Dieu parmi les hommes. On va le rencontrer, on va parler avec lui, le côtoyer. Il va y avoir des relations de toutes sortes, amour, accueil, rejet, qui vont s'établir avec lui. Il y a une proximité de Dieu. Mais Dieu n'est pas encore satisfait de cette proximité. Il veut être, non pas «Dieu avec nous», mais Dieu en nous. C'est pourquoi il nous envoie son Esprit, sa vie même. l’Esprit est celui qui nous anime. Il n'y a plus de distance entre Dieu et nous.
Communication et ruptures
Il nous anime, mais pour quoi faire ? Les plus anciens d'entre nous se rappellent qu'ils ont appris au catéchisme qu'il y avait sept dons du Saint-Esprit, tous plus difficiles les uns que les autres à mémoriser. Et cela ne nous disait pas grand chose, cette énumération. Je voudrais simplement dire deux choses, à propos des dons que Dieu nous fait par son Esprit,: c’est un Esprit qui permet la communication et un Esprit qui nous pousse à des ruptures, justement pour faciliter la communication.
D'abord la communication. Il y a dans le récit, une relation mise volontairement par Luc entre les «langues» de feu et le «langage» que tout le monde comprend. Il n'y a pas une seule langue. Ce n'est pas comme à Babel, où les gens voulaient vivre l'unité-uniformité. Ici, il va y avoir toute une diversité de langues, de races, de cultures. Vous avez entendu l'énumération de tous ces peuples, pas seulement ceux qui vivent autour du bassin méditerranéen, mais jusqu'aux Irakiens, aux Iraniens, aux Arabes...Tous ces gens de races différents, ils s'entendent, ils se comprennent. Au double sens du terme. Pas seulement grâce à une bonne ouïe, mais parce qu'il y a une relation vraie qui se crée, dans la richesse de la diversité. Les murs du «lieu où se tenaient les apôtres» semblent avoir disparu, la convivialité se crée spontanément. Il y a une possibilité pour le nouveau peuple de Dieu de communiquer.
L’Esprit est aussi Esprit de rupture. On imagine mal la première rupture que l'Esprit a opéré dans la mentalité des apôtres au matin de la Pentecôte. Ces braves Juifs, pour qui les non-Juifs étaient moins que rien (des «chiens», disait-on), vont parler à des non-Juifs. Certes, sans doute, des «prosélytes» ou des «craignant-Dieu», proches de la religion juive, mais, quand même des étrangers. Et surtout, avec les cinq mille conversions dont parlent les Actes, la petite communauté ne va plus être une Eglise juive, mais déjà prendra une autre coloration. On va parler grec, on va parler latin. L'Eglise va devenir l'Eglise de l'Empire Romain... avant d'opérer une autre rupture et de «passer aux barbares». Elle sera plus tard l'Eglise du monde occidental. Mais l'Esprit nous pousse à ne jamais nous attacher à une culture, à des modes de pensée, à des mentalités acquises, pour nous ouvrir à d'autres.
Tenez : aujourd'hui, la plupart de nos contemporains, qui vivent près de nous, considèrent la Pentecôte comme l'occasion d'un long week-end, où l'on part à la campagne, où il y aura de nombreux morts sur les routes, mais pas comme la fête de l'Eglise. Nous vivons dans une société où règne l'indifférence religieuse. Les valeurs - ou les contre-valeurs - de ce monde sont totalement différentes, voire opposées à ce que nous considérons, nous chrétiens, comme l'essentiel, sur le plan éthique par exemple, (mais sur tous les plans c'est pareil.) Qu'allons-nous faire ? Nous replier frileusement sur notre foi en regrettant le bon vieux temps et en vilipendant ce monde sans morale ? Certainement pas, si nous nous laissons guider par l'Esprit. Rupture avec l'Eglise d'autrefois, cela veut dire aujourd'hui aller à ceux qui ne pensent pas comme nous, qui ne vivent pas les mêmes valeurs que nous. Non pas pour tout bénir, mais pour entrer en communication, sans anathèmes, et pour dire notre foi et nos convictions. Voilà comment, aujourd'hui, je reçois le message que Luc a voulu nous faire passer à travers le récit du livre des Actes.