THEOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2005 : La Création.
"Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant,
créateur du ciel et de la terre,
de l'univers visible et invisible."
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11e séquence
:Mais quel Dieu ?
Je me situe comme une créature, en relation avec un créateur. C'est là ma dépendance. Ma relation de créature à un créateur n'est pas seulement pensée comme une démarche intellectuelle, mais elle est aussi vécue, et nous la vivons comme nous la comprenons. Et selon l'idée que nous nous en faisons, elle commande des sentiments et des attitudes différents. On peut avoir une attitude d'esclave ou une réaction de fils aimant. En réalité, nous vivons un mélange instable d'attitudes plus ou moins contradictoires. D'où la nécessité d'y voir un peu plus clair.
Quel Dieu ?
Peut-on connaître Dieu par la raison ? Certes, je peux affirmer en toute certitude l'existence de quelqu'un sans le connaître personnellement. Mais pour Dieu ? Est-ce que je peux le connaître simplement en faisant usage de ma propre raison ? Oui, je le pense. Pour moi, l'athéisme est rationnellement impensable. Mais ce que la raison dit de Dieu par ses seules ressources, elle ne peut le dire qu'en critiquant son propre langage. Il lui faut "cerner" l'idée de Dieu de négations, écarter tout ce qui est pure imagination, éviter les sources d'illusions.
Cependant, il faut partir de cette réalité : toute recherche de Dieu doit engager notre raison humaine, et l'engager non seulement au point de départ, mais jusqu'au bout, ,jusque dans l'intelligence de la foi. Pour trouver Dieu, il n'est pas nécessaire de se mutiler, et surtout pas de se mutiler de l'essentiel, notre raison humaine. Car si Dieu parle, il s'adresse d'abord à nous, hommes, en ce qui constitue le propre de notre humanité : notre raison, notre conscience, notre liberté.
Et cependant...
Aussi loin que puisse aller notre recherche raisonnable, il reste que "nul n'a jamais vu Dieu" (Évangile de Jean 1, 18), que la Bible nous dit qu'il habite une lumière inaccessible. Et qu'au fond, il ne peut être connu d'amitié que s'il se révèle par une initiative de son amour, non seulement comme objet d'un savoir, mais pour se communiquer, se donner, partager avec nous l'infinie surabondance de son être et de sa vie. La Création est donc inséparable du Don que Dieu fait de lui-même.
Dieu nous fait entrer dans sa vie intime. "Entre dans la joie de ton maître". Le Dieu Créateur en qui je crois est capable de don, de communication, de communion, d'échange. Il l'est d'abord pour nous, mais il l'est déjà en lui-même. Il est échange, Il est Trinité. C'est lui qui est le Créateur. On ne peut pas comprendre le Dieu Créateur en-dehors de la réalité essentielle qu'est Dieu-Tri-Unité.
1 - L'intention du déisme.
Un fait culturel.
Le déisme, c'est un fait culturel, toujours actuel. A ne pas confondre avec l'effort entrepris par notre intelligence pour connaître Dieu, démarche intellectuelle dont je viens de parler, qu'on pourrait appeler un théisme, immanent à la démarche de foi. Le déisme dont il est maintenant question, au contraire, est étranger ou même hostile à la foi chrétienne, qu'il critique du dehors, non sans une énorme charge passionnelle.
Le déisme a connu son apogée au XVIIIe siècle. Les "philosophes" de l'époque, voulant combattre un christianisme défiguré, entre autres, par les guerres de religion, cherchent un Dieu capable de faire l'unité des hommes raisonnables, un Dieu qui puisse être universellement reconnu, au nom de qui les hommes ne pourraient ni s'entr'égorger, ni se massacrer mutuellement. Pour réaliser cette intention, il fallait garder du christianisme l'essentiel, et éliminer ce qui avait été cause permanente de querelle et de divisions, d'hérésies et de condamnations, de déchirements et de guerres, d'emprisonnements, de tortures et de bûchers. Bref, il fallait purifier le christianisme de tout ce qui était en lui germe et levain d'intolérance.
Le dieu des déistes.
L'intention des "philosophes" était louable, mais leur méthode manquait énormément de discernement. C'était comme "jeter le bébé avec l'eau du bain." Ils ont tenté de purifier le christianisme de tous ses dogmes originaux,qui étaient, à leurs yeux, la cause principale des conflits, des guerres, des divisions entre chrétiens. Tous les "mystères" proprement évangéliques, Trinité, Incarnation, Rédemption, Résurrection ont été rejetés comme "irrationnels" et incapables de fonder l'unité des esprits. Mais on entendait bien, cependant, garder au minimum la notion de Dieu Créateur et l'immortalité de l'âme, qui fondent la dignité de l'homme. De cette réduction de la foi chrétienne à une "religion naturelle", il est résulté une certaine conception de Dieu Créateur qui rencontre aujourd'hui encore l'approbation de beaucoup d'hommes, même des chrétiens. On ne peut que difficilement mesurer l'influence massive et diffuse du déisme.
Voilà donc un Dieu Créateur qui n'est pas Père-Fils-Esprit, qui ne s'est pas révélé en Jésus Christ. Examinons ce que devient, dans cette perspective, le rapport de la créature au Créateur. Ce Dieu, c'est "L'Être Suprême", le "Maître de la nature", le "Dieu de la Raison". Il apparaît simple et capable de fonder, sinon une religion, du moins une religiosité dépouillée où tous les hommes sincères pourraient se rencontrer. C'est le Dieu dont parle Jean-Jacques Rousseau. Sans doute il est quelqu'un, il est vivant, il est créateur, il est personnel. On peut s'adresser à lui, le prier, le louer. Mais si on demande avec précision qui il est, comment peut-il créer, quels sont les rapports que ses créatures peuvent entretenir avec lui en vérité. On entrevoit toute une série d'ambiguïtés. Par exemple, une fois écartée la Trinité, que reste-t-il de la "personnalité" de Dieu. N'est-il que "Le Grand Solitaire de l'Univers, l'Éternel Célibataire des Mondes", comme l'écrivait Chateaubriand ?
Questions sans réponses ?
Quelle sera donc notre relation possible avec ce Dieu Créateur ? On finit par se poser obligatoirement des questions embarrassantes. Ce "Dieu" monolithique, clos sur lui-même, solitaire et célibataire, n'est-il pas l'Égoïsme absolu ? Un "Moi" suprême, isolé dans son éternité ? Ce Dieu peut-il créer ? Admettons-le. N'est-il pas le "dieu de la nature " ? Mais pourquoi créerait-il ? La création a-t-elle un sens ? Pourquoi le "Grand Solitaire" a-t-il créé ? Par besoin ? Pour peupler sa solitude ? Par nécessité, et comme "sans le faire exprès" ? Par caprice et par arbitraire ? Pour avoir des sujets, des courtisans, qui reconnaîtront en lui une espèce de Monarque absolu ?
Ce qui est inquiétant, c'est que le mot "Amour" n'a pas de sens en lui, dans sa solitude absolue. Alors, ce dieu, comment pourrait-il créer un univers de relations, de sympathie, d'amour, de dévouement ? Or créer, comme chacun le sent bien, c'est donner un peu de soi, payer de sa personne. Comment pourrait-il donner de ce qu'il n'est absolument pas ? Ou alors, ses créatures ne peuvent que ressentir combien elles sont meilleures que leur dieu !
En réalité, tout homme s'interroge. Pas à longueur de journées, mais quelquefois. Il sait bien que le rapport à Dieu Créateur l'atteint au plus intime et au plus personnel de lui-même. Quelle relation aura-t-il avec "le grand Solitaire de l'Univers" ? Comment se comporter devant ce Bloc Suprême, impénétrable, son "Créateur" ? De qui dépend-il dans tout son être ? Comment vivre sa dépendance "en esprit et en vérité" ? Comment prier Dieu ? Quelle alliance est possible avec lui ? Quelle intimité ? Est-ce qu'il me regarde, et de quelle manière ("L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn !") Quelle confiance lui faire ? Quelle foi lui donner ? Et si je demande à ce dieu pourquoi il m'a créé, quel est le sens de mon existence, il ne me répond rien. Il est muet.
La pensée déiste répond à ces interrogations : il y a la conscience morale, la Voix de la conscience, la loi morale au fond de nos coeurs.
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Du christianisme au moralisme
Dieu est le grand "législateur", auteur et garant de toutes les lois, lois de la nature, lois physiques et morales, qui assurent l'ordre du monde. il est le Dieu de l'Ordre, et d'abord de l'ordre moral. Nous voici au début, à l'apparition du moralisme, du légalisme. Le Créateur est avant tout la Loi Suprême. On en vient donc, avec cette idée de la divinité, o réduire le christianisme à un moralisme. Pas seulement chez les "philosophes", mais dans le comportement même des chrétiens.
Heureusement pour nous, seul l'Amour est Créateur. Alors, comment pourrait-on dire du grand Solitaire et Législateur : "Dieu est amour" ? Dans la perspective déiste, la notion de "charité" va se dégrader. Le moralisme va être compensé, chez beaucoup de chrétiens, par un sentimentalisme sans courage et sans virilité qu'on baptisera "foi" ou "piété" et par une bienfaisance plus ou moins paternaliste qu'on nommera "charité". Dans la même perspective déiste, le Credo va tomber peu à peu dans l'in-signifiance à peu près totale. La Trinité devient "un enchevêtrement d'abstractions", comme disait Claudel. La Messe, de même, va devenir d'abord une obligation juridique hebdomadaire. Rappelez-vous : "A partir de quel moment de la messe faut-il être présent pour "avoir" sa messe, pour que ça compte" ! Et le sacrement risque de devenir une vague magie rituelle, et non plus le dynamisme symbolique de l'Alliance créatrice.
Foi ou idéologie.
Alors, l'Église et la foi chrétienne sont mûres pour devenir une idéologie. Il n'est pas surprenant qu'elles deviennent une idéologie de "l'Ordre", cet Ordre qui sera plus souvent "établi" que "créateur". A ce niveau, l'idéologie chrétienne se rencontre avec les autres idéologies, et toutes se disputent le même terrain politique. Et la politique, qui a toujours la tentation de se sacraliser, n'est plus chose de la raison, option pratique raisonnée d'un homme responsable de la vie de la cité. Elle tend à devenir "chose de l'Église". Alors le chrétien se demandera sérieusement si, dans la conjoncture, il ne vaudrait pas mieux bénir une politique "de gauche" après avoir longtemps béni une politique "de droite" !
D'autre part, comme toutes les idéologies, l'idéologie chrétienne aura maille à partir avec la science, en particulier avec les sciences de l'homme. Une idéologie fragile ne peut pas tolérer la critique qui la ronge et tend à la détruire. Nous voilà à cent lieues de la foi en l'Amour Créateur. la croyance au Grand Solitaire est en train de détruire la foi au Dieu Vivant. Or seul, l'Amour Créateur est radicalement critique. Il juge le Monde. La foi en la Trinité, qui est participation à cet Amour, en Jésus Christ, par le don de l'Esprit, est contestation du monde. Elle part du coeur et du "Secret" de la création et elle discerne jusqu'au fond l'existence. L'affadissement du "sel de la terre", la "dé-prophétisation" de l'existence chrétienne, la perte du mordant critique de la foi sur le cours du monde, sont les symptômes de ce mal profond.
"Le poisson pourrit par la tête", dit le proverbe. C'est la tête du chrétien qui est malade. "Israël ne connaît rien, mon peuple ne comprend rien. Toute la tête est malade, tout le coeur est épuisé." (Isaïe, 1, 3 et 5) Nous vivons, certes, une crise de la civilisation. Une crise de la culture. Mais surtout une crise de l'existence humaine chrétienne, dans son rapport de dépendance et de connaissance avec son Créateur. Nous sommes sur un terrain pathogène. Les dépendances existentielles sont un appel au sens et à la signification. La réponse à cet appel, qui est de moins en moins perçu, deviendra de plus en plus difficile et exposée à toutes sortes de délires et de vertiges. "Un déiste est quelqu'un qui na pas eu le temps de devenir athée", a-t-on dit. Aujourd'hui, c'est le temps qui l'emporte. Le déisme, faussement rationnel et spirituellement invivable, est une des sources les plus importantes de l'athéisme.
2 - Suite et intermède
La peur d'être dupe.
Si le déiste devient athée, il coupe court, en principe, à toutes questions sur ses rapports avec Dieu. En principe seulement, car ce n'est pas toujours facile d'être un athée sans bavure, chimiquement pur. Quant au déiste, s'il persévère dans sa pensée et dans l'idée qu'il se fait de dieu, il risque de connaître une sorte de peur : la peur d'être dupe. La peur de l'anthropomorphisme, c'est-à-dire de concevoir inconsciemment la divinité à l'image de l'homme. Certes l'homme a fait Dieu a son image, dira-t-il, et au fond, c'est une espèce de divinisation de l'individu, dieu, c'est "un gros homme" comme disait un théologien. On est donc en droit de suspecter ce "Dieu". Voir l'usage politico-religieux qu'on en a fait. Mais vous chrétiens, avec votre Dieu-Trinité, ce n'est guère mieux. Vous ne faites que passer de l'individu à la famille. Au lieu de fabriquer le Grand Solitaire, à l'image de l'individu, vous avez projeté en Dieu l'image de la famille, de la communauté élémentaire. La manie communautaire actuelle, après des générations individualistes renforcées, s'accommode bien de ce transfert. De l'individualisme au communautarisme ! On passe d'une projection "psychologique" à une projection "sociologique". Et après ? Le Père, le Fils, l'Esprit ne sont pas moins suspects que l'Éternel Célibataire. Le Père ? Voir complexe d'Oedipe, et notre rapport au Père n'est-il pas d'abord l'envie de "meurtre" ? Quant à l'Esprit, dont on ne sait pas trop bien ce qu'il vient faire dans cette famille, on vous soupçonne tout simplement de vouloir "spiritualiser", c'est-à-dire volatiliser les difficultés.
Peur d'être dupe ! Au fond, c'est normal, c'est honnête. Car nous "disons" le Créateur et notre dépendance de créatures en termes humains. On ne peut pas faire autrement. "Ce que je dis de Dieu, c'est un homme qui le dit", écrit Karl Barth. Alors, la Trinité Créatrice ne serait-elle donc qu'un anthropomorphisme à l'usage de communautaires ? Serions-nous pris au piège du langage ? Et la peur ne serait-elle que l'envers de la conviction qu'on ne peut pas en sortir ?
Un choix à faire.
A ce point de notre parcours,
il n'y a que deux hypothèses :
* ou bien nous fabriquons Dieu, solitaire ou "communautaire", selon nos goûts.
* ou bien nous sommes créés "à l'image de Dieu", nous sommes "créés en Dieu".
Alors notre langage peut avoir une portée réelle.
Dans cette deuxième hypothèse, nous
avons le droit de parler de Dieu, notre Créateur et notre Origine. Plus question
de faire Dieu à notre image. C'est le contraire : l'homme à l'image de Dieu. Ce
n'est pas une abstraction. Saint Paul, citant un auteur païen dans son discours
d'Athènes, dit que "nous sommes de la race de Dieu." Cette seconde hypothèse
s'accorde avec les données réelles de notre existence.
* Si l'existence humaine tenait toute seule, il n'y aurait rien d'autre que
l'homme sans question sur lui-même. L'homme serait alors "l'être suprême pour
l'homme". Mais voilà ! Notre liberté n'est pas absolue. Il y a toutes nos
dépendances.
* Si l'existence humaine était posée devant Dieu comme un objet devant le grand
fabricateur (le grand horloger), peu importe que ce dernier soit le grand
solitaire ou le grand communautaire. Nous serions extérieurs au créateur, nous
ne serions pas créés "en Dieu". Nous ne serions pas son image au sens fort du
terme. A la rigueur nous lui serions "semblables" , comme une des idées du grand
architecte. Aucune relation d'intériorité entre lui et nous. Et donc notre
existence ne pourrait pas être comprise selon la logique de l'amour, car
l'amoure n'est pas un rapport de fabrication. C'est pourquoi le dieu du déisme,
"auteur de la nature", devient la Loi. C'est quelque chose d'impersonnel, et la
seule porte de sortie, à part l'athéisme, est l'agnosticisme : je ne sais pas.
* si nous sommes créés en Dieu, tout est transformé. Notre existence est l'image des relations personnelles qui constituent la vie de l'Incréé. Nous sommes liberté, qui ne s'accomplit que dans l'amour, dans la dépendance voulue, aimée, qui fait de nous - ou plutôt qui nous donne de devenir - une personne, au sens dynamique du terme, dans la reconnaissance réciproque.
La vocation de l'homme.
"La liberté veut être Dieu", dit Sartre. "L'homme se veut être suprême", déclare Marx. Après tout, cette prétention exprime la vocation de l'homme. Mais c'est une "vocation", un appel. Il sait bien qu'il ne peut pas la réaliser par lui seul. La réponse ne peut être donnée que par Celui-là qui a posé la question : le Créateur de l'homme. Et le Créateur ne répond pas à l'homme comme à un objet, ou comme à un esclave, mais comme à un Fils, en lui donnant la possibilité de répondre par lui-même, de donner librement sens et signification à son existence. Il le crée créateur.
Cette révélation si elle est accueillie dans la foi, fait comprendre à l'homme ce que veut dire créer et être créé. Il se verra "image" de la Tri-Unité, et l'Absolu, sui lequel il bute malgré lui, s'ouvrira, source inépuisable de Lumière et de Vie. Nous sommes devant le seuil, qu'aucune explication ne peut nous faire franchir. Le mystère, le sens de la création est caché dans le coeur du Créateur.
L'homme, aux prises avec les énigmes de son existence et de son histoire, devra prendre garde aux signes qui s'y manifestent. C'est pourquoi nous sommes partis dans notre recherche de l'expérience d'Israël, d'où est sorti le Christ. C'est dans cette longue expérience que le Créateur s'est révélé progressivement, mais toujours au coeur de la liberté de l'homme, à la fois dans une obéissance à Dieu et une initiative constante. Cette initiative dans l'accueil, cet accueil au coeur de l'initiative sont caractéristiques de la foi. "Dieu fait l'homme se libérer".L'homme doit être capable d'accueil pour pouvoir donner sens à sa vie. Autrement dit, il doit vivre une logique de l'amour, quitte à découvrir, peu à peu, en cours de route, ce que signifie "aimer jusqu'au bout."
(à suivre, début décembre)