LE CREDO

 

(Gilles Brocard)

 

  

  Article 9 : « Je crois à  la rémission des péchés »

 

 

Je termine la série de commentaires sur le credo en vous parlant du pardon des péchés. En effet, « Je crois à la rémission des péchés » est un article du credo au même titre que la vie éternelle et la résurrection de la chair. C’est dire son importance.

Dieu pardonnera toujours

Le premier sens qui vient en disant « Je crois à La rémission des péchés », c’est bien sûr l’affirmation de la miséricorde infinie de Dieu, qui nous aime jusqu’à pardonner tous nos péchés. Si l’Amour de Dieu est inconditionnel, pour toujours et pour tous, alors son pardon en est la conséquence logique ! Il ne peut en être autrement sinon Dieu ne serait plus Dieu. Ce que je crois, c’est que Dieu sera toujours prêt à me pardonner, à m’offrir son pardon sans relâche quoi que j’aie fait et quel que soit mon péché.  

Mais attention, à ne pas trop vite nous abriter derrière la miséricorde de Dieu pour vivre n'importe comment : ce n'est pas parce que Dieu est miséricordieux, qu'il en est moins exigeant. La tendresse immense de Dieu ne dispense pas l’homme de ses responsabilités : Ben Sirac le sage (Siracide ou Ecclésiastique) avait déjà été confronté à cette question à son époque (200  ans avant Jésus-Christ) voici ce qu’il écrit : « Ne sois pas si assuré du pardon de Dieu que tu entasses péchés sur péchés. Ne dis pas : sa miséricorde est grande, il me pardonnera la multitude de mes péchés ! Car il y a chez lui pitié et colère", (Siracide 5, 5-6). Voilà très bien décrit l’amour de Dieu qui veut le bien de ses enfants. Cela nous fait déjà entrevoir une chose importante à propos du pardon de Dieu : s’il est inconditionnel et offert à tous, il requiert de notre part un réel désir d’aimer comme Dieu lui-même nous aime. Dieu ne nous pardonnera pas sans que nous le lui demandions sincèrement. Je le redis, Dieu est sérieux en amour, il veut vivre avec nous des relations de qualité, il ne distribue pas son pardon comme ça à l’aveuglette sans qu’il y ait un réel désir de notre côté de vivre et d’aimer comme lui, cela ne nous aiderait par à grandir et à devenir à l’image de son Fils. Ce que je crois, c’est qu’il ne refusera jamais son pardon à quiconque qui le lui aura demandé sincèrement.

Le pardon n’est pas au bout du chemin, il est le chemin

Mais cette affirmation du credo parle aussi du pardon donné et reçu entre nous les humains. En effet, s’il est relativement facile d’imaginer un pardon total du côté de Dieu, il est plus difficile de l’envisager du côté des humains. Nous le savons tous : pardonner n’est pas facile. Françoise Chandernagor dit que « le pardon n’est pas au bout du chemin, il est le chemin ». En effet, je crois que le pardon n’est pas au bout du chemin comme le sommet du Mont Blanc au bout de l’ascension, non, le pardon, c’est le chemin qui conduit au sommet, car le sommet, c’est l’Amour avec un grand A ! Le pardon est une ascension en haute montagne, qui n’est jamais réussie d’avance, qui se prépare et demande un certain entrainement.

Si l’on réfléchit sur le pardon sans le remettre dans la perspective de l’Amour dont Dieu nous aime, nous risquons d’en faire une leçon de morale de plus et vous vous direz « qu’il faut pardonner », (ce que vous savez déjà soit dit en passant), comme si cela était le résultat de votre volonté. Je connais trop cette tentation de faire du pardon un exploit personnel pour ne pas vous entrainer dans ce piège-là. En fait, pour moi, le pardon n’est pas d’abord un acte de notre volonté. Ce qui est dans mes capacités, c’est d’avoir le désir de pardonner, mais il faut reconnaitre que pardonner n’est pas évident, que nous n’y arrivons pas, je crois même que ce n’est pas humain de pardonner. Ce n’est pas humain parce que c’est réservé au divin. Oui c’est Dieu qui nous donne de pardonner vraiment ; nous, on est à peu près capable de nous excuser, mais le pardon est largement au-dessus de nos forces. Il faut donc laisser à Dieu ce qui est à Dieu. Mais pour que Dieu puisse nous donner de pardonner, il a besoin que nous soyons ouvert à cette idée et même que nous le désirions vraiment. Voilà le chemin que nous pouvons faire, c’est de passer de la tentation de la rancune au désir de pardonner la personne qui m’a blessé. Ce n’est pas grave de ne pas arriver à pardonner, l’important, c’est de désirer qu’un jour il me soit donné de pardonner. Le pardon est un don par-dessus nos forces (un par-don),  et c’est un don de Dieu.

Quand Jésus sur la croix, dit à son Père : "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font " je me demande si pour lui, pardonner à ce moment-là à ceux qui le crucifient, n’est pas au-dessus de ses forces et s’il ne demande à son Père de le faire pour lui. Voilà une attitude éclairante pour nous aujourd’hui. Je vous l’ai dit, parfois et même souvent le pardon est au-dessus de nos forces et demander à Dieu qu’il fasse ce que moi je ne peux pas faire à ce moment-là, me semble être une attitude éclairée, en tout cas évangélique puisque c’est celle de Jésus.

Je ne veux pas dire par là qu’il nous faut nous croiser les bras et attendre que Dieu fasse tout ! Non, désirer le pardon n’est pas de tout repos. En effet, il est rude le chemin du vrai pardon. Voilà pourquoi je vais commencer par évacuer quelques fausses conceptions du pardon avant de tenter de dire, en positif, ce qu'il est. Pour ce faire, je m’appuie sur le livre de Jean Monbourquette, « Comment pardonner ? » (Ed Novalis, 2001).

Pardonner n’est pas oublier :

Il ne suffit pas de laisser passer le temps en se disant que la douleur de la blessure finira par disparaître, que l'offense s'évanouira et qu’au bout du compte j’arriverai à pardonner. Non,  l'usure du temps ne fait pas le pardon. Bien sûr, le temps grignote le souvenir. Mais combien d'années faudra-t-il pour que le pardon soit vraiment acquis ? D’ailleurs à lui tout seul, le temps n'est pas une garantie contre les vieux ressentiments : le feu couve encore dans la chambre de la mémoire et peut réveiller l'incendie à la moindre étincelle. S’il est vrai que le temps peut atténuer la rancune, cette usure du temps est par elle-même incapable de fonder un ordre nouveau. Le vrai pardon suppose, non pas l'anesthésie générale comme semble le proposer le passage du temps, mais une espèce d'opération chirurgicale extirpant la rancune. Seul le vrai pardon permet d'inaugurer des relations nouvelles entre un offensé et un offenseur.

 

Pardonner ne signifie pas excuser :

Pour pouvoir être donné, le pardon a besoin que le mal commis ou subi soit reconnu et nommé. Il ne suffit pas de dire : « oh ce n’est rien, je lui pardonne », car le mal commis n’est jamais rien ! Minimiser le mal qu’on nous a fait sous prétexte de vouloir vite pardonner, c’est à coup sûr aller à l’échec. Parfois on veut trouver des circonstances atténuantes : « il n’a pas fait exprès, il n’a pensé à mal, etc… » Mais dire cela, c’est prendre l’offenseur pour qui ? Un pauvre type qui ne sait pas ce qu’il fait ? Quelle est cette idée d'excuser ? Cela veut dire que l'offenseur n'est pas responsable de ses actes ? Cela est vrai en de très rares cas, mais la plupart du temps, si une personne vous a blessé, même d’une manière involontaire, vous n’avez pas à renoncer à vos droits. A aucun moment pardonner signifie s’abaisser pour laisser le plus fort l’emporter. C’est une question de dignité humaine. Le pardon reconnait l’autre dans sa dignité et permet que soit reconnue aussi notre propre dignité.

 

Pardonner n'est pas une démonstration de supériorité morale

Nous pouvons aussi parfois être tentés de jouer les gros bras en montrant qu’on pardonne, rabaissant l’autre plus bas que terre. Vous savez que l’enfer est pavé de bonnes intentions, et je crois qu’il est important de déceler le mal là où il se cache et là où on l’attend le moins. Il y a en effet une manière de pardonner qui est condescendante, qui veut dire à l’autre : « aller je te pardonne, MOI, sous-entendu : regarde comme je suis bon et toi comme tu es nul, moi je suis au-dessus de tout cela, la bave du crapaud n’atteint pas la blancheur de la colombe que je suis … etc » cherchant finalement à humilier l’autre par un pardon qui serait une arme pour le blesser. Non pardonner c’est se mettre au niveau de l’autre, le vouloir plus grand qu’il n’est, le vrai pardon ne peut pousser que sur l’humilité.

 

Le sens du mot « péché »

Je viens de pointer du doigt quelques fausses pistes à propos du pardon : il nous faut maintenant nous engager sur le chemin du pardon véritable. Pour ce faire, il me semble important de préciser le sens du mot « péché ». Qu’est-ce qu’on n’a pas dit à son sujet !!! Du coup on ne sait plus vraiment ce qu’est le péché ! Pour faire simple, retenez ceci : le péché, c’est la coupure volontaire de la relation. Ce n’est pas un manquement à la loi, mais un manquement volontaire à l’amour ! Notre péché essentiel consiste à ne pas aimer, à refuser volontairement d’aimer et de se laisser aimer, à se couper de la relation avec les autres et avec Dieu. Je dis bien volontairement, car cela permet de distinguer mes faiblesses de mes péchés. Du coup pardonner, c’est refaire la relation, recréer le lien. C’est avec cette idée là en tête que je vous invite à nous pencher sur cette fameuse phrase de Jésus : « Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, dent pour dent. Eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l'autre ». (Mt 5, 38-39)

 

« Tendre l’autre joue »

Pas si mal cette loi du talion dans l’univers sémitique du bassin méditerranéen de l’époque, c’était déjà un grand progrès de ne pas rendre plus qu’on a reçu, contrairement à ce que proposait Lamek (rendre 77 fois le méfait dont il avait été victime cf. Gn 4, 24). Mais Jésus va plus loin : « si on te frappe sur la joue droite, tend lui l’autre » ! Attention de bien comprendre cette phrase : il ne s’agit pas de s’écraser devant ceux qui nous font du mal, (cf 2ème fausse piste) mais il s’agit de ne pas répondre au mal par le mal ! Il faut répondre au mal, oui, mais par d’autres moyens que le mal ! Tendre l'autre joue, c'est tout d'abord avoir le courage de dire non à sa propre violence. Pas à la violence de l'autre, mais à la nôtre. Quand on a envie de démolir tous ces affreux, Jésus nous dit : "si tu veux reprocher sa violence à quelqu'un, apprends d'abord à contrôler la tienne". "Mais tu veux que nous laissions le champ libre à tous ces tordus, ces violents, on va leur montrer de quel bois on se chauffe, et ça leur apprendra !". Ça ne leur apprendra rien, la violence, n'a jamais rien appris à personne, elle ne fait qu'appeler encore plus de violence. Toi, en tendant l'autre joue, tu empêches que le méchant n'ait prise sur toi et ne te transforme en bloc de haine comme lui. Si tu ripostes, tu es vaincu par le mal ».

En fait, Jésus s’en prend vigoureusement à la logique de la répétition infinie de la violence, fût-elle légale. Une telle pseudo-justice est incapable d’établir une paix durable car elle revendique que l’autre souffre tout autant que moi du mal qu’il m’a fait subir. Jésus nous invite au contraire à une justice surabondante, qui renonce à revendiquer que le mal soit rendu et par le fait même entretenu. Certes, celui qui pardonne ainsi sait qu’il prend un risque. En renonçant à la tentation de régler le litige par la force, il s’expose à être lui-même victime de la violence à laquelle il a renoncé. Mais chacun sait que sans ce risque, l’histoire n’a aucun avenir et que la violence se répétera indéfiniment par alternance d’oppresseurs devenant opprimés et d’opprimés se transformant en oppresseurs.

Dans le texte grec, il n’y a pas le mot « joue » après « l’autre ». Littéralement, il est dit : « tends lui l’autre ». Du coup, l’autre, c’est peut-être aussi l’autre partie de lui-même, celle qui n’est pas violente ? C’est comme si Jésus disait : « laisse lui voir par ton attitude qu’il est quelqu’un d’autre que ce qu’il montre là. » Tendre l’autre, c’est donc croire que le violent est plus grand que cette violence, c’est lui révéler qu’il est plus grand que le mal qu’il vient de me faire. En fait pour Jésus, « tendre l'autre » signifie donner à l'autre la possibilité de ne pas recommencer à me frapper. C'est penser que l'autre n'est pas assez méchant pour me frapper à nouveau, c'est lui laisser une chance de ne pas faire mal à nouveau, c'est poser sur lui un regard qui l'espère, c’est penser qu'il vaut plus que le mal qu'il vient de me faire.

Entendu ainsi, lui tendre l’autre (partie de lui-même) n’est pas du tout une attitude passive, il ne s’agit pas d’une démission ou d’une soumission servile ; c’est tout le contraire. À votre avis faut-il plus de force pour rendre coup pour coup ou pour ne pas riposter à celui qui nous fait du tort ? Mon expérience à moi est qu’il faut être rudement plus fort pour « tendre l’autre » et ne pas répondre au mal par le mal. C’est précisément en nous engageant ainsi à l’encontre de la violence, que nous sauvons notre liberté de toutes les haines, colères et autres désirs de vengeance qui l’assaillent et la poussent à une riposte qui ne ferait qu’amplifier le mal.

Ceux qui pardonnent sont les guérisseurs de l’humanité

L’attitude que Jésus nous invite à adopter - qui est fondamentalement la sienne tout au long de sa vie, jusqu’au cœur de sa Passion - est la seule capable de sauvegarder la possibilité d’un dialogue, qui permette de renouer des relations humaines, qui maintienne l’avenir ouvert. Gérard Bessieres, prêtre du diocèse de Strasbourg, le dit superbement :

Ceux qui pardonnent sont les guérisseurs de l’humanité

Plutôt que de ressasser l’offense ou le dommage subi,

plutôt que de rêver de revanche ou de vengeance, ils arrêtent le mal à eux-mêmes.

Pardonner c’est l’acte le plus puissant qu’il soit donné aux hommes d’accomplir,

car l’événement qui aurait pu faire grandir la brutalité dans le monde,

sert, grâce au pardon à la croissance de l’amour.

Les êtres blessés qui pardonnent transforment leur propre blessure,

ils guérissent là où ils sont, la violence qui défigure le visage de l’humanité depuis ses origines.

L’homme qui pardonne ressemble à Jésus et rend Dieu présent.

 

Oui, le pardon diffuse dans le quotidien de la vie humaine l'énergie de la résurrection. Vladimir Jankélévitch, (philosophe, psychanalyste et musicien du début du 20ème siècle) parle à ce propos « de la grâce de la décision rédemptrice ». Le pardon est donc un parcours, qui seul, permet non pas de reprendre la vie comme avant, comme si rien ne s'était passé, mais de bâtir une nouvelle vie. Le pardon a cette faculté de ressusciter autant l’offenseur que l’offensé. La barre est haute, très haute, inutile d’y « aller au forcing » : nous aurions tôt fait de nous décourager et de trouver mille bonnes raisons pour baisser les bras. Mais laisser Jésus lui-même venir au secours de notre impuissance, le laisser se proposer de nous aider à faire nos premiers pas hésitants dans un monde qui a encore beaucoup à apprendre des doux (cf. les béatitudes que je commenterai dans les prochains mois).

 

Jésus n’a pas dit : « Ayez de la sympathie pour vos ennemis »

Tel est le triomphe de la charité, qui a le pouvoir de restaurer tout homme dans sa dignité filiale : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent ». Notre amour et notre prière doivent permettre à ceux qui nous veulent du mal, de découvrir un Dieu de miséricorde qui leur tend les bras à travers les nôtres et de découvrir ainsi le mystère de leur propre humanité. C’est en leur manifestant qu’ils sont et demeurent nos frères, quoi qu’ils puissent nous faire, qu’ils se reconnaîtront fils d’un même Père et pourront un jour changer d’attitude. C’est le seul moyen qui soit efficace. Martin-Luther King l’avait très bien compris quand il disait : « Dans le Nouveau Testament, on trouve le mot grec « Agapè » pour désigner l'amour. C'est l'amour débordant qui ne demande rien en retour. Les théologiens diraient qu'il s'agit de l'amour de Dieu à l’œuvre dans le cœur humain. Lorsqu'on s'élève jusqu'à aimer ainsi, on aime tous les hommes, non parce qu'on éprouve pour eux de la sympathie, non parce qu'on apprécie leur façon d'être, on les aime parce que Dieu les aime. Tel était le sens de la parole de Jésus « Aimez vos ennemis ». Et pour ma part, je suis heureux qu'il n'ait pas dit : « Ayez de la sympathie pour vos ennemis » parce qu'il y a des personnes pour lesquelles j'ai du mal à avoir de la sympathie. La sympathie est un sentiment d'affection, et il m'est impossible d'avoir un sentiment d'affection pour quelqu'un qui m'exploite ou menace de me tuer. Mais Jésus me rappelle que l'amour est plus grand que la sympathie, que l'amour est une bonne volonté compréhensive, créatrice, rédemptrice, envers tous les hommes. Et je pense que c'est là que nous nous situons en tant que peuple dans notre lutte pour la justice sociale. Dans cette lutte, nous ne reculerons jamais, et jamais dans notre action, nous n'abandonnerons le privilège que nous possé­dons, celui d'aimer ».

Superbe non ?

 

« Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi »

Cela m’aide à comprendre la phrase que nous récitons dans le Notre Père à propos du pardon : « Pardonne nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Le « comme » est très gênant en français car on le comprend souvent de travers : comme je pardonne, Dieu me pardonnera ! Et bien si Dieu me pardonne dans la mesure où je pardonne, ça ne va pas aller bien loin, il y a du souci à se faire ! En fait, la formule du Notre Père telle qu'elle est, est malheureuse. Il faudrait la changer car 95% des chrétiens qui récitent le Notre Père ont l'impression que Dieu ne leur pardonnera que s'ils pardonnent à leurs offenseurs, alors que c’est l'inverse. C’est parce que je me sais aimé de Dieu et qu’il me pardonnera toujours, que je me sens invité et capable de pardonner. Il faudrait donc transformer le « comme » en « afin que » et dire : « Pardonne-nous nos offenses afin que nous pardonnions à ceux qui nous ont offensés ». L'amour de Dieu est toujours premier ! St François d'Assise l’avait bien compris dans son commentaire du Notre Père : « Et ce que nous ne pardonnons pas pleinement, toi Seigneur, fais que nous le pardonnions pleinement. »

 

Désirer pardonner

Mais alors, comment comprendre les versets que Matthieu ajoute à la fin du Notre Père ? « Car si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi. Mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, à vous non plus votre Père ne pardonnera pas vos fautes. » (Mt 6, 14-15). Je vois dans ces verstes une invitation à garder en nous le désir de pardonner, ce qui permet à Dieu de travailler en nous, et même si nous n’arrivons pas à pardonner sur le moment,  cela n’empêche pas Dieu de me conduire progressivement, pédagogiquement, à mon rythme vers ce pardon, comme s’il faisait mûrir cela en moi, du moment que nous gardons en nous le souhait d’atteindre ce but ! Or si je me ferme à toute éventualité du pardon, j’empêche Dieu d’œuvrer en moi pour y parvenir. On pourrait donc traduire ces phrases ambigües ainsi : « Car si vous gardez le désir de pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi. Mais si vous ne gardez pas ce désir de pardonner pas aux hommes, votre Père ne pourra pas vous pardonner vos fautes ni vous aider à pardonner », non pas qu’il n’en ait pas le désir, mais parce que vous l’empêchez de faire son œuvre en vous en vous fermant vous-même au pardon. Je vous l’ai dit, nous n’avons qu’une chose à faire, c’est désirer que le pardon puisse être donné. Tout le reste sera donné par surcroit.

 

C’est bien ce qu’a fait frère Christian de Chergé, moine de Tibhérine assassiné le 21 mai 1996, à propos de son futur bourreau. Ces mots sont d’une telle profondeur et d’une richesse si grande que je n’ajouterai rien après les avoir cités, pour les laisser résonner en vous :

« S'il m'arrivait un jour - et ça pourrait être aujourd'hui -  d'être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant  tous les étrangers vivant en Algérie, j'aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays. Ma vie n'a pas plus de prix qu'une autre. Elle n'en a pas moins non plus. En tout cas, elle n'a pas l'innocence de l'enfance. J'ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde, et même de celui-là qui me frapperait aveuglément. J'aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m'aurait atteint. Je ne saurais souhaiter une telle mort. Il me paraît important de le professer. Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m'ont rapidement traité de naïf, ou d'idéaliste : "qu'Il dise maintenant ce qu'Il en pense !". Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s'il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec lui Ses enfants de l'Islam tels qu'ils les voient, tout illuminés de la gloire du Christ, fruit de Sa Passion, investis par le Don de l'Esprit dont la joie secrète sera toujours d'établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences. Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l'avoir voulue tout entière pour cette JOIE-là, envers et malgré tout. Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d'hier et d'aujourd'hui, et vous, ô amis d'ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis ! Et toi aussi, l'ami de la dernière minute, qui n'aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet "A-DIEU" en-visagé de toi. Et qu'il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s'il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. AMEN ! Insha 'Allah ! »

 

Cela me laisse sans voix !

Alors je me tais … … Jusqu’au mois prochain

où je commencerai un nouveau cycle de commentaires …

sur les béatitudes.

 

Amen.

Oui, je crois.

Credo.

 

Gilles Brocard

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