L'INTELLIGENCE DES ECRITURES.

 

Cette année :
UNE BONNE NOUVELLE SELON SAINT MATTHIEU

VIII - Jésus, accomplissement de la Loi
(Matthieu
5, 17-20)

Notre étude précédente, intitulée "le manifeste", signalait comment le Christ, Seigneur du monde et de l'Eglise, prend visage pour les hommes après Pâques. Mais le disciple (vous et moi) doit se mettre à l'écoute du Jésus terrestre. L'enseignement du Jésus historique, gardé en mémoire dans l'évangile, demeure l'exclusif et incontournable accès à sa présence jusqu'à la fin des temps. Nous allons voir en quoi consiste cet enseignement.

 1 - Le programme du Sermon sur la Montagne.

L'enseignement du Christ dans l'évangile de Matthieu est rassemblé dans cinq grands discours. Le plus important est le premier (Matthieu 5 à 7). C'est ce qu'on appelle le Sermon sur la Montagne, où le Christ se révèle comme le Messie de la Parole. Dans ce discours, le Jésus terrestre proclame la volonté de Dieu pour la foule et les disciples.
Trois parties dans ce discours :
a - Matthieu
5, 1-16 : le bonheur et la vocation des disciples.
b - Matthieu
5, 17 à 7, 12 : ce qu'est la "meilleure justice" (C'est la partie centrale)
c- Matthieu
7, 13-29 : en conclusion, une exhortation à l'obéissance fidèle.
La partie centrale s'ouvre par une déclaration-programme (
5, 17-20) où le Christ annonce le thème qui sera ensuite développé, d'une part dans les antithèses (5, 21-48), d'autre part dans des instructions portant sur l'authentique attitude envers Dieu (6, 1-18)
Aujourd'hui, on va étudier la
déclaration-programme de 5, 17-20 :

" 17-N'allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. 18-Car en vérité je vous le déclare, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l'i ne passera de la Loi, que tout ne soit arrivé. 19-Dès lors celui qui transgressera un seul de ces plus petits commandements et enseignera aux hommes à faire de même sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux ; au contraire, celui qui les mettra en pratique et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le Royaume des cieux.
20 -Car je vous le dis : si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, non, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux."

2 - La Loi en débat.

Ce passage aborde de front une des questions les plus redoutables qui se soient posées aux premiers chrétiens : quel est le lien qui existe entre la Loi formulée dans l'Ancien Testament et l'enseignement de Jésus ? La venue du Christ annule-t-elle la Loi ? Mais alors, qu'en est-il de la fidélité de Dieu à sa parole et à ses promesses ? Confirme-t-elle la Loi ? Mais alors, en quoi la venue du Christ est-elle une nouveauté ?
Le Christ du Sermon sur la Montagne empoigne ce problème brûlant en se battant sur deux fronts. Pas de malentendu : il n'est pas venu abolir la Loi (ceci contre certains cercles chrétiens pour qui la venue du Christ et son message impliquaient l'abandon des exigences morales de l'Ancien Testament. Voir par exemple les "faux-prophètes de Matthieu
7, 15). Mais le Christ s'attaque également à ceux qui se veulent les gardiens de la volonté de Dieu séculaire, scribes et pharisiens.
Le conflit ainsi esquissé est au coeur des préoccupations de Matthieu. Il est présent dans les traditions et la vie de sa communauté. Les versets 18 et 19a reflètent le point de vue des cercles judéo-chrétiens, tandis que 17 et 20 qui sont propres à l'évangile de Matthieu reflètent sa propre position. Quelle position?

3 - "N'allez pas croire..."

Le malentendu qui règne parmi certains disciples, qu'il s'agit de dissiper, concerne la mission de Jésus. Est-ce que la révélation de la volonté de Dieu transmise par l'Ancien Testament ("la Loi et les Prophètes") demeure une exigence contraignante pour les chrétiens ? Paul déclare : "La fin de la Loi, c'est le Christ." La réponse du Christ de Matthieu est nette : pas de rupture entre l'exigence morale de l'Ancien Testament et son propre enseignement. Au contraire, sa venue se caractérise par l'accomplissement de la volonté de Dieu exprimée par l'Ancien Testament. Cet accomplissement a lieu à la fois dans l'enseignement (le Christ déclare une fois pour toutes la volonté originaire du Père) et dans la pratique : le Christ est parfaitement celui qui obéit à cette Parole. Donc, la venue du Christ n'abolit pas la volonté de Dieu, mais au contraire lui donne une portée universelle.

4 - Toute la Torah pour toute l'histoire.

Au verset 18. Le temps présent, vécu en communauté chrétienne, est un temps durant lequel l'existence du croyant est placée sous l'autorité irrécusable de la Loi. "Jusqu'à ce que tout soit arrivé," c'est-à-dire que toute la Loi doit advenir. Tout ce qui est exigé par la Loi doit devenir réalité.

5 - L'horizon du jugement.

Au verset 19, l'évangile établit une relation symétrique entre l'attitude adoptée vis-à-vis de la Loi et la place attribuée dans le monde à venir. Le ton est particulièrement sévère : toute négligence dans le respect de la Torah aura des conséquences catastrophiques. Donc, le Christ de Matthieu requiert une obéissance intégrale de la part des disciples. Et le Maître qui formule le précepte est aussi le juge de la fin des temps.

6 - La meilleure justice.

Au verset 20. C'est un verset polémique, pour approfondir et énoncer les conditions d'accès au Royaume. La "justice" requise est l'obéissance intégrale à la Torah telle qu'elle a été définie aux versets 17-19. Donc, pour Matthieu, c'est un comportement conforme à la volonté de Dieu qui ouvre les portes du salut. La morale est la seule voie d'accès.
La "justice" des disciples doit surpasser celle des scribes et des pharisiens. L'accent est mis sur la totalité. Le disciple doit observer la totalité de la Torah. Les scribes et les pharisiens ne respectent pas toutes les ordonnances de la Torah, leur engagement de fidélité reste partiel. Mais qu'il n'y ait pas de méprise : les autorités juives sont critiquées, mais ce sont les disciples qui sont avertis. Ce sont eux qui sont interpellés par l'incontournable volonté de Dieu.
Remarque : à propos du mot "justice". On ne le trouve pas dans l'évangile de Marc, et une fois seulement dans Luc. Chez Matthieu, sept fois. Mais dans l'esprit de Matthieu, il a un sens différent de celui que lui donne saint Paul. Pour Paul, la "justice", c'est l'acte par lequel Dieu justifie des pécheurs. Elle ne saurait être acquise par l'obéissance à la Loi. Elle n'est reçue que dans la foi. Reçue, pas gagnée. Elel est un don gratuit. Elle est grâce. Pour Matthieu, le croyant peut accomplir la Loi et ainsi aspirer à la "justice". Le Christ nous appelle à chercher la justice dans l'obéissance à la volonté de Dieu. Il est lui-même le modèle de cette justice (voir 3, 15). A celui qui cherche la justice est promis le bonheur eschatologique. Pour Matthieu, les disciples ne sont pas des justes. Ils sont simplement appelés à la justice. L'Eglise est en route vers le jugement et seul Dieu désignera les siens. Le disciple est appelé à faire la justice, et non à s'en prévaloir.

7 - Jésus maître de la Loi.

Grâce à cette loi-programme de 5, 17-20, on peu préciser l'affirmation centrale du "Manifeste" étudié il y a quinze jours : l'enseignement du Jésus terrestre, qui permet de connaître la Ressuscité, qui doit être proclamé à toutes les nations est dans une double relation avec la volonté de Dieu révélée dans la Torah :
* Il y a continuité essentielle entre la prédication du Christ et l'exigence morale de l'Ancien Testament. L'Ancien Testament devient, par la volonté du Christ, livre de l'Eglise.
* Mais, d'autre part, la reprise n'est ni littérale ni mécanique. Le Christ porte l'Ancien Testament à son accomplissement en lui donnant une dernière interprétation. En cela, il affirme sa souveraineté par rapport à la Torah. Désormais il ne saurait y avoir de lecture et de pratique authentique de l'Ancien Testament en dehors de l'enseignement et de la pratique du Christ. C'est là que se trouve la condition nécessaire et exclusive de la "meilleurs justice" à laquelle sont appelés les disciples.
Le temps de l'Eglise, le temps que nous vivons est donc un temps qualifié par l'enseignement de Jésus terrestre : une exigence morale. Pas d'illusions, pas d'omissions. Le Christ enseignant est aussi le Christ qui jugera. La Parole invite au "faire". Un seule réponse possible : la meilleure justice.

Ce que Jésus proclame comme un Maître, c'est ce qu'il a vécu. Tout son enseignement ne prend vraiment sens que replacé dans le contexte de sa vie. Dès le baptême où il déclare à Jean : "il nous convient d'accomplir toute justice" ; à la tentation, où c'est appuyé sur la Torah que Jésus résiste au diable. Relisez tout l'évangile : Jésus fait ce qu'il nous demande de faire. Ainsi de l'amour pour le prochain (malades guéris, parias de la société qui sont appelés, disciples en difficulté qui sont secourus). Aux disciples de Jean qui lui demandent s'il est bien celui qui doit venir, il répond en présentant ses gestes d'amour et de libération, lui qui est l'ami des pécheurs et des publicains. C'est surtout dans sa Passion que le Christ assume jusque dans la souffrance et la mort les valeurs qu'il a proclamées. Jésus devient, non seulement un enseignant, mais le modèle de tout son enseignement.

C'est tout pour aujourd'hui. A vous maintenant de travailler, évangile en mains.

Prochain épisode : le 26 mars.

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