LE CREDO

 

(Gilles Brocard)

 

  

  Article 8 : « Je crois à la communion des saints »

 

« Je crois à la communion des saints » ! Qu’est-ce que peut bien signifier cette étrange  expression ? Comme je l’ai dit dans le précédent article sur la « sainte » Eglise, être saint signifie être capable de Dieu, c’est la capacité à lier l’humain et le divin en nous. Est saint celui qui, se laissant habiter par Dieu, devient pleinement humain, au sens noble du terme, pleinement humain comme le Christ fût pleinement Homme !

 

La sainteté : un chemin d’humanisation 

Mais nous ne vivons pas sous une cloche étanche qui nous préserverait du monde ! Nous vivons en plein monde. En effet, la vie n’est pas un long fleuve tranquille ni une autoroute toute droite, au contraire, elle s’apparente plutôt à une montée au travers de chemins escarpés, elle est faite de chutes, d’arrêts, de découragements, de redémarrages, de chemins où l’on se perd, d’élans magnifiques et d’attentes déçues, de merveilleux paysages et de passage rocailleux et parfois même dangereux. Dans ce contexte, devenir pleinement humain (donc saint) n’est pas chose facile, surtout si l’on imagine la sainteté comme le fait de ne jamais tomber, de ne jamais se tromper, de ne jamais se décourager, etc… Cette idée de la sainteté est tout simplement inhumaine, parce que hors de notre portée. J’ai du mal à penser que Dieu nous invite à prendre un chemin impossible ou inaccessible.

Simone Weil (la philosophe) a dit : « La sainteté, ce n’est pas ne pas tomber, mais c’est toujours se relever ». Voilà enfin une définition de la sainteté qui soit à ma portée, car elle consiste à accepter ce que je suis (avec mes faiblesses et mes limites) et à m’en remettre à un autre que moi pour trouver la force de me relever. J’en ai personnellement fait l’expérience : ce sont les moments les plus douloureux où je n’ai pas su aimer comme je l’aurais dû, qui m’ont rendu aujourd'hui plus humain, plus réaliste, plus tolérant, plus miséricordieux envers les autres et envers moi-même. Ce chemin de sainteté possède un autre avantage : il n’est pas réservé à quelques-uns seulement mais devient accessible à tous. Oui, nous sommes tous appelés à la sainteté car le chemin pour y parvenir n’est pas celui que l’on imagine : la perfection absolue ! Non, c’est au contraire, c’est en reconnaissant mes limites, mes faiblesses, voire mon péché que je vais pouvoir, avec l’aide de Dieu, progresser vers la sainteté. S’il y a une perfection à avoir, c’est celle qui consiste à se laisser faire par Dieu ! C’est ainsi que j’entends le mot « parfait » : est parfait, celui qui se laisse « faire par » Dieu et par les autres, (inversez les deux termes : par-fait / fait-par et vous trouverez un superbe moyen mnémotechnique pour bien penser la sainteté avec la perfection).  

 

L’humilité, chemin vers la sainteté

Cette attitude se nomme tout simplement l’humilité. Être humble, c’est reconnaitre ce que nous sommes en vérité : à la fois nos manques et nos limites, mais aussi nos talents et nos qualités, tout ce que nous faisons de bien. Etre humble, c’est avoir un juste regard sur soi, ni sur-évalué ni sous-évalué. Bref, c’est être en vérité avec soi-même ! Voilà le chemin vers la sainteté. Il n’y en a pas d’autre à ma connaissance. C’est bien ce que dit  Ste Thérèse de Lisieux à sœur Marie de la Trinité qui se décourageait à la vue de ses imperfections et de ses efforts apparemment inutiles : « Vous me faites penser au tout petit enfant qui commence à se tenir debout, mais ne sait pas encore marcher. Voulant absolument atteindre le haut d'un escalier pour retrouver sa maman, il lève son petit pied afin de monter la première marche. Peine inutile ! il retombe toujours sans pouvoir avancer. Eh bien, soyez ce petit enfant par la pratique de toutes les vertus, levez toujours votre petit pied pour gravir l'escalier de la sainteté, et ne vous imaginez pas que vous pourrez monter même la première marche ! Non mais le Bon Dieu ne demande de vous que la bonne volonté. Si vous avez la foi, sachez qu'au haut de l'escalier, Dieu vous regarde avec amour et il attend. Bientôt, vaincu par vos efforts inutiles, il descendra lui-même, et, vous prenant dans ses bras, il vous emportera dans son Royaume où vous ne le quitterez plus.  En effet, cet effort apparemment stérile et inutile produit un résultat : celui d'épuiser nos prétentions, notre dureté et notre orgueil, afin de rendre notre cœur malléable et souple. Le cœur de l'homme est comme fané et quand il a presque lâché prise à toutes les tentations de se faire par lui-même, Dieu peut intervenir pour lui envoyer la force sainte dont il a besoin. C'est alors que Dieu viendra nous chercher et nous mènera au haut de l'escalier en nous portant dans ses bras ».

Par la suite, sœur Marie de la Trinité dira : « Depuis ce jour, je ne me désole plus de me voir toujours au bas de l'escalier. Sachant mon impuissance pour m'élever seulement d'un degré, je me contente de lever sans cesse mon petit pied par des efforts continuels. J'attends ainsi dans la paix le jour bienheureux où Jésus descendra lui-même pour m'emporter dans ses bras. » Voilà ce qu’est la sainteté à laquelle nous sommes tous appelés. C’est un chemin qui est à la hauteur de mes capacités, contrairement à ce qu’on m’a fait croire quand j’étais petit où la sainteté était tellement inaccessible que je ne pouvais même pas imaginer que ce soit un jour pour moi. Or « La sainteté, c’est Dieu en moi » dit Madeleine Delbrêl.

 

« La communion des saints »

Maintenant que nous sommes un peu plus au clair sur la notion de sainteté, nous allons pouvoir comprendre ce que signifie la « communion des saints » : ce mot « communion » s’entend comme l’idée d’un ensemble qui communique, partage la même vie, les mêmes choses, au même moment. Ainsi tous ceux qui se laissent faire par Dieu (= les saints) vont découvrir qu’entre eux, ça communique, c’est comme s’ils étaient sur la même longueur d’ondes. Affirmer que nous croyons à la communion des saints, c’est affirmer que ça communique entre toutes ces personnes qui sont connectées à Dieu, qui se laissent faire par Lui, car ils ont le même fond, la même racine, le même tronc commun : il y a comme un même niveau de résonnance entre tous ces gens qui communiquent par le dedans. Et ça ne communique pas seulement entre les vivants terrestres, mais ça communique aussi au ciel, entre les vivants célestes et puis aussi entre les vivants du ciel et de la terre. Ça communique parce que Dieu lie tout ce monde-là ensemble, il en est le socle, la racine, le tronc, l’être même. Et quand je dis que ça communique, je veux dire que ça dialogue, ça se comprend intuitivement, ça circule car tous ces saints (selon ma définition de la sainteté) sont forcément connectés entre eux puisqu’ils sont connectés sur Dieu. Et n’allez pas imaginer que cette communion-là ne soit réservée qu’à certains chanceux d’hommes qui auraient réussi à atteindre un sommet réservé à quelques personnes privilégiées ! Non, je vous l’ai dit, c’est offert à tous : être saint c’est notre vocation à tous et nous avons tous reçu la même dose d’Esprit Saint pour y parvenir ! Et n’allez pas croire que la communion des saints soit seulement pour après notre mort ! Non, là encore, c’est pour aujourd’hui, comme la résurrection : ça commence dès maintenant. Il s’agit d’entrer dans cette communion-là par le dedans, par la vie intérieure, par le cœur, dès aujourd’hui. Comment ?

 

La méditation, chemin pour accéder à la communion des saints

En méditant, j’apprends à ressentir mon poids sur cette terre et comment cette terre me porte, je ressens ma présence mêlée à cette Vie diffuse qui est là, en moi et au travers de la création, chez les autres humains, je la sens, elle miroite sous la peau de chaque jour. Nous sommes fait de matière périssables certes, mais aussi impérissable et toute la vie consiste à laisser l’impérissable pétrir la matière périssable, la pénétrer afin que le jour de ma mort, toute ma vie passe en éternité. Florin Callerand (le fondateur de la Roche d’Or dont je vous ai déjà parlé précédemment) a écrit une petite collection de 4 livres intitulés : « Mourir en vie ». J’en ai fait ma devise. Car ce n’est pas à la mort que nous avons à nous préparer mais à la Vie, avec un grand V ! Car ne passera en vie éternelle que ce qui est vivant aujourd’hui. La vraie question, ce n'est pas de savoir si nous serons vivants après la mort, mais de savoir si nous sommes vivants avant la mort. Vous comprenez que la mort ne peut retenir que ce qui peut mourir ! Voilà pourquoi en Jésus, qui est le Vivant pleinement vivant, la mort ne peut rien retenir, elle lui glisse dessus ! Pour qu’il en soit de même pour nous, il convient de mourir en vie.

Maurice Zundel pour répondre à la question : « où sont nos morts ? » disait : « quand nous saurons où sont les vivants, nous saurons où sont nos morts ! Ne cherchons pas ailleurs nos morts dont notre amour refuse la disparition ! Leur vrai visage et leur éternelle identité communient à la même présence que les nôtres ici-bas ! Nous avons à avoir avec eux le même lien qu’avec nos vivants ! De la qualité de notre présence les uns aux autres dépendra la qualité de notre relation à nos morts ; ils ne sont pas derrière les étoiles, mais dans ce cœur immense qui bat dans le nôtre où toutes les présences se font jour, où tous les visages se reconnaissent dans l’échange de l‘amour » Voilà ce qu’est la communion des saints !

C’est un des fruits de la méditation que je pratique : en me centrant sur l’attention à moi-même et à ce qui m’entoure, la méditation m’aide à me sentir frère de tout Homme. Et en me centrant sur mon souffle et ma respiration, elle me donne de ressentir le souffle de vie qui traverse tous les vivants ! La méditation m’aide à accueillir les choses telles qu’elles sont, les êtres tels qu’ils sont et à m’accueillir moi-même tel que je suis, bref cela m’ouvre à ce qui est. Je peux vraiment parler alors de communion avec ce que je suis, (pensées, émotions, corps) et avec ce qui m’entoure (création et créatures). Par cette expérience de communion, je découvre une relation d’unité profonde avec les êtres et les choses, je me perçois non comme séparé, mais comme faisant partie d’un tout porté par Celui qui est Tout. Bref, « par la méditation, nous découvrons l’ampleur des liens qui nous unissent aux autres et au monde ». (Citation de Fabrice Midal dans son livre « Pratique de la méditation » page 58). Oui la méditation est un réel chemin vers la communion, communion avec soi-même, avec la création, avec les autres et avec le Tout-Autre. Ça ne ressemblerait pas un peu à la communion des saints ? 

 

La communion au Corps du Christ

C’est aussi pour cela que les chrétiens communient au Corps du Christ à la messe, pour apprendre à communier les uns aux autres et à Dieu. C’est une autre manière de répondre à la question du comment entrer dès maintenant dans la communion des saints : le rassemblement de la messe n’est autre que l’apprentissage sur terre de ce que sera le ciel ! Nous apprenons à nous rassembler autour de notre tête qu’est le Christ, nous faisons corps autour de lui, nous le prions, nous écoutons sa Parole et nous apprenons à communier à son Corps qui est aussi ce que nous sommes. St Augustin quand il donnait la communion disait : « voici le corps du Christ, devient ce que tu reçois » ! C’est exactement ça la communion à la messe : nous communions à tous ceux qui sont reliés à ce Corps, vivants terrestres et vivants célestes, nous sommes donc à ce moment-là, dans la communion des saints. Mais il y a une condition importante, voire indispensable : je pense qu’il n’y a de présence réelle du Christ à la messe (dans les hosties consacrées) que si nous sommes réellement présents les uns aux autres, que lorsque nous faisons corps les uns avec les autres, ayant reconnu en Christ la tête qui unit les membres du même corps que nous sommes. C’est pour cela que juste avant la communion, nous nous donnons la paix du Christ pour être certain que c’est bien lui qui nous unit et qu’il enlève les quelques bribes de division qui existent encore entre nous.

Mais si je refuse cette paix qui vient du Christ, si je fais volontairement obstacle à la diffusion de la communion entre nous en évitant ceux qui me gênent ou que je n’aime pas, alors le Christ est mis sur la touche, et la présence de son corps n’est pas vraiment réelle entre nous. C’est terrible ce que je vous dis là, mais je crois vraiment qu’il ne peut en être autrement. Oui la présence réelle du corps du Christ est intimement liée à la présence réelle que les membres de son corps ont les uns aux autres. En même temps, c’est pour que notre assemblée devienne progressivement le corps du Christ que nous communions. C’est lui qui nous fait devenir son corps. Mais il nous faut consentir à cela, consentir à la communion des saints dont nous sommes. « C’est la qualité de notre présence les uns aux autres nous dit Maurice Zundel, qui induit la qualité de notre relation à nos morts ! » Vous comprenez qu’il n’y aura pas de communion des saints tant que nous n’aurons pas appris à communier les uns aux autres ici sur terre, afin que ce mode de relation nous devienne coutumier. Je vous l’ai dit, nous n’entrerons pas au ciel tout seul j’en suis persuadé, il n’y aura de ciel qu’ensemble, que parce que nous aurons appris et consenti sur terre à communier les uns aux autres.

 

« Seigneur, je suis heureux de te recevoir »

Alors je vous en prie, (et là je fais mémoire de mes 22 années de prêtrise) je vous en prie, venez communier avec le sourire s’il vous plait : montrez votre bonheur intérieur et laissez le éclairer votre visage par le cadeau que vous êtes en train de recevoir. Quelle souffrance en effet de voir beaucoup de gens tristes à ce moment-là alors qu’ils devraient sauter de joie, danser, jubiler, crier de bonheur devant un tel cadeau ! Pour vous y aider, je vous propose de faire une petite modification dans les paroles que vous prononcez juste avant d’aller communier : quand le prêtre dit « heureux les invités au repas du Seigneur ... » vous répondez « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement une parole et je serai guéri » la modification que je vous propose de faire (pour vous) c’est de dire non pas que vous n’êtes pas dignes, mais au contraire, que vous êtes heureux de recevoir le corps du Christ ! Vous ne trouvez pas que ce serait plus logique et que cela éclairerait nos visages à ce moment-là ? En tout cas moi je dis cette phrase, et je vous promets que ça change l’attitude de fond : pas étonnant d’avoir des têtes d’enterrement si ce sont des hommes et des femmes conscients de leur indignité qui viennent communier. Au contraire, je suis certain (car j’en ai fait l’expérience à maintes reprises en me permettant d’inviter les gens à changer ces mots dans la liturgie) que si ce sont des hommes et des femmes conscients du cadeau qui leur est fait à cet instant-là, il y aura davantage de têtes de ressuscités et de visages souriants ! C’est quand  même  la moindre des choses à offrir à celui qui nous invite à son repas non ? Vous n’arrivez pas chez vos hôtes avec des têtes d’enterrement en leur répétant que vous êtes indignes de leur invitation ! Au contraire, vous leur manifestez votre joie d’être invité à leur repas ! pourquoi fait-on l‘inverse à la messe ?

Alors n’hésitez pas chers lecteurs, à oser changer ces mots (au moins pour vous car pour toute une assemblée ce n’est pas facile, quoique…ça vaut peut-être le coup d’essayer pour ceux qui parmi vous président des célébrations). Il suffit de dire « Seigneur, je suis heureux de te recevoir et dis seulement une parole et je serai guéri » vous allez voir ça change tout ! Et je suis certain que Jésus lui-même est plus heureux d’être accueilli par un cœur heureux de le recevoir ! Alors faites-le aussi pour Lui.

Pour terminer, je vous offre ce texte du P. Sertillanges qui me parle très bien de cette communion des saints. La prochaine fois, je vous parlerai de la rémission des péchés, dernier article du credo que je commenterai.

Gilles Brocard  

Quand un proche décède, la famille ne se détruit pas, elle se transforme.

Une part d'elle va dans l'invisible.

On croit que la mort est une absence quand elle est une présence secrète.

On croit qu'elle crée une infinie distance alors qu'elle supprime toute distance en ramenant à l'esprit ce qui se localisait dans la chair.

Plus il y a d'êtres qui ont quitté le foyer, plus les survivants ont d'attaches célestes.

Le ciel n'est plus alors uniquement peuplé d'anges, de saints inconnus et du Dieu mystérieux :

il devient familier.

C'est la maison de famille, la maison en son étage supérieur, si je puis dire.

Et, du haut en bas, les souvenirs, les secours, les appels se répondent.

Père Sertillanges.

Retour au sommaire