THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

             
 
    Cette année 2012 : 

 Un dialogue interreligieux

 

TOUTES LES RELIGIONS SE VALENT", disent les gens. Par contre, toutes les religions déclarent qu'elles ont la vérité et qu'hors de leur croyance, il n'y a pas de salut. Chacune d'elles revendique le droit d'être seule capable de répondre aux grandes aspirations de l'homme. Et bien souvent, chacune d'elles s'enferme dans sa tour d'ivoire et refuse de s'intéresser aux autres.

Que je sois chrétien ou non, quelle est mon attitude à l'égard des autres religions ? Question d'actualité en ces temps où notre monde ressemble à un petit "village planétaire".

Je ne peux pas ignorer plus longtemps mon voisin. Ce sera donc l'objet de notre recherche cette année : d'une part explorer quelques-unes des grandes religions, leur origine et leurs croyances, et d'autre part essayer de nous situer en chrétien par rapport à ces religions.

9e Séquence : L'hindouisme et le christianisme (1)
(septembre 2012)

Nous avons passé de nombreux mois de cette année à étudier la théologie de l'islam et à l'analyser en chrétiens. C'est que christianisme et islam présentent manifestement des structures communes et se réclament d'un héritage commun. Avec l'hindouisme que nous allons commencer à découvrir, les choses se compliquent, rien n'est aussi clair. Non seulement, comme l'islam, il n'a pas d'Église, mais il n'a pas davantage de doctrine généralement reconnue.

Jusque récemment - à la différence de l'islam -  l'hindouisme n'est pas entré en concurrence avec le christianisme. Mais dans sa rencontre avec les cultures occidentales, l'hindouisme pourrait même avoir bénéficié du charme de l'exotisme et de la distance. Mais la distance l'a aussi maintenu dans un flou nébuleux. L'Europe n'avait rien à craindre de lui, contrairement à l'islam ; aussi s'est-elle moins intéressée à lui.

Depuis quelques années, les choses ont changé. Des jeunes Européens ont découvert les religions indiennes. Ils cherchent là-bas ce qui fait défaut ici  : une religion chaleureuse, une autre attitude à l'égard des êtres et des choses du monde environnant. Ils sont nombreux à s'adonner à la méditation et au yoga, pas comme un simple gadget, mais comme un chemin pour une nouvelle expérience de soi, une nouvelle orientation de l'homme.

Les Églises chrétiennes ne semblent pas voir tout cela d'un très bon oeil ; elles se méfient des gourous en tous genre, d'autant plus qu'elles manquent de critères permettant de faire la différence entre un charlatan et un saint. Il n'y a ni Église ni doctrine reconnue en Inde. Il n'y a que l'horizon de la tradition religieuse.  auquel le gourou se sent lié. Il est temps d'engager un dialogue et, pour cela, commencer par rectifier un certain nombre d'erreurs.

L' "hindouisme" : un concept forgé par les Européens.

En effet, les contradictions internes ne manquent pas dans le phénomène hindouisme. Les textes sacrés de l'une de ses composantes ne sont pas ceux de l'autre. Tel dieu n'aura pour l'un qu'une importance secondaire, tandis que l'autre le vénérera comme la divinité suprême. La doctrine de la réincarnation elle-même, qui nous paraît si étroitement liée à l'hindouisme, ne fait pas partie pour tous les hindous du noyau assuré de leur savoir et de leur foi.

Peut-être ne se serait-on pas tellement soucié de ramener tout cela à une certaine unité  si le concept d' "hindouisme" ne reposait pas en partie sur un malentendu. Le mot "hindouisme" est en effet un terme d'invention européenne ; aucune religion indienne ne se désigne elle-même ainsi. Quand on  inventé le mot, on ne savait pas que les hindous avaient plusieurs religions.  Donc, on désigne  sous l'appellation d'hindous, dans les statistiques du gouvernement indien, tout indien qui ne se réclame pas explicitement d'une autre religion. Et même, depuis peu, on englobe sous l'appellation d'hindous les bouddhistes, les sikhs et les jaïns.  Ce qui fait de l'hindouisme l'une des religions les plus importantes du monde.

D'où vient le mot "hindou" ? Sans doute au nom du fleuve Indus. Le mot Inde, Indien vient du nom grec désignant ce fleuve, Indos. En persan : hindou. Le pluriel du nom désignait ses habitants, les Hindous, les "gens de l'Indus" . Le mot apparaît déjà dans des tablettes cunéiformes de l'ancienne Perse. Jusqu'à la conquête arabe, tous les habitants sont des Hindous. Mais une partie de la population se convertit à l'islam : on fait alors la différence entre les indiens convertis et les hindous demeurés fidèles à leurs traditions religieuses. Ce n'est qu'au XVIe siècles que les missionnaires européens commencèrent à faire vraiment la différence entre Indiens et Hindous.

L' "Hindouisme" : un collectif de religions.

On commença donc à définir comme hindous tous les indiens qui n'étaient ni musulmans, ni sikhs, ni jaïns, ni juifs, ni chrétiens. D'où difficulté : comment dégager des éléments communs à tous ceux qu'on désignait comme hindous ? Et comment exprimer clairement leurs divergences ? Se dégage une conception du brahmanisme orthodoxe, celui qui reste enraciné dans la tradition védique, selon laquelle "il n'y a qu'un dharma, un seul principe normatif déterminant l'agir religieux, éthique et pratique de l'homme."

Le dharma, c'est un principe universel qui envahit l'agir des hommes et des sociétés dans tous les domaines . Chacun a son propre dharma qui lui assigne ses règles de conduite, ses devoirs, ses obligations  personnelles. En ce sens, il englobe toutes les formes de religion, aussi bien des différentes religions hindoues que des "barbares" d'une autre religion, chrétiens européens, musulmans, et "hérétiques" bouddhistes, jaïns ou sikhs.

Chaque groupe a sa propre forme de dharma et quand il est suffisamment puissant, il peut décider que cette forme est la meilleure.  Et les brahmanes eux-mêmes ont décidé qu'ils étaient, parmi les hindous, les plus élevés et les meilleurs. Un peu comme le clergé dans le christianisme.  Mais le dharma, qu'on a tendance à traduire par religion, est beaucoup plus vaste que notre idée de religion; puisqu'il englobe toutes les conditions d'existence, s'étendant même jusqu'au règne animal et végétal.

Aussi y a-t-il une grande différence entre la conception de la religion des hindous et celle des chrétiens ou des musulmans. Donc pour entamer un dialogue religieux, il faut savoir à qui on a affaire. Quel est le contenu de la foi de notre interlocuteur ? Donc il nous faut réviser l'idée que nous nous faisons de l'hindouisme. On considère l'hindouisme comme une religion, mais cela n'a jamais été tout à fait exact. Pour nous, les hindous n'ont pas une, mais plusieurs religions. Eux-mêmes ne prétendent pas du tout avoir une seule religion. Essayons donc d'y voir un collectif de religions. De religions totalement différentes, liées entre elles par une aire géographique commune avec son histoire, ses développements sociologiques, ses particularités culturelles.

Le Vishnouisme (vénération du dieu Vishnou) et le shivaïsme (vénération du dieu Shiva) sont aujourd'hui de loin les deux religions les plus importantes des hindous. Viennent ensuite les adeptes  du Shaktisme c'est-à-dire de cultes voués à une  divinité féminine. Presque tous les ouvrages consacrés à l'hindouisme considèrent les cultes de Vishnou, de Shiva et d'autres dieux et déesses  comme des sectes à l'intérieur de l'hindouisme. . Mais peut-on parler de sectes hindouistes  lorsqu'il s'agit de groupements religieux qui se distinguent les uns des autres par leurs fondateurs, leurs textes sacrés, leurs prophètes et leurs théologiens, leur culte, et qui, surtout, n'adorent pas le même dieu comme Dieu suprême ? Si pour ce qui nous est familier, nous en étions à penser comme des sectes différentes d'une même religion le judaïsme, le christianisme, le manichéisme et l'islam, on susciterait des cris d'indignation de la part de tous ces groupes.

Tolérance, vérité  et tradition.

Si nous mettions aujourd'hui dans un même sac, sous le nom d'hindouisme toutes les "sectes" qui existent chez les Indiens, ile ne protesteraient pas, eux. Cela leur paraîtrait assez mesquin  de s'hypnotiser sur ces différences. D'autant plus qu'il n'y a diversité qu'en surface. Car pour eux,toutes ces  formes de religion différentes ont un but unique : chercher à frayer  à l'homme un chemin vers la divinité et le salut.  Voilà une conception exceptionnellement libérale ! Elle permet la coexistence pacifique entre  toutes religions hindoues. C'est totalement différent de nous, qui vivons dans une tradition de confrontation religieuse, ou tout au moins de délimitation religieuse. Nous sommes bien loin du point de vue de la religion  auquel la théologie du vishnouisme est parvenue depuis deux mille ans. Car, pour lui, si un homme se tourne vers un autre dieu, qu'il y ait de sa faute ou non, la grâce du Dieu suprême ne lui sera pas retirée pour autant, disent les vishnouites. Dans la Baghavad-Gita l'un des textes fondamentaux des vishnouites, Krishna dit que c'est lui-même qui accomplit les voeux qu'un  homme formule avec une foi intense à l'adresse d'un autre dieu. Bien sûr, il vaut mieux préférer tel dieu que tel autre. Mais l'unité est dans l'objectif: par certains chemins, on arrive plus facilement au but que par tel autre, mais tous les chemins mènent au même but.

Cependant, il y a eu des conflits entre religions hindoues. Il y a eu d'abord l'époque de la conquête musulmane où les islamistes de l'époque (déjà !) ont détruit les représentations des dieux hindous et profané leurs temples. Des conflits entre hindous et musulmans qui existent aujourd'hui encore.  Et puis il y eut des conflits entre hindous eux-mêmes, notamment dans l'Inde du Sud. Mais ces incidents sont l'exception. Aujourd'hui, plus que le conflit, existe la compétition.   A tel point que nombre d'Hindous cultivés n'affirment pas leur propre religion comme supérieure aux autres.

Il nous faut éviter les clichés que nous nous sommes forgés au sujet des hindous. Ils ne se détournent pas du monde, il ne sont pas passifs, amaigris et misérables. Ils ne sont pas tous gourous, yogis et ascètes barbouillés de cendre. Ce sont des hommes comme nous. Mais à la différence de la plupart d'entre nous, ils ne courent pas contre la montre. Ils ne sont pas aux prises avec un temps mécanique et inexorable; Ils ne sont pas sous la pression psychique de l'angoisse de manquer  quelque chose ici et maintenant . Ils ne se sentent pas jetés dans une vie brève et unique, qui ne passe que trop vite, dans laquelle il faut faire ses preuves et qui décidera peut-être de la vie ou de la damnation éternelle. La possibilité de la renaissance confère à la vie un horizon plus large : l'homme vit autrement le temps.

La culture de la vallée de l'Indus et l'arrivée des Ariens.

Avant l'arrivée des Aryens, il y eut une première culture sur le sol indien. Elle date du 3e millénaire avant Jésus Christ. C'était une culture urbaine, qui avait atteint un niveau de développement particulièrement élevé, avec une organisation de type centraliste. Malheureusement, on n'est pas encore parvenu à déchiffrer pleinement l'écriture  de cette civilisation. Aussi on ne connaît presque rien de sa religion. Nous disposons d'un indice important : la représentation fréquente de la posture des yogis indiens. Cette culture disparaît  au XVIIIe siècle avant J.C. On suppose que c'est à cause de l'invasion des aryens. Ceux-ci arrivent du nord-ouest, après avoir traversé l'Afghanistan. Ils arrivent en vagues successives, et cela pendant huit siècles. Ce sont eux qui, a partir de l'an 1000 avant J.C., vont importer les bases des futures religions hindoues. C'est à eux que les hindous doivent leur langue sacrée, le sanskrit , qui est une langue indo-européenne. Une langue qui est actuellement vieille de trois mille ans sans modifications essentielles. Les musulmans croient que Dieu parle arabe, ne langue qu'il ne parle que depuis six siècles. En INde, les dieux parlent le sanskrit depuis plus de trois mille ans.

Les Vedas, les plus anciens textes sacrée des Indiens.

C'est aux Aryens que nous devons les plus anciens textes sacrés des hindous, les Vedas. On a gardé les noms des poètes et des prophètes qui auraient eu "la vision" des différents textes. Mais la tradition y voit aussi des révélations éternelles, sans commencement, que les prophètes n'ont fait que transmettre. Une révélation à l'oreille d'une vérité éternelle.

Toutes les grandes religions hindoues sont des religions révélées qui se rattachent plus ou moins à la révélation primordiale. Mais qu'elles s'y rattachent de près ou de loin, cela n'a pas d'importance : les dieux parlent sans cesse aux hommes. Quand les temps changent, ils révèlent de nouvelles voies de salut  à leurs fidèles. Autre caractéristique de ces religions : la foi dans l'efficacité immédiate de la parole sacrée. Il est bon qu'on la comprenne, mais elle agit aussi sans qu'on la comprenne. Les mantras, formules qui deviennent instruments de la pensée et de la méditation, détiennent, en raison de leur origine supra-humaine et de la possibilité d'épanouissement spirituel qu'elles contiennent, une puissance créatrice qui leur est propre.

C'est pourquoi, par exemple, les 10 000 vers du Rig-Veda, le plus ancien des quatre vedas, ont été conservés, même si on ne sait plus très bien quoi en faire, avec une précision incroyable et transmis oralement de maître à élève, de bouche à oreille, jusqu'à nos jours. La transmission orale est préférée à l'écriture, car elle est réelle fréquentation de la parole sainte. Elle est source  de bénédiction, mais aussi dangereuse. Aussi le disciple est soumis à un examen approfondi avant qu'on ne lui confie le savoir suprême.

A côté du Rig Veda (le mot Veda signifie savoir) on trouve trois autres recueils consacrés, l'un à l'utilisation rituelle des hymnes du premier recueil, l'autre aux formules sacrificielles à utiliser dans les cérémonies, et le dernier  aux charmes et incantations  qui cherchent à détourner les influences mauvaises. Aujourd'hui le Veda, comme parole sainte, est toujours l'objet de la plus haute considération, mais il n'est plus connu que par un tout petit nombre de spécialistes. Il est bien loin de la religion du peuple. Certaines religions hindoues sont nées d'une opposition à la tradition sacerdotale orthodoxe, et les principaux dieux des temps védiques ne jouent plus qu'un rôle subalterne.

Renouveau spirituel - restriction sociale : le système des castes.

Au début du 1er millénaire avant J.C., les prêtres védiques s'engagent dans une entreprise grandiose : par l'intermédiaire d'un rituel sacrificiel ésotérique, ils entendaient harmoniser l'homme et le monde ambiant. Pour ce faire, is inventèrent une pensée d'un nouveau type, une pensée par symbole. Les dieux perdirent de leur importance. Les jalons se trouvaient posés pour une nouvelle philosophie qui influencera progressivement toute la pensée religieuse ultérieure, y compris celle du bouddhisme.

On assiste donc progressivement à une quête d'une unité par-delà la multiplicité du monde, à la transformation du polythéisme en une pensée moniste, la conception abstraite d'une conscience absolue, la doctrine de la renaissance et de la délivrance par le savoir. Mais en même temps commence à se constituer le système des castes, lui aussi un héritage des Aryens. Le mot "caste" nous vient des Portugais qui furent les premiers Européens à s'installer en Inde (1498). Caste n'est pas un mot indien. Il vient du latin castus (chaste, pur) et désigne des groupes sociaux séparés les uns des autres par des règles de pureté.

L'Inde connaît aujourd'hui quatre couches sociales de castes, mais les castes sont innombrables. Ce sont ces quatre couches qui donnent en gros sa structure hiérarchique au système des castes. Trois de ces couche correspondent aux fonctions les plus importantes : 1-les brahmanes (les prêtres)/ 2-les nobles et les guerriers/ 3- ceux qui s'occupent de la maison, du bétail et des champs. La quatrième couche, ce sont les non-Aryens : c'est la couche la plus nombreuse et la plus pauvre. Pour comprendre ce système, il faut savoir que les Aryens étaient des envahisseurs qui venaient du Nord-Ouest. Plus ils progressaient vers le sud, dans la plaine du Gange, plus ils se trouvaient minoritaires face à la population établie dans ces régions avant eux. Pour maintenir leur position élevée, il leur fallait préserver leur identité raciale et culturelle. Il leur fallait éviter  de se fondre dans la population assujettie. Ce n'était possible que par isolement (Une véritable politique d'apartheid, déjà !) D'où des tensions sans cesse grandissantes. La pureté signifiait pour les Aryens la pureté de la race et le maintien de la pureté de la religion. C'est pourquoi les non-Aryens furent exclus de la participation active et passive à la religion védique. Les couches supérieures aryennes, quand à elles, se virent consolidées par leur position religieuse privilégiée.

Réforme et intégration : auto délivrance par le savoir.

Vers 500 avant J.C.  on se rendit compte qu'il n'était pas possible de maintenir la religion dans sa pureté. Il fallait s'ouvrir aux besoins religieux et aux traditions religieuses de la couche inférieure non aryenne de la population. En m^me temps, le développement d'une pensée scientifique dans la période védique tardive avait conduit à un nouveau scepticisme. Il y eut des penseurs pour prôner un pur matérialisme et nier totalement l'existence d'une âme et d'un monde divin dans l'au-delà. Finalement on dériva vers une religion avec un enseignement secret hautement spécialisé, réservé à des initiés (notamment les brahmanes), ce qui provoqua une violente opposition. C'est ainsi que débute une période de réformes (VIe-IVe siècles).

Nous trouvons en même temps plusieurs réformateurs à l'œuvre, qui rassemblent des disciples autour d'eux. Deux d'entre eux sont à l'origine de traditions monastiques durables qui deviendront des religions autonomes : l'un est à l'origine des Jaïns, d'un ascétisme rigoureux ; l'autre fut Gautama, le Bouddha, dont l'enseignement devint le fondement du bouddhisme. L'un et l'autre sont issus d'une couche sociale noble, opposée aux brahmanes. Ils récusent l'autorité des Védas. D'autres maîtres, de moindre influence prônaient des doctrines semblables. L'un des éléments qui est commun à presque tous, c'est l'autodélivrance par le savoir : c'est le chemin royal vde la délivrance.

Autodélivrance par le savoir. Ce qui suppose que notre état normal repose sur le non-savoir. Ce point de départ repose sur l'expérience immédiate de la contemplation et de la pratique méditative. En même temps il est la conséquence des connaissances théoriques issues de ces expériences. Dans la méditation, il se confirme que l'expérience quotidienne de la distance entre le sujet et l'objet peut être dépassée, que l'homme est capable d'une expérience d'unité où est surmontée même la distance entre l'homme et la divinité. Nous avons là l'un des fondements des religions de l'Inde.

Et les couches inférieures ?

En même temps l'on se mit à rechercher des formes d'expression religieuses accessibles à tous les hommes, et pas seulement aux brahmanes, aux moines et aux ascètes. Ce qui donna naissance à deux types de religions dans lesquelles l'attache à une divinité passa au premier plan. Soit religions monothéistes (il n'y a qu'un seul dieu aux manifestations éventuellement multiples) soit hénothéistes (il y a de nombreux dieux, mais mon dieu est le plus grand et il est pour moi le seul qui compte). On n'abandonna pas pour autant les techniques de l'autolibération. On les utilisa pour la purification personnelle. On orienta la méditation sur Dieu. On se tournait vers lui  en toute humilité et dans la célébration cultuelle. On utilisait des images et des statues pour se le représenter, on lui construisait des temples.

Ce mouvement s'élevait contre l'exclusion de la religion des couches inférieures et contre le système des castes. Les brahmanes parvinrent, au moins partiellement, à opérer une certaine fusion entre les deux tendances, et essentiellement à fusionner les divinités. Plusieurs religions sont nées ainsi, qui ont connu un développement différent. Émergèrent essentiellement de ces querelles deux grandes divinités ; Vishnou et Shiva. Ces deux courants, le vishnouisme et le shivaïsme sont le produit  de la fusion d'au moins deux, peut-être trois courants de traditions anciennes. Un quatrième courant religieux se fit jour plus tard, au cours du Ier siècle après J.C. Il naît chez les tribus indigènes qui vivaient dans la jungle des plaines fluviales et des régions montagneuses, à l'écart  des sociétés  connues, et totalement en dehors du système des castes. Il ne sera progressivement reconnu par les autres religions de l'Inde que plus tard ; et ce processus n'est pas encore achevé. C'est le shaktisme, c'est-à-dire des cultes au cœur desquels prend place une déesse.

Un long travail d'intégration

Les Brahmanes jouèrent un rôle décisif dans la fusion progressive de ces courants de traditions qui s'étendent sur plus de mille ans. Ils furent en même temps les principaux représentants des sciences naissantes, surtout de la grammaire et de la philosophie, de la médecine, des mathématiques et de l'astronomie, de l'économie et de la politique, ainsi que du droit civil et du droit religieux. Ce qui aboutit à six "visions" (darshana) ou systèmes philosophico-théologiques, rangés par couples.

Dans tous ces systèmes, il en va de l'interprétation du monde et du but suprême de l'homme, de sa délivrance, et ils cherchent  tous à  atteindre cet objectif par la connaissance. La connaissance est moyen de libération du cycle des renaissances, l'état ultime étant conçu, soit comme l'accession au repos parfait de l'âme individuelle, soit comme le dépassement de la distance entre conscience individuelle et conscience absolue.

Les objectif sont similaires, mais le point de départ est différent dans chacun de ces systèmes. L'un cherche à connaître les causes qui président à la construction du monde. L'autre cherche surtout à percer à jour les composants de la matière et les lois qui l'habitent. Le yoga s'intéresse surtout à l'homme et à sa connaissance. Il veut initier à la connaissance de soi et à la faculté de concentration  pour surmonter tous les obstacles d'origine corporelle auxquels se heurte l'esprit. Le vedanta, lui, reprend et développe les enseignements philosophiques des Upanisads de la relation entre l'âme  individuelle et l'absolu. Chez nous, en Occident, on a surtout célébré, outre le yoga, les subtiles constructions intellectuelles du vedanta.  Dans ces trois religions, Shivaïsme, Vishnouise et haktisme, il y a eu, par moments, de forts mouvements de réforme sociale et une élaboration continue de la théologie et de la doctrine de la délivrance.

La rencontre avec l'islam et le christianisme - le néo-hindouisme.

La rencontre avec l'islam, puis celle avec le christianisme ont finalement donné un nouvel élan à l'hindouisme. La mystique islamiste est peut-être même à l'origine de certaines formes de pensée indienne. Au XVIe siècle,  Guru Nanak est le fondateur de la communauté religieuse des sikhs. Le mot veut dire élève, disciple, qui va essayer de combiner en une synthèse créatrice des éléments de l'islam et des éléments de la tradition religieuse indienne. L'attitude hostile des musulmans réduira considérablement l'efficacité de ces efforts.

Dans le christianisme notamment dans le Sermon sur la montagne, les Indiens ont retrouvé  des éléments de leur propre foi. L'idée d'incarnation ne leur était pas étrangère ; aussi n'ont-ils pas élevé d'objections contre la prétention à la divinité de Jésus. Selon un texte apocryphe, les Actes de Thomas, qui date de la fin du IIe siècle, l'apôtre Thomas aurait été  emmené  en Inde comme esclave ; il aurait annoncé l'évangile en diverses régions de l'Inde, y serait mort martyr. On trouve trace, très tôt, de communautés chrétiennes. Dès l'an 179, un missionnaire y est envoyé par l'évêque d'Alexandrie. Et au Kerala, il semble y avoir eu, au plus tard au IVe siècle, des chrétiens dont les descendants se disaient les chrétiens de Thomas..

La création des comptoirs de l'Inde et l'expansion coloniale à partir de 1600 amenèrent dans diverses régions de l'Inde des chrétiens européens et des missionnaires chrétiens. Le christianisme se trouve donc associé, pendant plusieurs siècles, à la domination étrangère, à la répression sociale et à l'exploitation économique. Le contact avec l'Occident sur place, notamment les étudiants qui fréquentaient les universités, permit aux élites de se rendre compte du décalage qui existait entre l'idéal chrétien et la réalité. Cependant le christianisme européen pouvait communiquer aussi des impulsions nouvelles : rejet du polythéisme, prise de conscience des injustices sociales, remise en question du système des castes. On assista à la reprise des idéaux chrétiens, comme l'amour du prochain. La science européenne permit aux Indiens une prise de conscience plus profonde de leur identité et d'un retour à des valeurs que des siècles de domination islamique et européenne avaient ensevelies pour une bonne part. Il en résulta une série de mouvements réformateurs : c'est ce qu'on appelle le néo-hindouisme.

Tous ces mouvements ont en commun une visée universaliste, qui voit dans les fondateurs d'autres religions, comme Jésus, Mohamed ou le Bouddha, des incarnations de l'unique divinité.

Le mois prochain, nous essaierons de porter un regard chrétien sur l'hindouisme.

Prochain article : début octobre.

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