THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2011 :
Quelques grandes mutations (suite)
L'année dernière, nous avons parcouru à grandes enjambées quinze siècles de l'histoire de l'Eglise. Quelques dates ont retenu particulièrement notre attention. Il a fallu que notre Eglise sorte de l'Eglise juive et prenne son autonomie ; il y eut des hérésies, un long divorce entre Orient et Occident, et des réformes, plus ou moins importantes, plus ou moins efficaces. Il y eut enfin la Réforme protestante qui entraîna une considérable séparation entre disciples d'un même Jésus Christ. J'ai essayé de présenter cela de manière positive : à travers ces bouleversements et ces drames, l'Eglise de Jésus Christ, non seulement n'a pas disparu, mais, au contraire, s'est transformée et à gagné en qualité. Cette année, partant de ce début du XVIe siècle, nous cheminerons jusqu'à notre époque, à travers les vicissitudes et tous les aléas d'une histoire parfois tragique, et parfois glorieuse. Je vous le disais l'an dernier, notre histoire ne fut jamais "un long fleuve tranquille". C'est d'ailleurs le destin terrestre de tout ce qui est vivant. En attendant ce que Teilhard de Chardin nommait le "point oméga."
7e séquence. Mission en France.
( juillet 2011)
Je vous ai présenté, les mois derniers, quelques aspects de la mission qu’entreprirent plusieurs ordre religieux – notamment les jésuites – dans plusieurs régions du monde. Au Japon, en Chine, en Inde, aussi bien qu’en Amérique du Sud. Mais il ne faudrait pas croire que la mission a été uniquement en direction des païens des continents étrangers. Très tôt, on s’est aperçu que nos vieilles contrées « chrétiennes » n’étaient pas si chrétiennes que cela, et qu’y subsistait un vieux fond de paganisme. Donc, dans la suite de la Réforme catholique initiée par le Concile de Trente, des « missionnaires » catholiques se dépensèrent sans compter pour évangéliser le peuple des villes et des campagnes. L'œuvre du concile de Trente s'est donné comme tâche prioritaire de reconstituer la cohésion du monde catholique après la lourde épreuve de la déchirure protestante et d'assurer cette même unanimité au-delà des mers. D'où ces grandes initiatives lancées en pays breton, savoyard, ou en terres canadiennes pour concevoir et organiser ces missions en privilégiant l'enseignement, l'instruction des « choses du salut » parallèlement à la mise en place de secours qu'on appellerait aujourd'hui « humanitaires ». La France, dans ce temps de renouveau spirituel, bénéficie d'un personnel missionnaire, d'ouvriers évangélisateurs de grande qualité aussi bien dans les milieux ecclésiastiques que laïcs. Ces hommes et ces femmes porteurs de cette ardeur tridentine, « grands connaisseurs de cœurs », savent transmettre et « imprimer » leur enthousiasme spirituel
C’est un grand mouvement qui se développe, dès la fin du XVIe siècle et tout au long du XVIIe siècle. En 1592 naît une congrégation qui va missionner en Provence et dans les Cévennes. Une prédication qui vise surtout les protestants. François de Sales, lui aussi, s’adresse surtout à eux, dans le Chablais. Dès le début du XVII siècle naissent des organisations plus structurées, chez les Jésuites et les Capucins. Ils lancent des petites « missions » dans des régions données. Essentiellement avec le souci des protestants à convertir. Dès 1622 Rome lance la congrégation de la Propagande (de propaganda fide) qui encourage fortement les initiatives françaises. Mais bien vite, en France, on s’adresse beaucoup plus aux catholiques, ces baptisés, croyants certes, mais ignorant presque tout de la foi chrétienne et des exigences de vie.
Dans ce mouvement, on trouve des « missionnaires » travaillant individuellement : Michel Le Nobletz en basse Bretagne, Antoine Roussier en Auvergne, saint François Régis à Lyon. D’autres préfèrent travailler en groupe et bien des associations sont fondées en vue des missions. Les Oratoriens de Pierre de Bérulle à Paris, les Eudistes en Normandie, la Mission de Monsieur Vincent, les Prêtres du Sant Sacrement en Provence. En Franche-Comté, l’archevêque de Besançon, Antoine-Pierre Ier de Grammont fonde deux collectifs de prêtres (sodalitium), l’un pour enseigner au Grand Séminaire, l’autre pour prêcher des Missions dans les villes et les villages, vers 1650. (La Mission fonctionnera, en Franche Comté, jusqu'en 1960). C’est ainsi que dès cette époque de nombreuses régions de France furent profondément labourées et ensemencées par un réel travail missionnaire.
Certes, on se souciait d’abord du renouveau moral. Une place très importante à la confession le prouve. On se souciait beaucoup du mariage et de la morale sexuelle. Pourtant cette prédication est bien autre chose qu’une remise en ordre morale. Elle est une annonce émerveillée du salut de Dieu. On parle de Marie, mais en la situant nettement dans l’unique mystère du Christ. On a là une annonce de la foi profonde, forte et joyeuse. Une catéchèse basée sur toute l’Ecriture. Au fond, je crois qu’il s’agit dans une large mesure d’une première prédication missionnaire réelle, Celle d’avant avait surtout consisté à remplacer les cultes païens de la Gaule par la religion nouvelle.
Voilà donc un mouvement missionnaire qui, sans être planifié, a jailli de lui-même, avec grande vigueur, en plusieurs points de notre pays ; et qui a permis un travail profond d’annonce de la foi et une vraie naissance de l’Eglise en un certain nombre de milieux humains.
Je vais donc vous présenter quelques-unes des grandes figures de ce mouvement missionnaire. Elles vous éclaireront sur les méthodes employées et les résultats obtenus.
François de Sales - 1567-1622
"Évêque d'un diocèse savoyard dont plus de la moitié des fidèles étaient passés au calvinisme, François de Sales eut à se poser, dans un contexte difficile, le problème de la lutte contre la Réforme. Il eut le mérite de comprendre rapidement que les méthodes de controverse alors en faveur conduisaient rarement à des résultats solides, et que la puissance de diffusion du calvinisme venait de l'intense vie intérieure de beaucoup de ses membres, dont on ne trouvait guère l'équivalent dans un catholicisme trop politisé. Il mit donc au premier plan de ses préoccupations la rénovation de la vie spirituelle dans le milieu catholique. Ses efforts en ce sens trouvèrent un terrain favorable dans le mouvement de renouveau chrétien qui se manifesta au lendemain des guerres de religion. Son exceptionnelle personnalité, la richesse de son intelligence et sa culture l'amenèrent rapidement à y prendre une place prépondérante. À une époque où la plus grande partie du clergé était bien loin de répondre aux exigences de sa mission, la sainteté de François de Sales fit de lui un modèle de l'épiscopat, et la vénération générale l'entoura." (L. Cognet)
Nommé évêque de Genève en 1602, il ne résidera jamais dans sa ville épiscopale, entièrement calviniste. Il s'absorbe tout entier dans sa charge pastorale, parcourant inlassablement son vaste diocèse de l'actuelle Haute-Savoie, visitant les paroisses, donnant la confirmation, prêchant et confessant, se préoccupant de la réforme des maisons religieuses. Son zèle et son dévouement font l'admiration de toute la France où on le considère bientôt comme le modèle de la sainteté épiscopale. La direction des âmes demeure au premier plan de ses activités et l'oblige à tenir une abondante correspondance spirituelle. En outre, il accepte volontiers de donner des prédications en d'autres diocèses. Epuisé par la tâche, il meurt à 55 ans, au retour d'un voyage en Avignon.
Monsieur Vincent 1581 - 1660
Fondateur de la Société des prêtres de la Mission ou lazaristes, et des Filles de la Charité, figure marquante du renouveau spirituel et apostolique du xviie siècle français, Vincent de Paul était originaire d'une famille paysanne des Landes. Peu après son ordination sacerdotale, il fut pris par des corsaires et retenu captif en Tunisie pendant près d'un an. Étant parvenu à se faire libérer, il se rendit à Rome, puis vint à Paris en 1609 comme aumônier de la reine Marguerite de Valois, chez qui il resta deux ans, avant de succéder au père Bourgoing, prêtre de l'Oratoire, comme curé de Clichy. Cette période fut pour lui celle d'une véritable conversion, d'une transformation de sa vie intérieure, sous l'influence de Pierre de Bérulle, C'est Bérulle qui le fit entrer, en 1617 comme aumônier chez Philippe Emmanuel de Gondi, général des galères. Il rencontre alors François de Sales, qui a sur lui une certaine influence. Par ses fonctions d'aumônier des galériens et des matelots et comme prêtre de campagne sur les terres des Gondi, il est de plus en plus frappé par la misère matérielle et morale. Dès son entrée dans la famille de Gondi, il réunit les premières « servantes des pauvres », les Dames de la Charité, et leur donne un statut. En 1625, il fonde pour les hommes une association analogue, la Congrégation de la Mission destinée à l'évangélisation des populations pauvres, surtout dans les campagnes. Les missionnaires, qui se présentent en grand nombre et dont l'activité s'étendra bientôt hors de France, notamment en Irlande et, en 1648, à Madagascar, se forment dans le prieuré parisien de Saint-Lazare, ce qui leur vaudra leur nom de lazaristes.
C'est en cette maison qu'en 1628 Monsieur Vincent reçoit, sur la demande de l'archevêque de Paris, un certain nombre d'aspirants à la prêtrise pour les préparer à l'ordination. Ces exercices, par lesquels passeront notamment Bossuet et l'abbé de Rancé, sont répétés chaque année avec un tel succès que Vincent de Paul en vient à ouvrir, avec l'aide du cardinal de Richelieu, des séminaires dirigés par les prêtres de la Mission, Les lazaristes seront ainsi, vers la fin du siècle, à la tête d'une trentaine de séminaires diocésains. Avec Bérulle et Olier, il travaille, en dépit de l'opposition de Mazarin, à faire de l'épiscopat autre chose qu'une dignité honorifique ou l'étage d'une carrière mondaine.
Si la préparation par Monsieur Vincent des prêtres et des évêques à leurs fonctions profita d'abord à la France, sa décision de fonder, en 1633, avec l'aide de Louise de Marillac, la communauté des Filles de la Charité eut très rapidement des répercussions dans le monde entier. Vincent incita le petit groupe de simples filles de la campagne réuni autour de Louise de Marillac à se consacrer au service des pauvres et des malades. Les sœurs, placées sous la direction des lazaristes, n'habitaient pas dans des couvents, mais dans les paroisses où elles exerçaient leurs fonctions d'assistance ; elles portaient les habits de leurs provinces d'origine, circulaient librement et ne constituaient pas des communautés religieuses au sens traditionnel. L'entreprise, par tous ces aspects, témoignait pour l'époque d'une grande audace.
Par de telles fondations autant que par sa personnalité d'apôtre de la charité, Vincent de Paul fut ainsi l'un des principaux artisans du renouveau catholique en France au XVIIe siècle et du rayonnement de cette école de spiritualité et d'apostolat au-delà des frontières. Il a été canonisé en 1737.
Saint Jean Eudes 1601-1680
Né à Ri, près d'Argentan, Jean Eudes est le fils d'un chirurgien de campagne. Après avoir été l'élève des Jésuites au collège de Caen, il entre à l'Oratoire (1623). Il s'adonne aux missions paroissiales, en basse Normandie surtout. Il en estime les résultats éphémères, si le clergé des paroisses n'a pas été préalablement formé. Encouragé par Richelieu, il obtient l'autorisation d'établir un séminaire à Caen (1642). En désaccord avec Bourgoing, supérieur général de l'Oratoire, il quitte cette société sacerdotale pour en fonder une autre (1643).
Membre de la Compagnie du Saint-Sacrement, comme ses amis laïcs Jean de Bernières et Gaston de Renty, il a ouvert à Caen un refuge pour les « pénitentes repenties » (1641). Cette maison vivote jusqu'au jour où il organise, pour la diriger, une congrégation de religieuses, les Filles de Notre-Dame-de-Charité (1651).
Tout en s'occupant de ses deux congrégations et de leurs premiers établissements, en Normandie et en Bretagne, Eudes poursuit, avec l'aide de ses confrères, ses missions (au total, une bonne centaine) et publie des livres de piété, qui ont été réédités dans ses Œuvres complètes (1905-1911, 12 volumes).
Louis-Marie Grignion de Montfort 1673-1716
Il est un représentant majeur de la seconde génération de l'École française de spiritualité.
Louis-Marie Grignion est né en Bretagne, en 1673, à Montfort-la-Cane (aujourd'hui Montfort-sur-Meu dans le département d'Ille-et-Vilaine). Il est d'abord élève des Jésuites à Rennes avant d'aller se préparer au sacerdoce à Paris. Il est ordonné prêtre en 1700 et se consacre à la prédication dans des missions rurales qui s'organisaient alors dans l'ouest et le centre de la France. Il prêche à Nantes et à Poitiers notamment. Il réorganise l'hôpital de cette ville et en est nommé aumônier.
Issu d'une famille bourgeoise aisée Louis-Marie fait vœu de pauvreté et ne s'occupera que des pauvres. Il fonde en 1703, avec Marie-Louise Trichet, une congrégation féminine, purement hospitalière à l'origine, les Filles de la Sagesse, qui étendra très vite son activité à l'enseignement des enfants pauvres.
De son côté, il poursuit une prédication itinérante dans l'ouest de la France qui s'avère efficace. Pour confirmer ces résultats, il décide, en 1705, de réunir au sein d'une Compagnie de Marie des prêtres et des catéchistes dûment formés. Son activité missionnaire lui vaut d'être nommé par Clément XI missionnaire apostolique pour la France. Après sa mort, ce noyau se développera en deux directions : La Compagnie de Marie, congrégation religieuse de missionnaires ruraux (Pères Montfortains) et la Congrégation enseignante des Frères du Saint-Esprit (devenus Frères de l'instruction chrétienne de Saint-Gabriel au XIXe siècle).
Il meurt à 43 ans, épuisé par la fatigue et les pénitences, à Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée) où il avait établi le foyer de ses activités et où le pape Jean-Paul II est venu en pèlerinage en septembre 1996. Il a été canonisé en 1947.
Il a laissé un grand nombre de cantiques populaires, souvent composés sur des airs profanes. L'Amour de la sagesse éternelle révèle un esprit mystique, soucieux de la divinisation de l'homme et marqué par une vision anthropologique très moderne, mais ce traité - longtemps considéré comme une de ses oeuvres de jeunesse - est aujourd'hui plutôt attribué à Charles Besnard, supérieur des Montfortains et des Filles de la Sagesse au milieu du XVIIIe siècle. Les principaux thèmes rappellent ceux du Traité de la vraie dévotion à la Vierge qui ne fut imprimé qu'au XIXe siècle et connut un grand succès: Monfort y montre comment cette divinisation fut opérée au premier chef dans Marie et, par elle, étendue au reste de l'humanité par l'Incarnation de son Fils.
Et en effet, l'Église retient principalement de ce saint sa dévotion à Marie, développée dans son Traité de la vraie dévotion à la Vierge et résumé dans Le secret de Marie. Pour lui, le salut passe par elle, elle est une formidable espérance pour les chrétiens. C'est pourquoi, selon Louis-Marie Grignion, le chrétien a tout intérêt à s'abandonner complètement à l'amour de la mère de Dieu, qui intercède sans cesse auprès de Jésus et du Père pour les hommes, et puisqu'elle est immaculée, sans péchés, Dieu ne peut qu'accepter les demandes qui viennent de Marie. Cette théologie a inspiré beaucoup des nouvelles communautés: Saint Jean, l'Eau Vive, Marie reine immaculée de l'univers et bien d'autres encore.
Lors d'une audience du 13 octobre 2000, Jean Paul II a partagé comment, alors qu’il était séminariste clandestin, et qu’il travaillait à l'usine Solvay à Cracovie, son directeur spirituel lui conseilla de méditer sur le Traité de la vraie dévotion à Marie. « J'ai lu et relu plusieurs fois avec un grand intérêt spirituel ce précieux petit livre ascétique, dont la couverture bleue s'était tachée de soude.» Le 19 septembre 1996, Jean-Paul II s'était rendu à Saint-Laurent-sur-Sèvre, pour se recueillir sur la tombe de Louis-Marie Grignion de Montfort.
Missions au XVIIe s. Un exemple.
Le développement des missions est une des voies de la Réforme Catholique au XVIIe siècle en France. Le Concile de Trente (1545–1563), événement majeur de la Réforme Catholique organisée par l'Eglise romaine en partie en réaction à la Réforme Protestante, décida de mettre tout en œuvre pour offrir aux chrétiens les moyens d'approfondir leur foi. Cet effort d'évangélisation locale se traduisit par l'organisation progressive des missions intérieures. C'est en France que le mouvement sera le plus fort, et notamment en Bretagne autour de Michel Le Nobletz (1577-1652) et du bienheureux Julien Maunoir (1606-1683). Nous pouvons lire ici la description d'une des missions de Julien Maunoir extraite de La vie du Père Julien Maunoir, jésuite, œuvre hagiographique du père Boschet, biographe officiel du XVIIe siècle de Julien Maunoir. Cet extrait contient des passages écrits par Julien Maunoir lui-même. Cette mission s'est déroulée à Ouessant en 1641.
La question que nous pouvons nous poser est de savoir si la mission de Julien Maunoir en Bretagne a vraiment permis un renouvellement de la foi et de la spiritualité chez les Bretons au XVIIe siècle et de savoir en quoi sa manière de procéder durant cette mission a quelque chose d'innovant ?
Afin de traiter cette problématique, nous verrons d'abord le développement d'une mission à travers son déroulement, à travers l'activité missionnaire en Bretagne et à travers l'activité missionnaire du jésuite Julien Maunoir. Par la suite, nous réfléchirons sur l'instruction et l'encadrement des fidèles avec l'ignorance des fidèles, et les instruments pédagogiques utilisés par Julien Maunoir comme le catéchisme et l'usage de la langue bretonne ainsi que des cantiques. Finalement seront traités les effets de la mission à travers une conversion de masse et à travers la volonté de lutter pour une abolition des "coutumes pernicieuses" pour une foi salvatrice.Dans les campagnes de Bretagne, certains usages religieux étaient parfois devenus des superstitions et finissaient par prendre un aspect païen. La Bretagne était alors dans un état d'ignorance religieuse extrême, les populations étaient en proie à la superstition et à l'immoralité. C'est la raison pour laquelle les missions furent entreprises : Michel Le Nobletz, découvrant l'ignorance religieuse des fidèles, tenta d'y remédier. Il s'agissait d'envoyer des prédicateurs dans les paroisses urbaines aussi bien que rurales. Leur rôle était de prêcher une sorte de retraite à domicile pour les paroissiens. Pendant plusieurs semaines, les sermons, l'encouragement à la pratique des sacrements (confession et eucharistie) permettaient aux fidèles de reprendre en mains leur foi et la pratique de leur vie chrétienne. De Brest à Douarnenez et sur les îles d'Ouessant, Michel Le Nobletz fait de nombreuses prédications, des catéchèses pour familiariser le fidèle aux préceptes de la foi catholique. Son œuvre est poursuivie par celle de Julien Maunoir qui effectua plus de quatre cent missions et sillonna pendant près de 43 ans les campagnes les plus reculées et réussit à redonner un sens chrétien à ce qui était devenu de pieuses coutumes. Les missions n'étaient pas réservées à la Basse-Bretagne, mais ce qui marque la spécificité bretonne des missions, c'est d'abord la langue : elles sont surtout prêchées en breton par Michel Le Nobletz et par Julien Maunoir comme nous allons le voir plus loin. Ainsi conçue, la mission était bien adaptée à la société rurale de l'époque. Julien Maunoir était un missionnaire jésuite actif qui s'adaptait aux populations auxquelles il prêchait les préceptes de la foi catholique.
Une mission jésuite en Bretagne (1641).
Au XVIIe siècle, l'Église catholique cherche à reconquérir les âmes et dans ce but la mission est très usitée.
Très généralement, les missions se déroulaient de manière similaire. Une équipe de prêtres séculiers apporte la bonne parole dans les endroits les plus reculés. Julien Maunoir est secondé par une équipe de prêtres. Il s'agit de missions que l'on appellera plus tard " missions de l'intérieur " pour les distinguer des missions en terres lointaines, celles-ci ayant pour objectif l'annonce de l'Evangile aux nations païennes. Les missions de l'intérieur s'adressent à des chrétiens. Le titre de " missions" leur ont été donné pour bien marquer qu'il s'agit de l'intervention d'un clergé venant de l'extérieur de la paroisse, d'un clergé muni précisément d'un ordre de mission émanant de l'évêque, avec un objectif très précis qui est la rénovation, la remise à jour de la vie chrétienne de la communauté paroissiale.En conséquence, tous les exercices spirituels de la mission vont être organisés en fonction de cet objectif : prédication très fournie, confessions générales, chant des cantiques, procession de clôture. Une journée de mission s'organise ainsi : tôt le matin, la population se rassemble à l'église, puis au cimetière. « La prière se faisait à cinq heures, la prédication à huit. » Julien Maunoir commençait toutes ses missions par un sermon sur la mort. Ce sermon marquait les populations « Le premier sermon excita la plus entière admiration » En effet, le tableau du trépas du pécheur entraîné par les diables et que le bon ange essayait vainement de sauver, troublait les populations. « Il y traita [...] des joies du paradis et des tourments de l'enfer, du péché et de la vertu. ». De plus, l'assemblée se tenait souvent près du calvaire sculpté avec les scènes de la passion du Christ et celles effrayantes de monstres prêts à engloutir les damnés. Nous comprenons donc que ce sermon faisait son effet sur les populations. À midi, l'Angélus et le Te Deum sont récités. Durant l'après-midi, les prêtres font le catéchisme, lisent des cantiques et le chapelet. Dans la soirée, le prêtre fait son sermon et la prière. La journée se termine par une conférence spirituelle. La mission pouvait durer jusqu'à trois semaines. Elle se termine par une procession : « la mission se termina par une procession fort édifiante [...] Devant quatre mille Ouessantins, j'adressai une dernière fois la parole à ce bon peuple ». En Bretagne, tout particulièrement, l'effort missionnaire est considérable.
Julien Maunoir est né le 1er octobre 1606 à Saint-Georges-de-Reintembault, au nord du diocèse de Rennes, Homme profondément uni à Dieu, il renouvelle partout la vie religieuse, avec zèle et méthode, apprenant au peuple le message chrétien par le moyen des cantiques et des tableaux de mission, se faisant aider par des prêtres et de nombreux laïcs. En 1641, il commence une première mission à Douarnenez. Pendant 43 ans, il parcourt la Bretagne, de Crozon à Rennes, prêchant 439 missions. Dans ces missions, il se servait des cartes allégoriques du Père Michel Le Nobletz, mais il employa deux autres moyens auxquels il donna un grand éclat : le cantique, breton ou français, et la procession, couronnement de la mission, dans laquelle il retraçait les scènes de la vie de Jésus. Les paroisses accouraient à ces clôtures de missions où il prenait la parole. Des conversions éclatantes, des guérisons extraordinaires venaient confirmer l'action du missionnaire. Au début de ses missions, le Père Maunoir n'avait qu'un seul compagnon, le Père Bernard, mais bientôt quelques prêtres séculiers, enflammés par son zèle, le secondèrent. Julien Maunoir a écrit un journal latin des missions, qui permet de suivre sa carrière, année par année. Il a écrit La Vie de Michel Le Nobletz et la Vie de Père Bernard. Epuisé, le Père Maunoir, que certains appelaient encore "an Tad mad", « le bon père », mourut au presbytère de Plévin en préparant une dernière mission, le 28 janvier 1683. Il a été béatifié le 4 mars 1951 par décret pontifical du pape Pie XII, qui l'éleva au rang des protecteurs de la Bretagne.
L'Église catholique cherche à mieux encadrer son fidèle. Trois caractéristiques marquent le meilleur encadrement du fidèle : le développement des missions, des œuvres charitables et l'enseignement. Des efforts de prédication sont effectués envers les populations rurales. L'évangélisation des classes populaires est entreprise quand l'Eglise catholique s'aperçoit de l'ignorance des fidèles. Plusieurs références au texte montrent l'ignorance des fidèles quant aux préceptes de la foi catholique : « Jusqu'ici nous avons vécu en bêtes ; il est temps de vivre en chrétiens » « Ce pauvre peuple avait besoin avant tout d'être instruit » « En les entendant, le Père Maunoir ne pouvait que gémir de la profondeur de la leur ignorance » Nous pouvons voir que c'est un thème récurrent dans le texte qui est à la base du travail des missionnaires et de Julien Maunoir qui va mettre en œuvre tout son savoir pédagogique pour y remédier et essayer d'intéresser le peuple d'Ouessant à la foi catholique et de déclencher la flamme de l'Esprit Saint dans chaque âme des Ouessantins.
Les missions, qui s'adressaient à tous, utilisaient, pour mieux marquer les esprits, tout un arsenal pédagogique : conférences, méditations, lectures et prières communes. En lisant le texte nous voyons très bien que Maunoir met tout en œuvre pour que le peuple breton intègre les préceptes de la foi catholique, comme la notion d'un Dieu unique, lignes 39-41. Au départ, il utilise le déroulement classique d'une mission que nous avons développé plus haut. S'apercevant de l'échec de sa manière de procéder, il fait appel à Michel Le Nobletz qui lui enverra Jeanne Le Gall qui expliquera le catéchisme aux Ouessantins. Ce qui est également un échec relatif. Il y adjoint donc les cantiques. Le tout combiné fonctionne. C'est là le secret de la réussite des missions de Julien Maunoir : son innovation pédagogique. Le Père Le Nobletz avait développé, par exemple, le système des " Taolennou ", des cartes ou tableaux représentant des thèmes illustrant son enseignement. Grâce à ces images reliées en cahier, il pouvait marquer visuellement ses fidèles qui ne savaient généralement pas lire. Le Père Maunoir, lui, n'a pas réalisé de taolennou. Il les a utilisées mais peu. Le Père Le Jollec, jésuite de Quimper, dans une Vie du Père Maunoir demeurée inédite, montre que la journée de mission, telle que l'organisait Julien Maunoir, ne comportait presque pas de place pour l'explication des tableaux. Cependant, il fut un organisateur hors pair des missions en Bretagne, un véritable génie en la matière. Julien Maunoir était particulièrement attentif à la qualité des prédications, des confessions, et du déroulement des processions de clôture, qui relevaient du théâtre. Il utilisa aussi, bien plus que Michel Le Nobletz, le cantique comme moyen d'instruction religieuse, « Il fit chanter dans l'église des cantiques spirituels en langue bretonne, contenant les principaux mystères de la foi [...] Ces cantiques si nouveaux et si pieux charmèrent à l'excès ces pauvres gens » en raison de l'illettrisme d'une grande partie des fidèles. « Les cantiques appris et chantés produisaient plus de fruits dans les âmes que toutes les prédications » ligne 66. Il choisissait un air à la mode connu des fidèles et y adaptait des paroles religieuses qui reprenaient l'abrégé du catéchisme : « les commandements de Dieu, l'acte de contrition, la préparation à la communion, l'action de grâces, les mystères du Rosaire ». Julien Maunoir apprit le breton, rédigea un dictionnaire et une grammaire, publia dans cette langue et modernisa le breton. Il a conçu la leçon de catéchisme qui s'est ensuite imposée : récitation à haute voix des prières élémentaires, des commandements et de la liste des sacrements, puis interrogation sur la leçon précédente, cantiques. Il généralise le système de sanctions et de récompenses (images, chapelets...) : « Le Père Maunoir l'interrogea publiquement, loua fort ses réponses et lui donna un chapelet », « Cet heureux stratagème porta bientôt ses fruits. Les jeunes filles, désireuses d'éloges et de récompenses, voulurent être interrogées.» Il insiste sur la nécessité d'adapter l'enseignement au niveau du public. Au XVIIe s. s'instaure la première communion. Julien Maunoir, en fin de mission, fait communier ses fidèles avec la plus grande joie : « Vous savez ô mon Dieu combien ils furent ce jour-là, faisant leur première communion. » L'importance des personnes se convertissant est un des effets de la mission.
Nombreuses sont les personnes à se convertir, à se confesser, à communier et à escorter Julien Maunoir en guise de remerciement à la fin de la mission. « La foule des pénitents était si grande ». « Les conversions étaient en très grand nombre et des plus sincères. Plusieurs n'avaient jamais reçu d'autre sacrement que le baptême. Nous les confessions pour la première fois » Son action intense, sa parfaite adaptation aux besoins des âmes et surtout sa prière continuelle obtiennent chez les populations bretonnes un réveil de la foi, puis l'affermissement d'une vie chrétienne fervente. « Leur ferveur et plus encore les fruits merveilleux qu'ils retiraient de l'usage des sacrements mettaient le comble à notre joie ». 40 000 personnes instruites, 3 000 conversions, tel est le bilan dressé par le Père Julien Maunoir lui-même pour une année.
Grâce à la meilleure instruction des fidèles, la pratique religieuse recouvre une piété plus profonde, plus épurée et mieux comprise qu'un siècle plus tôt. Le clergé lutte contre les superstitions. Il désigne ainsi tout ce qui dans les croyances et les pratiques populaires ne correspond pas à l'enseignement officiel de l'Église ou échappe au contrôle étroit de celle-ci. C'est à dire aussi bien le recours aux sorciers que les divertissements comme les danses, les beuveries, les veillés d'hiver, les charivaris, les feux de la Saint-Jean. Les Jésuites ne s'opposaient pas à la piété populaire qui pouvait être un moyen de conduire les hommes à suivre avec plus d'attention leur enseignement mais la refusait quand il s'agissait de pervertir les âmes. Julien Maunoir fit promettre « d'abolir à toujours [les] coutumes pernicieuses », Lors d'un mariage, il vit que personne ne but, ni ne dansa, ce qui alla dans son sens. Il dit alors au peuple breton de remercier Dieu car c'est lui qui est à l'origine du renouveau de sa foi. La foi est salvatrice et lui permettra d'aller au Paradis. Un exemple est donné : celui de la jeune aveugle. Grâce à sa foi, elle a recouvré la vue. Si les Ouessantins prient et ne se laissent plus aller à de viles actions, ils iront au paradis, là est le message du Père Julien Maunoir. Toutefois, malgré ce qu'affirme Maunoir, évêques et curés ne réussissent qu'imparfaitement à extirper les « superstitions » des esprits.
Nous avons vu que les missions se sont beaucoup développées en Bretagne grâce aux œuvres de deux prêtres : le Père Michel Le Nobletz et le Père Julien Maunoir. Nous avons plus particulièrement vu l'action intense de ce dernier. Le Père Michel Le Nobletz avait été l'initiateur, il avait défriché la lande bretonne, inculte et broussailleuse. Le Père Maunoir allait pouvoir semer et récolter. Deux phrases du Père Maunoir résume sa vie : "More pecudum vivebant", « quarante deux ans après », disait-il, et, "Eur vaghérès sent", « une pépinière de saints ». « Je crois [...] que la ferveur y demeura longtemps » affirme le Père Maunoir à la fin du texte. En effet, la Bretagne leur doit d'avoir été pendant trois siècles une terre catholique d'une extraordinaire ferveur. En lisant ce texte nous pouvons vraiment voir l'enthousiasme de Julien Maunoir, son acharnement à éduquer le peuple breton. Nous le sentons vraiment investi d'une mission d'où sa joie quand elle réussit. Nous avons également pu voir, que le catéchisme est vraiment au cœur de sa démarche pédagogique, cependant, cette démarche demeure isolée dans le clergé à son époque. Par la suite, le clergé sera gagné par son exemple. Le Père Maunoir entraîne derrière lui dans les missions plus de mille prêtres. La durée de son œuvre fut ainsi assurée. Nous nous sommes demandé au départ si la mission de Julien Maunoir en Bretagne a vraiment permit un renouvellement de la foi et de la spiritualité chez les Bretons au XVIIe siècle et si sa manière de procéder avait quelque chose d'innovant. Nous avons pu nous apercevoir en quoi la méthode pédagogique de Julien Maunoir était novatrice et à quel point elle portait ses fruits.(A suivre, début août)