L'INTELLIGENCE DES ECRITURES
LA FEMME, INSTRUMENT DE LA POLEMIQUE (suite).
A force d'insister sur la bonté de Jésus qui pardonne sans cesse, on risque d'oublier combien il s'est montré combatif et dur face à ses adversaires. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne leur fait pas de cadeaux, qu'il ne leur passe rien. L'ordre pharisien est pour lui un ordre qu'il faut combattre, car il est celui d'une caste rigide, un pouvoir viril, intraitable devant l'amour. Jésus mène la guerre, ne se gène pas pour porter des coups. Lorsqu'il "sauve" une femme, il le fait souvent par défi. Nous l'avons vu avec l'épisode de la femme adultère. Nous allons poursuivre notre enquête avec deux autres exemples : la femme courbée et la veuve de Naïm.
B - La femme
courbée (Luc 13, 10-17)
Comme la femme adultère, cette femme, non plus, ne demande rien. Peut-être ne connaît-elle même pas Jésus. Elle n'a plus rien à espérer, depuis 18 ans qu'elle est ainsi. Trop courbée pour lever les yeux jusqu'à Jésus. C'est lui, Jésus, qui la remet droite. Geste de charité ou pure bravade ?
Le miracle a lieu en pleine synagogue, en plein jour de sabbat. C'est culotté ! On dirait que Jésus n'a redressé la femme que pour faire baisser le nez à ses adversaires. Il est en train d'enseigner. Il aperçoit le femme, interrompt son discours. Il y a une priorité. L'essentiel n'est pas le discours, mais cette femme malheureuse. Priorité à la guérison. Cela passe avant tout sermon et avant même l'observation de la Loi, qui interdit de faire quoique ce soit le jour du sabbat. Alors, Dieu passe-t-il après les hommes ? Non. La femme redressée rend gloire à Dieu. En fait, le geste du Christ prolonge sa parole. Rendre service au prochain et adorer Dieu, c'est la même chose.
Le chef de la synagogue c'est l'ennemi. Mais en bon fonctionnaire, il va avoir une réaction comique : au lieu de s'en prendre à Jésus ou à la femme, il s'en prend à la foule qui n'en peut mais. C'est vraiment injuste. La foule ne demandait rien et n'a rien reçu. La femme, elle non plus, n'a rien demandé. Elle n'est pas venue pour se faire guérir. Pourquoi donc s'en prendre à la foule ? Le chef de la synagogue admet que Jésus fasse des guérisons, mais que ce soit aux époques légales. Et surtout pas le jour du sabbat. Ainsi la guérison ne serait plus un geste polémique. Il n'est pas dupe. Il sent bien tout ce qu'a de provocateur le geste de Jésus. Mais il faut, devant le public, réduire l'incident à une petite perturbation de la discipline. Il feint de croire que c'est la foule qui a provoqué l'intervention de Jésus.
Jésus pourrait lui répondre, comme il l'a fait dans d'autres circonstances, que "le sabbat est fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat." Il préfère, cette fois attaquer directement, à travers ce chef de synagogue, tous les hypocrites qui violent le sabbat, même pour leur boeuf ou leur âne. Pour Jésus, cette femme n'est pas n'importe qui. C'est une "fille d'Abraham". Il rappelle à tous, par cette appellation, que cette femme, toute courbée soit-elle, et peut-être pas plus haute qu'un quadrupède, est la plus élevée possible au-dessus des bêtes. Chacun a des devoirs envers cette humanité-là.
Et voilà décochées deux flèches : vous n'exécutez pas la Loi, puisque vous vous dérobez à ses prescriptions les plus impératives qui sont le secours aux frères. Et vous opérez vous-mêmes des transgressions beaucoup moins légitimes, réservant vos rigueurs à d'autres que vous. Hypocrites, vous trahissez l'esprit de la Loi et vous n'en respectez même pas la lettre.
C'est la honte ! Pour un rabbi, pas de signe plus humiliant que de ne savoir plus que dire. Par contre, la foule, manifestant bruyamment sa joie, se range du côté de Jésus. On a guéri une infirme, mais on a aussi mouché publiquement la caste sacerdotale. Deux raisons d'applaudir.
C - La veuve de Naïm (Luc
7, 11-17)
Cet épisode est charité pure. Plus de synagogue, plus de pharisien, plus d'esprit polémique. On est devant un abîme de souffrance. Il n'y a pas épisode plus terrible dans tous les évangiles. Voilà une femme qui porte un terreible poids de malheur et de solitude. Juive et femme : sa destinée était la famille, et la famille disparaît. On porte son fils unique en terre. Essayons d'imaginer combien la vie, pour cette mère, est non-sens absolu. Sartre, témoin dans sa jeunesse d'un fait semblable, parle du "Mal, absence de Dieu, un monde inhabitable." Devant cette figure du néant, Jésus est remué jusqu'aux entrailles (c'est le sens littéral du mot grec).
Deux cortèges se rencontrent : la foule de ceux qui, avec Jésus, vont en direction de la ville, donc, vers la vie ; et la foule de ceux qui vont vers le cimetière, vers le lieu de la mort. Dans cette foule, Jésus ne voit que la solitude : la mère. Parmi toutes les femmes qu'il a rencontrées, celle-ci est la plus éloignée de l'espérance, de la foi et de la prière. "Ne pleure pas", lui dit-il, alors qu'elle ne demande rien. Mais pourquoi ne pleurerait-elle pas ? Jésus stoppe les deux cortèges. "Et Jésus le rendit à sa mère." Phrase-clé. La revoilà mère, en effet et, avec son fils, lui est rendu une infinité de biens : la paix, l'avenir, l'amour, la relation, la dignité de l'être, sa persévérance et le sens de la vie. La mère ressuscite avec le fils.
La femme est à peine évoquée dans ce récit. Mais elle demeure le pivot de cette scène d'évangile. Il n'y a pas de pharisien, il n'y a pas d'ironie, et pourtantcette pitié de Jésus opère l'effraction d'un rite, transgresse un tabou. La vie, une fois encore, l'emporte sur la souffrance des hommes et sur ces disciplines qui essaient trop souvent de mettre simplement de l'ordre.
oOo Trois figures de femmes, toutes trois emblématiques du désespoir humain. La première est rejetée par la loi des hommes, la seconde par l'infirmité qui la rend hideuse, la troisième par la perte du mari et du fils. Ces femmes n'agissent pas par elles-mêmes. L'Evangile les présente dans leur solitude, mais le triple destin de la condamnation, de la maladie et de la mort, suscite les gestes pleins d'amour, de pitié et de miséricorde du Christ.
Dans quinze jours, nous allons passer à une autre catégories de femmes : celles qui expriment leur fidélité au Christ dans un service matériel plein d'affection et de dévouement.La suite dans quinze jours, le 24 septembre
Sources : France Quéré - Les femmes de l'Evangile.
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