L'INTELLIGENCE DES ECRITURES.
II - LA GENESE DE MATTHIEU. ( 18 décembre 2001) Un nouveau genre littéraire.
Lors de notre première séquence, je vous expliquais que la Bonne Nouvelle de Jésus a été racontée par des dizaines, voire des centaines de disciples, pendant près de quarante ans. Entre l'an 30, date de la mort et de la résurrection de Jésus, et l'an 70, date de la prise de Jérusalem, il n'y a pratiquement rien d'écrit. Peut-être simplement un récit de la passion et des petites collections des paroles de Jésus.
C'est vers l'année 70 que naît un premier livre de forme très originale : l'Evangile. Jusque là, dans toute l'histoire de la littérature mondiale, on avait toutes sortes de livres, depuis les biographies et les livres historiques jusqu'aux ouvrages de philosophie et de science. Livres profanes ou livres religieux. Dans le peuple juif, les livres qui composent la Bible étaient eux aussi de genres différents, livres historiques ou légendes, poèmes ou livres de sagesse. Avec les évangiles naît un genre nouveau. Il se propose de transmettre un message, une bonne nouvelle (cest le sens du mot évangile) : la bonne nouvelle de Jésus. Nous aurons ainsi quatre petits livrets, dont la rédaction se situe entre les années 70 et 100 de notre ère : trois synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) qui se ressemblent étrangement, et un quatrième évangile, plus original, celui de Jean.Qui est son auteur ?
L'évangile selon saint Matthieu n'est pas, contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'oeuvre d'un témoin oculaire. Il n'est pas le recueil des souvenirs de l'apôtre Matthieu. On l'a placé sous l'autorité de ce disciple de Jésus, ce qui était un procédé courant à l'époque. Ainsi, on a au moins trois auteurs,en trois époques distantes de plusieurs siècles, pour le livre d'Isaïe. Il n'y avait pas de "droits d'auteurs" à l'époque ! Alors, comment est né l'évangile selon saint Matthieu ? Ce n'est pas un récit d'imagination d'un écrivain génial qui aurait voulu reconstituer une vie de Jésus. Le texte que nous avons aujourd'hui repose sur des traditions qui sont parvenues à un ou des auteurs anonymes, qui les ont regroupées en un récit cohérent. Les auteurs, ou l'auteur définitif, a composé une oeuvre originale, mais en respectant parfaitement les traditions recues. Quelles traditions ?
Deux ou trois sources.
Pour autant qu'on puisse en être certain, l'hypothèse la plus plausible (admise par la plupart des spécialistes) est qu'ils ont puisé à deux ou trois sources. Il y aurait ainsi, en premier lieu, l'évangile de Marc, qui est le plus ancien (vers l'an 70), qui a eu accès à des traditions déjà bien établies. En plus de l'évangile de Marc, qu'il avait sous les yeux, l'auteur de Matthieu a utilisé une autre source : un recueil comportant essentiellement des paroles de Jésus, que Marc ne connaissait pas. Enfin, notre auteur a eu accès à d'autres traditions particulières, qui avaient été conservées précieusement dans les communautés qui ont vu naître cet évangile. Voilà l'hypothèse. Elle a ses limites, mais elle nous donne une explication simple et assez satisfaisante. A condition de bien la situer dans le grand flux des traditions orales qui circulent pendant tout le premier siècle de notre ère. L'évangile selon Matthieu se situe au confluent de plusieurs traditions sur Jésus.
Matthieu et Marc.
Si on met en parallèle Matthieu et Marc (les bouquins existent : on les appelle des synopses), on constate quelques faits importants :
1- Matthieu emprunte à Marc le genre littéraire de l'évangile pour dire sa foi en Jésus de Nazareth : comme lui, il raconte la destinée de Jésus, des débuts en Galilée jusqu'à la fin violente à Jérusalem.
2- Matthieu emprunte à Marc, non seulement le genre littéraire, mais également le plan de son ouvrage.
3- Cela va très loin, puisque sur 666 versets que comporte l'évangile de Marc, Matthieu en copie plus de 600.
Don, Matthieu est une re-création de Marc. De plus, il existe entre les deux premiers évangiles un certain nombre d'accords théologiques. Ainsi, pour les deux, l'histoire de Jésus n'est pas close sur elle-même, mais elle est transparente dans l'aujourd'hui de l'Eglise. Chacun de nous, aujourd'hui, est disciple, comme les premiers, il y a vingt siècles. Par contre, où Matthieu diverge, c'est quand il ne reprend pas l'idée principale de Marc qui accordait une importance décisive à la croix. Pour lui, la Passion n'est pas le sommet de la destinée de Jésus. Nous reviendrons sur ce point plus tard.Une deuxième source.
La deuxième source à laquelle l'auteur de Matthieu a eu accès, source qui était ignorée de Marc, ce sont les recueil de paroles de Jésus. Essentiellement un message : la venue imminente du Fils de l'homme pour le jugement. Le disciple qui écoute ce message est sauvé ; par contre l'endurcissement d'Israël est dénoncé. Nous y reviendrons également.
Donc, l'auteur de Matthieu est devant ces deux sources. Il ne va pas opérer simplement une synthèse harmonieuse des deux. Il va lui falloir faire des choix quand les deux sources dont il dispose sont divergentes. Lorsque, par exemple, Marc raconte que, dans sa prédication, Jésus critique la Loi juive au point de l'abolir, pour Matthieu, au contraire, Jésus n'abolit pas la Loi, mais lui redonne son sens véritable.
Un bon scribe.
L'auteur de Matthieu a donc recueilli un héritage : il va le gérer avec respect. Mais il ne fait pas qu'un travail de reprise. Il va faire oeuvre créatrice. Sa deuxième source parlait du jugement final, qui tournera à la confusion d'Israël. Matthieu va plus loin et met en garde l'Eglise qui risque de vivre dans une sécurité illusoire. Elle aussi est en marche vers le jugement. En elle aussi il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus. Marc avait présenté l'histoire du Jésus terrestre. Matthieu va plus loin : au sein de l'évangile de Marc, il insère le message de Jésus, son enseignement moral. Enfin et surtout, ce qui lui est propre, c'est le rôle-clé qu'il accorde à la Bible juive (notre Ancien Testament). La vie et l'enseignement de Jésus doivent être lus à la lumière de l'Ancien Testament. Pour Matthieu, l'événement-Jésus est en profonde cohérence avec l'histoire du Dieu d'Abraham, Isaac et Jacob.
Prochaine séquence :
les récits de l'enfance chez Matthieu.
Parution : le 1er janvier.Retour au sommaire