Article 6
Le contexte :
Sardes est une ville qui se situe à environ 80 km à l’Est de Smyrne et à 50 km au sud-est de Thyatire. C’est une cité riche et la majorité de la population pratiquait l’adoration des dieux païens avec ses cultes mystérieux et des sociétés secrètes. Cette ville possédait un temple magnifique édifié en l’honneur d’Artémis. Le peuple était devenu idolâtre vénérant la déesse Cybèle. Cette vénération sous-entendait des orgies pendant les fêtes en son honneur. Sardes se croyait en sécurité à cause de sa richesse et de sa situation géographique (elle se situe sur un piton rocheux), pourtant l’acropole est tombé deux fois devant l’ennemi à cause de son manque de vigilance.
Le texte : Ap 3, 1-6 :
01 À l’ange de l’Église qui est à Sardes, écris : Ainsi parle celui qui a les sept esprits de Dieu et les sept étoiles : Je connais ta conduite, je sais que ton nom est celui d’un vivant, mais tu es mort.
02 Sois vigilant, raffermis ce qui te reste et qui allait mourir, car je n’ai pas trouvé que tes actes soient parfaits devant mon Dieu.
03 Eh bien, rappelle-toi ce que tu as reçu et entendu, garde-le et convertis-toi. Si tu ne veilles pas, je viendrai comme un voleur et tu ne pourras savoir à quelle heure je viendrai te surprendre.
04 À Sardes, pourtant, tu en as qui n’ont pas sali leurs vêtements ; habillés de blanc, ils marcheront avec moi, car ils en sont dignes.
05 Ainsi, le vainqueur portera des vêtements blancs ; jamais je n’effacerai son nom du livre de la vie ; son nom, je le proclamerai devant mon Père et devant ses anges.
06 Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises.
L’adresse :
V1a : « Ainsi parle celui qui a les sept esprits de Dieu et les sept étoiles » : Le chiffre sept est bien sûr symbolique, il dit la perfection : ainsi le Christ est ci désigné comme Celui qui tient tout : les sept étoiles sont les Eglises dont il est question dans ces chapitres 2 et 3 et les 7 esprits sont l’Esprit de Dieu qui habite en chaque Eglise. Je vois ici une volonté de nous dire que l’esprit est donné spécifiquement à chaque Eglise, selon leur besoins. Il en va de même avec nous, l’Amour dont Dieu nous aime, qu’il insuffle en nous est bien sûr toujours le même mais, force est de constater que les effets sur nous sont très divers : à l’un il donne la paix, à l’autre la joie, à un troisième le courage, etc... Voilà encore une belle caractéristique du Christ qui, par son Esprit, équipe chacun de nous selon ce dont nous avons besoin pour faire face à notre vie, telle qu’elle est. Ainsi il équipe chaque communauté chrétienne chaque Eglise, de charismes différents. À ce propos quel est le vôtre ? Et quel est celui de votre Eglise locale ?
Les symptômes :
V 1b - « Je connais ta conduite ; ton nom est celui d’un vivant, mais tu es mort. » - C’est direct, tranchant, sans nuance ! Celui qui a les sept esprits de Dieu connaît les cœurs de chacun et il perçoit cette Eglise locale comme morte alors que tout le monde la voit comme vivante, dynamique ! Les chrétiens de cette Eglise donnent l’apparence d’être de bons chrétiens, mais le Christ leur dit : « je n’ai pas trouvé que tes actes soient parfaits devant mon Dieu » phrase qui serait mieux traduite ainsi (en s’appuyant sur le grec) : « je n’ai pas trouvé ta vie bien pleine aux yeux de mon Dieu » autrement dit, « ta vie sonne creux, en apparence ta vie est réussie, mais au fond elle est vide ! » Quelle dénonciation ! Ça a le mérite d’être clair ! Là encore, le Christ enfonce le glaive de sa parole de vérité dans l’illusion dont se berçaient les chrétiens de Sardes. Car tant qu’ils se croient arrivés, ils ne pourront progresser, tant qu’ils se croient irréprochables, ils ne pourront pas changer. C’est ce que Jésus n’a cessé de dénoncer chez les pharisiens qui prient en public, appliquent bien la loi, vont à la synagogue, mais dont le cœur est loin de Dieu.
Le mal :
Le mal dont souffrent les chrétiens de Sardes, c’est la cécité ! Les chrétiens de Sardes croient voir mais en fait, ils sont aveugles : vous le savez, « il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir ». Jésus va combattre avec énergie la cécité chez les pharisiens qu’il a rencontré : je vous invite à lire tout particulièrement le chapitre 23 de l’Evangile de Matthieu : vous allez voir, Jésus ne les ménage pas, il n’est pas tendre avec ceux qui croient voir et qui, en fait, sont aveugles (« Malheureux êtes-vous, guides aveugles », V 16 … Insensés et aveugles ! V 17). Et il sera encore plus dur avec ceux qui sont chargés de conduire les autres : au V 24 « Guides aveugles ! Vous filtrez le moucheron, et vous avalez le chameau ! » ... et aux V 26-28 : « Pharisien aveugle, purifie d’abord l’intérieur de la coupe, afin que l’extérieur aussi devienne pur. Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis à la chaux : à l’extérieur ils ont une belle apparence, mais l’intérieur est rempli d’ossements et de toutes sortes de choses impures. C’est ainsi que vous, à l’extérieur, pour les gens, vous avez l’apparence d’hommes justes, mais à l’intérieur vous êtes pleins d’hypocrisie et de mal ». Terrible dénonciation de Jésus qui montre le lien étroit entre la cécité et l’hypocrisie ! Si Jésus est tellement dur avec les pharisiens comme l’est Jean avec les chrétiens de Sardes, c’est pour provoquer un choc, une prise de conscience forte chez eux, car ce mal les met en danger et ils risquent de passer à côté du salut proposé par Jésus. On voit ici toute la véhémence de l’amour de Jésus qui pour nous guérir de notre cécité s’est tout simplement fait… Lumière !
L’autre mal dont cette Eglise est atteinte, c’est l’endormissement ! Sardes, c‘est l’Eglise des endormis, des gens sans appétit de Dieu qui vivotent, qui vont bien mettre quelques cierges ici ou là, mais qui n’y croient pas, qui vont bien à la messe mais seulement par habitude, ils ont transformé leur foi en religiosité, ils n’ont plus de goût pour Jésus, pour sa Parole, ils ont converti le langage de l’amour en une contrainte à observer. Comme l’hypocrisie, l’endormissement est la conséquence de la cécité, de l’illusion sur soi-même, qui empêche de s’accueillir réellement tel que nous sommes. Reposant sur leurs illusions, les chrétiens de Sardes s’imaginent inatteignables, sur un piédestal, bref, on peut dire qu’ils sont atteints de léthargie, étymologiquement par le « travail du sommeil ». Je vous invite à scanner votre Eglise locale avec cette dénonciation de Jésus en tête. N’est-elle pas aussi atteinte quelque part de léthargie, d’endormissement, d’hypocrisie ou d’illusion sur elle-même ? Bref autant de questions importantes à se poser quand on fait le bulletin de santé de sa propre Eglise en la passant au scanner de l’Evangile.
Les remèdes :
V 2 - Réveille-toi, ranime ce qui te reste et qui est près de mourir » - Jésus ne se résout pas à l’endormissement des membres de son Eglise, il veut nous réveiller voilà pourquoi il ajoute : « rappelle-toi ce que tu as reçu et entendu, garde le et convertis-toi » : là encore la traduction oublie un mot important (qui est présent en grec) : c’est la PAROLE ! Une meilleure traduction serait de dire : « Rappelle-toi comment tu as accueillis la parole ; garde-la et repens-toi ». – Visiblement, les chrétiens de Sardes avaient oublié ce que signifiait l’Evangile, ils ne lisaient plus et ne partageait plus la Parole. Ils avaient besoin d’entendre à nouveau l’Evangile pour leur salut. Le remède à leur mal consiste donc à revenir à l’Evangile, à entendre à nouveau la Parole de Dieu, pas seulement à l’entendre, mais à la laisser agir, faire son travail de réveil, de conversion et de mémoire en nous. Voilà un remède qui me semble très efficace et si précieux pour un chrétien victime d’acédie (= manque de goût). Je crains que la hiérarchie actuelle soit plus soucieuse de son organisation pour faire face à la pénurie et aux changements indispensables, que d’apprendre à ses membres à se nourrir de la Parole de Dieu. Or je l’affirme avec force : si l’Eglise veut tenir le cap dans cette période de crise actuelle, elle doit être appuyée sur la Parole de Dieu, lestée par l’Evangile comme la quille d’un bateau, pour ne pas chavirer au milieu de la tempête. Lire l’Evangile, le partager avec d’autres, y confronter sa vie, se laisser questionner par les Ecritures, apprendre à lire la bible pour éviter toute lecture fondamentaliste, et s’en nourrir, chaque jour, pour alimenter l’amour que Dieu a mis en nous, voilà de quoi sortir de la léthargie et nous tenir éveillé. Car c’est bien de cela dont il s’agit au V 3.
V 3 - Car si tu ne veilles pas, je viendrai comme un voleur sans que tu saches à quelle heure je te surprendrai. – Quel le problème de la léthargie ? Ce n’est pas un problème moral, mais un problème vital : Sardes a connu par deux fois l’invasion de sa ville à cause de leur manque de vigilance, se croyant au-dessus de tout et hors de tout danger car ils étaient sur un piton rocheux (un piédestal). Il en est de même pour la communauté chrétienne : si elle ne veille pas, alors elle risque de ne pas reconnaitre la venue de Jésus, de prendre le Christ pour un voleur car, à cause de sa léthargie, elle ne le connaît pas et ne l’attend pas. C’est exactement le sens de la parabole des 10 jeunes filles dans l’Evangile de Matthieu au Chp 25 (allez relire le texte si besoin). Je commente rapidement cette parabole car elle éclaire très bien ce passage de l’apocalypse : dans cette parabole des 10 jeunes filles, nous sommes dans un contexte de noces, les noces du Christ avec l’humanité. Les 2 catégories d’épouses représentent 2 manières d’attendre l’époux, de désirer ces noces : il y a celles qui désirent ardemment la rencontre et l’union avec l’époux et qui s’y préparent, (l’huile étant le symbole de leur désir qui ne s’éteint pas, comme l’huile était nécessaire à l’alimentation de la lampe dans le temple de Jérusalem pour manifester l’attente du Messie par Israël) et il y a celles qui vont à la rencontre de l’époux mais sans désirer l’union, (elles n’ont pas suffisamment d’huile du désir).
Pour vous faire comprendre cette histoire du désir, c’est comme un fiancé qui attend sa bien-aimée pour lui dire son amour : si comme lui, elle arrive toute parée, préparée, belle et maquillée, cela va dire son désir et la rencontre va être belle et le bonheur débordant ! En revanche, si elle arrive en retard, pas préparée, peu désireuse, pas maquillée et en trainant les pieds, la relation va être de moindre qualité ! On imagine bien alors la déception du futur époux. Ainsi le Christ est sérieux en amour, il ne veut pas de relations au rabais, des amourettes de passage qui ne durent pas, ni du vite fait bien fait ! Il veut vivre avec chacun et chacune de nous une relation amoureuse authentique et réclame notre désir ardent. Si les jeunes filles désireuses de la rencontre avec l’époux ne partagent pas leur huile, cela ne signifie pas qu’elles soient égoïstes, mais c’est tout simplement que le désir de la rencontre ne se partage pas : je ne peux désirer à ta place l’union avec le Christ, je peux seulement t’aider à réveiller en toi ce désir, mais la relation est toujours personnelle et ne peut se partager.
Mais toutes s’endorment me direz-vous ! Oui mais elles ne dorment pas du même sommeil ! Les ardentes désireuses s’endorment en paix mais sont prêtes à se réveiller au moindre appel, les nonchalantes elles, s’endorment de fatigue, de routine, sans désir, c’est le « bof, pourquoi pas, à quoi bon … » bref elles manquent d’appétit, de goût (= l’acédie). A celles-là, la porte est fermée, mais ce n’est pas une fermeture définitive, c’est un geste pédagogique : comme si Dieu leur disait : « vous repasserez, vous êtes recalés pour cette fois ci ! Allez apprendre ce que signifie aimer alors vous pourrez entrer dans mon royaume ! » Il leur claque la porte au nez en espérant que ce geste les réveille et les rende attentives à leur nonchalance et à la qualité de l’amour que Dieu attend de leur part. Voilà pourquoi Jésus termine en rappelant l’importance de veiller. Cette parabole est en fait une alerte, un flash pour réveiller et faire réagir les chrétiens de Matthieu et c’est le même but visé par Jean dans cette lettre aux chrétiens de Sardes. Alors, veillez et priez pour ne pas entrer en tentation (= en léthargie). (Mt 26, 41)
V 4 - A Sardes, néanmoins, quelques-uns des tiens n’ont pas souillé leurs vêtements ; ils m’accompagneront, en blanc, car ils en sont dignes. - il restait quelques veilleurs, quelques-uns qui avaient une relation vivante avec le Christ. Le vêtement blanc signifie la sainteté, cf. la foule immense fut vêtue de blanc (Ap 7, 9 où l’armée du ciel qui accompagne Christ à son retour est vêtue de blanc). Les vêtements souillés signifient l’adoration des dieux païens avec ses cultes mystérieux si fréquents à Sardes à l’époque et auxquels les chrétiens participaient de temps en temps.
Enfin la promesse :
V 5 - Le vainqueur sera donc revêtu de blanc ; et son nom, je ne l’effacerai pas du livre de vie, mais je le proclamerai devant mon Père et devant ses Anges. - Dans l’apocalypse, on voit souvent deux groupes de personnes : celles qui sont inscrites dans le livre de vie et celles qui ne le sont pas. Le livre de la vie, c’est le livre où Dieu écrit nos noms par amour dans la paume de sa main, (ou dans son carnet intime) pour ne pas nous oublier ! Le livre de la vie c’est aussi l’arbre de vie de la genèse dont les fruits sont promis à tous les humains, un arbre planté au milieu de leur jardin intérieur. Bref, être inscrit au livre de la vie, c’est vivre tout simplement, pleinement, grâce au lien avec Celui qui est la Vie. On me demande souvent quelle est la volonté de Dieu ? Mais je n’en vois qu’une et une seule : que nous soyons vivants, comme Jésus ! Voilà la volonté de Dieu.
La menace ici est pour celui qui n’a pas le désir de la relation, alors son nom sera effacé du livre de vie ! Cette menace est terrible et Jean est ici sans ménagement, car c’est une question de vie ou de mort spirituelle pour l’Eglise de Sardes. Il espère qu’en étant si sévère il réveille les endormis et les aveugles de Sardes avant qu’il ne soit trop tard. Cette attitude me fait penser à celle de st Augustin qui terminait souvent ses sermons les plus sévères en direction de ses paroissiens d’Hippone, par ces mots : « Si je suis si dur avec vous aujourd’hui mes très chers saints, c’est pour que vous puissiez vous convertir dès maintenant afin que Dieu n’ait pas à vous dire ces mêmes paroles au moment où vous vous retrouverez en face de lui, qu’il vous accueille à bras ouvert et ne vous ferme pas la porte de son royaume. » Superbe attitude d’un grand pasteur qui me rappelle celle de Jean dans cette lettre aux chrétiens de Sardes.
Après 5 lettres mettant le doigt sur le mal dont souffrent ces Eglises, nous allons enfin entendre un autre ton et découvrir le mois prochain une Eglise en bonne santé : l’Eglise de Philadelphie.
Gilles Brocard