LES BEATITUDES

(Gilles Brocard)

 

Commentaire de la 8ème et 9ème béatitude :

« Heureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des Cieux est à eux. « Heureux êtes-vous quand on vous insultera, qu'on vous persécutera, et qu'on dira faussement contre vous toute sorte d'infamie à cause de moi. Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux : c'est bien ainsi qu'on a persécuté les prophètes, vos devanciers ».



 

Ne pas séparer ces deux béatitudes

Les 2 dernières béatitudes parlent toutes les deux de persécutions : elles ne sont pas à séparer, la 9ème béatitude développant la 8ème. Ces 2 béatitudes sont importantes car elles nous disent que vivre les béatitudes n’est pas forcément facile, (on l’avait deviné dans les articles précédents) que ce chemin de bonheur ne peut que se heurter à de la résistance. Ce combat, (nous l’avions pressenti dans la béatitude sur la paix), c’est le combat de la lumière contre les ténèbres et ce combat est rude. Mais n’oublions pas que ce combat, c’est d’abord le Christ qui l’a mené et qui le même encore en chacun de nous aujourd’hui à chaque instant. Mais cela ne nous dispense pas de le mener à notre tour, nous aussi, mais avec Lui.

Avant d’imaginer des persécutions extérieures inhérentes au combat pour la justice et la paix, je vous invite à entendre ce combat comme quelque chose qui est d’abord intérieur à l’Homme. En effet, c’est en nous qu’il nous arrive de nous insulter (quand on se culpabilise par ex), c’est en nous qu’on dit faussement des choses contre nous-même, (quand on s’illusionne ou qu’on se dénigre par ex). Je sais d’expérience combien est rude ce combat qui consiste à laisser la vie l’emporter en nous.

Les persécutions sont intérieures

Chaque fois que nous choisissons d’être doux au lieu d’être violent, quel combat en nous ! Chaque fois que nous acceptons d’être pauvre, petit, humble, au lieu de jouer les gros bras, quel combat en nous ! Vous ne trouvez pas ? Et quand nous acceptons de pleurer ou de laisser nos entrailles vibrer en nous devant la souffrance des autres au lieu de dire comme les enfants « même pas mal », vous voyez où est le combat là ? C’est bien d’abord en nous qu’il a lieu, c’est bien de nous que viennent les persécutions qui nous font douter du bien fondé de nos actions. C’est un sacré combat intérieur, qu’on appelle le combat spirituel, qui consiste à ne pas laisser le mental dominer le cœur, ou la raison dominer la passion ! C’est un travail d’humanisation pour sortir de notre déterminisme afin de devenir vraiment libre ! Pas facile en effet de passer d’une liberté qui consiste à « faire ce que je veux », à une liberté plus adulte où « je veux ce que je fais ».

On comprend pourquoi Jésus déclare : « heureux les persécutés pour la justice »  car il y a de la joie à mener ce combat, celui de notre humanisation, celui de notre ajustement à nous-même et à notre stature d’enfant de Dieu, fût-il au prix de persécutions intérieures. Car celui qui est ainsi persécuté, sait qu’il mène le bon combat ; oui heureux ceux qui ont choisi le combat de devenir eux-mêmes, ceux qui sont sur ce chemin de vie et d’unification. C’est la grande demande que j’entends constamment dans mon cabinet d’accompagnant spirituel : « je veux devenir moi-même, pouvez-vous m’aider ? » C’est vraiment pour cela que je suis devenu accompagnant spirituel, car je crois que ce chemin n’est pas facile et qu’on ne peut l’entreprendre qu’en se sachant accompagné par quelqu’un qui l’a fait avant vous et qui vous rappelle par sa présence, que Dieu nous accompagne aussi sur ce chemin-là.

Mourir pour vivre

Ces 2 béatitudes ont la Pâque de Jésus-Christ en filigrane : elles nous parlent du nécessaire passage par la mort pour entrer dans la vie ! C’est étonnant ce principe de mourir pour vivre, mais il est tellement vrai : mourir à son enfance pour devenir adulte, mourir à son égoïsme pour rencontrer l’autre en vérité, mourir à l’envie de posséder pour pouvoir recevoir, mourir à son besoin de dominer pour pouvoir pardonner, mourir à ses croyances pour accueillir la réalité de la vie, etc… oui Jésus avait raison quand il dit que « le grain de blé, s’il ne meurt pas, ne peut donner du fruit, mais s’il meurt alors il donne un épi et l’épi donne du grain, 1 pour 30, 60 ou 100… »

Voilà la véritable raison de nous réjouir, car il s'agit bien de « se réjouir » et non plus simplement d'être déclarés heureux. Nous réjouir, exulter dès maintenant. Ce n'est pas une promesse concernant un futur. Dès à présent, nous touchons aux cieux, à chaque fois que nous devenons plus nous-même, à chaque fois que nous acceptons les persécutions liées à ce travail d’humanisation, à chaque fois que nous descendons de la tête (le mental) au cœur (l’âme, le lieu des émotions), alors nous touchons à cet espace intérieur où réside la Présence d’un Autre que nous, plus fort et plus grand que nous, cet espace que les textes bibliques appellent traditionnellement « les cieux ». Oui, « Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ».

Les persécutions des prophètes d’aujourd’hui

A cause des grandes mutations que connait notre monde actuel, il faut aussi s’attendre à ce que ce type de combat et de persécutions ne se cantonne pas seulement en nous, mais viennent aussi de l’extérieur. C’est un peu ce que Jésus semble sous-entendre quand il dit que « c'est ainsi qu'ils ont persécuté les prophètes, ceux d'avant vous. ». De qui parle–t-il ? Il parle ici des persécutions subies par les prophètes d’Israël de la part des membres du peuple d’Israël ! En effet, Jérémie (et bien d’autres avant et après lui) n’a pas été persécuté par des personnes extérieures au peuple mais bien par son peuple ! Et Jésus lui-même a été condamnée et mis à mort par les religieux juifs de son époque. Et l’histoire nous montre aussi que c’est une constante que les religions, les Eglises persécutent leurs propres prophètes ! Comment expliquer cela ? En fait, c’est un phénomène qu’on retrouve dans toutes les institutions que ce soit en politique, dans les syndicats ou dans les Eglises. Il y a une réaction souvent vive des responsables de ces instituions contre ceux qui veulent la faire évoluer, tout simplement parce que le rôle d’une institution consiste à maintenir son cadre au milieu d’un monde qui bouge très vite et auquel elle appartient. Du coup, les institutions voient d’un mauvais œil toute velléité qui viendrait remettre en cause son fonctionnement, ses traditions ou son cadre. L’exemple de Jésus est flagrant à ce propos.

Voilà pourquoi Jésus nous annonce des persécutions pour tous les prophètes d’aujourd’hui, prophètes qu’on pourrait définir en terme plus moderne par « Lanceurs d’alerte », ceux qui empêchent le système de tourner en rond parce qu’ils savent que cela risque de lui être dommageable, bref, les prophètes, ce sont tous ceux qui ont raison trop tôt et qui seront forcément persécutés par leur propre institution. Dans ce combat, les prophètes persécutés sont le signe et le gage d'une autre manière de vivre, d'une autre communion possible entre les hommes, pour qu’ils se rencontrent et s'acceptent, dans leurs différences, non plus seulement par simple tolérance, mais par une plus haute idée de la fraternité qui provient d’une communion à la Source de Vie, que les croyants nomment traditionnellement Dieu. Voilà ce qu’est le royaume des cieux, promis aux persécutés, ce n’est pas une promesse pour après notre mort, mais ceci est donné à ceux qui, ici et maintenant, œuvrent pour mettre place une façon de vivre selon les mœurs de Dieu. Mais cela ne se fera pas sans résistance… vous imaginez bien.

Les persécutions viennent aussi du monde

Bien sûr, vous sentez poindre ici les persécutions du monde contre ceux qui croient en ce royaume, en cette force supérieure, intérieure et spirituelle. Cela dérange et dérangera toujours. Cette béatitude nous le rappelle aussi. Ce mode de vie qui met en avant la fraternité, la non-violence, l’amour du prochain et le pardon provoquera automatiquement des résistances et des persécutions. C’’est le sens de la parole de Jésus sur le fait de porter sa croix : « si quelqu’un veut me suivre, qu’il prenne sa croix », il n’y a aucune invitation au dolorisme ici, c’est simplement le constat que Jésus a fait : il en coûte à celui qui a décidé d’aimer toujours. Il le sait d’expérience, du coup, ces persécutions dont il parle dans ces deux dernières béatitudes peuvent être entendue ainsi : « heureux ces persécutés qui sont engagés de tout leur être pour la cause de l’amour, de la justice, de la délivrance et du salut, car c’est cela qui témoignera du royaume de Dieu ». C’est le même mot : « marturein » en grec qui signifie témoigner ! Tous les martyrs, qui ont donné leur vie par amour, ont témoignés du royaume de Dieu. Je pense bien sûr aux martyrs encore actuels à cause de leur foi, comme aux martyrs du passés, mais je pense aussi à Gandhi, Martin Luther King, Isaac Rabin, et tant d’autres qui ont donné leur vie par amour tout simplement.

Le testament spirituel de Christian de Chergé

Comme le dit superbement le Père Christian de Chergé, moine de Tibhérine, dans son testament : « S’il m’arrivait un jour – et cela pourrait être aujourd’hui- d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, J’aimerais que ma communauté, mon Eglise, ma famille, Se souviennent que ma vie était donnée à tous et à ce pays. (…) Et même celui-là qui me frapperait aveuglément. J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m’aurait atteint. Je ne saurais souhaiter une telle mort, Il me parait important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C’est trop cher payé ce que l’on appellera, peut-être, "la grâce du martyre" que de le devoir à un algérien quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’islam.(…) Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur, Je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière Pour cette JOIE-là, envers et malgré tout. Dans ce MERCI, où tout est dit, désormais de ma vie Je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, Et vous amis d’ici, Aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs, Centuple accordé comme il était promis ! Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’auras pas su ce que tu faisais. Oui pour toi aussi, je le veux ce MERCI, et cet " à-Dieu" en-visagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en Paradis, s’il plait à Dieu, notre Père à tous deux. Amen » (Christian de Chergé, Tibhirine, décembre 1993)

Le triomphe de la charité

Voilà ce qu’est la force des martyrs, ceux-là sont bienheureux, car ils expérimentent, qu’au-delà de tous les dégâts causés par la violence, il subsiste en nous « quelque chose » de bon qui justifie que nous existions. Tel est le triomphe de la charité, qui a le pouvoir de restaurer tout Homme dans sa dignité filiale. Notre amour doit permettre à ceux qui nous veulent du mal, de découvrir le mystère de leur propre humanité. C’est en leur manifestant qu’ils sont et demeurent nos frères, quoi qu’ils puissent nous faire, qu’ils se reconnaîtront meilleurs qu’ils ne le pensent et que le royaume de Dieu (c’est-à-dire un monde meilleur) pourra advenir.

Voilà le vrai bonheur dont parlent les béatitudes : ce n’est pas l'expression d'un idéal abstrait, mais bien le reflet de l'expérience vécue par Jésus dans son existence humaine. Mais comme Jésus-Christ est aussi un vrai fils de Dieu, c’est aussi de son Père dont il parle dans ces béatitudes, c’est lui son Père, qui est pauvre, qui pleure, qui est persécuté, martyrisé et dont il nous faut absolument prendre soin pour sauvegarder sa demeure en nous ! Vous l’aurez compris, bien loin de nous inviter à nous résigner, les béatitudes nous révèlent autant la grandeur de l'Homme et la fragilité de Dieu que la fragilité de l’Homme et la grandeur de Dieu !



 

Les B-attitudes

Pour terminer ce commentaire et conclure aussi ces 9 articles sur les béatitudes, je voudrais laisser la parole à Jade, la petite héroïne de François Garagnon dans son livre « Jade et les sacrés mystères de la vie » qui exprime merveilleusement ce que sont les B-Attitudes : « Raphaël, il parle souvent du bonheur.  Selon lui, il y a trois B-attitudes: le Beau, le Bon, et le Bien. Si votre climat intérieur se dégrade, c'est sûr: vous avez un problème de B-attitude. Un jour, il a voulu créer un groupe de gens heureux : le Club de la Bonne humeur. Le plus dur, ça été pour recruter : on était juste que tous les deux, alors que les gens de mauvaise humeur, ils étaient des millions de millions. Au début, évidemment, le Club de la Bonne Humeur attire beaucoup, parce qu'il y fait toujours beau, seulement c'est très difficile. Pas pour y entrer, non, mais pour y rester. Quand vous vous réveillez le matin, parfois vous êtes tout ensoleillé de bonheur, tellement-tellement que vous rayonnez. Et puis, la journée commence, et vous rencontrez des gens qui ont dans la tête des nuages gris-foncé qui filent à la queu-leu-leu. Ils sont si menaçants qu'on a l'impression qu'il suffit de les piquer légèrement pour qu'ils se déchaînent en orages. Alors évidemment, c'est pas facile de rester au beau fixe. Au bout d'un moment, vous êtes découragé. Vous avez l'impression de gâcher vos rayons de tendresse pour rien du tout. Et vous finissez par passer de l'autre côté, du côté des gens de mauvaise humeur.

Raph’ m’a dit que la mauvaise humeur c’est comme la grippe : il suffit qu’il y en ait un qui l’ait pour que dix l’attrapent. Moi, ce que je comprends pas, c’est qu’on arrive pas à contaminer les gens avec la bonne humeur. Raph’ m’a répondu que les maladies sont beaucoup plus faciles à transmettre que les B-attitudes, comme le Beau, le Bon et le Bien. Alors avec Raph’, on a décidé de faire des cures de bonne humeur. il faut beaucoup jeûner pendant des jours et des jours, décider de ne pas dire un seul mot vilain méchant ou mal, et de ne voir que ce qui va bien. C’est comme ça qu’on peut dessiner la vie avec du Beau, di Bon et du Bien, et faire qu’elle ressemble à une cathédrale plutôt qu’on une vieille cabane pourrie qui menace tous les jours de s’écrouler ».

Je sais pas si vous avez remarqué : ce qui sépare les gens, ce sont les mots. Même les p'tits mots de rien du tout ça peut produire les pires maux. Il y a des mots blessants, et puis des mots qui tuent. Par exemple Raph' il dit que l'amour peut commencer sur un signe et finir par un mot, un mot de trop. Peut-être bien qu'on habille la réalité avec des mots parce qu'on a peur de la voir toute nue. Peut-être bien aussi qu'il vaudrait mieux se taire plus souvent. Apprendre à contempler. Rien dire. Rester dans le silence... Moi, je parle des silences à étoiles, des silences à deux, avec des signes et des messages et des sculptures de connivence, un silence moelleux et rond comme de la tendresse, et grisant comme de l'amour. Un silence dense, la danse d'un silence....

A Bientôt

Gilles Brocard

Retour au sommaire