L'INTELLIGENCE DES ECRITURES

 

LES FEMMES DE L'EVANGILE

 

AVANT-PROPOS.

Après avoir étudié l'Évangile de Matthieu, au cours des six premiers mois de cette année, et avant d'aborder l'évangile de Marc au cours de l'année liturgique B (dès le mois de décembre 2002), nous prendrons le temps de lire quelques pages d'évangile avec un fil conducteur ô combien instructif : qui sont les femmes qu'on rencontre dans nos évangiles?

Qui sont-elles, ces femmes bien typées qui ont rencontré Jésus, soit occasionnellement, soit d'une façon plus durable ? Pourquoi viennent-elles à lui ? Comment les a-t-il accueillies, écoutées, voire guéries ? Le texte de l'évangile a été écrit par des hommes, marqués par tous les préjugés de leur époque : au mieux, un peu de condescendance, parfois un certain mépris, et même souvent beaucoup de réticences. Effectivement, plusieurs d'entre elles sont, soit des malades, soit des pécheresses, ou même des étrangères. Il y a dans toutes ces présentations comme un stéréotype du mépris, ce qui n'est pas étonnant, quand on sait comment la femme était traitée dans l'antiquité juive. Et comment, aujourd'hui encore, elle est réduite à un rôle subalterne dans une grande partie de l'humanité.

Pourtant, dans ce contexte passablement machiste, les auteurs des quatre évangiles nous disent des choses étonnantes : les femmes dont ils nous parlent adhèrent toutes à Jésus : ceux qui sont contre lui sont tous des hommes : prêtres, scribes, magistrats. Deuxièmement, elles ne font jamais partie d'un corps constitué, d'un groupe plus ou moins homogène. Elles sont seules, et se présentent seules ( j'allais dire : seule contre tous) : aussi bien la femme adultère que celle qui souffre depuis tant d'années d'hémorragies. Leur foi les détache du groupe humain auquel elles appartiennent. Nous chercherons donc, à travers les attitudes et leurs réactions, ce qui fait leur grandeur. Car, il faut le reconnaître, grâce aux récits des quatre évangiles, toutes suscitent notre admiration, alors que tant d'hommes qui ont approché Jésus ne se montrent pas tellement brillants. Est-ce à cause de la bienveillance avec laquelle Jésus les accueille ?

En tout cas, dans leur rencontre avec le Christ, il y a comme une illustration des Béatitudes. Un renversement des valeurs : pauvres, pécheresses, étrangères, faibles, rebelles, elles nous sont présentées comme étonnement riches. L'évangile pointe le doigt, non sur leurs déficiences, mais sur l'ultime et respectable réalité de l'être : la confiance chez l'une, la soif de Dieu chez l'autre, l'intelligence des choses divines chez une troisième. Dans les évangiles, jamais la femme n'est présentée comme mauvaise. Au contraire, elle est une créature emplie de zèle et d'honnêteté. Toutes viennent à Jésus avec toute leur bonne foi : ni passives, ni molles, ni réduites à d'obscures fonctions. Toutes jouent un grand rôle.

Pour préciser ce rôle, distinguons quatre catégories :
1- Les femmes qui n'ont qu'un rôle passif destiné à illustrer la miséricorde divine. Derrière ces récits se révèle une intention polémique, histoire de raviver la querelle qui oppose la loi des pharisiens et la grâce nouvelle.
2- Les femmes qui se sont mises au service de Jésus et expriment ainsi la fidélité à sa personne, avec affection et dévouement, dévouement qui ne dépasse pas les limites du personnage physique.
3- Les femmes qui, conduites vers Jésus par une souffrance personnelle, manifestent une foi étonnante, bien au-delà d'une simple attente d'un exaucement personnel. Le Christ est seul à en percevoir la portée.
4- Les femmes qui vont jusqu'à une véritable confession de foi dans le Christ-Seigneur. Cela tient presque de la mystique, de la prophétie. Soit dans un geste silencieux, que Jésus commente avec admiration, soit dans un dialogue avec Jésus.

Ces divers modèles se recoupent, naturellement. Luc, par exemple, dans sa présentation de la pécheresse, trace le portrait d'une femme en qui on retrouve facilement les quatre traits ci-dessus. Il n'y a qu'un cas qui entre difficilement dans notre cadre : c'est la mère des fils de Zébédée. C'est aussi la seule dont la demande échoue.

NOTRE PLAN.

1 - La femme, instrument de la polémique.
La femme adultère - la femme courbée - la veuve de Naïm.

2 - La fidélité.
Marthe et Marie - les récits de la Résurrection.

3 - La foi personnelle.
L'hémorroïsse - la cananéenne - la pécheresse de Luc.

4 - La Confession de foi.
L'onction de Béthanie - La résurrection de Lazare - la Samaritaine

(Nous ne parlerons pas cette année de la place de Marie dans l'évangile. Ce sera une recherche que nous entreprendrons plus tard, si Dieu nous prête vie.)

 

1 - LA FEMME, INSTRUMENT DE LA POLEMIQUE.

A force d'insister sur la bonté de Jésus qui pardonne sans cesse, on risque d'oublier combien il s'est montré combatif et dur face à ses adversaires. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne leur fait pas de cadeaux, qu'il ne leur passe rien. L'ordre pharisien est pour lui un ordre qu'il faut combattre, car il est celui d'une caste rigide, un pouvoir viril, intraitable devant l'amour. Jésus mène la guerre, ne se gène pas pour porter des coups. Lorsqu'il "sauve" une femme, il le fait souvent par défi. Nous allons en voir des exemples.

A - La femme adultère. Jean 8, 1-11.

Ce n'est pas la première fois qu'on somme Jésus de se prononcer sur l'adultère (lire Matthieu 5, 27-32 et 19, 7-9), mais ici, il s'agit d'un cas concret : la femme est là, devant lui. Il ne s'agit plus d'un sujet de discussion théorique. Il y a un nouvel enjeu : la vie d'une femme.

Cette femme ne sert que de prétexte à la polémique. Elle est dépourvue de tout rôle actif. Tout va se jouer par-dessus sa tête : "femme-objet" du litige, un point c'est tout. Ce qui est important pour ceux qui l'ont amenée là, c'est ce Jésus qui enseigne dans le Temple, qui a du succès auprès du peuple, qui prend donc la place de tous les enseignants patentés et diplômés à qui il fait de l'ombre. N'oublions pas que la scène se passe à Jérusalem, au centre de l'univers juif, et dans le Temple, au coeur de ce centre religieux. Ici, ils sont chez eux ; Jésus, non. L'arrivée de ce groupe hostile, poussant cette femme pécheresse, ça tombe bien. Si Jésus disculpe la femme, c'est qu'il est contre la Loi ; et s'il condamne la femme, sa miséricorde légendaire est prise en défaut. Les scribes et les pharisiens savent que Jésus est pris. On lui présente la Loi dans sa forme la plus dure. Au temps de Jésus, elle n'était plus beaucoup appliquée. Parfois seulement, on étranglait la femme. Ils vont donc faire d'une pierre deux coups : la femme sera lapidée, mais surtout Jésus le sera aussi, comme opposé à la loi, comme blasphémateur.

Jésus, écrivant sur la poussière du sol, signifie qu'il se désintéresse du débat juridique en cours. Il mime la solitude. Mais c'est un peu lui qui, accroupi, fait figure d'accusé. D'habitude, il répond avec plus de vivacité. Aujourd'hui, il se tait. Le doigt de Dieu, au Sinaï, avait gravé la Loi dans la pierre ; ici, Jésus écrit sur le sable. Ce n'est que devant l'insistance des pharisiens qu'il annonce : "Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre." Coup de tonnerre. Cette femme n'est pas si dépravée, et vous, pas si juste que vous ne le croyez ! Et l'absent, où est-il ? Pourquoi ? C'est eux qui sont pris en flagrant délit. Accusateurs, ils passent au rang d'accusés. Ils s'en vont, non pas parce qu'ils se sentent pécheurs, mais parce qu'aucun ne veut jeter la première pierre : ils s'exposeraient eux-mêmes à la peine de mort (ils n'avaient plus le droit d'exécuter leurs condamnés). Jésus, dans ce débat qu'ils ont cru purement spéculatif, les somme de passer aux actes. Et si l'on est sans péché, est-on apte à commettre un meurtre ?

Jésus va plus loin. Il feint de croire à leur miséricorde, ce qui serait tout-à-fait insolite. "Personne ne t'a condamné, demande-t-il à la femme ? Eh bien, moi non plus je ne te condamne pas." Jésus a contraint ses ennemis au pardon. S'ils sont un peu malins, ils comprendront vite qu'ils ont été joués par l'ironie subtile du Christ.

La femme est toujours là, solitaire et silencieuse. Jésus ne la condamne pas. Il lui dit simplement "ne pêche plus". Il ne la renvoie pas avec une parole de paix, comme les autres. Elle n'a d'ailleurs rien demandé. Il lui rend la liberté, lui, le seul sans péché qui aurait pu condamner. Le péché n'est pas nié. Elle a simplement un chemin à faire. Un avenir ouvert, pour elle. Elle vient d'entrer dans le monde de la grâce. Personnellement, j'ai toujours imaginé que cette femme a dû répondre à Jésus avec un petit sourire humble, discret et reconnaissant, avant de courir vers la vie.

26 août 2002
La suite dans quinze jours.

Sources : France Quéré - Les femmes de l'Evangile.

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