LES BEATITUDES
(Gilles Brocard)
Commentaire de la 6ème béatitude
Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu
La pureté
Ce mot est tellement mal compris qu’il est bon d’aller voir l’origine de ce mot au delà des sédiments qui le constituent. Dans le premier testament, au temps où les hébreux se sont constitués comme peuple, vers l’an mille, ils ont eu besoin de règles de vie commune pour se différencier des autres peuples et parmi ces règles, il y avait celles notamment qui définissaient la pureté sur le plan alimentaire. (cf livre du lévitique). Puis la notion d’impureté s’est étendue aux rapport entre les humains, avec des interdit concernant certains qu’il ne fallait pas approcher comme un cadavre, une personne atteinte de la lèpre ou une femme durant ses règles (c’est quand même terrible de lire cela !!!). Puis au temps des prophètes, cette pureté va devenir morale, c'est-à-dire que pour s’approcher des choses saintes et de Dieu, il fallait respecter un ensemble de règles et de devoirs dictés par la loi. C’est l’idée de droiture qui domine alors dans la notion de pureté : droiture dans son comportement, droiture de vie, qui se résume à observer scrupuleusement la loi. cf. Ps 24 : « qui séjournera sous ta tente Seigneur ? Celui qui se conduit parfaitement ».
Au moment où Jésus vient nous parler de son Père, toutes ces notions de pureté étaient présentes dans l’inconscient collectif des juifs de l’époque. A travers ses nombreuses controverses avec les pharisiens sur ces questions de pur et d‘impur, Jésus va s’employer à redonner à ce mot son sens profond : pour Lui, le mot « pur » signifie « sans alliage ». Etre pur, c’est être sans pli, simple comme on le dit en physique d’un corps simple, composé d’une seule matière, comme de l’or pur par exemple. Quand Jésus dit « heureux les cœurs purs », il déclare heureux ceux qui ne sont pas doubles, ceux qui ne jouent pas un double jeu, mais qui sont intègres, en cohérence avec eux mêmes. Dans le langage psychologique actuel, on parlerait de « congruence » dont les synonymes sont : adéquation, concordance, cohérence, authenticité. Est congruent celui qui est en accord avec ce qu’il dit, ce qu’il pense, ce qu’il est et ce qu’il fait.
Pur = devenir soi même
Etre pur, c’est donc être soi ! Mais ce n’est pas si facile d’être soi-même, j’en sais quelque chose : on aimerait souvent être autrement, plus beau, plus fort, plus alerte, plus riche, etc… alors on se met à parler le langage des "si" : "Si j'avais eu un père qui m'ait compris dans mon enfance, si j'avais une meilleure santé, si j'avais plus d'argent, si j'avais une femme comme celle du voisin..." etc. Si si si, et l'on passe son temps à désirer l'impossible, tout simplement parce qu'on ne prend pas le temps de regarder ce qui est possible. A chaque fois que nous pensons que le gazon est plus vert chez le voisin, nous ne sommes plus en cohérence avec nous-même. Je crois que chacun de nous est unique, que nous possédons une vie sur mesure, qui nous est propre : vouloir endosser celle des autres, c'est comme vouloir mettre la veste de son voisin, sous prétexte qu'elle lui va bien. Au contraire, lorsque nous nous accueillons tels que nous sommes, avec notre caractère, nos qualités, nos défauts et avec l'éducation que nous avons reçue, alors le travail d’unification, de congruence, d’authenticité peut commencer. C’est cela avoir le cœur pur, c’est se savoir unique et donc en capacité d’apporter quelque chose d'unique aux autres.
Pur = passé au feu
Au sens étymologique (grec), le mot « pur » veut dire exactement : « passé au feu », comme on purifie un champ des mauvaises herbes en y mettant le feu, comme l’or est purifié de ses scories par le feu ! Ce feu ce sont les épreuves que nous traversons au cours de notre vie. Non pas que Dieu nous les envoie, mais il nous aide à faire que ces épreuves nous servent. Je pense à Job qui sait par expérience ce que signifie être purifié : au chp 23, 10 : il dit : « qu’il me passe au creuset et or pur j’en sortirai, car Dieu ne rejette pas l’homme au cœur pur ». Je pense aussi aux prophètes Jérémie, Isaïe ou Ézéchiel qui avaient déjà très bien perçu cette pureté-là au cœur des évènements tragiques qu’ils ont vécu en tant que prophète. Tous avaient bien compris que Dieu pouvait faire que ces événements-là deviennent une occasion de se transformer : « Je verserai sur vous une eau pure et vous serez purifié » dit Ezéchiel, (Ez 36) ou le psalmiste dans le psaume 50 : « crée en moi un cœur pur Ô mon Dieu, purifie moi et je serai pur ». Oui c’est Dieu qui est à l’initiative de cette purification, car c’est Lui et Lui seul qui rend pur ! En termes plus modernes, on parle aujourd’hui de résilience, (cf Boris Cyrulnik) c’est-à-dire de cette capacité contenue en chaque être humain à se remettre d’un choc violent non par l'oubli ou le déni, mais par l’accueil, en intégrant cette partie blessée de soi. Nous pouvons tous dire que tel ou tel évènement difficile de notre vie, nous a aidé à être ce que nous sommes aujourd’hui. Voilà une seconde façon de penser la pureté, dans le sens transformé en mieux, amélioré, grandit. Il y a incontestablement du bonheur à se voir grandir. On pourrait donc traduire cette béatitude de la manière suivante : « Bienheureux ceux qui sont passées au feu de Dieu, ceux-là le verront face en face ». (cf traduction de Florin Callerand de la roche d’or).
Pur = avoir un cœur dépouillé
Voici encore une autre consonance du mot pur : je la tiens de st François d’Assise si bien mis en scène par Eloi Leclerc dans son livre « Sagesse d’un pauvre ». Il s’agit d’un dialogue François et Frère Léon sur la pureté du cœur :
Un jour François d'Assise cheminait en compagnie de frère Léon au bord d'un torrent. S'étant arrêté pour se reposer, frère Léon regardait longuement l'eau qui bondissait sur les rochers, toute blanche et exultante avec de brefs éclats d'azur.
François le regarda et vit de la tristesse sur son visage :
Tu as l'air songeur. Lui dit-il simplement.
- ah si nous pouvions avoir un peu de cette pureté. répondit Léon. Nous connaîtrions tous la joie folle et débordante de notre Sœur l’eau.
Il passait dans ces paroles une profonde nostalgie et le regard de Léon fixait mélancoliquement le torrent qui ne cessait de fuir dans sa pureté insaisissable.
Après un moment de silence. François posa à Léon cette question :
- Sais-tu frère. Ce qui est la pureté du cœur ?
- Oui, lui dit Léon sans hésiter. c'est de ne pas avoir de fautes à se reprocher
- Alors je comprends ta tristesse, dit François, car on a toujours quelque chose à se reprocher, ne te préoccupe donc pas tant de la pureté de ton cœur. Tourne ton regard vers Dieu. Admire-le. Réjouis-toi de ce qu’il est. Lui toute sainteté, rends-lui grâce à cause de lui-même, c’est cela mon frère avoir le cœur pur.
- Mais Dieu cependant, réclame notre effort et notre fidélité. fit observer frère Léon
- Oui, c'est vrai répondit François. Mais la sainteté n'est pas un accomplissement de soi, ni une plénitude que l’on se donne. Elle est d'abord un vide que l'on découvre que l’on accepte et que Dieu vient remplir dans la mesure où l'on s’ouvre à sa plénitude. Ne te demande pas si tu es beau aux yeux de Dieu. Demande-toi seulement si tu es assez conscient de tes manques pour que Dieu puisse faire de chez toi sa demeure. Un tel cœur est à la fois dépouillé et comblé.
Voilà ce qu’est la pureté du cœur : un cœur à la fois dépouillé et comblé. Vous comprenez donc bien pourquoi un tel cœur peut être heureux : parce qu’il y a de la place pour Dieu dans un tel cœur !
Ils verront Dieu
Voir Dieu face à face, c’est ce qui est donné aux cœurs purs. « Nous le verrons tel qu’il est » dit st Jean dans sa 1ere lettre et st Paul dans la 1ere lettre aux Corinthiens dira « nous le verrons face à face », tout comme Jean dans l’apocalypse : « ils verront sa face » ! Si cette béatitude de Jésus est relayée par tant d’apôtres en de nombreux passages du nouveau testament, c’est que cela devait être important à leurs yeux. Voir Dieu devait certainement être l’ultime récompense ! Mais tous laissent penser que cette vision ne peut arriver qu’après la mort. Or comme je vous l’ai dit dans l’introduction aux béatitudes, le futur n’existe pas en hébreu, c’est un inaccompli qui est utilisé ici, ce qui devrait être traduit par « ils sont en train de voir Dieu et cette vision va continuer ». Je voudrais donc réfléchir avec vous aux moyens de voir Dieu dès à présent, de notre vivant terrestre.
En fait, Dieu a quatre modes habituels de révélation : par la création, au travers des évènements, par les rencontres humaines et bien sûr dans les textes bibliques ! Du coup, c’est en regardant le monde (et non pas le ciel) que nous le verrons, à moins de considérer le ciel comme notre espace intérieur, qui nous fait penser que l’au-delà est au-dedans ! Si donc j’apprends à écouter cet espace intérieur, ma source intérieure, l’esprit de vie qui est en moi, alors je vais pouvoir percevoir tout autour de moi, des signes de la présence divine, dans cette fleur qui s’ouvre au soleil, au travers du visage de cette personne rencontrée, dans tel ou tel évènement joyeux ou douloureux, ou dans un texte biblique. Il s’agit en effet d’apprendre à voir Dieu à l’œuvre au présent dans toute sa création, la soutenant de l’intérieur à tout instant.
« Jésus, c’est tout le portrait de son Père ».
Au sein de la révélation biblique, nous possédons un superbe moyen de voir Dieu à l’œuvre, libérant son peuple, le soutenant à tout moment, le guidant par les prophètes, etc… oui lisez la bible et vous verrez Dieu agissant, aimant. Et au cœur de la révélation biblique, le chrétien peut apprendre à connaitre Dieu à travers la personne de Jésus : en effet, Jésus précise dans l’Evangile de Jean que le regarder lui, le Christ, c’est voir Dieu : « qui me voit, voit la Père » dit-il à Philippe qui demande à voir Dieu ! (Jn 14,9). Regarder Jésus, en lisant les Evangiles, c’est le meilleur moyen de voir Dieu, car pour un chrétien, Jésus est certainement le plus beau visage de Dieu qu’il nous ait été donné de contempler, ce qui me fait dire avec humour que « Jésus, c’est tout le portrait de son Père ». Si nous regardons Jésus à travers ce que les 4 évangélistes nous en disent, qu’apprenons-nous sur Dieu ? Que Dieu n’est qu’Amour, qu’il ne condamne pas, qu’il est miséricordieux, qu’il écoute et ne juge pas, qu’il aime tout le monde inconditionnellement, qu’il pardonne, qu’il est pauvre et dépendant et qu’il est créateur de vie, etc…
Jésus est pleinement humain ! Il n’y a pas plus humain que Lui. J’en conclue donc que pour ressembler à Dieu, il faut être pleinement humain … pour être pleinement divin ! Il n’y a pas d’autres voies que celle-là. Et heureusement, car être divin, moi personnellement je ne sais pas ce que c’est, mais être humain, en revanche, je vois un peu mieux ce que cela signifie. Le christianisme est la religion de l’incarnation, c'est-à-dire du corps et de la chair. Si c’est le même Dieu qui a créé l’homme, l’amour, la sexualité, le plaisir, qui a inspiré l’Evangile, alors ça devrait se voir ! Il serait tout simplement scandaleux que les chrétiens, qui ont la religion de l’incarnation, d’un Dieu qui s’est fait chair, puissent mépriser le charnel et ne pas l’utiliser comme louange au créateur. St Paul lui même a parlé d’une liturgie des corps quand il dit aux corinthiens : « Rendez donc gloire à Dieu dans votre corps » (1 Co 6, 20).
Voir Dieu dans l’Humain
Si Dieu a pris soin de prendre notre chair, ce n’est pas pour la détester et la rejeter. Jésus en étant Dieu n’en reste pas moins pleinement homme ! Cela doit nous inviter à aimer notre humanité, notre dimension humaine, aimer notre corps, qui devient un sacrement, c'est-à-dire un signe pour dire Dieu aujourd’hui. St Paul parle bien de notre corps comme le temple de l’Esprit saint !
Tertullien au 3ieme siècle disait déjà que « la chair est la charnière du salut ». J’ai bien conscience en vous disant cela que je vais à l’encontre de plusieurs siècles d’enseignements dans l’Eglise invitant au mépris du corps et de la chair. (Elle a tout de même condamné le jansénisme). Mais je ne peux pas ne pas vous dire cela en réfléchissant à l’incarnation, et en voyant jésus vivre : Il buvait mangeait, était traité de glouton, etc… or Jamais, comme en Jésus-Christ, l’homme dans tout son être, n’a été atteint une telle stature.
Voilà où est le bonheur des purs qui voient Dieu ! Oui « heureux ceux qui sont authentiques, ils seront pleinement Humains ; heureux ceux qui se laissent purifier au feu de Dieu, ils connaitront la vraie face de Dieu ; heureux ceux qui ont un cœur dépouillé, Dieu pourra y demeurer et se révéler en eux tels qu’il est vraiment ». Voilà comment je pourrais traduire cette 6ème béatitude au terme de cette réflexion.
C’est cela le vrai bonheur, c’est de connaître Dieu présent à l’intime de nous même, de le voir agissant en nous et dans le monde, secrètement, mais sûrement ! Cette béatitude peut aussi nous faire vibrer à l’idée de voir Dieu tel qu’il est éternellement : en effet, nous habituer à voir Dieu dès aujourd’hui nous préparera à la grande vision finale au moment de notre passage en vie éternelle, une vision qui ne nous fera pas peur, mais qui nous donnera de consentir à devenir toujours plus ressemblant à Dieu en devenant toujours plus nous-même à mesure que nous nous approcherons de Lui !
Gilles Brocard