THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

             
 

    Cette année 2011 : 

 

Quelques grandes mutations (suite)

 


L'année dernière, nous avons parcouru à grandes enjambées quinze siècles de l'histoire de l'Eglise. Quelques dates ont retenu particulièrement notre attention. Il a fallu que notre Eglise sorte de l'Eglise juive et prenne son autonomie ; il y eut des hérésies, un long divorce entre Orient et Occident, et des réformes, plus ou moins importantes, plus ou moins efficaces. Il y eut enfin la Réforme protestante qui entraîna une considérable séparation entre disciples d'un même Jésus Christ. J'ai essayé de présenter cela de manière positive : à travers ces bouleversements et ces drames, l'Eglise de Jésus Christ, non seulement n'a pas disparu, mais, au contraire, s'est transformée et à gagné en  qualité. Cette année, partant de ce début du XVIe siècle, nous cheminerons jusqu'à notre époque, à travers les vicissitudes et tous les aléas d'une histoire parfois tragique, et parfois glorieuse. Je vous le disais l'an dernier, notre histoire ne fut jamais "un long fleuve tranquille". C'est d'ailleurs le destin terrestre de tout ce qui est vivant. En attendant ce que Teilhard de Chardin nommait le "point oméga."

 

2e séquence : Le renouveau du XVIIe siècle.
(février 2011)

 

Le Grand Siècle des âmes.

Les soixante premières années du XVIIe siècle marquent pour l'Eglise un temps fort, une époque d'une beauté et d'une fécondité rares. Une ère de jeunesse, un éclatant renouveau. Il y eut alors Monsieur Vincent, dont nous reparlerons, bien sûr. Mais à la même époque, vivent et travaillent , par dizaines, de nombreux prêtres qui, pour être moins célèbres, n'en furent pas moins efficaces. Des vies tout ordonnées à Dieu, qui ont laissé des œuvres dont le seul but était de faire avancer le Royaume. Il est peu de siècles qui en ont tant compté.

4 décembre 1563 : fin du concile de Trente. Les instructions du Concile, il fallait les faire passer dans la vie de l'Eglise, donner force de loi aux décrets et surtout pénétrer les esprits et les cœurs de l'esprit nouveau. Bref, mettre en pratique la réforme catholique dont nous parlions le mois dernier. En Italie, grâce à saint Charles Borromée, on s'y était mis immédiatement. Mais ensuite, elle avait marqué un temps d'arrêt. En Allemagne une guerre atroce de trente ans avait empêché presque totalement les efforts de renouveau. En Angleterre, l'église "papiste" avait à se défendre contre le pouvoir royal. Et l'Espagne n'a plus Ignace de Loyola, Thérèse d'Avila ni Jean de la Croix. Elle n'a plus que des théologiens, pas des pasteurs. C'est la France qui va prendre la relève. Elle est en train de sortir des guerres de religion où les catholiques et les protestants se sont entr'égorgés. Grâce, en partie, à Henri IV, l'Eglise va devenir le flambeau qui rayonne sur le monde chrétien.

Certes, la situation sociale n'est pas brillante, loin de là. Il y a la France des duels et des romans d'amour, mais les villes grouillent de mendiants, les enfants illégitimes sont abandonnés par centaines dans les rues ; et même l'Assemblée du clergé, considérablement gallicane, a eu du mal à promulguer les décrets du concile (en 1615 seulement) alors que le parlement comme l'Etat ont refusé de les enregistrer. Pourtant c'est la France qui, pendant cinquante ans, va être à la tête de la Réforme catholique. Les fidèles ne sont pas meilleurs que ceux des autres nations ; il y a autant d'abus et de scandales qu'ailleurs. Cependant la foi se renouvelle, la charité s'affirme en œuvres innombrables. Et surtout, est en train de naître un véritable climat de sainteté. Cela ne vient pas d'en-haut, et surtout pas de l'Assemblée du clergé. Voici que surgissent des équipes d'hommes et de femmes qui veulent, par toute leur vie, porter un témoignage et faire rayonner la Parole. Pourquoi sont-ils si nombreux ? On ne sait. Pourtant, voilà que cette première moitié du XVIIe siècle est authentiquement "le Grand Siècle des âmes." La France est alors la patrie des saints (27 saints et saintes canonisés sur ces cinquante ans).

 Le fait qui domine tout, c'est le jaillissement spirituel prodigieux de l'époque. Il a fallu 11 tomes in-octavo à Henri Brémond ("Histoire littéraire du sentiment religieux") pour en rendre compte. Aucune époque de toute l'histoire de l'Eglise n'a compté autant de hauts spirituels et de mystiques. La source avait jailli de l'Espagne à la période immédiatement précédente ("Bien sais-je la source qui jaillit et luit..." avait chanté saint Jean de la Croix). Deux grands courants, celui de la spiritualité ignacienne relayée par les Jésuites,  et celui, plus mystique, du Carmel, avaient envahi la France. "Invasion mystique", écrit Henri Brémond. (C'est à Montmartre que saint Ignace de Loyola lance la Compagnie de Jésus en 1537).

Les deux courants vont prospérer en France. Les méthodes jésuites y sont répandues. Très nombreux sont les chrétiens qui vont pratiquer les Exercices spirituels de saint Ignace. Bérulle est l'un des plus célèbres disciples de saint Ignace. Il en est de même pour les Carmes. Le mystique Jean de Saint-Samson sera surnommé "le Jean de la Croix français".

Ce courants venus d'Espagne vont être modifiés en France. La spiritualité française sera plus modeste, et on garde les deux pieds sur terre. Le plus mystique, le cardinal de Bérulle, voue une grande admiration à Descartes et le prie de mettre au service de la religion une philosophie raisonnable. Il reste difficile de s'y retrouver dans la foule immense des spirituels de ces soixante premières années du XVIIe siècle. On peut y distinguer deux grands axes : celui de l'humanisme dévot et celui de l'Ecole française. Tous deux ont en commun la conviction que Dieu n'est pas une idée, mais une Personne ; et donc, ce qui compte, c'est d'établir un rapport interpersonnel avec Dieu, pour s'unir avec lui. Seuls diffèrent les moyens pour y parvenir.

L'humanisme dévot

C'est saint François de Sales. Le point de départ de sa pensée, c'est l'homme : "Je suis tant homme que rien de plus", écrit-il. Rien d'humain ne lui est étranger. Et pour lui, l'humanité est belle, parce qu'elle a été consacrée. Il faut que l'homme redresse la tête et regarde vers la lumière. Dans un effort quotidien, "en filant le fil des petites vertus". Il s'agit de se vouer à Dieu, d'où l'appellation de vie "dévote", la vie de celui qui se tourne tout entier vers Dieu. François de Sales est l'héritier d'Erasme, de tout un courant d'humanisme qui a débuté avec la Renaissance. Un humanisme qui n'est pas réservé à une élite intellectuelle, mais qui s'adresse à tout le monde, met la vie intérieure à la portée de tous. Dans son livre, l'Introduction à la vie dévote, François de Sales s'adresse, non plus aux religieuses et aux personnes consacrées, mais à tout le monde : "dans la compagnie des soldats, dans la boutique des artisans, dans le ménage des gens mariés."

L'influence de l'œuvre de saint François de Sales sera immédiatement considérable. Ses intuitions sont reprises, entre autres, par le Père Coton, confesseur du roi, par Jean-Pierre Camus, évêque de Belley ; par des franciscains, par Marie de l'Incarnation, une religieuse ursuline, puis par saint Vincent de Paul, par monsieur Olier et chez Bérulle lui-même. Une simple citation : "L'homme est vraiment un grand miracle : c'est le mélange le plus parfait et le plus admirable qui soit en la nature ; il semble que Dieu ait voulu y faire un abrégé de ses œuvres." (Cardinal de Bérulle)

L'Ecole française.

Ellei a été remise en lumière par Henri Brémond après avoir été longtemps oubliée. C'est  elle qui a fondé durablement la spiritualité catholique jusqu'à nos jours. Elle place le Christ au centre de la vie chrétienne. Quatre grandes figures en sont les initiateurs. Et d'abord Bérulle. Un "homme vraiment illustre et recommandable, écrira Bossuet, à la dignité duquel j'ose dire que même la pourpre romaine n'a rien ajouté." Certes il s'est montré souvent "pesant, naïf, maladroit jusque dans ses finesses", bien souvent ennuyeux dans ses écrits, mais "quand son génie éclate, il dépasse tout."

A sa suite, on remarque Charles de Condren, son premier successeur à la tête de l'Oratoire que Bérulle avait fondé. "Fait pour enseigner les anges", écrit de lui, sainte Jeanne de Chantal. Son livre, l'Idée du sacerdoce et du sacrifice de Jésus-Christ contribuera à la formation des prêtres. Autre successeur, Jean-Jacques Olier . C'est lui qui fondera Saint Sulpice, église, séminaire, et association de prêtres (les sulpiciens) chargés de la formation des prêtres à Paris et dans quantité de diocèses, jusqu'à nos jours.  Enfin, il y a saint Jean Eudes, qui se lancera à corps perdu dans l'action, tout à la fois missionnaire, bâtisseur de séminaires, fondateur d'une congrégation. Même doctrine que les autres : "Jésus, soyez tout sur la terre, comme vous êtes dans le ciel."

Ces quatre hommes s'apparentent. Les routes qu'ils présentent aux chrétiens sont plus âpres que celle préconisée par François de Sales. Ils ne sont pas jansénistes, ils ne condamnent pas la nature humaine, mais ils pensent tout de même que l'homme est pétri de faiblesse et de misère. Et cependant "Qu'est-ce que l'homme ? Un néant capable de Dieu",  écrit Bérulle. Donc, commencer par reconnaître son néant. Le mystère de l'Incarnation les exalte tous. Par lui, l'humanité est sanctifiée. C'est  pourquoi, au centre de tout, il y a Jésus-Christ à qui il faut adhérer, a tel point qu'on pourra dire avec saint Paul "ce n'est pas moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi."

D'autres courants nombreux

Voilà les deux grands courants spirituels de l'époque. Mais à côté de ces écoles de spiritualité, on trouve d'autres courants, nombreux, foisonnants. Traités de théologie mystique, comme La Croix de Jésus, du P. Chardon, "La révolte des passions dans une âme avancée", de Marie de l'Incarnation, une ursuline qui partira pour le Canada, "L'Introduction à la vie spirituelle" du Père Joseph. Chez les Jésuites, quantité de religieux qui s'engagent dans les voies de la haute mystique. Le plus connu est le père Louis Lallemand. Il y a aussi des laïcs : un trésorier général, Jean de Bernière-Louvigny, écrit "Le Chrétien intérieur"...

Certes, tout n'est pas à accepter sans réserves. Comme dans toutes les périodes spirituellement très riches, il y a des excès, des déviations, peu compatibles avec la vraie religion. La "doctrine du pur amour" peut mener à se désintéresser du reste et conduire au quiétisme, une doctrine qui sera condamnée par l'Eglise, après avoir opposé Fénelon à Bossuet. Ce qui, aux dires des historiens, entraîna "le crépuscule des mystiques", la fin du mysticisme en France. Inspiré par les œuvres du prêtre espagnol Miguel de Molinos, le quiétisme visait à la perfection chrétienne, à un état de quiétude « passive » et confiante. En sens inverse, une insistance excessive à ne considérer que le néant de l'homme et sa misère risque d'amener à un profond pessimisme. Proche des grands spirituels dont je viens de parler, on trouve M. de Saint-Cyran qui va dévier vers le jansénisme, et la catholicité entière en sera déchirée. On en reparlera.

Réforme dans l'Episcopat.

A l'époque, c'est le pouvoir royal qui nomme tous les évêques. Le pape se contente de leur accorder l'investiture canonique. On comprend donc que, dans de telles circonstances, les évêques ne soient pas tous des modèles de piété. On pourrait écrire des livres entiers pour raconter les turpitudes du haut clergé de l'époque. Dans tous les domaines. Depuis les évêques qui ne pensent qu'à s'enrichir jusqu'à ceux qui passent leur temps en fêtes, en chasses, ceux qui entretiennent à la fois des favorites et des écuries de beaux chevaux ; sans parler de ceux qui sont nommés évêques à l'âge de cinq ans. Je n'insisterai pas sur ces cas, bien nombreux. La merveille, c'est qu'à la même époque, on trouve des évêques exemplaires, et même proprement des saints. Leurs caractéristiques : d'abord ils demeurent dans leur diocèse, ils visitent les paroisses, ils se soucient des pauvres, ils mènent une vie exemplaire. Progressivement, on va assister à un impressionnant renouvellement de l'épiscopat. Tous ils utilisent les mêmes moyens d'action : réunion de synodes diocésains pour étudier les problèmes et leur trouver des solutions ; installation de doyens à la tête des cantons pour surveiller de plus près les paroisses ; multiplication des missions paroissiales, et surtout création d'organismes ou d'institutions destinées à restaurer ce que M. de Bérulle appelle "l'état de prêtrise".

L'état de prêtrise.

A l'époque, le clergé est en crise. Une crise qui dure depuis longtemps et à laquelle, jusque là, le concile de Trente n'a pas pu apporter de remède valable. Saint Cyran s'écriera : "De dix mille prêtres, pas un !" Il exagère. Il y a de bons curés. Mais la multiplicité des témoignages sur les vices du clergé inquiète. Ainsi, le mandement d'un évêque  rappelle aux prêtres qu'ils doivent revêtir les habits liturgiques pour célébrer la messe, ne pas aller boire au cabaret, ni  danser avec les filles, non plus que de loger au presbytère des personnes suspectes. On note qu'au diocèse de Langres, 457 curés ne résident pas, et seulement 138 résident. L'évêque d'un diocèse pyrénéen déclare qu'il lui serait plus facile d'apprivoiser un ours que de contraindre les curés à la résidence. L'ignorance des prêtres est prodigieuse. A Bourdoise qui veut se faire prêtre, un bon homme répond : "il faut bien travailler, car c'est une belle chose quand un prêtre sait lire et écrire".  Ici, les gosses jouent aux billes pendant la messe, et ailleurs, l'évêque trouve, lors d'une visite d'inspection, le curé en train de faire sa cuisine dans l'église.

Le concile de Trente avait posé les principes d'une vraie restauration, prodigué d'excellents conseils, mais pas davantage. Pourtant à y regarder de près, on s'aperçoit qu'a existé à l'époque un réel bouillonnement de formules diverses destinées à refaire un vrai clergé. Il y eut des tâtonnements, des échecs, mais peu à peu, on commence à progresser. Ce grand travail eut de nombreux ouvriers. Quelques-uns célèbres. Et d'abord Bérulle qui, s'inspirant de l'exemple de Philippe Néri, crée en France l'Oratoire, "congrégation de prêtres de Jésus-Christ". Puis Adrien Bourdoise, curieux homme, rude et ferme, qui voit dans le système des communautés de prêtres la solution de tous les problèmes. Il en fonde une vingtaine dans différents diocèses. Puis il y a Vincent de Paul qui travaille longtemps à hausser le niveau spirituel et moral des prêtres, notamment en fondant des séminaires. Ceux-là sont les plus connus ; mais il y en a quantité d'autres, moins illustres ; des prêtres et même des laïcs, tel cet étonnant franc-comtois, Jacques Crétenet qui débarque à Lyon, se fait "maître d'oraison", lui qui est chirurgien de son état et père de famille. Il fonde une congrégation de prêtres missionnaires  et expédie ses disciples en Saône et Loire, où ils ne sont pas très bien accueillis. Lui-même se fera ordonner prêtre  une fois devenu veuf. Première tâche, la formation. avec des stages plus ou moins longs. Et des "conférences" - la formation permanente de l'époque - avec sujets proposés par l'évêque, travaillés par l'un ou l'autre des prêtres du doyenné, qui en donne en réunion la conférence suivie d'un débat.

Mais en même temps qu'on se soucie des prêtres déjà ordonnés, on pense aux futurs prêtres. Le concile de Trente a recommandé l'instauration de séminaires diocésains ; il en a même établi des plans précis. Les deux premiers séminaires ont vu le jour à Milan et à Reims (1567) En France, ce ne fut pas une réussite. De nombreux établissements, fondés notamment par les Oratoriens, végétèrent longtemps. Mais l'idée ne fut pas abandonnée. Ce n'est qu'à partir de 1641 que trois grands hommes de Dieu entrent en action : Vincent de Paul, Monsieur Olier et saint Jean Eudes : lazaristes, sulpiciens et eudistes vont ouvrir des séminaires qui connaîtront un succès durable. Les évêques ne marchent pas tous dans le mouvement ; certains ne veulent pas confier leurs futurs prêtres à des religieux venus d'ailleurs. Ainsi, à Besançon, Antoine-Pierre II de Grammont qui fondera un peu plus tard un séminaire diocésain avec, comme professeurs, des prêtres franc-comtois à qui il accorde un statut d'autogestion. Tous les séminaires ne sont pas une réussite, mais dans l'ensemble, on peut remarquer qu'ils produisent des générations de prêtres mieux instruits et plus dignes de leur mission ; et, bien plus qu'avant, véritables coopérateurs de l'évêque.

France, pays de mission

Le livre célèbre de l'abbé Godin date de 1943. Son titre avait fait choc. Mais il pourrait être le titre d'un livre de 1643. Car la France - pour ne pas dire l'Europe d'alors - est à rechristianiser. Des traditions survivent, mais la vie morale et spirituelle est bien dégradée. La violence et la débauche y sont partout étalées. D'où l'idée de la Mission. Il faut aller parler du Christ aux foules. Saint Philippe Néri a commencé à Rome, saint Pierre Canisius en Allemagne. Avec succès. L'idée va se répandre. Et d'abord avec Monsieur Vincent en France. C'est lui qui met le mot "Mission" à la mode. La méthode est simple. Les "missionnaires" se mettent en rapport avec l'évêque. Un doyenné leur est assigné. Ils y visiteront toutes les paroisses, l'une après l'autre, pendant quinze jours ou trois semaines, prêchant, catéchisant, rappelant les grandes vérités de la foi, et confessant. Souvent, l'évêque vient  lui-même sur les lieux pour donner la confirmation et présider à une communion générale. Puis on repart dans un autre doyenné. Il peut arriver certaines résistances de la part du clergé, mais en général, la masse des fidèles est sympathique et accueillante.

Monsieur Vincent a popularisé l'idée, le nom et la méthode. Ses disciples lazaristes se nomment les Prêtres de la Mission. Mais ils ne sont pas les seuls. Jean Eudes en Normandie, et Monsieur Olier, fondateur de Saint Sulpice sont aussi de remarquables missionnaires. Beaucoup d'évêques s'en mêlent. Louis XIII donne de l'argent pour financer les missions. Les Jésuites ont leurs missionnaires et en Languedoc, sur les terres protestantes, ce sont les Capucins. En Lorraine, on trouve saint Pierre Fourier et dans le Vivarais, saint François Régis. Les résultats seront incontestables. Les études sociologiques menées de nos jours démontrent que les régions qui sont demeurées les plus chrétiennes au début du XXIe siècle sont exactement celles où, il y a près de quatre siècles ont le plus travaillé les missionnaires.

C'est comme un "printemps des âmes" que survient la première moitié du XVIIe siècle. Non seulement par un renouveau de la foi, mais également par la naissance d'œuvres de charité innombrables. Il y a d'abord Monsieur Vincent. Il est la charité incarnée. Lui, ses disciples les Lazaristes, et ses amies, les Filles de la Charité. Monsieur Vincent n'est pas seul. Il faut dire que l'époque est terrible : guerres, épidémies, famines, mendiants, lépreux... La plupart des grandes villes créent des "Hôpitaux de la Charité." Des congrégations religieuses naissent alors pour s'en occuper. Les frères de saint Jean de Dieu, les Camilliens, les hospitalières de la Charité Notre-Dame, et des centaines d'autres congrégations. Il n'y a pas que les malades : il y a la pauvreté extrême, la misère. Monsieur Vincent, là aussi, a montré l'exemple. On trouve à Dijon les Hospitalières  du Saint-Esprit qui ouvrent un centre d'accueil. Les Jésuites font de même un peu partout ; François Régis lance son "Œuvre du bouillon", sorte de Resto du coeur. Les messieurs de Port Royal n'ont pas l'âme moins charitable, et Pascal, sentant approcher la mort, installe chez lui un miséreux. C'est également à cette époque que naît le Bon Pasteur qui s'occupera des prostituées...

Troisième chantier : l'enseignement. Le concile de Trente a fait obligation aux évêques et aux prêtres de prendre le plus grand soin de l'enseignement. D'où un mouvement d'expansion pédagogique remarquable. "Je crois qu'un prêtre qui aurait la science des saints se ferait maître d'école, et par là se ferait canoniser", écrivait M. Bourdoise, qui ajoutait "L'instruction de l'enfance, voici le plus pressant travail." C'est l'époque d'une prolifération d'initiatives. Les jésuites créent quarante collèges en sept ans. Les Oratoriens en fondent vingt-trois en vingt-deux ans. Sans parler des Dominicains, des Bénédictins, les Dames de Saint Maur, les Ursulines. Elles se comptent par centaines, les nouvelles écoles qui ouvrent Ce qui donne, malgré les écueils, des résultats bien appréciables. En 1654 paraît "l'Ecole paroissiale" dont l'auteur signe "B. prêtre indigne", qui est, paraît-il, un livre pédagogique remarquable. L'auteur y préconise d'apprendre à lire en latin, avant d'apprendre à lire en français. Ce qui a le don d'éveiller ma curiosité. Les "petites écoles" de Port-Royal poussent l'austérité à un degré incroyable, mais lancent une innovation d'avenir : le français est considéré comme matière d'enseignement. C'est là que Racine se forme. Les filles ne sont pas négligées. Certes la formation pratique, couture et cuisine, est à l'honneur, mais on y enseigne aussi le latin et le grec, et même un peu de philosophie... avec uns stricte discipline, moyennant le martinet.

La vie des âmes

Difficile à décrire, le renouveau qui s'est alors produit. Pourtant, beaucoup d'usages, de dévotions, de pratiques, de prières, ont fleuri à l'époque et sont parvenues jusqu'à nous. On remarque en premier lieu ce qui est le plus facilement remarquable : l'amélioration des mœurs. La violence a presque disparu des usages. La famille a retrouvé sa dignité et le respect dont on l'environne. La foi, en se ranimant, est en train de transformer la vie. Quelques signes : la communion devient plus fréquente : deux ou trois fois par mois. Sainte Marguerite Marie , un peu plus tard, généralisera la "communion du premier vendredi du mois". S'affirme également, à l'époque, le sens du péché et de la pénitence. Autre signe tangible : la lecture pieuse. Nombreux sont les livres religieux qui sont des succès de librairie. La Bible, notamment les psaumes. Et quantité de "vies de saints". Sans parler du best seller qu'est l'Imitation de Jésus-Christ. Et de l'Introduction à la vie dévote, de saint François de Sales, qui très rapidement sera traduite en dix-sept langues. Je ne parle pas des livres de prières, qui foisonnent. C'est également l'époque où naissent et fleurissent tant de dévotions : les quarante heures, l'adoration perpétuelle... et les livres de messe. C'est aussi le temps où prend naissance la pratique des "retraites" : huit ou dix jours durant, on fait silence, on médite, on prie, on parle avec un directeur de conscience, le tout se terminant par une confession  générale et la communion.

Hélas !

J'ai tracé de cette période de l'histoire de l'Eglise un tableau certainement trop idyllique. Et beaucoup trop fragmentaire. D'abord parce que je n'ai parlé que de la France. Mais surtout parce que je n'ai pas parlé de ce qui ne va pas, à cette époque-là. Je signale quelques-unes de ces malfaçons. D'abord, rien n'a été fait pour mettre fin au régime des bénéfices, à la commende, à l'influence désastreuse des pouvoirs laïcs sur les nominations. Autre grave difficulté : l'antagonisme des prêtres séculiers et des religieux, comme entre les ordres religieux et les évêques. Avalanche de procès entre tous ces divers membres du clergé. Et, au lieu d'y mettre fin, l'autorité pontificale qui joue les uns contre les autres, les réguliers contre les évêques. Enfin, c'est l'époque où fleurissent deux grandes crises doctrinales, celle du jansénisme et celle du gallicanisme. On on reparlera. En tout cas, cela explique l'échec partiel de la réforme ou, en tout cas, la lenteur que mettent les idées nouvelles à conquérir le terrain. D'autant plus que Rome a eu tendance à ne répondre que par des condamnations à ces erreurs doctrinales. Dernière déficience : la crise de l'esprit qui commence. On en arrivera bientôt à l'affaire Galilée. Rome est en train de perdre "la direction du monde" à laquelle le pape prétendait depuis des siècles. Il n'a pas de réponse valable aux grandes questions qui angoissent les hommes.

A la fin

Et voilà qu'à partir de 1660, s'amorce un grand tournant, dans tous les domaines. Pas seulement en musique, en architecture, en peinture, mais même en économie. C'est le début du règne personnel de Louis XIV. En 1661, à la mort de Mazarin, il a vingt-deux ans. Il va gouverner par lui-même, pendant 54 ans. Il annonce sa volonté "d'être à l'avenir son premier ministre."

Le Siècle de Louis XIV, le "Grand Siècle" ? Monsieur Vincent est mort en 1660, Monsieur Olier en 1657, et Pascal meurt en 1662. Toutes ces disparitions sont des signes. Des très grande figures qui ont mené l'Eglise dans son admirable effort de renouveau, bien peu survivent. D'ailleurs, le climat change. Le jeune roi délaisse son épouse pour des maîtresses assez nombreuses. La cour imite le modèle royal. Les "libertins" relèvent la tête. Et l'Eglise ? Un biographe de Monsieur Vincent écrit : "Le sacerdoce est sans honneur... après tant d'efforts ! Les prêtres sont nombreux qui se conduisent, sinon très mal, du moins de façon très profane." Et pour contraindre à la résidence les chanoines de son diocèse , Bossuet va jusqu'à les menacer de la prison. Chez les religieux, il en va de même. Le jeune prince de Conti n'a que treize ans quand il est nommé abbé de Cluny !

On ouvre de moins en moins de collèges. L'athéisme progresse. Et en 1669 Molière est autorisé à jouer Le Tartuffe, caricature des faux dévots et, par ricocher, de la vraie dévotion. Mais je ne voudrais pas noircir le tableau. Le "Grand Siècle" qui prolonge ce qu'on a appelé "le Grand siècle des âmes" verra s'épanouir, particulièrement dans cette deuxième moitié du XVIIe siècle Bossuet et Fénelon, Bourdaloue et l'abbé de Rancé, saint Jean-Baptiste de la Salle et Grignon de Montfort. Pourtant, en même temps, on verra la division entre catholiques : jésuites contre jansénistes, gallicans contre romains, Bossuet contre Fénelon ; ainsi que le triomphe de l'intolérance, l'avènement de la libre pensée. Le siècle de Louis XIV s'ouvre, mais le "Grand Siècle des âmes" s'achève. Ainsi va l'histoire...

(La suite, début mars)

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