L'INTELLIGENCE DES ECRITURES.
L'Église est la communauté des appelés, pas des élus. Elle doit vivre le temps qui lui est imparti dans l'obéissance à l'enseignement reçu. Son destin ultime en dépend. C'était le thème de la parabole des invités. C'est surtout celui de la grande scène du jugement en Matthieu 25, 31-46. C'est la conclusion du dernier grand discours de Matthieu.
Ce passage est propre à Matthieu. il est l'aboutissement de la réflexion entreprise dans les chapitres 24 et 25. D'abord, en se servant du langage apocalyptique ( 24, 4-36 ) puis en recourant aux paraboles (24, 37 à 25, 30), le Christ instruit les disciples sur le temps de l'Église et sur la manière dont il importe de le vivre. La consigne donnée est celle de la vigilante fidélité. Puis, conclusion majestueuse de cette exhortation, notre texte ( 25, 31-46 ) qui souligne le sérieux décisif du jugement. C'est la dernière instruction du Christ avant sa Passion. Il rappelle qu'il ne saurait y avoir de relation authentique avec Jésus en dehors du vécu quotidien, où s'éprouve et se vérifie notre foi.
1 - Le
Christ-Juge.
Cette fonction judiciaire du Christ est mentionnée plusieurs
fois dans l'Évangile, mais sans être décrite (
lire 10, 23 ; 16, 28 ;
24, 27. 30-31. 39-44 ). De plus, seuls trois
passages proclament le critère du jugement (
13, 41 ; 16, 27 :
19, 28 ). Notre passage fait donc oeuvre
originale, d'une part en présentant de façon
détaillée le Christ dans sa fonction de juge
eschatologique, d'autre part en explicitant la loi qui
prévaudra à cette occasion.
Quelques explications :
- au verset 32
: ce jugement est
universel. Il touche tous les hommes sans exception,
sans exclusive. - Ensuite, il convient d'identifier ces
"plus petits" qui revêtent une importance capitale,
puisque, de l'attitude adoptée à leur égard,
dépend le verdict du juge. Comme le signalent les gestes de
miséricorde évoqués par le Christ, les plus
petits symbolisent tout homme tombé ans la détresse,
croyant ou non
- Le fil conducteur peut donc se
résumer comme suit : lors de la rétribution finale, le
Christ-Juge, se réclamant de sa solidarité avec les
plus petits, sanctionnera chaque homme selon le comportement choisi
envers le prochain tombé dans la misère. Comment
faut-il comprendre ce critère et quelle est sa signification
pour l'Église de Matthieu ?
2 - Le critère du
jugement.
La norme invoquée pour départager les hommes tient dans
six gestes de
miséricorde :
nourrir l'affamé - désaltérer l'assoiffé
- recueillir l'étranger - vêtir celui qui est nu -
visiter le malade et le prisonnier. Ces six gestes ont deux
caractéristiques communes. D'une part, ils sont marqués
par le signe de l'évidence. Pas besoin d'aller à
l'école d'un Maître ou d'être initié, pas
besoin de faire de la théologie pour savoir qu'il faut nourrir
l'affamé, etc. Ce qui est demandé ici, chaque homme
peut le découvrir sans effort et par lui-même. D'autre
part, ces six gestes s'imposent par leur urgence. Ces situations de
détresse requièrent un secours immédiat sous
peine de devenir irrémédiables.
Si l'on considère l'évangile dans son ensemble, ces six
gestes, bien qu'apparaissant ici pour la première fois,
s'intègrent parfaitement à l'enseignement du
Jésus terrestre. Ils sont l'illustration et le prolongement du
commandement d'amour. Plus intéressant encore, par rapport au
monde dans lequel vit Matthieu, ils ne présentent aucune
originalité, mais s'intègrent parfaitement au code
moral alors en usage dans les sociétés du
Proche-Orient. Le point décisif est ailleurs. Il consiste dans
le lien qui est établi entre ces six gestes de
miséricorde et la personne du Christ.
3 - Le lieu de la
foi.
Cette mise en rapport s'effectue à travers la solidarité affichée par le Christ-Juge à
l'endroit des plus petits. Cette solidarité se manifeste sous
deux formes. D'une part le Christ prend à ce point fait et
cause pour les malheureux qu'il s'identifie à leur destin.
Aussi les versets 35-36 et 42-43 sont dominés par le
"Je" du Christ ("J'ai eu faim..."). D'autre part,
aux versets 40 et 45, ce lien de solidarité est
déclaré explicitement ("Chaque fois que vous...").
Cette solidarité qui structure l'argumentation du Christ
suscite la surprise des justiciables. Jamais ni les élus ni
les infidèles n'ont imaginé qu'ils aimaient ou
haïssaient le Seigneur en faisant preuve de miséricorde
ou d'indifférence envers les plus petits. Jamais ils n'ont
assimilé la détresse d'autrui à leur confession
du Christ.
En insistant sur leur étonnement lorsqu'ils découvrent
la solidarité du Christ avec les malheureux, le texte laisse
entrevoir ce dont il désire convaincre le lecteur : à
travers l'attention portée à la détresse du
prochain se manifeste la relation entre le croyant et son Seigneur.
Si toute décision prise pour le prochain en détresse
est une décision prise pour le Christ, si tout refus
opposé à l'homme dans le malheur est un refus
signifié à Jésus, cela signifie que le
comportement moral - et lui seul - dévoile le sérieux
des disciples dans leur confession du Fils de l'homme.
Ainsi cette grande scène du jugement a, en définitive,
pour objet d'indiquer quel est le lieu de la foi. Le Christ n'est
véritablement cru et confessé que là où
les disciples sont engagés dans la fidélité de
l'amour. Seule, l'obéissance incarnée dans le
vécu quotidien, manifestée dans l'ouverture aux autres
et à leur détresse, témoigne d'une authentique
relation avec le Christ.
Avertissement très fort. L'appartenance à
l'Église ne confère aucune sécurité.
Tous, et en particulier les croyants, sont en route vers le jugement.
La foi, désormais vécue dans la durée, est
indissociable d'un "faire", d'un comportement moral. Il n'existe pas
de relation vivante et authentique au Christ qui puisse être
dissociée d'un engagement concret et fidèle dans la
profanité du monde.
Matthieu fait oeuvre de
théologien. Il a une conception originale de la foi
chrétienne. Elle repose sur trois choix qui donnent à
cet évangile son profil caractéristique et unique dans
le Nouveau Testament.
1 - Son attachement passionné au Jésus terrestre.
L'histoire de Dieu avec les hommes se concentre et s'accomplit dans
l'histoire et l'enseignement de l'homme Jésus . Pour
connaître Dieu et son projet de libération, pour
s'approcher du Christ vivant, la seule voie possible est de se mettre
à l'écoute et à la suite du Jésus
terrestre. Dieu ne se découvre pas dans des expériences
spirituelles, mais dans une histoire terrestre, concrète,
l'histoire de l'Emmanuel.
2 - Second choix de Matthieu : l'accent moral qu'il donne à son récit. L'enseignement de Jésus est une parole qui engage totalement la vie de son destinataire. Le Dieu qu'annonce Jésus, dans Matthieu, demande obéissance et fidélité. Jésus libère et gracie ceux qu'il appelle, mais pour les introduire dans un projet de vie concrète. La foi se traduit dans un "faire", dans tout un comportement. Sans cesse le Christ de Matthieu met en garde son Eglise. La seule dignité dont elle pourra se prévaloir, au jour du jugement, c'est sa fidélité pratique et quotidienne.
3 - Matthieu recourt sans cesse à l'Ancien Testament. L'incrédulité d'Israël et son châtiment n'effacent pas l'histoire de Dieu avec son peuple et le Livre qui lui rend témoignage. Au contraire, le destin et l'enseignement de Jésus ne peuvent être compris que sur le fond de l'Ancien Testament : c'est son accomplissement dans l'histoire des hommes. Jésus n'élimine pas le Dieu d'Abraham, Isaac et Jacob. Il y donne définitivement et universellement accès.
Par ces trois choix, Matthieu a donné à l'Église de chaque époque les moyens de son existence. Ainsi il a pleinement assumé sa vocation de théologien ( = celui qui dit Dieu ). Bien plus, évoquant Jésus de Nazareth, il a donné visage à un Dieu qui éclaire la vie de l'homme, qui la libère et qui l'engage.
Voilà ! C'est fini. Nous sommes en juin. Alors, on va fermer notre faculté d'Etudes Bibliques pendant quelques semaines d'été. Et dès avant l'automne, nous entreprendrons un autre sujet. Quoi ? C'est la surprise. Pour le moment, vous avez du grain à moudre : relisez tranquillement l'un ou l'autre de ces chapitres, si vous en avez le temps. Bonne recherche.
4 juin 2002