THEOLOGIE "POUR LES NULS"

 

Cette année 2005 : La Création.

 

 

"Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant,

créateur du ciel et de la terre,

de l'univers visible et invisible."

oOo

8e séquence : Attirance, répulsion, dogmatisme

Nous continuons ce mois-ci notre itinéraire. Rappel : que voulons-nous dire lorsque nous affirmons "Dieu Créateur" ? Le mois dernier, constatant les dépendances qui constituent le lot commun de tous les humains, nous nous demandions quelle pouvait être la signification de l'existence, et d'abord si l'existence terrestre a une signification, si elle n'est pas totalement absurde. Nous avions ainsi formulé un certain nombre de questions. Il nous faut ce mois-ci aller plus loin.

 

1 - Attrait et fuite.

Si la signification fondamentale de notre dépendance vis-à-vis de l'univers n'est pas dégagée rationnellement, deux attitudes sont possibles en réponse à ces question sur le sens de l'existence. Deux attitudes qui sont opposées : soit une volonté de fusion, soit un désir d'évasion.

* Fusion :

"La nature est là qui t'invite et qui t'aime,
Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours,"
dit le poète.

On rencontre cette attitude, ce désir de fusion avec la nature, ne serait-ce que pour échapper à l'univers artificiel de la technique. Réfléchissez, et vous pourrez facilement repérer les formes concrètes que prend cette attitude aujourd'hui, comme un certain romantisme permanent. On se laisse séduire au point de nous identifier à cette nature, parce qu'on n'arrive pas à dégager la signification de notre "dépendance cosmique" (dont nous parlions le mois dernier)

* Evasion :

C'est plus courant actuellement. Constatant que l'homme ne peut pas s'identifier avec la nature, beaucoup sont séduits par des spiritualités extrêmes-orientales qui reposent précisément sur un refus du monde. N'avez-vous jamais rencontré des gens qui considèrent ce monde comme une réalité mauvaise dont il faut se détacher totalement ? Pas seulement dans les religions de l'Orient, mais aussi dans le christianisme. On ne comprend pas la signification de la réalité du monde qui nous entoure, et alors on fuit et on condamne ce monde.

 

"Pour la pensée indienne, la sagesse consiste à se désolidariser du monde, à renier la dépendance cosmique.
La source des souffrances réside dans la solidarisaton de l'homme avec le cosmos, dans sa participation à la nature. La présence de l'homme dans le cosmos est, pour la pensée indienne,
soit un malheureux hasard, soit une illusion.
Les mystiques indiennes ont presque toujours à l'égard de la Création, des formes, de la vie,
une attitude de
dépréciation."

Mircéa Eliade

 

Je me demande si, en de telles attitudes, qu'on retrouve dans certaines "écoles" de prière ou dans certains cours de yoga, il n'y a pas comme un refus de poser la question fondamentale du sens de la Création. Fuite hors du monde ? De même dans la manière dont certains chrétiens s'enthousiasment pour le "phénomène" Jésus : Jésus Superstar, Godspell. Evasion ? Qu'en est-il de la foi chrétienne si elle ne s'exprime pas dans des solidarités, des initiatives, des discernements portant sur les forces historiques qui s'affrontent dans le monde ?

 

Nous pouvons regarder du côté du nirvana, nier le cosmos, par diverses techniques aboutir à l'indifférence absolue.
Mais si ce dépouillement a l'avantage de débarrasser l'âme de ses scories, dira-t-on qu'il lui procure l'autonomie ?
C'est le contraire qui arrive. Le nirvana détache de soi et de tout, mais ne rattache à rien, à aucun absolu libérateur.
Dès lors il ne purifie que pour dissoudre, il ne recueille que pour hébéter.
Et cette léthargie mystique conduit à la même résignation que le fatalisme.
Le "délivré vivant" ne s'évade de soi
que pour mieux se désintéresser de la marche du monde et du mouvement de la vie ; lui aussi a abdiqué.

Henry Dumery

 

2 - Dépendance érotique : attrait et répulsion

Comme pour notre dépendance par rapport à la nature, il en va de même lorsqu'il s'agit du sexe, de notre "dépendance érotique". Ici encore, on constate une double attitude : refus ou sacralisation du sexuel. Comme pour le cosmos, s'en évader ou s'y plonger. Première attitude : on essaie de vivre comme si le sexe n'existait pas. On trouve cela, non seulement dans les comportements individuels, mais dans des faits de société et dans les institutions, qui sont établies, souvent, dans le masculin. Et non seulement dans les sociétés. Voir l'Église, ses institutions et les déviations pas toujours évitées : puritanisme ou jansénisme sous toutes ses formes. Mais la négation ou le refus du corps ne le supprime pas. La dépendance sexuelle demeure, et bien souvent, on en arrive même à des formes de religiosités érotiques. Le dieu Eros existe bel et bien, il s'associe souvent au dieu Mammon et à eux deux ils font d'assez bonnes affaires. Il suffit de penser à certaines campagnes publicitaires qui supposent à la fois mépris et sacralisation du sexe. Dans les deux cas l'homme est aux prises avec l'énigme de la sexualité, dont nous parlions le mois dernier. Il faut qu'il arrive à en dégager la signification humaine. Et là aussi il faut avoir le courage de ne pas fuir notre propre expérience, de ne pas biaiser. Sortir de la distorsion meurtrière entre une vie spirituelle éthérée et une existence corporelle dont on ne sait que faire. Personnellement, je m'attache toujours à faire la distinction, dans ma vie personnelle et dans toutes mes relations, entre ce qui est "sexué" et ce qui est "sexuel". Je suis un être sexué. Ma sexualité est une réalité essentielle de ma personnalité. Toutes mes relations sont sexuées. Tous mes comportements sont sexués. Ce qui ne veut pas dire qu'ils vont jusqu'à des relations "sexuelles".

3 - L'individu et le groupe.

Troisième dépendance décrite la dernière fois : notre dépendance individuelle vis-à-vis du genre humain, la "dépendance générique". Ici encore, si nous n'affrontons pas en vérité cette dépendance, nous aboutissons à un double vertige : ou sacrifier l'individu au groupe, ou prôner la priorité de l'individu sur la collectivité. Dans le premier cas, on en arrive à quantité d'idéologies : ces idéologies qui ont fleuri particulièrement dans le culte de la patrie, de la race, d'une classe sociale. Depuis "mourir pour la patrie" jusqu'aux kamikazes d'aujourd'hui. Et le plus fort, c'est que, dans nombre de cas, l'individu voué à l'isolement ne demande pas mieux que de se perdre dans le groupe. Dans le second cas, vous trouverez des mystiques anarchistes qui prônent la priorité de l'individu sur la collectivité, jusqu'à ce que, souvent, l'anarchisme en vienne à constituer un groupe aussi totalitaire que l'autre.

4 - Contradiction interne.

Souvent, c'est chez le même homme que se rencontre cette double contradiction : il vit le contraire de ce qu'il affirme. Et cela parce qu'il n'a pas pu exprimer le sens, la signification de ces trois dépendances existentielles. L'idéaliste le plus convaincu est pris en flagrant délit de matérialisme. Celui qui refuse le sexe pour des raisons sublimes cultive parfois sourdement un érotisme qu'il prend pour la vie spirituelle. Et l'adorateur d'Eros, à force d'adoration, finit par dégrader l'amour et faire du sexe un objet de consommation. Quant aux partisans le plus résolus du collectivisme, bien souvent ils en viennent à sacraliser l'individu. Que d'expériences n'a-t-on pas connues du "culte de la personnalité" dans les régimes totalitaires ! D'où la nécessité de tirer au clair l'énigme de cette triple dépendance, si on ne veut pas rester pris dans un tourbillon de contradictions.

5 - Le dogmatisme.

Pour nous protéger de ce tourbillon, on a recours à des opérations de camouflage. Ainsi on pourra éviter d'aller au fond de la question posée par la triple dépendance : ce sera le rôle de l'idéologie ou du dogmatisme.

De quoi s'agit-il ? Essentiellement d'un à-priori. On va justifier nos attitudes, vécues le plus souvent de façon inconsciente, en mettant en avant des principes théoriques. Notre agir n'est pas directement remis en cause. Simplement il est justifié par un à-priori, par la simple application d'un principe. Ce qui le sécurise. Prenons des exemples :

* Tout est bon dans la nature sortant des mains du Créateur ; mais tout se dégrade dans nos société industrielles. La ville est un lieu de perdition, mais la campagne est un paradis où se conservent les vertus solides. Voilà le type même de ces énoncés dogmatiques : ils justifient le "retour à la terre", l'identification à la nature. Mais vous le sentez bien, il ne s'agit, au fond, que de conduites d'évasion hors du monde technique. Ce "dogmatisme" nous évite de poser clairement la signification de notre relation au cosmos.

* L'égalité hommes-femmes : autre dogme. Si l'on veut dire par là que les femmes doivent accéder à l'égalité des salaires, à certaines professions jusque-là réservées aux hommes, à certaines responsabilités politiques, tout le monde (ou presque) est d'accord. Mais ce sont des questions qui se posent sur le plan de l'agir. Par contre, si l'on veut dire que l'existence masculine et l'existence féminine sont interchangeables, on escamote la question de la signification fondamentale de la sexualité qu'on ne peut pas bloquer précisément au plan de l'agir. Essayez de regarder ce qui se passe lorsque les principes égalitaires en viennent à nier les différences : "Tout ce que je fais, tu peux le faire." Est-ce possible ? Peut-être. Mais en attendant, ce dogmatisme, au lieu de promouvoir une communauté entre des personnes égales, aboutit en fait à supprimer un véritable échange.

* Il s'agit de faits, de tendances, observables un peu partout. Ces prises de positions dogmatiques et idéologiques sont, au fond, des solution s de facilité : elles nous épargnent l'effort de réalisme nécessaire pour envisager nos dépendances (cosmiques, sexuelles, géniques) et pour leur donner leur réelle signification. En fait, elles sont, plus que des réponses rationnelles, des réponses passionnelles.

Pour terminer, pour ce mois-ci, voici un bel exemple de "dogmatisme". C'est un texte d'Engels, l'ami et le collaborateur le plus proche de Karl Marx.

 

"Pour les savants de la première moitié du 18e siècle, le monde était quelque chose qui avait été créé d'un seul coup. Comment sont nées les innombrables espèces végétales et animales ? Et à plus forte raison l'homme dont il est pourtant établi qu'il n'a pas existé de toute éternité ? A ces questions, la science de la nature ne répondait que trop souvent en invoquant la responsabilité du Créateur de toutes choses...

Engels déclare alors que tout peut s'expliquer par le mouvement de la matière éternelle. C'est dans un cycle éternel que la matière se meut. Et il poursuit :

"Cycle dans lequel tout mode fini d'existence de la matière - fût-il soleil ou nébuleuse, animal singulier ou genre d'animaux, combinaison ou dissociation chimiques - est également transitoire, et où il n'est rien d'éternel sinon la matière en éternel changement, en éternel mouvement, et les lois selon lesquelles elle se meut et elle change. Mais, quelle que soit la fréquence et quelle que soit l'inexorable rigueur avec lesquelles ce cycle s'accomplit dans le temps et dans l'espace ;
- quel que soit le nombre des millions de soleils et de terres qui naissent et périssent ;
- si longtemps qu'il faille pour que, dans un système solaire, les conditions de la vie organique s'établissent, ne fût-ce que sur une seule planète ;
-si innombrables que soient les êtres organiques qui doivent d'abord apparaître et périr avant qu'il sorte de leur sein des animaux avec un cerveau capable de penser et qu'ils trouvent pour un court laps de temps des conditions propres à leur vie, pour être ensuite exterminés, eux aussi, sans merci,

nous avons la certitude que, dans toutes ses transformations, la matière reste éternellement la même, qu'aucun de ses attributs ne peut jamais se perdre et que, par conséquent, si elle doit sur terre exterminer un jour, avec une nécessité d'airain, sa floraison suprême, l'esprit pensant, il faut, avec la même nécessité que par ailleurs, et à une autre heure, elle le reproduise."

 

Bel exemple de dogmatisme ? J'ai souligné intentionnellement cette affirmation de l'éternité de la matière : c'est une affirmation métaphysique, et non pas scientifique, puisque pareille position attribue à la matière des qualités d'éternité et d'autocréation. On est en pleine mythologie. Ce n'est plus un athéisme, mais plutôt un panthéisme puisque Engels recherche l'Absolu dans la matière éternelle.

Alors ? Y a-t-il une voie pour découvrir le sens des dépendances ? Parviendrons-nous à créer le langage de notre existence et à résoudre nos interrogations autrement que par le recours aux mystifications des "dogmatismes ?

On verra cela le mois prochain, après les vacances.

(à suivre, en principe, le 6 septembre 2005)

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