THEOLOGIE "POUR LES NULS" Cette année 2005 : La Création. "Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de l'univers visible et invisible." oOo 10e séquence :Les créateurs.
Le rapport Créateur-créature n'est pas compatible avec la dignité de l'homme, disent les penseurs d'aujourd'hui. La liberté n'est ni pensable ni vivable dans une dépendance absolue. Si je suis une créature, je suis dépendant du Créateur, et donc je ne suis pas libre.
Alors, comment exprimer le cheminement de notre liberté au sein même des dépendances ? Ne pourrait-on pas montrer que, dans certains cas, les dépendances sont voulues librement, et même aimées comme le langage même de l'expérience créatrice ? Nous allons essayer de voir comment toute liberté créatrice naît d'une dépendance.
La création artistique.
Une expérience féconde : celle que font, un jour ou l'autre, tous les créateurs : l'expérience de la liberté créatrice qui s'exprime dans une certaine dépendance. D'où la possibilité de sortir de l'opposition dépendance-liberté. Les artistes, les poètes, dans leur création, vivent une dépendance.
Voici un peintre à qui on demande pourquoi il a conçu et réalisé un tableau en utilisant telle forme, telle couleur, qui répond : "Je n'en sais rien. Quand je crée, j'obéis." Ainsi les véritables créateurs sont soumis au matériau, leurs mains, comme leur imagination, obéissent à une réalité. C'est cette obéissance qui est créatrice. Un sculpteur déclare : "Quand je crée, je reçois."
"Le choix de mes couleurs ne repose sur aucune théorie scientifique : il est basé sur l'observation, sur le sentiment, sur l'expérience de ma sensibilité. Je cherche simplement à poser des couleurs qui rendent ma sensation. Il y a une proportion nécessaire des tons qui peut m'amener à modifier la forme d'une figure ou à transformer la composition. Tant que je ne l'ai pas obtenue pour toutes les parties, je la cherche et je poursuis mon travail. Puis il arrive un moment où toutes les parties ont trouvé leurs rapports définitifs et dès lors il me serait impossible de rien retoucher à mon tableau sans le refaire entièrement."
Henri Matisse.
"J'obéis", "Je reçois"? Nécessité d'un accueil, d'une obéissance qui est tout le contraire d'une soumission passive, car elle est faite de patience, d'audace, de courage. Toute création est lutte contre l'habitude et le langage tout fait. Le faux artiste ne fait que répéter un langage appris. Il n'invente pas.
"Les vrais peintres se laissent guider par cette conscience que l'on nomme le sentiment.
Leur âme, leur esprit ne sont pas au service de leur pinceau mais leur pinceau au service de leur esprit."
Vincent Van Gogh
L'expérience poétique est une expérience typique de liberté au sein des dépendances de toute notre existence. Bien plus, la création artistique est ce qui donne une signification à la triple dépendance existentielle. Elle annonce et anticipe la réconciliation entre la liberté et la nécessité, entre l'intelligence et l'affectivité.
"J'éprouve une espèce de terreur quand, au moment de me mettre au travail, et devant l'infini des possibilités offertes, j'éprouve la sensation que tout m'est permis. Si tout m'est permis, le meilleur et le pire, si rien ne m'offre de résistance, tout effort est inconcevable, je ne puis fonder sur rien et toute entreprise, dès lors, est vaine... Prenons le meilleur exemple : la fugue, forme parfaite où la musique ne signifie rien au-delà d'elle-même. N'implique-t-elle pas la soumission de l'auteur à la règle ? Et n'est-ce pas dans cette contrainte qu'il trouve l'épanouissement de sa liberté de créateur ? La force, dit Léonard de Vinci, naît par la contrainte et meurt par liberté. L'insoumission se targue du contraire et supprime la contrainte avec l'espoir toujours déçu de trouver dans la liberté le principe de la force. Elle n 'y trouve que l'arbitraire des caprices et les désordres de la fantaisie."
Igor Strawinsky
Ce qui revient à dire que tout homme, en un certain sens, doit entrer en poésie, devenir créateur, poète, au sens fort du terme. En grec le verbe poien signifie faire.
"L'histoire de l'art tout entière quand elle est celle du génie, devrait être une histoire de la délivrance.Car l'histoire tente de transformer le destin en conscience, et l'art, de le transformer en liberté.
André Malraux
La communion amoureuse.
Autre expérience créatrice : la communion amoureuse, toujours au coeur d'une dépendance. La reconnaissance d'un être autre, d'un être différent, voulu et accueilli comme tel. Sans cette reconnaissance aucun amour n'est possible. La communion amoureuse repose sur une dépendance que notre propre liberté accepte et aime : c'est dans cette soumission même qu'elle se construit et se réalise progressivement. Il s'agit de vivre une invention de soi et de l'autre où la réciprocité est vraiment créatrice. Dualité sexuelle qui refuse aussi bien l'égalitarisme que la fusion qui détruirait la différence entre les êtres. Liberté inscrite dans une dépendance : c'est l'altérité.
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J'écris ton nom
LIBERTE.
Paul Eluard
La création morale.
La vie morale peut nous mettre également sur le chemin d'une expérience de création. Pour cela, d'abord, ne pas tout mélanger. Ne pas confondre morale et moralisme, légalisme, soumission passive à des lois. Dans ce cas, ce serait immoral, puisque toute démarche de liberté en serait exclue. Par contre, le créateur, au sens moral, c'est un être responsable qui répond aux questions que lui pose l'existence, non pas en appliquant un code, mais en créant son langage pour vivre humainement le sens de ses dépendances existentielles. Une conscience vivante crée et se crée en obéissant. C'est reconnaître une dépendance, mais cela suppose et provoque une démarche de la liberté humaine. Elle dresse l'homme contre tous les conditionnements, contre toutes les pressions, au besoin jusqu'au sacrifice de sa vie. Qu'on l'appelle devoir, obligation, valeur, il s'agit toujours d'une soumission libre et libératrice à une exigence que sa conscience découvre en elle-même. Si je refusais cette exigence, j'aurais conscience de m'avilir, de me renier, de me détruire. En l'accueillant, au contraire,e t en m'y soumettant, je me crée moi-même. Cette création est profondément humanisante.
"Les préceptes moraux se rapportent à quelque chose qui n'est pas ce qui doit être ;
ce sont, si j'ose dire, des règles de création. La moralité au sens de disposition actuelle à faire le bien n'existe pas,
il faut à chaque instant que chacun la fasse exister. C'est un enfantement à opérer, l'enfantement de la personne."
Laberthonnière
En conclusion
Ces trois expériences créatrices ont ceci de commun : elles manifestent une "altérité" qui n'est pas une puissance ennemie extérieure à moi-même, mais une présence capable de promouvoir ma liberté. Ce sont des expériences-types :
* La création artistique, la poésie, révèlent un dépassement possible : ma dépendance cosmique peut devenir source de création.
* La création amoureuse a la même signification fondamentale par rapport à la dépendance érotique : l'accueil d'une altérité devient créateur.
* L'expérience de la création morale enfin indique que la dépendance générique n'est pas nécessairement hostile à la liberté. Au contraire, un tel engagement est personnalisant, tandis que le caprice individuel n'est créateur de liberté personnelle.
Ne sommes-nous pas sur la voie de découvrir que la Création, une dépendance par rapport au Créateur, est justement le contraire d'une aliénation ?(A suivre)
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