THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

             
 
    Cette année 2011 : 

 Quelques grandes mutations (suite)

 


L'année dernière, nous avons parcouru à grandes enjambées quinze siècles de l'histoire de l'Eglise. Quelques dates ont retenu particulièrement notre attention. Il a fallu que notre Eglise sorte de l'Eglise juive et prenne son autonomie ; il y eut des hérésies, un long divorce entre Orient et Occident, et des réformes, plus ou moins importantes, plus ou moins efficaces. Il y eut enfin la Réforme protestante qui entraîna une considérable séparation entre disciples d'un même Jésus Christ. J'ai essayé de présenter cela de manière positive : à travers ces bouleversements et ces drames, l'Eglise de Jésus Christ, non seulement n'a pas disparu, mais, au contraire, s'est transformée et à gagné en  qualité. Cette année, partant de ce début du XVIe siècle, nous cheminerons jusqu'à notre époque, à travers les vicissitudes et tous les aléas d'une histoire parfois tragique, et parfois glorieuse. Je vous le disais l'an dernier, notre histoire ne fut jamais "un long fleuve tranquille". C'est d'ailleurs le destin terrestre de tout ce qui est vivant. En attendant ce que Teilhard de Chardin nommait le "point oméga."

 

4e séquence. Missionnaires (1).

(Avril 2011)

"Allez : de toutes les nations faites des disciples." C'est la dernière consigne que Jésus ait laissée à ses disciples avant de les quitter, au jour de l'Ascension, selon saint Matthieu. Depuis les premiers jours, les disciples ont mis cette consigne en application. On peut remarquer qu'immédiatement l'Eglise de Jésus Christ a été une Eglise missionnaire. Pierre, Etienne, Philippe, Paul et les autres, tous ont eu pour souci d'aller par le monde entier proclamer la Bonne Nouvelle de Jésus.

Ce zèle missionnaire a connu des périodes d'un zèle intense. Quand on pense qu'à la fin du  1er siècle, tous les pays du pourtour méditerranéen, sans exception, avaient entendu parler de Jésus ! D'autres périodes ont été moins fastes, certes ; et je crois, sans en être certain, qu'au Moyen Age par exemple, la Mission n'a pas été la préoccupation essentielle des chrétiens..

Mais survint la période des grandes découvertes, où l'on s'aperçut que notre petite terre était plus grande que tout ce qu'on avait imaginé jusque là. Si bien que, dans le sillage des grands navigateurs, des hommes partirent, fidèles à la consigne de Jésus. Il fallait "de toutes les nations" faire des disciples. Et la "mission" repartit de plus belle.

Ce mois-ci, nous nous arrêterons sur quelques grandes figures de la mission en Extrême-Orient, et au mois de mai, j'espère vous présenter les missionnaires d'Amérique du Sud. Dans les deux cas, très différents, nous serons amenés à découvrir les particularités de leur travail missionnaire.

 

LA MISSION AU XVIe SIECLE.

1 - Chronologie.

Saint François Xavier (1506-1552)

Matteo Ricci (1552-1610)

Roberto de Nobili (1577-1656)

Alexandre de Rhodes (1591 -1660)

2 - Quatre grands missionnaires jésuites.

* Saint François-Xavier.

Né le 7 avril 1506 à Javier, près de Pampelune en Navarre. Son père et ses frères ayant combattu contre les troupes castillanes lors de l'invasion du royaume de Navarre en 1512 par les troupes espagnoles, le jeune François de Xavier choisit de faire ses études, non en Espagne ennemie, mais en France. Il poursuivit ses études de théologie à la Sorbonne, logeant au collège Sainte-Barbe où il rencontra Pierre Favre et Ignace de Loyola avec qui il participa à la fondation de la Compagnie de Jésus en 1534. Il est alors âgé de 28 ans.

Il fut ordonné prêtre en 1537. En 1540, le roi Jean III de Portugal demanda au pape Paul III deux « prêtres réformés » pour évangéliser Goa et les Indes orientales. Celui qu'avait choisi Loyola, Nicolas Bobadilla, étant tombé malade, François de Xavier le remplaça en dernière minute et quitta Rome pour Lisbonne.

Parti de Lisbonne, il débarqua, le 6 mai 1542, après un séjour dans une escale à Mozambique, dans la cité de Goa. Un de ses premiers actes fut de prendre en charge un établissement scolaire qui venait d'être fondé pour les adolescents du pays. Ses lettres à Ignace de Loyola, presque immédiatement divulguées par l'imprimerie en Europe (1545), provoquèrent un véritable engouement pour les missions. Grâce à elles, on peut le suivre à Goa, d'abord, puis dans le sud de l'Inde (côte de la Pêcherie, Travancore) ; on le voit revenir à Goa, passer ensuite à Cochin, de Cochin à Tuticorin, de Tuticorin à Malacca, de Malacca aux Moluques, où il retrouva les émules espagnols des Portugais. Chemin faisant, au cours de ses interminables pérégrinations, il commençait par évangéliser ses compatriotes européens, et il jetait les premières bases d'une approche des hindous. Les résultats de son activité incessante, inconsidérément magnifiés par ses admirateurs en Europe, le mettaient peu à peu en contact avec les couches populaires des autochtones, sans qu'il eût le temps ni la possibilité d'approfondir auprès des élites leurs croyances religieuses et leurs conceptions philosophiques. Avec les auxiliaires qui, peu à peu, lui arrivaient du Portugal, il s'efforçait de laisser après lui des continuateurs de l'œuvre entreprise. S'inspirant des principes de discernement spirituel que lui avait enseignés Ignace de Loyola, il ne cessait de prendre des initiatives nouvelles.

Durant les deux séjours qu'il avait faits au port international de Malacca, François avait rencontré quelques représentants de ce monde extrême-oriental qui venait d'être découvert par les Occidentaux (Canton, 1514). Il n'en fallait pas plus pour exciter son désir d'y porter la foi chrétienne en s'appuyant sur le prestige naissant des commerçants portugais ; mais, tandis que jusque-là il n'avait eu affaire, même dans l'Inde, qu'à des populations de culture peu développée, il allait affronter un monde tout différent de celui de ses années de préparation. Le 15 août 1549, il débarquait d'une jonque chinoise à Kagoshima (Japon)  et y liait aussitôt amitié avec un vénérable religieux bouddhiste avec lequel il commença sans attendre des échanges d'idées. Plus tard, ses courses variées dans l'intérieur du Japon féodal lui démontrèrent l'utilité de l'humanisme de la Renaissance, tel qu'il l'avait connu à l'université de Paris. « Commencez par convaincre la Chine », lui ripostèrent les lettrés du Japon ; en conséquence, il s'en retourna par Malacca à Goa pour y préparer, avec le concours du vice-roi, une ambassade à l'empereur de Chine.

Pendant sa trop longue absence, ses successeurs avaient déformé le caractère du collège en remplaçant les élèves originaires du pays par des enfants de Portugais. François Xavier réagit vivement contre cette mesure disciplinaire, puis, muni d'une commission du vice-roi, il reprit le chemin de cette Chine qu'il ne faisait qu'entrevoir à travers les échos de ses interlocuteurs japonais. Malgré le mauvais vouloir du commandant portugais de Malacca, il réussit à prendre pied avec l'aide des commerçants européens dans l'îlot de Sancian près de Canton. Il y mourut alors qu'il avait l'espoir de gagner le continent voisin. Il y avait apporté un premier exposé en caractères chinois du christianisme, laissant à ses successeurs de Macao et aux mathématiciens de la mission française de Pékin la charge de développer ces semences d'une confrontation pacifique de la culture chinoise avec la civilisation chrétienne.

"François, capitaine de Dieu, a fini ses caravanes / Il n'a plus de souliers à ses pieds et sa chair est plus usée que sa soutane.
"Il a fait ce qu'on lui a dit de faire, non point tout, mais ce qu'il a pu / Qu'on le couche sur la terre, car il n'en peut plus.
"Et c'est vrai que c'est la Chine qui est là, et c'est vrai qu'il n'est pas dedans / Mais puisqu'il ne peut pas y entrer, il meurt devant.
"Il s'étend, pose à côté de lui son bréviaire / Dit "Jésus", pardonne à ses ennemis, fait sa prière
"Et tranquille comme un soldat , les pieds joints et le corps droit / Ferme les yeux et se couvre du signe de la croix."

(Paul Claudel - Corona benignitatis anni Dei)

* Matteo Ricci (1552-1610)

 Né à Macerata, novice jésuite à Rome en 1571, Matteo Ricci  s'embarque à Lisbonne en 1578, et est ordonné prêtre à Cochin (Inde) en 1580. Il gagne le Guangdong et s'arrête à Macao en 1582 ; il arrive en 1583 avec Ruggieri à Canton, puis à Shiuhing (Zhaoqing), première résidence des Jésuites en Chine ; mais il est expulsé et arrive à Shiuchow (Shaozhou) en 1589. Ricci s'avance jusqu'à Nankin en 1595, mais il est refoulé sur Nanchang, au Jiangxi. Il parvient à entrer en contact avec des mandarins, grâce à ses grandes connaissances en mathématiques et en astronomie. Il reste dix-huit ans dans le sud de la Chine, à proximité de Macao. Doué pour les langues - il en connait déjà plusieurs - il se met à l'étude du chinois. Au bout de trois mois il se sent déjà à l'aise. Lui et un de ses compagnons jésuites, Michele Ruggieri, s'habillent d'abord en moines bouddhistes, puisqu'ils sont religieux, mais adoptent plus tard le vêtement des lettrés, ayant appris que les bonzes étaient généralement incultes et mal considérés Auprès des lettrés, il parle de Dieu, utilisant la sagesse et les écrits confucéens, soulignant ce qui y est semblable au christianisme Supérieur de la mission de Chine d'août 1597 jusqu'à sa mort, il tente, en 1598, un premier voyage à Pékin, s'arrête en 1599-1600 à Nankin où on le tient pour shengren (sage, saint). Sur convocation impériale, il gagne enfin Pékin en 1601. Invité à la cour impériale de Pékin auprès de l'empereur Wanli, porteur d'une épinette, d'une mappemonde et de deux horloges à sonnerie, sa rencontre avec les proches de l'empereur est à l'origine de l'essor de l'horlogerie moderne en Chine, au début de la dynastie Qing (1644-1911) Matteo Ricci enseignera les sciences au fils préféré de l'empereur.

Comme l'astronomie, la philosophie et l'horlogerie la musique est également utilisée pour faire passer son message. Il chantait des airs édifiants, souvent sur des textes traduits en chinois[6]. Il publie à Pékin en 1608 un recueil de huit airs avec accompagnement  « Airs pour cithare européenne » - littéralement cithare occidentale, (il peut s'agir également d'un clavecin ou d'un clavicorde). Le succès est grand : ses rééditions se succédèrent jusqu'au XIXe siècle. La musique en semble perdue, mais les paroles en chinois ont été conservées.

Matteo Ricci tisse des liens culturels et scientifiques importants avec le lettré Xu Guangqi dont il devient grand ami. Ce dernier se convertira au christianisme et sera baptisé en 1603 sous le nom de Paul.

Connue depuis l'Empire romain, notamment avec la soie qui venait d'Orient, Matteo Ricci permet à l'Europe d'identifier la Chine comme étant le Cathay décrit par Marco Polo. Il introduit en Chine la géométrie sphérique. Dans la religion populaire chinoise, Matteo Ricci est vénéré comme maître des horloges et protecteur des horlogers.

À sa mort, l'empereur concède à Mattéo Ricci une tombe (à Zhala), Il fut inhumé, avec une permission spéciale de l'empereur, à proximité de la Cité interdite. Ce geste étant une sorte de reconnaissance légale des Jésuites. La requête de Ricci au haidao de Canton dit que ceux-ci sont des « religieux ayant quitté leur pays sur la renommée du bon gouvernement de la Chine pour y demeurer et mourir ». Pour gagner l'estime, il invente et fournit des horloges sonnantes et des instruments d'astronomie, de musique, procure des livres. Sa mappemonde (1584) obtient un grand succès. Il étudie les classiques d'avant Zhu Xi et montre la conformité de la loi de Dieu avec les enseignements des anciens sages. Il veut prouver que la religion chrétienne n'est pas étrangère et qu'elle achève ce que les Chinois ont de meilleur. Il a pris l'habit des lettrés, maîtrise leur langue, converse avec eux, publie des livres. Son catéchisme Tianzhu shiyi remporte un franc succès. Le P. Bouvet estime que ce livre décida Kangxi à promulguer l'édit de 1692 en faveur du christianisme.

Ricci est le premier missionnaire chrétien des temps modernes, et premier Occidental, avoir été aussi proche de l'empereur. Ricci est le fondateur de l'Église chinoise, même s'il a pas cherché à baptiser en masse. En 1605 il fit édifier le Nantang, l'église du sud (actuel siège de l'évêché de Pékin). On estime à 2 500 Chinois. le nombre de chrétiens chinois à sa mort. Mais ses efforts de christianisation furent partiellement ruinés, plus tard, lors de la querelle des Rites chinois. (On y reviendra)

Les Instituts Ricci ont été fondés par les Jésuites après leur retrait forcé de Chine continentale, pour poursuivre l'œuvre intellectuelle de Matteo Ricci. Le Grand Ricci, en français, est à ce jour le plus grand dictionnaire du chinois vers une langue occidentale. On doit également à Matteo Ricci la traduction des quatre livres du confucianisme.

* Roberto de Nobili (1577-1656)

 Né à Montepulciano (Toscane), en septembre 1577  Roberto De Nobili entre au noviciat de la Compagnie de Jésus en 1596.

A sa demande il est envoyé en Inde et débarque à Goa le 20 mai 1605. Jusque là, les missionnaires étaient restés sur la côte et ne s'étaient adressés qu'aux colons européens. Roberto est envoyé à l'intérieur de l'Inde, à Madurai, pour seconder un prêtre qui se trouvait là depuis dix ans et n'avait fait aucune conversion. Roberto en découvre vite la raison : ce prêtre mange de la viande, donc il est associé aux yeux de tous à ces gens des castes inférieures si méprisées. Aucun hindou ne deviendra chrétien si cela signifie pour lui la déchéance en une caste inférieure.

Ayant rapidement compris qu'une évangélisation sérieuse ne pouvait se faire que par un travail d'inculturation de la foi chrétienne, il étudia les langues, maîtrisa le sanskrit et le tamoul, et adopta un style de vie proche de celui des castes supérieures de la société indienne, pour devenir finalement un authentique 'sannyasi' indien.

Il avait remarqué qu'il existait des religieux Indiens, les sādhu, qui vivaient une vie austère de renoncement et de dévotion et qui jouissaient d'une grande estime de la part de l'ensemble de la population. Il entrevit que mener la vie d'un sādhu lui permettrait de s'adresser à tous avec efficacité mais il ne franchit pas le pas. Utilisant ses origines familiales aristocratiques, il se présenta alors comme un kshatriya, un membre de la caste des guerriers obtenant ainsi une identité lisible pour les hindous.

Paraissant moins étranger, d'autant plus qu'il avait appris la langue tamoule et qu'il avait été initié aux textes sacrés de l'hindouisme (en sanskrit) il commença à nouer des contacts avec quelques hindous de haute caste auprès desquels il accrut sa culture de l'Inde. Comme 'religieux' (jésuite) il n'était pas étranger non plus au statut de 'renonçant' dont la réputation de sainteté leur permettait de fréquenter toutes les castes, y compris celle des brahmanes.

Il renonça alors à sa position de kshatriya, revêtit une tenue safran, chaussa des socques de bois, se munit d'un kamandalu, le pot à eau des ascètes, se construisit une petite hutte, abandonna la consommation de viande et d'alcool, s'assura des services d'un cuisinier brâhmane et refusa dorénavant tout contact avec les autres chrétiens locaux. Aux yeux de tous, il fut bientôt reconnu comme un saint homme à la mode indienne. Ce faisant, il s'attira l'animosité des Européens et les moqueries de quelques confrères jésuites. Il dut même quitter un temps sa mission, mais il eut toujours la confiance de ses supérieurs.

Comme sādhu, il se plongea dans l'étude, ce qui a toujours été une dimension importante de la vie d'un Jésuite, et enseigna le chemin de la libération. C'était pour lui la position idéale pour étudier en profondeur l'hindouisme. Il devint un excellent locuteur en tamoul et un connaisseur de sa littérature,

Pour mieux connaitre l'âme indienne il devait encore pénétrer en profondeur les textes saints de l'hindouisme écrits en sanskrit, alors langue réservée aux brahmanes. La chance aida Nobili qui rencontra alors, Shivadharma, un étudiant brahmane en sanskrit qui accepta de lui enseigner cette langue et qui lui offrit même une copie des Veda, au péril de sa vie. Il allait maintenant pouvoir adapter le message chrétien en le rendant compréhensible aux Indiens car véhiculé par les concepts qui leur étaient familiers.

Il ne s'opposa pas au système des castes, permettant ainsi aux brahmanes nouvellement convertis de conserver leur statut social et les symboles y attachés (comme le 'cordon'). Il estimait que le système s'estomperait naturellement au fur et à mesure que l'évangélisation ferait des progrès. Chaque fois qu'un problème culturel ou religieux se présentait, Nobili se plongeait dans les écritures chrétiennes et hindoues avant de prendre une décision qui pouvait avoir un impact sur la communauté hindoue. Ainsi, il ne condamna pas le rite de la Satī comme tous les autres Européens, rite dont il fut témoin lorsque les quatre cents épouses du Nayak de Madurai se jetèrent sur son bûcher funéraire. Il adapta aussi la fête du pongal pour ses convertis, remplaçant la statue habituelle de la divinité par une croix plantée à cette effet et bénissant le riz de la nouvelle récolte. Il prend aussi le nom de Tattuva Bodhakar, le guru du Réel.

Ainsi devient-il aux Indes, comme Ricci à Pékin, un des pionniers de la méthode visant à adapter le christianisme aux civilisations autochtones. Il suscite près de 4000 conversions et montre par là que l'Église n'est pas réservée aux parias. Accusé et condamné à Rome pour ses méthodes, il est défendu par le cardinal Bellarmin ; et celles-ci sont approuvées par Grégoire XV, en 1623. Nobili mourut à Mailapur (Madras). Sa vie fut aussi celle d'un homme d'étude ; il devint savant en sanskrit, en tamoul, en telugu, et laissa des écrits philosophiques et religieux.

* Alexandre de Rhodes (1491-1660)

Alexandre de Rhodes, prêtre et missionnaire jésuite né à Avignon le 15 mars 1591 et mort à Ispahan le 5 novembre 1660, fut un des premiers Français à parcourir la Cochinchine et le Tonkin. Il se distingua par ses qualités de polyglotte et est surtout connu pour avoir mis au point la première transcription phonétique et romanisée de la langue vietnamienne: le quôc-ngu (écriture nationale).

Il est l'auteur du Dictionarium Annamiticum Lusitanum et Latinum, dictionnaire trilingue vietnamien-portugais-latin édité à Rome en 1651 par la Congrégation pour l'évangélisation des peuples.

D'origine aragonaise (village de Calatayud) et marrane, sa famille, des négociants en soie, avait fui l'inquisition et s'était réfugiée en Avignon, alors terre papale et cité accueillante pour les juifs. Comme beaucoup de familles juives d'alors, converties au catholicisme de gré ou de force, le père d'Alexandre décide de modifier son patronyme de Rueda en Rode, puis de Rode et finalement en de Rhodes.

Arrivé à 18 ans à Rome, Alexandre entre dans la Compagnie de Jésus le 14 avril 1612 avec la ferme volonté de rejoindre les Missions japonaises. Il perfectionne sa connaissance des langues anciennes (latin, grec et hébreu), de l'italien et des mathématiques.

Ayant obtenu la bénédiction de Paul V (1552-1621) sur ce projet, il quitte Rome en octobre 1618 pour Lisbonne, alors principal port d'embarquement d'Europe pour les Indes Orientales.

Il apprend le portugais en attendant le départ, le 4 avril 1619, sur le "Sainte Thérèse", à destination de Goa. Parmi les quatre cents personnes embarquées sur ce « monastère flottant » où la messe est dite quotidiennement, d'autres prêtres jésuites l'accompagnent, parmi eux, Jérôme Maiotica qui œuvrera 35 ans dans le Tonkin et la Cochinchine et Diego Mursius qui deviendra directeur du noviciat de Goa.

Le navire passe le Cap de Bonne-Espérance le 20 juillet 1619, manque de s'échouer sur les hauts fonds sablonneux du Canal du Mozambique et atteint l’île de Goa le 9 octobre de la même année.

Il est accueilli par les jésuites installés à Goa depuis l'arrivée de François Xavier en 1542. Les nouvelles du Japon ne sont pas bonnes. L'édit Tokugawa de janvier 1614 ordonne l'expulsion des missionnaires du Japon. Alexandre va séjourner deux ans et demi à Goa et à Salsette lorsqu'il tombera gravement malade. Il y rencontre un jésuite français Etienne de la Croix avec lequel il perfectionne sa connaissance la langue locale : le canarin.

Le 12 avril 1622, il reprend le cours de son périple vers le Japon. Il s'embarque alors pour Malacca sur un navire portugais en compagnie du futur commandant de la citadelle. Le voyage est long : Cochin, Tuticorin (Thoothukudi), Ceylan, Negapatan puis Malacca le 28 juillet 1622 où il doit patienter près de 9 mois avant de pouvoir reprendre la mer.

A peine arrivé à Macao, le 29 mai 1623, il se met à l'étude du japonais. Mais, en raison de l'intensification de la persécution des chrétiens au Japon et de la fermeture progressive du pays entamée dès 1612, ses supérieurs décident de l'orienter vers une autre destination : le Đại Việt où les pères Francesco Buzomi (1576-1639) et Diego Carvalho avaient établi une mission depuis 1615 à Tourane (aujourd'hui Đà Nẵng).

Restaurée après la défaite des Mac, la dynastie Lê installée à Thang Long (aujourd'hui Hà Nội) règne de façon emblématique sur le Đại Việt. Un conflit entre 2 familles de seigneurs (appelés chua) avait, dans les faits, coupé le pays en deux. Au nord, au Tonkin, les Trinh avaient pris le pouvoir et au sud, en Cochinchine, avec Ke-Huế (aujourd'hui Hué) comme capitale, la dynastie Nguyễn dominait.

Première mission en Cochinchine (1624-1627)

En décembre 1624, après 18 mois passés entre Macao et Canton, de Rhodes s'embarque avec 5 autres jésuites, dont Gabriel de Matos (1572-1633) à destination de Faifo (aujourd'hui Hội An), un des principaux ports et centre économique de la Cochinchine, au sud de Tourane (aujourd'hui Đà Nẵng). Le napolitain Buzomi et le portugais Carvalho avaient noué de bons contacts avec le gouverneur de la Province. Le roi, Sai Vuong (ou Nguyễn Phúc Nguyên) (1563-1635), préoccupé de la prospérité de son pays alors en guerre avec ses voisins du nord, voyait d'un bon œil les apports du commerce avec les Portugais.

En quelques mois, Alexandre maîtrise suffisamment le l'annamite pour prêcher dans cette langue. Il est de suite frappé par les intonations complexes de cette langue semblable, selon son expression, au « gazouillement des oiseaux ».

Il reprend les travaux de Francesco de Pina (1585-1625)  sur place depuis 1617 et premier européen à maîtriser la langue vietnamienne, de Christoforo Borri (1583-1632) et du luso-japonais Pedro Marquez (1613-1670) arrivés en 1619, et travaille à la mise au point d'une transcription romanisée et phonétique du vietnamien, le Quoc Ngu, qui sera utilisée dans tout le pays. Il publiera en 1651 un dictionnaire annamite-latin-portugais accompagné d'une grammaire. Il est fort probable qu'il se soit également servi des premiers travaux de romanisation de la langue japonaise (romaji) de Yajiro, un japonais converti du milieu du XVIème siècle. Ce remarquable outil permit, non seulement une diffusion rapide de la religion, mais également une démocratisation de la connaissance dans tout le pays. Le quoc ngu est adopté depuis près d'un siècle comme le système d'écriture national du Vietnam et de façon officielle depuis 1954.

Le roi de Cochinchine, relativement indifférent aux choses religieuses, était surtout attentif au maintien des échanges commerciaux. Aussi, dès lors que le commerce avec les Portugais ralentit en 1625, la tolérance royale à l'égard des missionnaires s'émousse. Arrivé au Tonkin en mars 1626, le jésuite italien Giuliano Baldinotti (1591-1631)18 informe ses supérieurs du Collège Saint-Paul de Macao des grandes difficultés qu'il éprouve avec la langue annamite19. Ainsi la décision est prise de convoquer de Rhodes en juillet 1626 pour l'y transférer.

Mission au Tonkin et retour à Macau (1627-1640)

Le 12 mars 1627, accompagné par son confrère Pedro Marques, de Rhodes embarque pour le Tonkin, d'où Baldinotti avait été entretemps chassé du fait de son opposition trop marquée au culte des ancêtres. Cette région est alors gouvernée par le chua et maire du Palais, Trịnh Tráng (en) (1623-1657) alors en guerre avec le roi de Cochinchine. Les cadeaux que de Rhodes apporte (une horloge à sablier et un livre d'Euclide sur la sphère) sont appréciés. Il baptise même une partie de la famille du chua dont sa propre sœur, sous le nom de Catherine. La première église du Tonkin est érigée non loin de Thanh Hoa. Néanmoins, la prédication se trouve vite compromise par le conflit qui éclate au sujet de la polygamie et ainsi qu'à des rumeurs d'espionnage propagées par les mandarins au service du roi. Placé en résidence surveillée à Hanoï depuis janvier 1630, il est banni en mai par Trịnh Tráng, sous la pression de ses concubines. Entre 1627 et 1630, le nombre de baptisés au Tonkin est estimé à 7,000. Sur le chemin du retour, il parvient à convertir le capitaine et les deux tiers de la soldatesque tonkinoise chargée l'escorter.

Ne pouvant rentrer en Cochinchine, d'autant plus défavorable aux religieux chrétiens qu'elle les imagine devenus des espions du Tonkin, les deux compagnons retournent à Macao, où Alexandre de Rhodes va enseigner la théologie morale près de dix années.

Missions difficiles en Cochinchine (1640-1645)

Entre 1640 et 1645, de Rhodes entreprendra 4 voyages vers la Cochinchine comme supérieur des missions (janvier - septembre 1640, décembre 1640 - juillet 1641, janvier 1642 - septembre 1643, janvier 1644 - juillet 1645). La plupart du temps, il devra œuvrer dans la clandestinité et se réfugier chez des chrétiens locaux.

Son premier retour, en janvier 1640, est motivé par l'édit royal de bannissement des missionnaires et la mort de Buzomi (1639). Il débarque dans la province de Quảng Nam et s'installe dans le quartier japonais de Faifo, "hải-phố" () la "ville au bord de la mer", sa capitale. Il entreprend des démarches, via le gouverneur japonais et la "tante" du roi, la princesse Minh Duc, baptisée sous le nom de Marie, qui s'avèreront infructueuses auprès de la cour de Cong Thuong Vuong (Nguyễn Phúc Lan), roi depuis la mort de son père Sai Vuong, en 1635

Chassé en septembre par le gouverneur de la province du Cham, Ong Nghe Bo, il revient quatre mois plus tard avec Bento de Matos (1600-1652) pour évangéliser le sud du pays. De nouveau poursuivi par ce même gouverneur, il est contraint de fuir le 2 juillet 1641 pour les Philippines Bolinao puis Manille) où il passe l'été avant de rejoindre Macao le 21 septembre.

Après quelques mois, il retourne en Cochinchine avec une cargaison de cadeaux destinés à mettre le gouverneur du Cham dans de meilleures dispositions. Entre janvier 1642 et septembre 1643, il peut ainsi quadriller le territoire, baptiser et recruter de nouveaux adjoints. Mais il doit une fois de plus marquer une pause dans son évangélisation pour éviter d'agacer les autorités locales.

Lors de son dernier séjour entamé en janvier 1644, il est arrêté à la frontière du Tonkin, condamné à mort, peine transformée en bannissement à vie grâce à l'intervention de Marie. Durant cette période de persécution intense, Alexandre est le témoin du premier martyr de Cochinchine, celui du jeune catéchiste André, dix-neuf ans, décapité devant ses yeux, et dont il ramènera la tête à Rome.

Expulsé de Cochinchine le 3 juillet 1645, il débarque à Macao vingt jours plus tard. En vue d'obtenir davantage de soutien de la part du Saint-Siège, il est décidé que de Rhodes s'en retournera à Rome plaider la cause des Missions d'Asie. Avant son départ, il forme ses successeurs, Carlo della Roca et Metello Sacano (1612-62), à la langue annamite.

Parti de Macao le 20 décembre 1645, accompagné d'un jeune chrétien chinois, il atteindra Rome le 27 juin 1649.

Il expose la situation de l'Église en Cochinchine et au Tonkin et plaide le support du Vatican dans l'établissement de missions auprès de la Propaganda Fide. Il se plaint de l'opposition à la formation d'un clergé autochtone.

Il réclame la nomination d'un évêque in partibus pour la Cochinchine et le Tonkin, s'opposant ainsi à la domination politique et religieuse portugaise, le padroado.

Il quitte Rome le 11 septembre 1652, chargé par la Propagande de trouver les personnes et les fonds nécessaires pour remplir la mission. Le 13 mai 1658, la Propagande propose la nomination de vicaires apostoliques, propositions entérinées par les brefs de l'été 1659:

Entretemps, le missionnaire Alexandre de Rhodes a repris la route de la Perse où il est envoyé en novembre 1654. Il y apprend le succès de ses propositions et y meurt en novembre 1660.

En conclusion

(Cet article reprend de larges extraits tirés de Wikipedia. Il s'agit de rapprocher les traits communs aux quatre premiers missionnaires jésuites envoyés en Extrême Orient. Essentiellement, vous l'avez sans doute remarqué, le désir d'être proches des populations qu'ils veulent évangéliser, et pour cela, d'abord, étudier leur langue. Ensuite, ils vont inaugurer tous les quatre, sans s'être concertés, ce qu'on appelle aujourd'hui une inculturation : essentiellement le respect profond des mœurs et coutumes des peuples qu'ils veulent évangéliser. Et, dans la mesure du possible, de leur religion. 

Mais tout cet effort fut un jour bloqué par ce qu'on appelle la "querelle des rites". Inculturation et querelle des rites seront l'objet de notre prochain article, début mai.

 

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