L'APOCALYPSE

(Gilles Brocard)


Article 4 : la lettre à Pergame

Apocalypse 2, 12 – 17

Le contexte historico-géographique : Pergame une ville de grande culture qui à l’époque, rivalise avec Alexandrie ; elle est riche car elle est située sur une route caravanière et commerce principalement le parchemin - d’où son nom de « Pergame » qui signifie « parchemin » - Cette ville possède une haute cour de justice qui a le pouvoir de condamner les gens en utilisant un caillou blanc (acquitté) ou noir (condamné à mort) ; Pergame possédait un temple dédié à l’empereur de Rome et de nombreux temples païens, ce qui faisait d’elle un centre important dédié à l’adoration de César.

Le passage : Ap 2, 12 – 17

12 À l’ange de l’Église qui est à Pergame, écris : Ainsi parle celui qui a le glaive acéré à deux tranchants :

13 Je sais où tu habites : c’est là que Satan a son trône ; mais tu tiens ferme à mon nom, et tu n’as pas renié ma foi, même dans les jours où Antipas, mon témoin fidèle, a été mis à mort chez vous, là où Satan habite.

14 Mais j’ai quelque chose contre toi : tu as là des gens qui tiennent ferme à la doctrine de Balaam ; celui-ci enseignait à Balaaq comment faire trébucher les fils d’Israël, pour qu’ils mangent des viandes offertes aux idoles et qu’ils se prostituent.

15 De même, tu as, toi aussi, des gens qui tiennent ferme à la doctrine des Nicolaïtes.

16 Eh bien, convertis-toi : sinon je vais venir à toi sans tarder ; avec le glaive de ma bouche je les combattrai.

17 Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises. Au vainqueur je donnerai de la manne cachée, je lui donnerai un caillou blanc, et, inscrit sur ce caillou, un nom nouveau que nul ne sait, sauf celui qui le reçoit.


L’adresse : V 12 - « A l’Ange de l’Eglise de Pergame, écris : Ainsi parle celui qui possède le glaive acérée à double tranchant. – cette description de Jésus comme Celui qui possède l’épée à double tranchant fait clairement allusion à sa parole dans l’Evangile de Matthieu : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée ». (Mt 10, 34).  Cette parole se retrouve dans l’épitre aux Hébreux qui nous fournit la symbolique de cette épée : « Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur.» Oui la parole de Jésus est bien tranchante en ce sens qu’elle distingue par son authenticité entre le vrai et le faux, le bien et le mal, ce qui est juste et injuste. Cette parole en or évite la confusion et rejette loin toute langue de bois. C’est bien là le problème de cette communauté de Pergame, nous allons le voir dans les versets qui suivent.

Les symptômes : V 13 - Je sais où tu demeures : là est le trône de Satan. Mais tu tiens ferme à mon nom et tu n’as pas renié ma foi, même aux jours d’Antipas, mon témoin fidèle, qui fut mis à mort chez vous, là où demeure Satan. La communauté de Pergame est solide, elle tient au Christ et n’a jamais renié sa foi. A l’image d’un membre important de cette communauté, Antipas qui mourut martyr sans renier sa foi, et devint ainsi un exemple pour la communauté. Mais par deux fois, Jean précise que Satan habite à Pergame ! Terrible parole de vérité qui n’est certainement pas facile à entendre pour les chrétiens de cette communauté, mais qui va trancher et permettre de distinguer le bien du mal.

Le mal : V 14 – 15 : j’ai quelque chose contre toi : tu as là des gens qui tiennent ferme à la doctrine de Balaam ; celui-ci enseignait à Balaaq comment faire trébucher les fils d’Israël, pour qu’ils mangent des viandes offertes aux idoles et qu’ils se prostituent. De même, tu as, toi aussi, des gens qui tiennent ferme à la doctrine des Nicolaïtes ». Si cette Eglise est forte par rapport aux attaques extérieures, (les persécutions par ex, à l’instar d’Antipas), elle est pourtant faible à l’intérieur, menacée par quelques membres de la communauté adeptes de Balaam et très influents. Jean prends le temps d’expliquer qui était Balaam dans la première alliance, citant le livre des Nombres : « Voici, ce sont elles qui, sur la parole de Balaam, ont entraîné les enfants d'Israël à l'infidélité envers Yahweh, dans l'affaire de Phogor; et alors la plaie fut dans l'assemblée de Yahweh. » (Nb 31,16) Autrement dit, le ver est dans le fruit ! Comme je vous l’ai dit, Pergame grouillait de temples païens et il n’était pas rare de voir des chrétiens aller rendre un sacrifice à César et ensuite à Dieu ! C’est là que la parole en or de Jésus vient trancher dans le vif : « qui est votre Dieu ? César ou Mon Père ? » La prostitution dont il est question ici est celle qui consiste à aller voir d’autres dieux que le Dieu de Jésus-Christ ! Comme les hébreux peu de temps après leur installation en Canaan à la sortie de l’exode : ils se tournèrent vers d’autres dieux (Baal).(Pour en savoir plus sur cette période, lire Deutéronome 8).

C’est précisément ce à quoi fait allusion le verset 15 : « De même, tu as, toi aussi, des gens qui tiennent ferme à la doctrine des Nicolaïtes ». Nous avons déjà entendu parler des Nicolaïtes dans la lettre à l’Eglise d’Ephèse : St Irénée et St Clément d’Alexandrie citent sous ce nom une secte gnostique, inconnue par ailleurs, qu’ils rattachent à Nicolas, prosélyte d’Antioche, mais on ne sait pas grand-chose de ce mouvement, dont le nom est peut-être symbolique. En effet, en grec, nikos signifie « conquérant » ou « destructeur », et laos signifie « peuple ». Les Nicolaïtes étaient donc des destructeurs (ou conquérant) du peuple. Dans le premier Testament, il existe un certain « Nemrod » (petit fils de Noé) dont le nom a la même signification en hébreux (Gn 10, 8-9). Il avait conquis les peuples et fondé la civilisation humaine. Mais par la suite, Nemrod avait ordonné à ses sujets de l’adorer à la place de Dieu. C’est lui qui eut l’idée de construire la tour de Babel. Même après sa mort, ses fidèles continuèrent à l’adorer en tant que leur chef héroïque. Il était appelé « Baal ». Ce nom signifie « Maître » et « Seigneur ».

Sachant cela, nous comprenons mieux où est le mal dont est atteinte Pergame selon Jean : dans le manque de vérité de leur relation à Dieu ! Le mal à Pergame, c’est que quelques chrétiens se laissaient entrainer par des doctrines autres que la Parole de l’Evangile et finissaient par répandre eux-mêmes à l’intérieur de l’Eglise, des paroles fausses concernant la conduite à tenir, le culte à rendre et l’enseignement des apôtres. Le mal à Pergame tourne donc autour de la question de la vérité.

Les remèdes  V 16 - Allons ! Repens-toi, sinon je vais bientôt venir à toi pour combattre ces gens avec l’épée de ma bouche. – Le premier remède, c’est de se repentir, de changer de pente, de ne plus suivre la pente des adorateurs d’idoles, mais celle de ceux qui adorent Dieu en Esprit et en Vérité, comme le dit Jésus à la Samaritaine: « L’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. » (Jn 4, 23-24).

Le second remède, (si le premier ne marche pas ou n’est pas suffisamment efficace) c’est le Christ lui-même qui va l’apporter : il viendra lui-même combattre ceux qui suivent la doctrine de Balaaq, au sein de l’Eglise elle-même. Il les combattra avec « l’épée de sa bouche », c’est-à-dire avec la parole de Dieu. Cette image de l’épée à deux tranchants sera reprise à la fin du livre de l’apocalypse : « Notre Roi, le Seigneur Jésus Christ reviendra sur un cheval blanc avec une épée à deux tranchants qui sortira de sa bouche afin qu’il en frappe les nations. (Ap 19,15). Il ne s’agit pas de vengeance de la part de Jésus, mais de sa volonté de tout faire pour que la Vérité advienne, en combattant le mensonge, car il sait Lui, que seule la vérité nous rendra libre. Lui Jésus, qui se désigne comme le chemin, la vérité et la vie, sait que le chemin qui va à la vie passe par la vérité (le mot « vérité » est en effet situé entre le mot « chemin » et le mot « vie »).

Comme je le disais au début de cet article, la Parole de Jésus est tranchante, elle distingue ce qui a besoin de l’être, un peu comme Dieu qui, pour créer le monde a séparé la lumière des ténèbres, les eaux de la terre et les eaux du ciel (cf Gn 1). Oui Dieu créé en distinguant, il fait advenir la Vie en séparant, afin de faire sortir de la fusion ou de la confusion. Voilà pourquoi Jésus dira « qu’il est venu pour séparer le fils du père et la belle fille de la belle-mère… » (Mt 10, 35-36), pour les empêcher de fusionner et pour que grâce à cet espace, ils puissent devenir eux même sans fusion ni confusion.

Enfin la promesse  V 17 - Celui qui a de l’oreille, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Eglises : au vainqueur, je donnerai de la manne cachée et je lui donnerai aussi un caillou blanc, un caillou portant gravé un nom nouveau que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit. - La manne était la nourriture donnée par Dieu aux hébreux dans le désert (Ex 16, 31) pour les aider à tenir le coup dans leur chemin vers la terre promise, signe d’un Dieu qui prend soin de son peuple au quotidien. C’est là l’origine de la phrase du Notre Père : « donne nous aujourd’hui notre pain de ce jour » c’est-à-dire « donne nous la force pour aujourd’hui, pour faire face à mes soucis de ce jour (pas ceux de demain) certain que demain tu me donneras ce dont j’aurais besoin pour faire face à ce qu’aurai à vivre demain. Cette manne, c’est aussi pour les premiers chrétiens une allusion évidente à l’eucharistie, au pain de vie, qui doit être la seule nourriture céleste dont ils devaient se nourrir par opposition aux viandes offertes aux idoles pointées du doigt au verset 14. C’est une façon d’inviter les chrétiens de Pergame à faire confiance à Jésus, véritable pain de vie, le seul capable d’offrir la vraie nourriture dont l’Homme a besoin.

La seconde promesse est un caillou blanc sur lequel est gravé un nom nouveau. Ce caillou fait allusion à la cour de justice de Pergame dont je parlais tout au début de cet article et qui permettait d’innocenter un justiciable. Cela veut dire que l’Homme qui se tourne vers Jésus est foncièrement innocent aux yeux de Dieu. Ce point est important à souligner tant je rencontre de chrétiens persuadés d’être coupables de tout !!! De plus, ce caillou rappelant l’innocence foncière de l’Homme, porte un nom gravé dessus : un nom nouveau, celui de notre être advenu à son achèvement, à sa réalisation totale, mon être définitif, divinisé, ayant atteint sa stature finale que seul Dieu connait. On peut facilement reconnaitre dans ce don du caillou gravé à mon nom, le geste de l’Amoureux qui a gravé le nom de celui ou de celle qu’il aime sur l’écorce d’un arbre ou sur un caillou afin que ce nom ne disparaisse jamais, pour qu’il reste gravé dans son cœur, comme il l’est sur cette pierre. J’aime à penser que Dieu a gravé mon nom propre (ou mon prénom) sur un caillou ou sur la paume de ses mains comme le dit Isaïe (Is 49, 16) et qu’il m’offre ce prénom comme un cadeau, signe de ce que je suis appelé à devenir, dans ma stature finale, dans mon unicité. Quel cadeau ! Recevoir ce nom, c’est donc recevoir la connaissance de mon être personnel, de ce que je suis en réalité, parce que j’aurai fait œuvre de vérité avec moi-même et avec les autres, car Dieu sait combien ce sont aussi les autres qui nous révèlent à nous même.

« L’Esprit de vérité vous conduira vers la vérité tout entière » (Jn 16, 13) : je termine cet article par une actualisation à propos de l’Eglise d’aujourd’hui et de son rapport à la vérité. En effet, comme je vous l’ai dit dans l’introduction à cette lecture des chapitres 2 et 3 de l’Apocalypse, ces lettres aux 7 Eglises sont une belle occasion pour faire le bulletin de santé de notre Eglise actuelle. Cette lettre à l’Eglise de Pergame m’invite à me demander si l’Eglise d’aujourd’hui ne serait pas atteinte de la même maladie que celle de Pergame… C’est alors que me vient à l’esprit la manière désastreuse avec laquelle l’Eglise a traité la question des prêtres pédophiles à la fin du siècle dernier. Je suis désolé de parler de cela ici, mais je me dis que ce n’est pas l’esprit de Vérité qu’elle a écouté dans ces affaires, mais davantage sa peur d’être démasquée, de paraitre faible et de reconnaitre son péché, qui lui a fait choisir d’étouffer ces actes criminels au détriment de la prise en compte de la souffrance des victimes. Heureusement cela change aujourd’hui ! Mais que de mal commis à cause de la cécité volontaire des certains membres de l’Eglise !!

Fidèle à Jean dans l’apocalypse, il est nécessaire de passer les comportements de l’Eglise au double fil tranchant de l’épée de la vérité pour mettre au jour les péchés couverts par l’Eglise pendant trop longtemps. Ce mensonge qui ronge certaines de nos Eglises actuelles comme celle de Pergame, se loge aussi dans les relations pas toujours très franches entre les membres d’une même communauté, d’une paroisse ou d’une institution religieuse, qui préfèrent faire l’autruche pour ne pas faire de vagues, mettre les problèmes sous le tapis pour se donner l’illusion de l’unité plutôt que de les regarder en face pour mieux les résoudre. Car à chaque fois que nous sommes dans le déni, nous permettons à l’esprit du mal (Satan) de faire son œuvre, car il est le prince du mensonge. En revanche, celui qui écoute le souffle de vie, l’Esprit de vérité qui le pousse à dire ce qui est juste, qui l’invite à être vrai avec lui-même comme avec les autres, celui-là fait advenir le royaume de Dieu et « sauve des vies » comme le dit le livre des proverbes (Pr 14, 25) : « Il sauve des vies, le témoin qui dit vrai ».

Ce que je dénonce ici ne m’empêche pas de voir aussi tout le bien commis par les membres de l’Eglise, mais cette Parole de Dieu qu’est la lettre à Pergame me somme de débusquer toute langue de bois (ou langue de buis quand il s’agit de l’Eglise) pour laisser retentir une parole en or, celle du Christ, une parole de vérité, qui met en lumière les manipulations du double langage, une parole qui nomme ce qui n’est pas juste, qui différencie ce qui a besoin de l’être pour que dans cet espace ainsi créé par la Vérité, (donc par le Christ) sombre toutes nos compromissions et grandisse la liberté des enfants que Dieu… que nous sommes. Car seule la vérité nous rendra libres ! (Jn 8, 32).

Je vous donne rendez-vous au mois prochain pour le bulletin de santé de l’Eglise de Thyatire qui nous aidera à débusquer une autre maladie de l’Eglise.

En attendant, je vous souhaite une très bonne année 2017.

Gilles Brocard