THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2011 :
Quelques grandes mutations (suite)
L'année dernière, nous avons parcouru à grandes enjambées quinze siècles de l'histoire de l'Eglise. Quelques dates ont retenu particulièrement notre attention. Il a fallu que notre Eglise sorte de l'Eglise juive et prenne son autonomie ; il y eut des hérésies, un long divorce entre Orient et Occident, et des réformes, plus ou moins importantes, plus ou moins efficaces. Il y eut enfin la Réforme protestante qui entraîna une considérable séparation entre disciples d'un même Jésus Christ. J'ai essayé de présenter cela de manière positive : à travers ces bouleversements et ces drames, l'Eglise de Jésus Christ, non seulement n'a pas disparu, mais, au contraire, s'est transformée et à gagné en qualité. Cette année, partant de ce début du XVIe siècle, nous cheminerons jusqu'à notre époque, à travers les vicissitudes et tous les aléas d'une histoire parfois tragique, et parfois glorieuse. Je vous le disais l'an dernier, notre histoire ne fut jamais "un long fleuve tranquille". C'est d'ailleurs le destin terrestre de tout ce qui est vivant. En attendant ce que Teilhard de Chardin nommait le "point oméga."
9e séquence. La Révolution française
(septembre 2011)
"Il n'y a pas d'événement qui n'ait autant marqué le christianisme contemporain que la Révolution française. Pour les uns, elle fut - elle est encore - l'œuvre du Diable ; pour d'autres, plus tard, une chance nouvelle pour l'Evangile. Nos passions, nos divisions s'enracinent réellement dans ce passé toujours vivant.
Suivre l'élargissement progressif qui sépare christianisme et révolution, constater l'impossibilité pratique du divorce définitif, apprécier la portée des retrouvailles célébrées sous la rude poigne de Napoléon, tel est le but de notre travail. Au centre, la France. Mais la France des Droits de l'Homme. De ce fait, cette histoire trouve valeur universelle. C'est bien ainsi d'ailleurs qu'elle a été vécue."
EN GUISE D'INTRODUCTION, une citation :
"Durant un quart de siècle - de 1789 à 1814 - l'histoire du monde fut liée à celle de la France, et l'Eglise romaine tout entière vécut à l'heure de l'Eglise de France. Sans doute la Révolution française a été, selon le mot de Barnave, le "sommet" d'une révolution européenne produite par la bourgeoisie enrichie ; mais la France devait tout naturellement orienter l'énorme déplacement de forces : foyer de la philosophie des Lumières, nation jeune, structurée, dynamique, ses armées devaient semer à travers l'Europe des idées qui, à la longue, porteront du fruit. Les papes du Moyen Age avaient réalisé l'unité de l'Europe dans la chrétienté ; la France révolutionnaire rassemblera les esprits autour de quelques idées généreuses - liberté, égalité, fraternité - qui, si elles rejoignent l'Evangile par le biais de la "religion naturelle", ne s'inscrivent pas vraiment dans un contexte chrétien : le triomphe de la bourgeoisie qui marquera le XIXe siècle s'accompagnera d'une laïcisation profonde des mentalités. On peut dire avec Mathiez que la Déclaration des droits de l'homme (26 août 1789), si elle fut "la condamnation implicite des anciens abus, fut surtout "le catéchisme philosophique de l'ordre nouveau."
Pierre Pierrard
I - DE L'UNION AU SCHISME
La Révolution a commencé dans l'allégresse presque messianique d'accord entre la nation et l'Eglise. Les cahiers de doléance rédigés en vue des Etats Généraux pour être présentés au roi en font foi. Certes d graves critiques sont formulées contre les privilèges et les abus du clergé, mais tout le monde pense que la réforme nécessaire des institutions ecclésiastiques se fera avec l'accord des intéressés. On ne conteste pas l'Eglise, et les ecclésiastiques députés sont bien résolus à répondre aux vœux légitimes de leurs paroissiens. D'où la transformation sans contestation des Etats Généraux en Assemblée nationale Constituante. Lors des journées insurrectionnelles qui voient le jour dans les grandes villes et où pour la première fois le "peuple" intervient pour imposer à l'Assemblée la condamnation du régime féodal et l'abolition des privilèges, non seulement le clergé ne s'y oppose pas mais dans la nuit du 4 août, ,il vote l'abolition des dîmes ecclésiastiques, se privant ainsi de l'essentiel de ses ressources.
Dns la foulée, le 2 novembre, la Constituante adopte un décret qui met tous les biens ecclésiastiques "à la disposition de la nation." A charge pour l'Etat de subvenir aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres, des séminaires, des églises et au soulagement des pauvres et à l'enseignement. Moyennant quoi, les immenses propriétés foncières de l'Eglise seront mises en vente. Dispositions nécessitées par l'état des finances publiques qui, depuis longtemps déjà, sont en état de quasi-faillite. C'est alors que beaucoup commencèrent à s'enrichir en achetant ces biens ecclésiastiques devenus "biens nationaux".
Ouverture des couvents
La destruction des couvents constitua une opération à peine plus difficile, mais également lourde de conséquences. Le 3 février 1790, un décret interdit les vœux religieux et supprime les congrégations à vœux solennels, sauf les congrégations hospitalières et enseignantes. Les religieux qui le désiraient pouvaient quitter leurs couvents, avec assurance de pension. Chez les hommes, les défections furent assez nombreuses ; chez les femmes beaucoup refusèrent de quitter leur vie contemplative et ne furent pas inquiétées, jusqu'à la fin de 1790 tout au moins. C'est seulement en août 1792 que l'Assemblée Législative prononcera l'abolition de toutes les congrégations, y compris les congrégations féminines vouées au service des pauvres.
La liberté de conscience
Lors de la discussion sur la Déclaration des Droits de l'homme se posa la question de la liberté religieuse. Aucune objection jusqu'au moment où il s'agit de définir la liberté d'opinion en matière de religion. La liberté de conscience absolue était réclamée par un petit groupe de députés protestants qui réclamaient les mêmes droits pour les non-catholiques que pour les catholiques. Certains intervinrent alors en faveur des Juifs. Réaction violente de la droite catholique : la France est un pays catholique ; on veut bien abolir toutes les voies de rigueur contre les hérétiques, mais il ne faut pas pour autant "insulter à la religion de l'Etat". Pas question de porter atteinte à l'unité de culte. Querelles sans fin jusqu'à ce qu'un curé poitevin propose la formule qui réconcilie tout le monde : "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses."
La Constitution civile du Clergé.
Ce qui n'empêcha pas querelles, divisions, empoignades et même risque de guerres civiles en plusieurs régions de France, notamment entre catholiques et protestants. Entre temps, l'Assemblée avait délibéré et le 12 juillet 1790, elle votait la Constitution civile du Clergé. Pas question de changer la religion nationale, mais il s'agissait de purifier le corps ecclésiastique de toutes sortes d'abus. Réaction de l'épiscopat : on peut admettre certaines dispositions d'ordre administratif, mais on ne peut admettre certaines dispositions d'ordre canonique sans traiter avec Rome et sans "blesser essentiellement la religion." Dès la fin d'octobre, la quasi unanimité des évêques s'en remettait ainsi au pape du soin de trancher ces questions litigieuses. Or le pape attendit huit mois avant de rendre sa sentence. Huit mois interminables, où les fidèles de France demeurèrent dans l'incertitude et où l'Assemblée nationale multiplia les décrets destinés à bâtir l'application de la Constitution.
Le serment constitutionnel
Le 27 novembre, pour brusquer les choses, l'Assemblée imagina d'enjoindre sous peine de révocation "à tous les évêques, ci-devant archevêques, curés et autres fonctionnaires publics" de prêter serment "d'être fidèles à la nation, à la loi, au roi et de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée Nationale et acceptée par le Roi."
Sur 160 prélats, sept seulement acceptèrent de jurer. Quant au bas clergé, il était assez partagé. D'abord, le pape n'avait pas parlé. Et puis, il manquait d'informations. Le brave curé de campagne hésitait à quitter son poste, sa paroisse, son presbytère. Souvent les gens insistaient pour le retenir. On estime à la moitié du clergé paroissial le nombre des curés "jureurs". Mais c'est plus compliqué à compter. Ainsi, en Haute-Saône, pour quatre refus de serment et 178 serments certains, on a calculé que 352 prêtres, soit les 2/3 du total firent des restrictions ou revinrent ensuite sur leur engagement.
On organisa donc "l'Eglise constitutionnelle". De janvier à mars 1791, chaque dimanche eurent lieu les élections des nouveaux évêques destinés à remplacer les réfractaires. N'importe qui - et même un incroyant - pouvait voter. 18 curés-députés furent élus. On trouva un évêque consécrateur. C'était indispensable. Talleyrand , qui venait de se démettre de sa juridiction quinze jours plus tôt, reprit du service. Les rites liturgiques furent scrupuleusement observés. C'est précisément alors que commença à se répandre en France la nouvelle que Pie VI venait de condamner la Constitution civile du clergé.
La condamnation pontificale
Le 10 mars 1791, le pape publia le bref Quod aliquantum, dans lequel il déclarait que " la Constitution civile a pour but et pour effet la destruction de la religion catholique", et, dans la foulée, il condamnait publiquement la Déclaration des Droits de l'homme<. Ainsi s'opposaient, avec une redoutable solennité, les thèses de l'Eglise romaine et les principes du libéralisme moderne.
Le 13 avril, Pie VI déclara "criminelles et sacrilèges" les consécrations épiscopales effectuées, interdisant toute fonction aux consécrateurs et consacrés, menaçant de suspension tout prêtre jureur qui ne se rétracterait pas et exhortant les fidèles à une inébranlable fermeté. Bientôt les relations diplomatiques entre Paris et Rome furent rompues.
Les deux Eglises
Il y eut désormais deux Eglises, face à face ; souvent deux évêques ou deux prêtres qui se lançaient des anathèmes devant une population divisée et qui souvent ne comprenait rien à cette opposition, souvent ne demandant qu'une chose ; que la messe soit dite comme d'ordinaire et que les sacrements soient distribués. On classait les curés davantage pour la sympathie ou l'antipathie qu'ils inspiraient que pour leur choix. Pour les uns, il y avait les assermentés et les insermentés, pour d'autres les jureurs et les réfractaires, pour d'autres enfin les prêtres civiques ou les bons prêtres. La division fut de plus en plus importante
Et le Roi ?
Louis XVI avait donné dès les premiers jours son approbation à la Constitution civile du clergé. Mais lorsqu'il reçut les brefs pontificaux, il se trouva bien embarrassé. Faible et médiocre, il eut recours à des moyens tortueux, à la dissimulation, à la politique du pire. Jusqu'au jour où il décida de quitter Paris pour aller demander à l'armée des émigrés et à l'empereur d'Autriche les moyens de restaurer son autorité. Mais il y eut Varennes ! Le roi arrêté, ramené à Paris ! Vive émotion dans le pays. Que d'erreurs ? Jusqu'au pape qui, croyant que l'opération avait réussi, lui adressait un chaleureux bref de félicitations ! Dès lors, toutes les positions devenaient plus antagonistes. Religion nationale contre religion "romaine ? L'Assemblée constituante termina son mandat en interdisant aux prêtres réfractaires la prédication et l'ouverture d'édifices cultuels. Mais elle se refusa à voter des mesures de proscription contre eux.
Survint alors une politique de rigueur.
De septembre 1791 à septembre 1792, l'Assemblée législative ne modifie pas la législation mise en place par la Constituante. Mais elle en vient rapidement à proscrire le culte romain. L'Eglise constitutionnelle garde sa position incontestée d'Eglise officielle. Vingt des nouveau évêques siègent à l'Assemblée. Les autorités civiles les appuient. On trouve de nouveaux prêtres, souvent pas assez formés. En un an, l'évêque du Calvados consacre 200 prêtres, mais certains n'ont fait que quelques mois de séminaire. Il faut lutter contre la "propagande" des prêtres réfractaires. En Bretagne, des communes garderont les prêtres réfractaires jusqu'à la Terreur.
Les réfractaires
On assiste donc à la désobéissance d'une majorité catholique, ce qui met en péril l'ordre public et le fonctionnement même de l'administration nouvelle. Ce qui accroit l'incivisme, un peu partout. Les insermentés sont divisés entre modérés et exaltés, ces derniers jetant le discrédit sur l'œuvre entière de la Révolution. Dans certains diocèses, on essaie de communiquer avec l'ancien évêque, qui a émigré. Le 29 septembre 1791, l'Assemblée décrète que les ecclésiastiques qui n'auraient pas prêté serment dans les huit jours seraient réputés "suspects de révolte contre la loi et de mauvaises intentions contre la patrie", privés de tout traitement et pensions et éloignés des communes où des troubles auraient éclaté.
Au printemps 1792, la tension croissante entre la France et les princes d'Empire rendit la guerre inévitable. La Législative réussit à obtenir de Louis XVI qu'il déclare la guerre à l'Autriche. Ce qui provoqua l'alliance entre l'empereur, le roi de Prusse, les princes allemands et l'armée des émigrés. Le pape Pie VI n'hésita pas à témoigner son approbation aux Coalisés. Devant la menace supposée des "ennemis de l'intérieur", l'Assemblée Législative, le 27 mai 1792, décréta que tout insermenté, dénoncé par 20 citoyens actifs d'un canton, serait conduit aux frontières et déporté.
La chute du trône
Louis XVI refusa de sanctionner le décret. Il était en train de retrouver une résolution qui allait s'affermir jusqu'à sa mort. Ce refus n'empêcha pas la traque des insermentés par les pouvoirs locaux. Privés de refuge, ils étaient internés dans d'anciens couvents désaffectés. Beaucoup fuyaient et trouvaient une certaine sécurité dans l'anonymat des grandes villes.
Le 10 août 1792, Louis XVI et la famille royale étaient enfermés au Temple. La monarchie avait vécu La "première Terreur" commençait L'Assemblée Législative entassa à la hâte quantité de décrets : fermeture des derniers couvents, suppression des dernières corporations, défense de porter le costume ecclésiastique, interdiction des processions, et surtout ordre général de déportation de tous les réfractaires (26 août)
A Paris , dès le 10 août, on emprisonna en masse tous les prêtres insermentés dénoncés par les clubs. Ils furent répartis entre l'Abbaye, le couvent des Carmes et le séminaire de Saint-Magloire. Quelques jours plus tard, dans l'après-midi du 2 septembre commença une ignoble tuerie. Les "massacres de septembre" firent 300 victimes ecclésiastiques, tous exécutés après un simulacre de procès.
Alors une véritable battue se déchaîna sur tout le territoire national, et ce fut l'exode massif des prêtres, approximativement entre trente et quarante mille exilés.
II - LA DECHRISTIANISATION
(1792-1795)
De la première Terreur (août-septembre 1792) jusque bien au-delà de la fin de la Grande Terreur(début 1795), une violente tempête secoua et faillit balayer le catholicisme en France. Elle se traduisit par une persécution sanglante, par une véritable mise au ban de la Nation des deux clergés, d'abord les réfractaires, puis le clergé constitutionnel, par une multiplicité de mesures destinées à effacer jusqu'au souvenir de l'ancienne religion, et enfin par l'instauration de divers cultes patriotiques et rationalistes, que nous appelons aujourd'hui religions révolutionnaires. Ce qui ne causa pas de surprise véritable parmi ceux qui, depuis le début, avaient vu dans la Révolution une conjuration destinée à détruire la véritable religion, l'Infâme selon Voltaire. De nos jours, on se rend compte que les révolutionnaires ont souvent hésité, pour ne pas trop choquer les populations. Certains historiens pensent que les mesures de déchristianisation découlent d'une nécessité politique, devant "la Patrie en danger". En réalité, il semble que ce soit plus complexe.
La République et le mouvement anticlérical.
En trois ans (1789-1792), on est passé du catholicisme religion exclusive du royaume à la ruine économique de l'Eglise, à la mise au ban de l'ancien clergé et à l'instauration d'une nouvelle religion d'Etat. En septembre 17492, la Convention proclame la République. Mais elle ne se dit pas antireligieuse : elle met progressivement en place une Eglise constitutionnelle. Mais voilà qu'en novembre 1792, un constitutionnel propose de supprimer le budget des cultes. Les prêtres assermentés seraient privés de tout salaire. Danton, puis Robespierre tiennent tête aux auteurs de motions antireligieuses. Robespierre, d'ailleurs, disciple de Rousseau, avait horreur de l'athéisme. Pourtant à Paris, une partie du peuple ( notamment les massacreurs de septembre) manifestait un solide anticléricalisme. Quelques journalistes en rajoutaient. "Coupez les racines de la superstition. Dites ouvertement que les prêtres sont nos ennemis", écrivait Marat dans l'Ami du peuple.
La Commune de Paris
Cette violence de la presse provoqua une fermentation grandissante dans la population, les Comités révolutionnaires, la Commune de Paris. Pendant l'hiver 92-93 a lieu une véritable "offensive antithéologique" qui grandira jusqu'à l'interdiction de tout exercice du culte, durant l'automne 1793. Il ne s'agit pas d'un programme cohérent, mais d'une série d'initiatives destinées à faire disparaître les signes de la superstition, à déconsidérer les prêtres, à pousser au dépouillement des églises, à promouvoir une éducation populaire contre l'Eglise. Ainsi on assiste à l'interdiction des processions du 15 août, à la suppression de la messe de minuit et, le 6 janvier, à la suppression de la "fête des rois", remplacée par la "fête des sans-culotte". Tout cela ne va pas sans réticences des populations. La sécularisation de l'état-civil se fait sans que les contemporains se rendent compte de la véritable révolution que cela représente : elle ouvre réellement la voie à la séparation de l'Etat et de l'Eglise. Apparaissent alors mariages civils obligatoires et baptêmes républicains, avec imposition de prénoms civiques aux nouveau-nés. Surtout, on pousse au mariage des prêtres, en recevant les ecclésiastiques en possession d'épouse et en les défendant contre leurs supérieurs.
Crise de l'Eglise constitutionnelle
Cette Eglise "officielle" résistait mal aux entreprises de laïcisation ; et même certains de ses membres les favorisaient. Matériellement et moralement affaiblie, intérieurement divisée, elle glissait vers la décadence. La situation financière des desservants s'est trouvée bien réduite, leurs fonctions importantes (les actes religieux par exemple) leur ont été soustraits, si bien que leur statut social est en grande perte de vitesse.
Et voilà qu'un décret va bientôt stipuler que les ecclésiastiques "doivent obéir à toutes les lois de la République". Plus question d'obéir aux lois de la "discipline ecclésiastique". On vit alors un vicaire général du Loir-et-Cher réclamer le mariage des prêtres, un vicaire de Paris faire bénir son mariage par un confrère, puis être admis par l'Assemblée Législative aux honneurs de sa séance. Enfin, en novembre 1792, l'évêque de l'Eure annonça son mariage en déclarant qu'"il faut dégager la doctrine céleste de Jésus-Christ des opinions théologiques qui ne servent qu'à l'obscurcir."
Du coup, l'Eglise constitutionnelle se trouva discréditée aux yeux de bon nombre de fidèles, qui firent ressortir la solidité des "bons prêtres".
La terreur religieuse
Les mois de mars à octobre 1793 vont être décisifs. La France, assiégée au dehors et menacée de dislocation intérieure est vigoureusement reprise en mains par la Convention devenue montagnarde et par les comités, surtout par le Comité de Salut Public, qui en émanent. En Mars, la Convention décrète la levée de 300 000 hommes ; en août, c'est la mobilisation générale de tous les citoyens ; ajoutez à cela les réquisitions, les taxations diverses : tout le monde doit obéir. Pour les réfractaires, une seule sanction : la mort.
Le 21 janvier 1793, le roi Louis XVI a été guillotiné. La lutte est engagée contre les "tyrans". Le pape Pie VI a exalté "la piété et la clémence tout-à-fait surnaturelle de Louis XVI, mourant en pardonnant à ses ennemis." L'Europe entière se dresse contre les sans-culottes couverts de sang.
La Vendée
Les résistances éclatent de toutes parts. Le signal est donné dès le printemps par l'insurrection vendéenne ; pendant sept ans, elle ravagera tout l'Ouest de la France. Quelle qu'en soit l'origine, elle a partout un caractère religieux. Les paysans qui prennent les armes réclament "les bons prêtres". Ils chassent partout les intrus. Ils forment une "armée catholique" qui deviendra bientôt l'armée catholique et royale. Sur leurs vestes, ils arborent le Sacré Cœur . Deux mentalités vont s'affronter, l'une traditionnaliste et cléricale, l'autre, l'armée des "bleus"; foncièrement nationale, démocrate, pour qui il n'y a qu'une religion : la Patrie. La dure guerre va développer une haine farouche du prêtre, allié des aristocrates, et de la religion, dans les clubs, les administrations, parmi les Jacobins et dans l'armée de métier.
Survient, dans la foulée, l'insurrection fédéraliste, dans une soixantaine de départements. Une insurrection contre la Convention, qui gagne les =grandes villes, Lyon, Bordeaux, Marseille, Toulon... Ce mouvement n'est ni rural ni religieux. Il est citadin, bourgeois et se veut républicain. Un certain nombre de prêtres s'y rallie.
La Convention décrète la mort de tout prêtre complice des ennemis extérieurs ou intérieurs, la déportation de tout prêtre dénoncé pour incivisme par six citoyens. La chasse aux prêtres, les mesures contre les cultes et contre la religion catholique en résultent fatalement
La déchristianisation
On ne parle pas alors de déchristianisation, mais de mesures pour écraser la superstition et ses suppôts, ainsi que de l'instauration des cultes révolutionnaires. En premier, l'aspect négatif est surtout le résultat des initiatives des représentants en mission dans les départements. Parmi ces "représentants", beaucoup d'anciens prêtres et d'anciens moines., qui semblaient obéir à une rancune de renégats. Ainsi Laplanche, ex-bénédictin, obligea le citoyen-évêque de Bourges à ordonner prêtre un père de douze enfants et fit supprimer dans la Nièvre trois paroisses sur quatre.
Mesures contre les personnes, contre les édifices, contre les cultes et contre la propagande. . Chasse aux suspects, conditions de détention aggravées, expulsions et arrestations des religieuses hospitalières qui refusaient le serment civique. Au contraire, on favorise les abjurations. Le mouvement de "déprêtrisation" reçoit un encouragement puissant. Gobel, l'évêque constitutionnel de Paris et onze de ses vicaires épiscopaux renoncent solennellement à exercer leurs fonctions te ministres catholiques. Les cloches sont réquisitionnées et sont fondues pour faire des canons ; on saisit l'argenterie des églises ; à Bourges, on ira jusqu'à réclamer la destruction de deux églises. On ira plus loin. La crainte es conspiration poussera les autorités à interdire les réunions des fidèles sous prétexte qu'elles cachaient des intrigues révolutionnaires ; et même à interdire toute prédication "en faveur d'une opinion religieuse quelconque, afin que la liberté des cultes existe dans toute sa plénitude."
La lutte contre le catholicisme va de pair avec l'instauration "d'une religion plus propre à lier les Français entre eux et à l'Etat régénéré : le patriotisme." D'ou improvisation, parodie burlesque et sacrilège dans beaucoup de manifestations inventées par les révolutionnaires. Presque toutes ont un fond commun de tendances naturalistes, héritières des philosophies des Lumières. D'où de grandioses manifestations collectives purement laïques comme, le 12 août, la fête commémorative de la chute du Trône : la Nature est la véritable inspiratrice de la Révolution et la Raison est opposée à la Révélation. Mais en même temps les hommes de la rue organisent de simples cortèges carnavalesques, en dérision des processions catholiques, où les apostats singent les gestes des prêtres. Si bien que de l'étranger on put tout confondre et déclarer les Français livrés à une vulgaire débauche d'athéisme et à une crise de folie collective
Le 10 novembre, trois jours après l'abdication de l'évêque Gobel, pour solenniser la disparition des derniers prêtres et le "jour où la Raison reprenait son empire", et lieu à Notre-Dame de Paris la première fête de la Raison. Remplaçant les "idoles inanimées" on proposa aux hommages des citoyens une actrice de l'Opéra comme déesse Raison.
Robespierre et le culte de l'Etre suprême.
Robespierre était profondément choqué de ce qu'il appelait des "mascarades". Il y voyait non seulement une machination entre fractions politiques, mais une faute envers les humbles qui avaient besoin de "l'idée toute populaire" de l'Etre Suprême, garant de toute moralité. Devenu tout puissant au printemps 1794, il entend réaliser une remise en ordre générale "des idées religieuses et morales avec les principes républicains". Le 18 prairial, la Convention adopte un décret par lequel "le peuple français reconnait l'existence de l'Etre Suprême et l'immortalité de l'âme." Et deux jours plus tard a lieu à Paris la Fête de l'Etre Suprême, la plus pompeuse des liturgies civiques, réglée par le peintre David et à laquelle tous les corps constitués sont obligés d'assister.
Ce qui ne change rien au sort du clergé. Bien pis : de la fin de floréal au 9 thermidor se produit une recrudescence de terreur contre le clergé et les fidèles. Mais tout a une fin et de l'effort de Robespierre, il ne subsistera bientôt que peu de choses. A noter cependant la réforme du calendrier et l'esquisse d'un culte décadaire (octobre 1793): division rationnelle de l'année, fondés sur le système décimal, élimination des fêtes religieuses et des saints. Le décadi - dixième jour - remplace le dimanche. Et les actes de l'Etat civil, à partir d'octobre 93 (vendémiaire an II) seront datés dans le nouveau style (les généalogistes en savent quelque chose !)
Survie du catholicisme
Toutes les confessions chrétiennes ont subi la tourmente, à un plus ou moins grand degré, mais la plus visée, le catholicisme, est aussi celle qui a le mieux résisté. Le protestantisme, dès 1794, a pratiquement disparu et est tombé en léthargie jusqu'au Consulat. L'Eglise constitutionnelle s'est délabrée. Sur 85 évêques, 24 ont abdiqué et déserté leur troupeau, 23 ont apostasié, 9 se sont mariés. Il y en eut tout de même 8 qui ont été guillotinés. Dans un diocèse comme celui de l'abbé Grégoire, sur 300 prêtres jureurs, 32 seulement sont restés fidèles à leur état. Le culte est menacé d'extinction. Par contre, l'Eglise clandestine, malgré des pertes immenses et des défaillances nombreuses, s'est retrempée aux sources d'un héroïsme digne des temps apostoliques.
L'émigration ecclésiastique.
La grande majorité de son clergé a fui à l'étranger. Vers 1795, on compte 31 évêques et 10 000 prêtres en Angleterre, 6 000 en Italie, et autant en Espagne et en Suisse. Cette masse va connaître bien souvent une existence précaire et rongée par l'amertume ; et cependant l'immense majorité a vécu une vie digne et qui s'efforce d'être utile. Bien sûr, un certain nombre rêvent de revanche et se mettent au service de Princes, mais beaucoup cherchent à rester en contact avec le troupeau qu'ils ont laissé. Certains font des aller et retour clandestins et risqués.
Les martyrs de l'Eglise
Certains sont restés en France et cherchent à maintenir une organisation cohérente et à célébrer le culte clandestin. Cette Eglise est durement frappée. Il est aujourd'hui encore difficile d'estimer le nombre exact des victimes : des centaines de religieuses ( dont les 16 carmélites de Compiègne), de grandes fournées de prêtres et de religieux : 135 d'un coup à Lyon, une centaine à Angers, 14 guillotinés à Laval, près de 600 en un an sur les pontons de Rochefort et combien d'autres, sans parler des isolés, des laïcs qui les ont hébergés, des femmes et des mères de famille.
La vie religieuse sous la Terreur
Seulement le nombre des ouvriers évangéliques se réduit sans cesse. Sept évêques réfractaires seulement survivront en France à la Terreur. C'est peu, pour ordonner des prêtres ! Le clergé réfractaire, même peu nombreux, a réussi à s'adapter à la clandestinité ; leur organisation est parfois très efficace. C'est le cas à Paris et, en général, dans toutes les grandes villes. En province, cela dépend des régions. La Vendée a beaucoup souffert : quand la guerre prendra fin, elle comptera moins d'une centaine de curés réfractaires. Les régions de montagne, dans le Massif central ou le Jura ont été des lieux de refuge efficace. Un prêtre échappé des prisons de Besançon fait l'éloge de la piété des familles chrétiennes rencontrées dans quelques cantons du Doubs : une piété qui "n'avait aucun des défauts de ce que le monde appelle dévotion... Je n'ai vu nulle part une image plus vraie de la ferveur qui honora le berceau du christianisme."
Vers la Séparation
Survient la chute de Robespierre. Les Montagnards qui ont machiné le coup de Thermidor et qui s'emparent alors du pouvoir à la Convention ne sont pas des modérés. Certains sont parmi les plus enragés à la déchristianisation. Mais ils seront bien vite dépassés par le mouvement de réaction qu'ils ont déclenché. Dans tous les domaines, politique, économique, social. Dans le domaine religieux, l'évolution fut plus lente. Les Montagnards crurent s'en tirer en instaurant pratiquement une séparation de l'Etat et des Eglises. Un décret de Cambon arrêta que désormais l'Etat ne verserait aucune contribution pour aucun culte. Et la législation anticléricale subsistait ; les prisons s'ouvraient progressivement, mais personne n'était assuré de n'être pas inquiété pour exercice illégal du culte. Il fallut encore 5 mois avant que la Convention n'accepte de garantir officiellement la liberté des cultes (21 février 1795).
Mais ce n'était pas fini...
(à suivre, début octobre)