L'INTELLIGENCE DES ECRITURES.

 

Cette année :
UNE BONNE NOUVELLE SELON SAINT MATTHIEU

 

 XIV - Tu seras jugé sur l'amour.

L'Église est la communauté des appelés, pas des élus. Elle doit vivre le temps qui lui est imparti dans l'obéissance à l'enseignement reçu. Son destin ultime en dépend. C'était le thème de la parabole des invités. C'est surtout celui de la grande scène du jugement en Matthieu 25, 31-46. C'est la conclusion du dernier grand discours de Matthieu.

Ce passage est propre à Matthieu. il est l'aboutissement de la réflexion entreprise dans les chapitres 24 et 25. D'abord, en se servant du langage apocalyptique ( 24, 4-36 ) puis en recourant aux paraboles (24, 37 à 25, 30), le Christ instruit les disciples sur le temps de l'Église et sur la manière dont il importe de le vivre. La consigne donnée est celle de la vigilante fidélité. Puis, conclusion majestueuse de cette exhortation, notre texte ( 25, 31-46 ) qui souligne le sérieux décisif du jugement. C'est la dernière instruction du Christ avant sa Passion. Il rappelle qu'il ne saurait y avoir de relation authentique avec Jésus en dehors du vécu quotidien, où s'éprouve et se vérifie notre foi.

1 - Le Christ-Juge.
Cette fonction judiciaire du Christ est mentionnée plusieurs fois dans l'Évangile, mais sans être décrite ( lire
10, 23 ; 16, 28 ; 24, 27. 30-31. 39-44 ). De plus, seuls trois passages proclament le critère du jugement ( 13, 41 ; 16, 27 : 19, 28 ). Notre passage fait donc oeuvre originale, d'une part en présentant de façon détaillée le Christ dans sa fonction de juge eschatologique, d'autre part en explicitant la loi qui prévaudra à cette occasion.
Quelques explications :
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au verset 32 : ce jugement est universel. Il touche tous les hommes sans exception, sans exclusive. - Ensuite, il convient d'identifier ces "plus petits" qui revêtent une importance capitale, puisque, de l'attitude adoptée à leur égard, dépend le verdict du juge. Comme le signalent les gestes de miséricorde évoqués par le Christ, les plus petits symbolisent tout homme tombé ans la détresse, croyant ou non
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Le fil conducteur peut donc se résumer comme suit : lors de la rétribution finale, le Christ-Juge, se réclamant de sa solidarité avec les plus petits, sanctionnera chaque homme selon le comportement choisi envers le prochain tombé dans la misère. Comment faut-il comprendre ce critère et quelle est sa signification pour l'Église de Matthieu ?

2 - Le critère du jugement.
La norme invoquée pour départager les hommes tient dans
six gestes de miséricorde : nourrir l'affamé - désaltérer l'assoiffé - recueillir l'étranger - vêtir celui qui est nu - visiter le malade et le prisonnier. Ces six gestes ont deux caractéristiques communes. D'une part, ils sont marqués par le signe de l'évidence. Pas besoin d'aller à l'école d'un Maître ou d'être initié, pas besoin de faire de la théologie pour savoir qu'il faut nourrir l'affamé, etc. Ce qui est demandé ici, chaque homme peut le découvrir sans effort et par lui-même. D'autre part, ces six gestes s'imposent par leur urgence. Ces situations de détresse requièrent un secours immédiat sous peine de devenir irrémédiables.
Si l'on considère l'évangile dans son ensemble, ces six gestes, bien qu'apparaissant ici pour la première fois, s'intègrent parfaitement à l'enseignement du Jésus terrestre. Ils sont l'illustration et le prolongement du commandement d'amour. Plus intéressant encore, par rapport au monde dans lequel vit Matthieu, ils ne présentent aucune originalité, mais s'intègrent parfaitement au code moral alors en usage dans les sociétés du Proche-Orient. Le point décisif est ailleurs. Il consiste dans le lien qui est établi entre ces six gestes de miséricorde et la personne du Christ.

3 - Le lieu de la foi.
Cette mise en rapport s'effectue à travers
la solidarité affichée par le Christ-Juge à l'endroit des plus petits. Cette solidarité se manifeste sous deux formes. D'une part le Christ prend à ce point fait et cause pour les malheureux qu'il s'identifie à leur destin. Aussi les versets 35-36 et 42-43 sont dominés par le "Je" du Christ ("J'ai eu faim..."). D'autre part, aux versets 40 et 45, ce lien de solidarité est déclaré explicitement ("Chaque fois que vous...").
Cette solidarité qui structure l'argumentation du Christ suscite la surprise des justiciables. Jamais ni les élus ni les infidèles n'ont imaginé qu'ils aimaient ou haïssaient le Seigneur en faisant preuve de miséricorde ou d'indifférence envers les plus petits. Jamais ils n'ont assimilé la détresse d'autrui à leur confession du Christ.
En insistant sur leur étonnement lorsqu'ils découvrent la solidarité du Christ avec les malheureux, le texte laisse entrevoir ce dont il désire convaincre le lecteur : à travers l'attention portée à la détresse du prochain se manifeste la relation entre le croyant et son Seigneur. Si toute décision prise pour le prochain en détresse est une décision prise pour le Christ, si tout refus opposé à l'homme dans le malheur est un refus signifié à Jésus, cela signifie que le comportement moral - et lui seul - dévoile le sérieux des disciples dans leur confession du Fils de l'homme.
Ainsi cette grande scène du jugement a, en définitive, pour objet d'indiquer quel est le lieu de la foi. Le Christ n'est véritablement cru et confessé que là où les disciples sont engagés dans la fidélité de l'amour. Seule, l'obéissance incarnée dans le vécu quotidien, manifestée dans l'ouverture aux autres et à leur détresse, témoigne d'une authentique relation avec le Christ.
Avertissement très fort. L'appartenance à l'Église ne confère aucune sécurité. Tous, et en particulier les croyants, sont en route vers le jugement. La foi, désormais vécue dans la durée, est indissociable d'un "faire", d'un comportement moral. Il n'existe pas de relation vivante et authentique au Christ qui puisse être dissociée d'un engagement concret et fidèle dans la profanité du monde.

Conclusion.

Matthieu fait oeuvre de théologien. Il a une conception originale de la foi chrétienne. Elle repose sur trois choix qui donnent à cet évangile son profil caractéristique et unique dans le Nouveau Testament.
1 - Son attachement passionné au Jésus terrestre. L'histoire de Dieu avec les hommes se concentre et s'accomplit dans l'histoire et l'enseignement de l'homme Jésus . Pour connaître Dieu et son projet de libération, pour s'approcher du Christ vivant, la seule voie possible est de se mettre à l'écoute et à la suite du Jésus terrestre. Dieu ne se découvre pas dans des expériences spirituelles, mais dans une histoire terrestre, concrète, l'histoire de l'Emmanuel.

2 - Second choix de Matthieu : l'accent moral qu'il donne à son récit. L'enseignement de Jésus est une parole qui engage totalement la vie de son destinataire. Le Dieu qu'annonce Jésus, dans Matthieu, demande obéissance et fidélité. Jésus libère et gracie ceux qu'il appelle, mais pour les introduire dans un projet de vie concrète. La foi se traduit dans un "faire", dans tout un comportement. Sans cesse le Christ de Matthieu met en garde son Eglise. La seule dignité dont elle pourra se prévaloir, au jour du jugement, c'est sa fidélité pratique et quotidienne.

3 - Matthieu recourt sans cesse à l'Ancien Testament. L'incrédulité d'Israël et son châtiment n'effacent pas l'histoire de Dieu avec son peuple et le Livre qui lui rend témoignage. Au contraire, le destin et l'enseignement de Jésus ne peuvent être compris que sur le fond de l'Ancien Testament : c'est son accomplissement dans l'histoire des hommes. Jésus n'élimine pas le Dieu d'Abraham, Isaac et Jacob. Il y donne définitivement et universellement accès.

Par ces trois choix, Matthieu a donné à l'Église de chaque époque les moyens de son existence. Ainsi il a pleinement assumé sa vocation de théologien ( = celui qui dit Dieu ). Bien plus, évoquant Jésus de Nazareth, il a donné visage à un Dieu qui éclaire la vie de l'homme, qui la libère et qui l'engage.

Voilà ! C'est fini. Nous sommes en juin. Alors, on va fermer notre faculté d'Etudes Bibliques pendant quelques semaines d'été. Et dès avant l'automne, nous entreprendrons un autre sujet. Quoi ? C'est la surprise. Pour le moment, vous avez du grain à moudre : relisez tranquillement l'un ou l'autre de ces chapitres, si vous en avez le temps. Bonne recherche.

4 juin 2002

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