THEOLOGIE "POUR LES NULS" CETTE ANNEE 2005 : La Création. ![]()
"Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant,
créateur du ciel et de la terre,
de l'univers visible et invisible."oOo 4e séquence : L'homme actif en sa création
La dépendance
Quand on pense à la création, on pense immédiatement que c'est Dieu qui fait tout. Il y a le créateur, celui qui crée, et la créature, qui reçoit l'existence. D'une certaine manière de voir les choses, c'est vrai. Les mots Dieu et être sont interchangeables. En dehors de Dieu, au point de départ, il n'y a rien. il y a le néant. C'est vrai que la créature, vous et moi, nous sommes totalement dépendants du créateur. Aussi bien quand je pense à mon origine (Dieu est notre source) que lorsque j'envisage mon "commencement", c'est-à-dire ma venue au monde, la venue au monde de l'espèce humaine aussi bien que la venue au monde de chaque individu. Vous et moi. Je suis totalement dépendant : je n'ai pas choisi d'exister, je n'ai pas choisi d'être tel que je suis. Je n'ai choisi ni mon sexe, ni l'époque ni le milieu dans lequel je suis venu au monde. En tout cela, je suis totalement passif. Totalement dépendant vis-à-vis du cosmos, vis-à-vis des autres, vis-à-vis de ce que je trouve en moi-même : mon hérédité, par exemple, je l'ai reçue sans aucune possibilité de l'accepter ou de la refuser.
Donc, lorsque saint Thomas d'Aquin définit la création comme une "relation de dépendance", c'est profondément vrai. Pourtant, mettons une nuance. Qui dit "relation" dit "réciprocité". Or, au point de départ il n'y a aucune réciprocité possible. Au commencement, il y a Dieu (ou, si l'on veut, au commencement était le Verbe). Thomas d'Aquin parle d'ailleurs de "dépendance unilatérale" : toute la dépendance est du côté de l'homme. Dieu ne dépend pas de ce qu'il fait ; seul, l'homme dépend de son Créateur. Seulement voilà : ce n'est vrai que si nous ne considérons pas la création sur le modèle d'une fabrication artisanale.
Quelle dépendance ?
Il ne faudrait pas considérer Dieu comme un génial artisan, un super-horloger. Un artisan qui produirait des objets destinés, une fois achevés, à vivre leur vie propre, totalement coupée de leur auteur. S'il en était ainsi, l'homme ne serait dépendant qu'au point de départ. Ensuite, il deviendrait totalement indépendant. Sa dépendance ne constituerait pas son être au fil des jours. La création serait arrêtée, pour lui, à un moment donné. Donc Dieu cesserait d'être Dieu pour cet homme : Dieu serait dans son passé. En fait, ne pensez-vous pas que c'est cette représentation qu'ont bien des hommes aujourd'hui ? D'où la difficulté qu'ils ont de se représenter une relation au Dieu présent. Présent à toute notre existence, personnelle et collective. Présent à sa création. Cette image de Dieu est étrangère à toute la pensée biblique. Pour comprendre la nature de cette relation de création, il nous faut penser Dieu autrement, dans la mesure où nous pouvons le connaître. J'ai dit que les mots Dieu et être sont interchangeables. Dieu, c'est le dynamisme qui nous fait être. Il est échange, pulsation, si l'on veut employer des images. Et on ne peut qu'employer des images. Il est Trinité, disent les théologiens. Saint Thomas dit qu'il est "relations subsistantes". Terme abstrait et compliqué. Disons plus simplement que ce qui fait que Dieu est Dieu, c'est la relation.
Exemple : nous disons que Dieu est Père. Le mot père désigne bien pour nous une relation ; le rapport d'un homme à un autre (son fils ou sa fille). Cependant, dans le cadre de notre expérience humaine, le père n'est pas que père. Avant d'être père, il existe en tant qu'homme, et il pourrait très bien exister sans engendrer, sans être père. Quand Thomas dit que Dieu est "relations subsistantes", il veut dire que le Père n'existe que par sa paternité. Il n'est pas autre chose que Père. Ce qui le fait exister, c'est d'engendrer : la relation se confond avec l'existence ; c'est par elle qu'il "subsiste". C'est la même chose pour le Fils et l'Esprit. Difficile à comprendre ? D'accord. Disons simplement encore que l'existence du Père dépend totalement de celle du Fils, puisqu'il n'existe qu'en engendrant le Fils. Mettons tout de suite une nuance : quand nous employons les mots Père et Fils, nous parlons bien sûr par images, par approximations.
L'homme relation
Vous suivez ? Pas nécessaire d'entrer dans de profondes considérations théologiques. Retenons simplement que la relation est ce qui constitue Dieu. Or Dieu produit un monde à son image. Il ne crée donc pas des individus isolés, une collection d'êtres juxtaposés : il crée des noeuds de relations. C'est cela, être homme. Pensons, pour comprendre, à un tissu : chaque point de croisement des fils est en relation avec les autres et ne tient que par les autres. Nous voici donc totalement dépendants. Et cette dépendance qui exprime notre relation avec tous les autres est l'illustration de notre dépendance fondamentale.
Exister, c'est, pour nous, sortir de Dieu pour revenir à Dieu, sans cesse. Dieu est le "lieu" où tout se noue. C'est en lui que se fonde toute relation. Nous sommes images du Fils, tel qu'il nous est apparu dans le Christ. Ce mouvement d'aller-retour nous constitue. C'est le lien qui nous fait être.
Dépendance et liberté.
Or ce mouvement d'aller-retour, de sortie et de rentrée, qui exprime notre dépendance, implique aussi notre liberté. Il n'est pas automatique. Si nous ne le prenions pas en charge, si nous ne choisissions pas ce que nous sommes et avons à être, nous ne serions pas images de Dieu, qui est libre, qui est librement ce qu'il est. Or nous ne pouvons pas être autre chose qu'images de Dieu. Dépendance et liberté. Voir le Christ, qui prend délibérément en charge sa sortie du Père et son retour au Père. Comme lui, nous nous recevons du Père. "Se recevoir" ne peut être purement passif, c'est quelque chose d'actif, un acte de liberté. Notons que ce mouvement de la relation, par lequel je me reçois de Dieu et retourne à Dieu, passe par ma relation aux autres : je me reçois d'eux et je me donne à eux ; par là j'existe et je les fais exister. Cette relation aux autres, si elle est conscience et voulue, s'appelle charité.
La création passe par nous.
C'est pourquoi nous pouvons dire que notre création, si elle a son origine en Dieu, passe par nous, par notre liberté, par notre "oui". Il faut, pour comprendre cela, savoir que notre surgissement à l'être, notre propre création est permanente. C'est maintenant que je suis créé. Le fait que, simplement, j'aie la volonté de vivre est déjà une réponse personnelle, un oui à Dieu, un oui à la Vie. Mais il y a plus : nos choix nous façonnent, nous font devenir ce que nous n'étions pas encore. J'étudie, et donc je deviens plus compétent. Un garçon qui accepte d'aimer une fille devient pour elle, et en lui-même, ce qu'il n'était pas encore. Et réciproquement. Supplément d'existence. Ma création est ainsi en route. Elle passe par mes choix. "Ce que nous serons n'a pas encore été manifesté" (1 Jean 2, 3) On peut même dire que nos choix font créer Dieu, quand ils vont dans le sens d'un plus vivre, d'un être plus homme. Ceux qui font un enfant le font réellement, il est d'eux tout entier, et pourtant, en même temps, il est tout entier de Dieu. Ils sont créateurs ou plus exactement pro-créateurs, car c'est Dieu qui est le créateur.
Mais nous ne sommes pas assez naïfs pour croire que tous nos choix sont entièrement libres. Justement il y a eu coïncidence d'une passivité (obéissance aux conditionnements divers) et d'une liberté (prise en charge de ces conditionnements). C'est une réelle pulsation qui constitue notre existence. Sans cesse et en toutes choses nous faisons passer au vécu, au réel, l'acte créateur. Sans cesse notre liberté utilise ce qu'il y a de reçu, de passif en nous.
Deux libertés en alliance
N'allons pas imaginer pour autant une sorte de répartition des rôles : les conditionnements inéluctables représenteraient la part de Dieu ; par contre toute liberté, nos choix, seraient de notre côté. Ce serait oublier que bien des conditionnements viennent de ce que nous appelons le péché. Ne pas confondre Dieu et le destin, ce qui est une tentation permanente. Dieu est la puissance sous-jacente à tout le réel, et à notre propre liberté. C'est même dans notre liberté, par laquelle nous sommes son image, que se repère sa fonction créatrice. Il nous crée sans cesse mais en quelque sorte par notre intermédiaire. C'est pour cela que notre création est en route, que notre être pleinement réalisé est en avant de nous.
Le point zéro
Il n'y a pas concurrence entre deux libertés juxtaposées ni division des rôles. Il y a deux libertés fonctionnant l'une à l'intérieur de l'autre. Tout est de Dieu, tout est de nous.
Ces explications laissent dans l'ombre un point important : le point zéro de la création, le fameux "commencement". Là il n'y a qu'un partenaire, Dieu. En face, le néant, c'est-à-dire rien. Comment alors concevoir le jeu d'une autre liberté que celle de Dieu ? Ne peut-on pas dire que, créant l'homme, Dieu crée quelque chose qui est liberté dès le premier instant. A l'appel de Dieu, l'être nouveau répond "me voici". Il y a, dans cette obéissance à la parole créatrice, un "oui" : le choix d'exister est déjà là. Il y a connivence entre créateur et créature.
Quand un homme naît, c'est normalement dans un contexte de liberté. Il faut un consensus de la société et des parents pour qu'un homme nouveau vienne au monde. La liberté est donc déjà là, en amont de notre naissance. Nous existons par elle.
Tout ce que nous venons de dire se rapporte à la création d'un homme. Mais nous pouvons extrapoler et appliquer cela à tout ce qui existe : il y a création par l'intermédiaire de la créature. C'est une constante de l'acte de créer. Par exemple l'évolution par sélection est une manière de produire la création par le jeu du créé lui-même. Autrement dit, Dieu crée par le mécanisme des "phénomènes naturels". Cela implique que l'on ne peut jamais prouver son action créatrice. Ce que nous avons sous les yeux, l'objet de notre expérience, ce sont les mécanismes et eux seuls. Dieu ne peut être saisi expérimentalement dans ces mécanismes sous peine d'apparaître comme un mécanisme ajouté aux autres, même si on lui donne la première place. Il est le "tout autre", "au-delà", à l'intérieur, si l'on veut.
Les choix décréateurs
Question : Est-ce que tous nos choix sont créateurs ? Que se passe-t-il quand nos choix ne vont pas dans le sens d'un plus être ? D'un plus homme ? Par conséquent dans le sens d'un être plus image de Dieu ?
Dans ce cas, il s'agit d'un choix décréateur. Il va à l'envers du flux de la vie, de l'action créatrice de Dieu. Ce choix raté, nous l'appelons le péché. Il est choix, non pas libérant, mais asservissant. Régression vers le néant, néant d'être et néant de liberté.
"L'homme ne peut être homme qu'en niant Dieu... L'homme ne peut être libre si Dieu le crée..." A ces affirmations des "maîtres du soupçon" qui marquent encore profondément la conscience de nos contemporains, ce qui précède tend à répondre en précisant bien ce qu'on veut dire lorsqu'on parle de Dieu créateur. Le mois prochain, nous vérifierons ce que nous venons de dire à la lumière de l'Ecriture.
(à suivre, début mai)
(D'après une série de M. Domergue, dans Croire Aujourd'hui 1981)