THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

            

 
     Cette année 2012 : 

 Un dialogue interreligieux

 

TOUTES LES RELIGIONS SE VALENT", disent les gens. Par contre, toutes les religions déclarent qu'elles ont la vérité et qu'hors de leur croyance, il n'y a pas de salut. Chacune d'elles revendique le droit d'être seule capable de répondre aux grandes aspirations de l'homme. Et bien souvent, chacune d'elles s'enferme dans sa tour d'ivoire et refuse de s'intéresser aux autres.

Que je sois chrétien ou non, quelle est mon attitude à l'égard des autres religions ? Question d'actualité en ces temps où notre monde ressemble à un petit "village planétaire".

Je ne peux pas ignorer plus longtemps mon voisin. Ce sera donc l'objet de notre recherche cette année : d'une part explorer quelques-unes des grandes religions, leur origine et leurs croyances, et d'autre part essayer de nous situer en chr10tien par rapport à ces religions.

 

10e Séquence : L'hindouisme et le christianisme (2)
(octobre 2012)

L'hindouisme : voilà un système religieux ouvert, qui ne cesse de croître, une unité vivante dans une étonnante diversité de conceptions, de formes, de rites. Et tout cela sans Église, sans doctrine s'imposant à tous, avec pourtant, une continuité ininterrompue et une incroyable vitalité. Le but auquel tendent les formes les plus diverses de l'ascèse et de la méditation est la délivrance de l'ignorance du paraître par la connaissance de l'unique réalité véritable : la libération du cycle des renaissances par une accession au repos du moi ou son union avec l'absolu. Mais on mettra pourtant un bémol à ces affirmations ; ce n'est pas depuis toujours qu'une totale absence de préjugés a présidé à notre façon de considérer la religion indienne.

La découverte de l'Inde.

Dès le Ve siècle avant Jésus-Christ, les contacts ont été nombreux entre Grecs et Indiens. On note des ressemblances étonnantes entre l'enseignement des Upanishads sur la nature de la réalité et celui des premiers métaphysiciens. Puis, au IVe siècle, il y eut l'expédition d'Alexandre le Grand, jusqu'en Afghanistan et en Inde, d'où un réel échange culturel entre l'Inde et le monde occidental.

Au IIe siècle de notre ère, on sait qu'il y eut des contacts entre l'Inde et le jeune christianisme, surtout entre l'Inde et Alexandrie. Mais on ne sait pas grand chose de ces contacts. D'autres traditions rapportent qu'au IIIe siècle, des communautés chrétiennes existent dans le sud-ouest de l'Inde, qui se réclament du patronage de saint Thomas, qui en serait le fondateur.

C'est seulement depuis l'époque moderne européenne que nous disposons d'informations scientifiquement valables sur l'Inde. Ceci grâce aux missionnaires qui, à partir du XVIe siècle, viennent évangéliser les Indiens ; des franciscains, des dominicains, et surtout des jésuites. Notamment le P. de Nobili. Les premières grammaires sanskrites furent publiées par des jésuites.

Mais c'est surtout au XIXe siècle que philosophes et archéologue s’intéressent aux religions de l'Inde. C'est à cette époque qu'on distingue le bouddhisme et l'hindouisme. Il faudra en arriver au XXe siècle pour qu'aient enfin lieu des études plus approfondies, capables de comparer sérieusement la religion et la philosophie indienne avec la pensée européenne. Après que Rome eut définitivement mis fin aux stratégie d'adaptation du P. de Nobili, il faut attendre le début du XXe siècle pour que l'on tente enfin une approche plus compréhensive des religions hindoues. Les premiers pas vers un authentique dialogue entre hindouisme et christianisme furent le fait de Jules Monchanin et Henri Le Saulx, avant les approches plus intensives de Mère Teresa et du Père Ceyrac. Les documents du concile Vatican II sont là pour approuver et conforter leur démarche si importante. La théologie chrétienne en Inde a beaucoup fait, tant pour l'étude de l'hindouisme que pour la réflexion sur sa propre réflexion chrétienne.

La religion comme compensation

Il n'en demeure pas moins que nous, occidentaux, nous sentons désarmés face à la religiosité indienne vécue concrètement. Face à cette religiosité débordante, certes, mais en même temps face à la misère indescriptible des masses de populations dans les villes et villages indiens. 60% d'analphabètes, n40% vivant en dessous du seuil de pauvreté, en dépit d'une classe moyenne de plus en plus nombreuse. On est alors tenté de prendre ses distances par rapport à ces phénomènes ; on se souvient de la critique européenne de la religion, de Feuerbach pour qui la religion n'est qu'une expression de l'homme aliéné, de Karl Marx pour qui elle est l'opium du peuple exploité et misérable.

Hegel appelait l'Inde « le pays du désir ». Mais vint alors le dur jugement critique selon lequel dans cette religion la superstition donne libre cours à une imagination débridée. Ce jugement est injuste, mais il est encore aujourd'hui celui des communistes indiens. Dire que cette religion est un opium, c'est la décrire comme une compensation, comme consolation. En fait, la religion peut être opium, mais elle ne l'est pas nécessairement. Elle peut être une consolation dans la misère, mais aussi une protestation contre la misère. C'est ce qu'ont montré en Inde les réformateurs hindous qui, pour des motifs religieux (souvent sous influence chrétienne) se sont élevés contre les injustices sociales et ont remis en question le système des castes. Par ailleurs, la religion comporte, comme toute foi, toute espérance et tout amour humain, une part de projection . Mais réduire la religion à une projection est une affirmation gratuite.

Nouvelle nostalgie de l'Inde ?

Et voici que s'impose à nous aujourd'hui le fait d'un nouvel enthousiasme pour l'Inde et la religiosité indienne. De nouveaux mouvements religieux naissent dans le monde occidental. Au vu d'innombrables pèlerins occidentaux dans les ashrams indiens et des swamis indiens réunissant d'importantes communautés en Europe ou en Amérique, on peut craindre que la mission chrétienne en Asie soit en train de céder la place à une mission asiatique en Europe. Voir les nouveaux mouvements tels que Shri Aurobindo ou Méditation transcendantale.

Les nouveaux passionnés de l'Inde ne s'intéressent que très peu aux écrits classiques ; ils n'étudient pas le sanskrit . Ils s'accrochent à l'autorité spirituelle d'un gourou ; ils cherchent la vérité en s'aidant souvent d'expériences vécues dans l'ivresse. Ce qu'ils cherchent : un autre but à donner à la vie, d'autres styles de vie. Signes annonciateurs d'une ère post-matérialiste ?

La religion chrétienne institutionnalisée est la victime de la crise religieuse actuelle. La religiosité n'a pas disparu, mais elle s'est bien évanouie des grandes institutions ecclésiales, bureaucratisées à l'excès, qui ne représentent plus guère que leurs propres intérêts ; les festivals ecclésiastiques ne sauraient faire illusion sur le sérieux de la situation. On remet en question le monopole auquel prétendent les grandes Eglises en matière de religion. Nous nous trouvons face au phénomène d'une diffusion du religieux. D'où une pluralisation croissante de la vie religieuse.

Que cherchent les adeptes des nouvelles religions ? Trois motivations apparaissent :
- la recherche d'une expérience intense de soi et du pouvoir transformant du sacré.
- la recherche d'une communauté qui soutient.
- la recherche d'un charisme authentique chez les représentants religieux, et de fraternité chez les autres dévots.

La vie alter-native (étymologiquement : autrement née), se demandent-ils, n'est-elle pas située dans l'espace de la religiosité indienne ? Ne trouve-t-on pas mieux dans le contexte hindou que dans le contexte chrétien l'expérience de soi et l'accomplissement de soi recherchés ? Ne peut-on pas faire ainsi, d'une façon toute nouvelle, l'expérience de l'absolu, du mystique ?

Qu'est-ce que l'expérience mystique ?

Les stars de ma musique pop et du cinéma, comme certaines têtes couronnées et des intellectuels occidentaux renommés fréquentent les gourous et les ashrams indiens. Certains scientifiques prétendent avoir fait de véritables expériences mystiques en Inde . Et au fond, la religion n'est-elle pas effectivement, avant toute doctrine, toute morale, tous les rites, une expérience religieuse. Et l'expérience religieuse la plus haute n'est-elle pas l'expérience mystique ? Cette expérience paraît particulièrement chez elle en Inde, plus que partout ailleurs. Dans le christianisme, on a toujours suspecté les écrits mystiques, ceux de maître Eckhart come ceux de Thérèse d'Avila et de saint Jean de la Croix. De grands théologiens, catholiques et protestants ont reproché à cette expérience mystique une identification hybride avec Dieu. On les a qualifiés de panthéistes, de manichéens. Dans l'hindouisme au contraire, au centre même de la doctrine hindoue orthodoxe, la mystique a sa place reconnue. Elle n'est pas seulement, comme chez les chrétiens, un enrichissement, un plus, mais elle constitue l'être même de la religion.

D'éminents philosophes de la religion hindoue pensent que l'expérience mystique est la même en Orient et en Occident, qu'elle est fondamentalement la même partout. La discussion apparaît sans fin à ce sujet. Particulièrement depuis qu'Aldous Huxlex (le meilleur des mondes, 1932) ait annoncé un monde où tout serait parfaitement organisé. Il rapporte des expériences mystiques sous drogue qui s'apparenteraient aux plus hautes expériences mystiques des religions : la vision béatifique des chrétiens. Certains le pensent, comme lui : pas de différence. D'autres, au contraire, critiquent violemment cette pensée. L'expérience mystique d'un yogin indien n'est pas la même que celle d'un poète soufi persan ou d'un moine du Moyen Age. Il y a une différence essentielle entre uns mystique sacrale et une mystique séculière, qu'elle soit produite par des drogues ou par d'autres moyens.

Alors, y a-t-il une seule expérience mystique ou y en a-t-il plusieurs ? Le problème est complexe. Les difficultés viennent de ce que « mystique » est un terme extrêmement vague.

Toute mystique est-elle religieuse ?

Une chose du moins est claire : le mot « mystique » vient du grec myein, qui signifie « fermer » (la bouche). Les mystères sont des secrets, des doctrines, des cultes secrets. Est donc mystique toute expression religieuse qui reste bouche close. On impose le silence à ceux qui veulent approcher le mystère. Eloignement du monde, rentrée en soi-même, unité immédiate avec l'absolu, telles sont les caractéristiques de la mystique. On peut donc définir l'expérience mystique, d'une façon générale, comme une expérience immédiate et intuitive d'unité, comme une intuition d'une grande unité qui supprime la coupure sujet-objet. On peut y parvenir avec la drogue, bien sûr. Mais de telles expériences, qu'ont-elles à faire avec la religion ? Toute expérience immédiate-intuitive d'unité n'est pas automatiquement religieuse. Alors...

L'expérience mystique unique existe-t-elle ?

Il n'y a pas d'expérience religieuse valable sans son interprétation. Pas une interprétation après coup, mais dans l'instant, à travers une interprétation humaine. Saint Thomas : « Quidquid recipitur admodum recipientis recipitur » : ce qui est reçu est reçu à la façon de celui qui reçoit.

Toute expérience religieuse comporte donc dès l'abord des éléments d'interprétation. Comme disait Kant : une expérience sans interprétation est aveugle, une interprétation sans expérience est vide. On peut ainsi souligner trois points à propos de l'expérience mystique dans les différentes religions:
- Entre toutes, il y a quelque chose de commun : des expériences semblables. Le but est l'unité, la délivrance, et le chemin passe par la purification, l'illumination et l'union.
- Mais entre les expériences mystiques dans les différentes religions apparaissent des traits apparemment inconciliables ; notamment entre mystique impersonnelle et mystique personnaliste-théiste.
- Pourtant, il y a une certaine unité dans la diversité. Une unité différenciée entre expériences mystiques différemment structurées de l'intérieur, mais n'en présentant pas moins des traits communs, ce qui permet une communication même entre religions très différentes.

Religion mystique et religion prophétique.

Il est important de mettre en lumière la différence entre religion mystique et religion prophétique. Les religions mystiques, d'origine indienne et les religions prophétiques, d'origine sémitique.

D'un côté la religion mystique, née en Inde, est une expérience de l'unité obtenue à partir de la pratique méditative immédiate, qui doit permettre à l'homme d'atteindre une autodélivrance de l'ignorance par le savoir . De l'autre côté, issue de la religion primitive de tribus nomades, nous avons la religion prophétique, telle qu'elle a émergé vers 1200 avant J.C. : c'est la religion mosaïque de Jahvé. Comme les patriarches, Moïse est d'abord dépositaire d'une révélation, leader inspiré d'un groupe de nomades qui s'associe autour de sa nouvelle religion et cherche à faire passer dans la réalité la promesse qui lui a été faite de la possession de la terre. C'est sous le signe de cette nouvelle religion que se fait la sortie d'Egypte. Le succès de l'entreprise tient particulièrement à la libération de l'esclavage en Egypte. La religion monothéiste de Jahvé s'incarna dans les prophètes d'Israël, puis, d'une façon singulière, en Jésus, le Christ ; puis plus tard, en Mohamed.

La religion mystique n'est pas une forme dégénérée de la religion prophétique, pas plus que la religion prophétique ne doit être ramenée à la religion mystique qui serait la véritable religion.

L'expérience fondamentale de la piété mystique est la négation de la puissance vitale, un renoncement et un dé-devenir de l'homme, un abandon à l'infini, dont l'apogée est le nirvana. La piété mystique est donc essentiellement tournée vers l'intérieur ; elle cherche à se libérer des désirs, à éteindre la vie affective et volontaire.

L'expérience fondamentale de la piété prophétique se caractérise, en revanche, par un puissant vouloir-vivre : un besoin d'affirmation, une emprise de la valeur et des tâches. La piété prophétique est donc dès l'abord tournée vers l'extérieur, elle se confronte au monde et entend s'imposer dans le monde. Les émotions ne sont donc pas réprimées, mais suscitées. Le vouloir vivre s'affirme et veut triompher même dans l'échec le plus complet. Seuls quelques uns de ses adeptes ont des expériences d'ordre mystiques. De Jésus lui-même ne nous sont rapportés que deux états visionnaires. Pour Paul, les plus hauts charismes sont la foi, l'espérance et l'amour, et non pas le parler-en-langues et autres phénomènes plus ou moins extatiques.

Interpénétration mutuelle

Comment peut-on en arriver, se demandera-t-on, à une interpénétration mutuelle précisément entre les deux types fondamentaux de religions, la prophétique et la mystique ? Le fondement commun ne fait-il pas défaut ? Dans les faits, une telle interpénétration est intervenue depuis longtemps : dans la vie concrète, à l'intérieur de l'unique grande histoire religieuse de l'humanité, on retrouve toutes les formes d'hybrides imaginables.

Il nous faut, certes, éviter les harmonisations. Jésus n'était pas un mystique. Pas plus que Luther et tant d'autres qui se réclament du message de Jésus. La mystique n'est pas originellement chrétienne. Mais les exclusivismes sont tout aussi fallacieux. On ne peut pas parler, sur ce point, d'oppositions entre christianisme et hindouisme. Les oppositions passent aussi à l'intérieur du christianisme et à l'intérieur de l'hindouisme eux-mêmes.

En fait, nous constatons des croisements, des interpénétrations entre les deux types fondamentaux de religions. C'est un signe de faiblesse et de peur quand une religion se recroqueville et s'isole, et inversement un signe de force quand elle se montre capable d'apprendre d'une autre, tout en faisant preuve d'esprit critique. Il s'agit donc d'en arriver à une reconnaissance des autres religions comme partenaires de dialogue égaux et dignité et en droit.

Jusqu'ici la théologie disait que tout ce qu'il y a de bien et de vrai dans les autres religions est en réalité imputable au christianisme, que l'hindou, dans la mesure où il mène une vie moralement pure et où il cherche authentiquement Dieu, est un « chrétien anonyme » ; en revanche, un authentique pluralisme reconnaît non seulement l'existence de plusieurs religions dans leur diversité, mais les voit habitées par une égale valeur intérieure. « Il s'agit de réaliser l'impossible, de lever la contradiction entre la prétention totalitaire d'une religion qui se veut la seule authentique et une acceptation du pluralisme religieux » écrit Ignatius Puthiadam, un théologien jésuite indien.

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